B. UNE DISPOSITION CONSTITUTIONNELLE INCHANGÉE, MAIS UNE PROCÉDURE DE CONTRÔLE RENDUE PLUS RIGOUREUSE DEPUIS 2007

L'article 40 de la Constitution de 1958 n'a connu aucune modification depuis son adoption. Les procédures prises pour son application, souvent différentes à l'Assemblée nationale et au Sénat, ont néanmoins été progressivement modifiées dans le sens d'une plus grande rigueur. À cet égard, la décision du Conseil constitutionnel n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a constitué un tournant, en particulier pour l'application au Sénat de cette disposition.

1. À l'Assemblée nationale, une disposition d'application systématique, légèrement renforcée en 2009

Jusqu'en 2007, la procédure applicable au Sénat différait nettement de celle en vigueur à l'Assemblée nationale. Cette dernière prévoyait ainsi, jusqu'à la révision du règlement de l'Assemblée nationale en 2009 :

- au stade de leur dépôt, le contrôle de l'irrecevabilité « évidente » des propositions de loi par le Bureau de l'Assemblée nationale ou une délégation désignée par lui à cet effet (ancien article 81 du règlement de l'Assemblée nationale) ;

- au stade de leur examen en commission, le contrôle de l'irrecevabilité des amendements « lorsqu'ils comportent l'une des conséquences définies par l'article 40 de la Constitution » par les présidents des commissions saisies au fond ou, « en cas de doute », par le bureau de celles-ci (ancien article 86 alinéa 4 du même règlement) ;

- au stade de leur dépôt en séance, le contrôle de l'irrecevabilité des amendements par le président de l'Assemblée nationale, après consultation, en cas de doute, du président, du rapporteur général ou d'un membre du bureau de la commission des finances et, à défaut d'avis, la possibilité pour le président de l'Assemblée nationale de saisir le Bureau de l'Assemblée (ancien article 98 alinéa 6 dudit règlement) ;

- à tout moment, y compris postérieur à leur dépôt et, pour les propositions de loi, à leur adoption en commission, la possibilité d'une invocation à l'encontre des propositions, rapports et amendements par le Gouvernement ou par tout député et, pour les propositions de loi et rapports, le contrôle de cette irrecevabilité par le bureau de la commission des finances. Dans les faits, le contrôle systématique de la recevabilité des amendements, dès leur dépôt, rendait d'ailleurs rares les invocations lors de leur discussion en séance publique19(*).

Consécutive à la révision de la Constitution prévue par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, l'adoption de la résolution n° 292 modifiant le règlement de l'Assemblée nationale a eu pour effet de regrouper ces dispositions éparses en un article 89 unique et de renforcer à cette occasion l'application de l'article 40 de la Constitution.

Rédaction actuelle de l'article 89 du règlement de l'Assemblée nationale

« Les propositions de loi présentées par les députés sont transmises au Bureau de l'Assemblée ou à certains de ses membres délégués par lui à cet effet. Lorsqu'il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution, le dépôt en est refusé.

« Les amendements présentés en commission sont irrecevables lorsque leur adoption aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution. L'irrecevabilité est appréciée par le président de la commission et, en cas de doute, par son bureau. Le président de la commission peut, le cas échéant, consulter le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet.

« La recevabilité des amendements déposés sur le bureau de l'Assemblée est appréciée par le Président. Leur dépôt est refusé s'il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution. En cas de doute, le Président décide après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet ; à défaut d'avis, le Président peut saisir le Bureau de l'Assemblée.

« Les dispositions de l'article 40 de la Constitution peuvent être opposées à tout moment aux propositions de loi et aux amendements, ainsi qu'aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies, par le Gouvernement ou par tout député. L'irrecevabilité est appréciée par le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet.

« Sont opposables, dans les mêmes conditions, les dispositions des lois organiques relatives aux lois de finances ou aux lois de financement de la sécurité sociale.

« En cas d'irrecevabilité d'une proposition de loi ou d'un amendement, le député qui en est l'auteur peut demander une explication écrite de cette irrecevabilité20(*). »

Afin de répondre à l'exigence d'un contrôle « effectif et systématique » posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2006-54 DC précitée, l'Assemblée nationale a ainsi systématisé et renforcé l'examen de la recevabilité de l'ensemble des initiatives des députés.

