B. DES REMBOURSEMENTS D'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS EN BAISSE DANS UNE PERSPECTIVE DE REPRISE ÉCONOMIQUE EN 2023 MAIS QUI NÉCESSITE LA PLUS GRANDE PRUDENCE AU REGARD DU MAINTIEN DE L'INFLATION À UN NIVEAU ÉLEVÉ

1. Des remboursements liés aux bénéfices fiscaux des entreprises et, de fait, au contexte économique

Si la liquidation de l'impôt fait apparaître un impôt dû inférieur au montant des acomptes déjà versés, cet excédent est restitué aux entreprises concernées. En effet, malgré la possibilité offerte aux entreprises de moduler à la baisse le versement de leurs acomptes lorsqu'elles estiment que les sommes déjà acquittées dépassent l'impôt final calculé sur la base estimée de leur résultat (autolimitation), des situations d'excédent apparaissent fréquemment, notamment en période de diminution des résultats fiscaux.

Ainsi, du fait du mécanisme d'acomptes et de solde, ces restitutions augmentent fortement en cas de baisse des bénéfices taxés ou en cas d'évolution non uniforme des bénéfices fiscaux, certaines sociétés versant un solde important en mai, et d'autres se trouvant en situation d'excédent de versements. Les crises économiques ayant un impact sur les bénéfices des sociétés vont donc générer des hausses de remboursements. À l'inverse, les périodes de rebond et de reprise économique vont se caractériser par une hausse des bénéfices et, partant, par une diminution des remboursements d'impôts sur les sociétés.

Il en résulte que ces remboursements sont volatiles car très sensibles à des conditions économiques exogènes. Les remboursements se faisant en année N+ 1, le système permet cependant des prévisions relativement fiables, à tout le moins sur le sens de variation des crédits de cette action, même si les volumes sont plus difficiles à estimer avec précision.

2. L'impact de la crise économique et de l'inflation sur les résultats des entreprises

En PLF 2024, le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés est évalué à 11,4 milliards d'euros soit une baisse de 19,9 % par rapport à la LFI 2023 (14,2 milliards d'euros) mais également par rapport au niveau exécuté en 2022 (11,8 milliards d'euros).

La baisse constatée entre l'exécution 2021 et l'exécution 2022 s'expliquait par le rebond des bénéfices fiscaux des entreprises entre 2020 et 2021 (- 14,0 % en 2020 contre + 11,5 % en 2021) en lien avec la reprise de la croissance en 2021 après les confinements stricts et l'arrêt de l'activité de nombre d'entreprises en 2020.

À l'inverse, la hausse attendue des remboursements en 2023 par rapport à l'exécution 2022 s'expliquait par une faible évolution des bénéfices fiscaux entre 2021 et 2022 (+ 2 %) ainsi que par sa forte dispersion sur un nombre important d'entreprises de sorte que les acomptes versés, basés sur l'année N- 1, année de rebond de l'activité et donc de bénéfices élevés, ont été trop élevés.

En 2023, le niveau attendu d'exécution s'élève à 17,4 milliards soit 3,2 milliards de plus que la prévision initiale et 5,6 milliards de plus que l'exécution 2022.

La LFI 2023 prévoyait pourtant une hausse des remboursements d'impôts sur les sociétés résultant d'une diminution attendue du bénéfice fiscal des entreprises en 2022 dans un contexte de crise inflationniste. En effet, l'inflation engendre de nombreuses perturbations pour les entreprises et notamment :

- une incertitude au niveau des coûts d'approvisionnement et des prix de vente praticables à terme ;

- une difficulté à maintenir leurs marges et donc leurs bénéfices face à l'augmentation du coût des matières premières ou celles des salaires sur les prix de vente dans la mesure où le SMIC est indexé sur l'inflation ;

- un risque de réduction de la demande lié à la perte de confiance et de pouvoir d'achat des ménages à la suite de l'augmentation des prix ;