D'une part, le critère de « l'évidence » de l'irrecevabilité, qui permettait en particulier une interprétation relativement « libérale » de la recevabilité des propositions de loi21(*), a été supprimé (1er alinéa de l'article 89). Un critère unifié, applicable indifféremment aux amendements et propositions à chaque stade de leur dépôt ou examen, prévaut depuis lors : lorsque l'adoption de toute initiative « aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution », le dépôt en est refusé ou l'irrecevabilité prononcée sur invocation.

D'autre part, les procédures applicables sont légèrement clarifiées, dans le sens d'une systématisation du contrôle :

- au stade du dépôt des propositions de loi, la recevabilité est appréciée par le Bureau ou sa délégation ;

- au stade de l'examen en commission, la recevabilité des amendements est appréciée par le président de la commission au fond ou son bureau, qui peut désormais, « afin que ce contrôle de recevabilité des amendements en commission puisse être assuré de façon plus effective et plus efficace »22(*), consulter le président, le rapporteur général ou un membre du bureau désigné à cet effet de la commission des finances ;

- au stade de l'examen en séance, la recevabilité des amendements est appréciée - comme avant 2009 - par le président de l'Assemblée nationale, après consultation éventuelle - en cas de doute - du président, du rapporteur général ou d'un membre du bureau de la commission des finances et, en cas de défaut d'avis, par le Bureau de l'Assemblée ;

- à tout moment l'irrecevabilité peut être invoquée par le Gouvernement ou tout député sur tout amendement, proposition ou modification apportée par une commission et se trouve appréciée dans ce cas par le président de la commission des finances, son rapporteur général ou un membre de son bureau.

Déjà considéré comme « effectif et systématique » par le Conseil constitutionnel, le contrôle de la recevabilité des initiatives parlementaires à l'Assemblée nationale a donc été légèrement renforcé à l'occasion de la révision du règlement de 2009.

2. Au Sénat, une procédure de contrôle longtemps fondée sur l'invocation, admise par le Conseil constitutionnel

Si la procédure applicable aux irrecevabilités financières au Sénat était jusqu'en 2007 relativement souple et, en tout état de cause, appliquée sur invocation du seul Gouvernement, la décision du Conseil constitutionnel n° 2006-544 DC précitée a conduit le Sénat à renforcer et systématiser le contrôle de la recevabilité financière des amendements.

a) Avant 2007, une application laissée concrètement à la discrétion du seul Gouvernement

Le Sénat a historiquement connu une application relativement souple de l'article 40 de la Constitution23(*), parfois contraire à la lettre de ce dernier comme de son propre règlement24(*).

Comme le rappelait Philippe Marini dans son rapport sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat25(*), il était ainsi de « pratique sénatoriale ancienne » que le « contrôle de recevabilité financière des amendements [prenne] la forme d'une instruction systématique par la commission des finances, mais n'aboutissait à la censure des amendements irrecevables que sur invocation expresse de l'article 40 par le Gouvernement ou les sénateurs26(*). »

Il en résultait, comme le relevait le professeur Baufumé, un mécanisme « empreint, par contraste [avec celui en vigueur jusqu'en 2009 à l'Assemblée nationale], d'une grande simplicité : [c'était] toujours la commission des finances, et elle seule, qui [était] appelée à prendre la décision27(*). » Ainsi, un commissaire des finances spécialement désigné à cet effet devait-il siéger en séance publique et être en mesure de faire valoir la décision de celle-ci, dans le cas où l'irrecevabilité était invoquée par le Gouvernement, sur l'amendement ou la proposition de loi concernée : lorsque la commission constatait également l'irrecevabilité de l'amendement, celle-ci était admise de droit ; lorsqu'elle ne reconnaissait pas l'irrecevabilité invoquée par le Gouvernement, l'amendement était mis en discussion.

Ce mécanisme, qui reposait sur l'idée que l'application de l'article 40 de la Constitution incombait in fine au Gouvernement, l'exécutif ayant vocation à être le gestionnaire des finances publiques, avait deux conséquences :

- aussi longtemps que l'article 40 n'était pas invoqué par le Gouvernement, il ne connaissait pas d'application et le Sénat pouvait ainsi adopter des amendements que la commission des finances avait identifiés comme irrecevables mais pour lesquels le Gouvernement n'avait pas soulevé d'exception d'irrecevabilité ;

- lorsque la commission des finances estimait, à rebours du Gouvernement, qu'un amendement ou une proposition de loi n'était pas irrecevable, le litige était tranché de droit en faveur de cette dernière.

Manifestement favorable à l'initiative parlementaire, cette pratique a connu une première amodiation consécutive à la décision du Conseil constitutionnel n° 78-94 DC du 14 juin 1978 relative à une résolution tendant à modifier divers articles du règlement du Sénat. Considérant que les modifications apportées à l'article 24 du règlement conduisaient à « confier à la commission des finances la vérification de cette recevabilité et que ce contrôle ne s'exercerait que postérieurement à l'annonce par le Président du Sénat du dépôt des propositions de loi formulées par les sénateurs et seulement lorsqu'une exception d'irrecevabilité aurait été soulevée à leur encontre par le Gouvernement, la Commission des Finances, la commission saisie au fond ou tout sénateur » et « qu'il résulte des termes mêmes de cet article qu'il établit une irrecevabilité de caractère absolu et fait donc obstacle à ce que la procédure législative s'engage à l'égard de propositions de loi irrecevables formulées par des sénateurs et, dès lors, à ce que le dépôt de ces propositions soit annoncé en séance publique par le Président du Sénat », le Conseil avait estimé que « le respect de l'article 40 de la Constitution exige qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité » des propositions de loi, préalablement à leur dépôt.

Cette décision du Conseil constitutionnel n'a pas pour autant conduit à la transposition pour les amendements d'un contrôle de recevabilité plus systématique. Alors même que l'objet de la résolution ainsi contestée était « d'aligner les règles applicables aux propositions de loi sur celles qui existent actuellement pour les amendements »28(*) et bien que l'article 40 de la Constitution n'établisse aucune distinction entre les propositions de loi et les amendements, la procédure pour ces derniers, déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 196329(*), n'a pas été modifiée en conséquence et a perduré.

Celle-ci n'était pourtant pas exempte de critiques. La disparité entre les procédures applicables dans chacune des chambres pouvait susciter des incompréhensions, notamment de la part de députés30(*). Surtout, l'usage de cette faculté par le Gouvernement, parfois jugé excessivement discrétionnaire par les sénateurs, pouvait laisser planer le doute sur un dévoiement politique de la procédure31(*).

Malgré tout, le maintien d'une procédure souple d'appréciation de l'irrecevabilité financière des initiatives des sénateurs était généralement défendu, y compris par des députés, pour deux raisons :

- le maintien des droits du Parlement dans la procédure législative. Ainsi Robert-André Vivien, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale de 1978 à 1981, avait-il estimé dans un rapport sur le sujet qu'une « éventuelle unification des procédures de recevabilité (...) ne pourrait se faire qu'au prix d'une certaine restriction du droit d'initiative parlementaire tel qu'il existe actuellement. Ce n'est évidemment pas l'objectif recherché »32(*) ;

- la nécessité de faire vivre le débat public. Ainsi, la principale critique adressée au Gouvernement lorsqu'il soulevait l'exception d'irrecevabilité tenait en général à la nécessité de la tenue d'un débat33(*), comme le montre l'extrait ci-dessous.

Extraits du compte rendu intégral de la séance du 7 mai 1991
sur la proposition de loi relative au financement des établissements
d'enseignement privé par les collectivités territoriales

M. Robert Chapuis, secrétaire d'État. Permettez-moi d'ajouter, parce que c'est la vérité, que l'adoption de cette proposition de loi aurait pour effet d'augmenter une charge publique, au sens de l'article 40 de la Constitution, qui vise aussi bien les charges des collectivités locales que celles de l'État. C'est pourquoi, monsieur le président, je suis contraint, face à cette proposition de loi, d'invoquer l'article 40 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

M. Emmanuel Hemel. Dès maintenant ?

M. Jean Chérioux. Quelle hypocrisie !

M. Charles Pasqua. C'est un scandale !

M. Maurice Schumann, président de la commission. Vous vous déclariez ouvert au dialogue, mais vous refusez la discussion avec le Parlement !

M. Charles Pasqua. Merci pour le Sénat !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues ! L'article 40 de la Constitution est-il applicable ?

M. Geoffroy de Montalembert, vice-président d'honneur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, vous me posez une question traditionnelle, je vous dois, au nom de la commission des finances, une réponse traditionnelle : l'article 40 s'applique. Vous me permettrez d'ajouter qu'il est de tradition dans cette maison que, lorsque le Gouvernement décide d'invoquer l'article 40 dans un débat de ce genre, ce soit après la discussion générale ! (...) Je constate qu'aujourd'hui le Gouvernement déroge à cette tradition. C'est la seule déclaration que je puisse faire.

M. le président. L'article 40 étant applicable, la proposition de loi n'est pas recevable.

M. Emmanuel Hemel. Asphyxie !

M. Jean Chérioux. C'est un refus du dialogue !

M. Charles Pasqua. Le débat est clos... provisoirement !

b) Après 2007, la mise en place d'une procédure rigoureuse et systématique

La décision du Conseil constitutionnel n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a constitué un indéniable tournant dans l'application de l'article 40 de la Constitution au Sénat34(*).

Estimant que les amendements, présentés par des sénateurs, dont étaient issus les articles 115 et 117 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 « auraient dû être déclarés irrecevables dès leur dépôt au motif qu'ils avaient pour conséquence l'aggravation d'une charge publique », le Conseil constitutionnel a considéré n'être lié par la règle dite « du préalable parlementaire » qu'à la condition de la « mise en oeuvre d'un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt » des amendements proposés par des parlementaires. Considérant qu'une « telle procédure n'a pas encore été instaurée au Sénat », il a déclaré contraires à la Constitution certains articles de la loi déférée pour ce motif et privé pour l'avenir les amendements d'initiative sénatoriale du bénéfice de la règle du « préalable parlementaire » 35(*).

La règle « du préalable parlementaire »

Considérant que le constituant « n'a pas repris les dispositions de l'article 35 de l'avant-projet de Constitution soumis au Comité consultatif constitutionnel le 29 juillet 1958, aux termes desquelles le Conseil constitutionnel aurait été appelé à intervenir avant l'achèvement de la procédure législative en cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l'assemblée intéressée »36(*) et qu'il a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de chacun des règlements des assemblées relatives au contrôle de la recevabilité financière, le Conseil constitutionnel a posé dans une décision du 20 juillet 1977 la règle du préalable parlementaire et jugé qu'il « ne peut être saisi de la question de savoir si une proposition ou un amendement formulé par un membre du Parlement a été adopté en méconnaissance de l'article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité de cette proposition ou de cet amendement a été soulevée devant le Parlement »37(*).

En d'autres termes, le Conseil constitutionnel se positionne comme un juge d'appel de la loi en ce qui concerne l'irrecevabilité financière des initiatives parlementaires, le juge de premier ressort ayant vocation à être les assemblées elles-mêmes38(*).

Comme le souligne Bruno Baufumé, cette règle présente l'avantage de responsabiliser les assemblées dans leur appréciation de l'irrecevabilité financière, mais également le Gouvernement : celui-ci « ne peut choisir de ne pas soulever l'exception d'irrecevabilité financière à l'encontre d'un amendement, pour des raisons de tactique politique, tout en prévoyant de s'adresser ensuite au Conseil constitutionnel pour faire déclarer non conforme à la Constitution la disposition ainsi adoptée39(*). »

Par cette décision, le Conseil constitutionnel a ainsi « incité très fortement »40(*) le Sénat à se doter d'un dispositif de contrôle « effectif et systématique » de la recevabilité financière des amendements, ce que celui-ci a fait, sur décision de la conférence des présidents du 20 juin 2007, à partir du 1er juillet 2007. Cette modification de procédure a été inscrite à l'article 22 de la résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, adoptée le 2 juin 2009 et déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, sous la réserve41(*) que « l'irrecevabilité financière peut être soulevée à tout moment non seulement à l'encontre des amendements déposés, mais également à l'encontre des modifications du texte déposé ou transmis apportées par la commission saisie au fond et intégrées à ce texte »42(*). La lecture combinée de plusieurs articles du règlement du Sénat dégage ainsi une procédure proche de celle applicable à l'Assemblée nationale.

Extraits du règlement du Sénat

« Article 17 bis. (...) 2. - Le président de la commission contrôle la recevabilité des amendements et sous-amendements au regard de l'article 40 de la Constitution et des dispositions organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Les amendements peuvent être communiqués au président de la commission des finances, qui rend un avis écrit sur leur recevabilité financière. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution. (...)

« Article 45. 1. - Le président de la commission des finances contrôle la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des amendements déposés en vue de la séance publique. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution.

« 2. - Après l'adoption du texte de la commission mentionnée à l'article 17 bis, la commission des finances est compétente pour contrôler la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies.

« 3. - Le président de la commission des affaires sociales est compétent pour examiner la recevabilité des amendements déposés en vue de la séance publique au regard des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale.

« 4. - Tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution, sur la loi organique relative aux lois de finances ou sur l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. L'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée selon le cas par la commission des finances ou la commission des affaires sociales.

« 5. - Lorsque la commission n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité d'un amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, si la commission ne fait pas connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, l'irrecevabilité sera admise tacitement. »

Les modalités de contrôle de l'irrecevabilité financière qui en résultent sont détaillées dans le schéma ci-dessous.

Modalités de contrôle de la recevabilité financière
au titre de l'article 40 de la Constitution depuis 2007 au Sénat43(*)

Source : commission des finances du Sénat

3. Une procédure rigoureuse qui n'exclut pas des assouplissements au bénéfice de l'initiative parlementaire

Si le Sénat a adopté des procédures de contrôle relativement similaires à celles en vigueur à l'Assemblée nationale à partir de 2007, le rapprochement des procédures applicables s'est accompagné d'une convergence accrue des jurisprudences en vigueur dans chacune des assemblées, généralement au bénéfice de l'initiative parlementaire.

Comme le relevait Philippe Marini dans son rapport précité44(*), ce rapprochement « fait ainsi apparaître la grande - et heureuse - convergence d'analyse entre les deux chambres, que ne sauraient masquer de légères différences d'interprétation sur des sujets non encore tranchés par le Conseil constitutionnel45(*). » Sans qu'il soit dès lors besoin de faire le décompte exhaustif de l'ensemble des points sur lesquels les jurisprudences des commissions des finances de chacune des assemblées convergent, force est de constater que, par le dialogue que leurs présidents entretiennent, certains points de divergence ont pu être progressivement écartés.

En juillet 2020, Vincent Eblé, alors président de la commission des finances, tout en relevant que « ces divergences sont peu nombreuses et tendent à s'atténuer », s'était ainsi rapproché de son homologue afin de « rechercher des points de convergence » et avait proposé à la commission des finances du Sénat - qui l'avait accepté - de « transposer au Sénat deux évolutions récentes de la jurisprudence de la commission des finances de l'Assemblée nationale qui iraient dans le sens d'un assouplissement des règles de recevabilité financière » :

- considérer comme recevables les fusions de structures publiques à des fins d'économie d'échelle en estimant que, bien que la création d'une charge nouvelle soit indéniable sur le plan juridique, elle pouvait être analysée comme une « simple réorganisation de charges existantes » ;

admettre la recevabilité de dispositions ayant pour effet de créer des charges de trésorerie, dès lors que cet effet est « infra-annuel et non massif » ;

- tout en faisant part de son questionnement sur le sujet, Vincent Eblé avait également proposé à la commission des finances de considérer comme recevables des dispositions tendant à « affecter de nouvelles ressources à l'ensemble des personnes publiques disposant de la personnalité morale, sous réserve de ne pas "flécher" leur utilisation vers une dépense ou une action spécifique46(*). »

Ces quelques exemples font ainsi la preuve qu'au terme de soixante-cinq ans de mise en oeuvre, l'application de l'article 40 de la Constitution n'a jamais été aussi uniforme, sur le fond comme dans ses procédures, entre l'Assemblée nationale et le Sénat, répondant à la critique traditionnellement adressée d'une appréciation « à géométrie variable »47(*) de l'irrecevabilité financière.


* 19 Les invocations à l'initiative d'un député étaient en particulier excessivement rares. Un exemple, rappelé par Bruno Baufumé dans son ouvrage précité : alors député, Jean-Yves Le Drian avait invoqué l'article 40 de la Constitution à l'encontre de plusieurs amendements de ses collègues lors d'une discussion sur un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ; le président de séance ayant rappelé que « tous ces amendements ont été soumis à la commission des finances et [que] son président n'a pas opposé l'article 40 », il les avait déclarés recevables et l'Assemblée nationale avait même procédé à l'adoption de l'un d'eux. Voir à cet égard le compte rendu de la troisième séance du 5 décembre 1980, p. 4746.

* 20 Ce dernier alinéa a été ajouté par la résolution n° 437 du 28 novembre 2014.

* 21 Ce critère était aussi appliqué pour distinguer les amendements de séance jugés irrecevables par le président de l'Assemblée nationale et ceux justifiant leur transmission à la commission des finances (ancien alinéa 6 de l'article 98). Il est également supprimé.

* 22  Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république sur la proposition de résolution (n° 1546) de Bernard Accoyer tendant à modifier le règlement de l'Assemblée nationale, par Jean-Luc Warsmann.

* 23 L'application relativement heurtée par le Sénat de l'article 40 de la Constitution a d'ailleurs débuté dès l'adoption du règlement du Sénat en 1958 et 1959 : l'alinéa 3 de l'article 45 de celui-ci avait ainsi été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 59-3 DC du 25 juin 1959, au motif que, s'agissant des propositions de loi, l'application de l'article 40 de la Constitution était circonscrite aux seules modifications apportées par les commissions saisies au fond et non aux dispositions prévues initialement dans la proposition de loi. Reconnaissant, sur le rapport de Marcel Prélot, que la formulation retenue « laissait planer en effet un doute sur l'exercice de ce droit par le Gouvernement, dans le cas où le texte rapporté par la commission saisie n'aurait pas été modifié par elle et aurait échappé au premier contrôle de recevabilité effectué par le Bureau », l'alinéa 3 de l'article 45 du Gouvernement avait ainsi été modifié par l'adoption de la résolution n° 3 (1960-1961) le 27 octobre 1960 pour prévoir que « dans le cas de discussion d'une proposition de loi déposée par un Sénateur, les règles énoncées par les deux alinéas ci-dessus s'appliquent également au texte rapporté par la commission. » Le Conseil constitutionnel avait déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Voir le rapport n° 251 (1959-1960) de Marcel Prélot, consultable à l'adresse suivante.

* 24 Ainsi l'article 45 du règlement avait-il requis modification, par l'adoption d'une résolution n° 27 (1962-1963) de Marcel Prélot, sur le rapport de ce dernier, en ce que, « bien que les dispositions de l'article 45 actuel ne soient pas vraiment obscures, le Sénat a admis une pratique qui viole le règlement et contre laquelle le Président de la commission des Finances s'est élevé lors de la séance du 12 juillet 1962. Cette pratique irrégulière, mais tacitement acceptée jusqu'ici, consistait à faire le Sénat juge du désaccord existant entre le Gouvernement et la commission des Finances sur la recevabilité d'un amendement à l'encontre duquel le Gouvernement invoquait l'article 40 de la Constitution, alors que le règlement ne prévoit nullement une telle intervention et que, même, le 4 e alinéa de l'article 48 lui en fait une interdiction formelle. » La rédaction relativement souple, qui en avait résulté et que le Conseil constitutionnel avait jugée conforme à la Constitution, a fondé l'application relativement souple de l'article 40 de la Constitution au Sénat.

* 25 Voir le rapport d'information n° 263 (2013-2014) de Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 janvier 2014.

* 26 Dans les faits, l'invocation incombait systématiquement au Gouvernement, rares étant les sénateurs désireux de saper l'initiative de leurs collègues, sauf à admettre que leurs amendements puissent connaître ultérieurement un sort identique.

* 27 Baufumé, Bruno, op. cit., p. 81.

* 28 Voir le rapport n° 286 (1977-1978) de Pierre Marcilhacy, fait au nom de la commission des lois, déposé le 3 avril 1978.

* 29 Voir la décision n° 63-22 DC du 11 juin 1963.

* 30 Voir l'exemple, mentionné par Bruno Baufumé dans son ouvrage précité, d'un rappel au règlement de Gaston Defferre soulignant, lors de la première séance du 16 mai 1979, au sujet d'un amendement tendant à obtenir du Gouvernement une simulation, en voie d'être frappé d'irrecevabilité, que « le Sénat a également prévu, à la suite d'un amendement déposé par M. Fourcade - auteur du projet de loi en question - une simulation d'un genre un peu différent, mais peut-être plus coûteuse » sans que lui soit opposé l'article 40 de la Constitution.

* 31 Devenu ministre, le même Gaston Defferre opposait ainsi l'exception d'irrecevabilité financière à un nombre significatif d'amendements lors de la séance du 16 novembre 1981, pour accélérer le rythme des débats : « Je m'en excuse et le regrette, mais pour avoir la certitude que le présent débat soit terminé le 19 novembre, je n'ai pas d'autre possibilité que de demander au Sénat d'appliquer strictement le règlement, c'est-à-dire de me permettre d'invoquer l'article 40 avant la discussion des amendements. »

* 32 Rapport n° 1860 cité par Bruno Baufumé, op. cit., p. 81.

* 33 Face au ministre Defferre qui soulevait à plusieurs reprises l'exception d'irrecevabilité financière lors de la séance du 16 novembre 1981 précitée, le président de la commission des lois Léon Jozeau-Marigné avait ainsi défendu ce point de vue : « L'article 45 [du règlement du Sénat] dit que l'irrecevabilité est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des finances. Mais, au fond, pour que la commission des finances l'affirme, pour que vous puissiez l'invoquer, il faut au moins que cet amendement puisse être exposé par son auteur et encore plus lorsque celui-ci est le rapporteur de la commission saisie au fond. Je n'ai jamais vu, en trente-trois ans de vie parlementaire, que l'auteur d'un amendement -- surtout le rapporteur de la commission ! -- n'ait pas la possibilité, sans en abuser, d'exposer très rapidement l'objet de son texte. »

* 34 Le Conseil constitutionnel avait au préalable rappelé, dans deux décisions n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005, et n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005, le caractère absolu de l'irrecevabilité financière et la nécessité d'un contrôle parlementaire à cet égard.

* 35 Voir à cet égard le commentaire aux Cahiers de la décision en question : « tant que le Sénat n'aura pas répondu positivement à l'invitation du Conseil, celui-ci pourra donc connaître directement de la méconnaissance, par les amendements sénatoriaux, de l'article 40 de la Constitution (autrement dit comme juge de premier et dernier ressort), alors que l'invocation de l'article 40 de la Constitution à l'encontre des amendements des députés continuera de n'être possible devant le Conseil que si l'irrecevabilité financière a été soulevée à l'Assemblée nationale. »

* 36 Voir les développements ci-avant.

* 37  Décision du Conseil constitutionnel n° 77-82 DC du 20 juillet 1977, Loi tendant à compléter les dispositions du code des communes relatives à la coopération intercommunale, cons. 2 à 4.

* 38 Pour un commentaire des implications de la procédure rénovée d'examen des irrecevabilités du Sénat sur cette règle, voir Bachschmidt, Philippe, « Précisions sur la règle du préalable parlementaire en matière de recevabilité financière des amendements », Constitutions, 2012, p. 561.

* 39 Bruno Baufumé, op. cit., p. 86.

* 40 Selon les mots de Patrice Gélard dans son rapport n° 427 (2008-2009) sur la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat ;

* 41 Voir les considérants 25 et 26 de la décision.

* 42 Voir le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2009-582 DC.

* 43 Voir le rapport de Philippe Marini précité.

* 44 Voir le rapport de Philippe Marini précité, p. 10.

* 45 Parmi ces divergences d'analyse, l'on relève notamment la position des deux commissions des finances sur les expérimentations : alors que le caractère expérimental d'un dispositif créant ou aggravant une charge ou diminuant une ressource est systématiquement déclaré irrecevable au Sénat, le rapport de mars 2022 de l'ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale Éric Woerth présente une jurisprudence plus libérale en la matière, « tolérance audacieuse, encore jamais commentée par le Conseil constitutionnel. » Celle-ci mêle critères objectifs - l'expérimentation devant être réversible, à la main de l'État, ne pas excéder trois ans et être limitée à au plus cinq départements - et critères impliquant une certaine marge d'appréciation - caractère « défini, réalisable et précis » de l'expérimentation. À titre d'illustration, cette jurisprudence a conduit le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale à déclarer recevable l'expérimentation de l'usage médical du cannabis pour les malades ou l'élargissement de la faculté de prescription par des professionnels de santé. Pour plus de détails sur cette jurisprudence, voir le rapport d'information n° 5107 sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l'Assemblée nationale déposé par Éric Woerth en mars 2022.

* 46 Pour le détail de ces développements, voir le compte rendu de la communication du président Vincent Eblé lors de la réunion du 8 juillet 2020 ainsi que le courrier récapitulatif associé.

* 47 Kerléo, Jean-François, « Plaidoyer en faveur d'une réforme de l'article 40 de la Constitution », Revue française de droit constitutionnel, 2014/3 (n° 99), pp. 507 à 531.

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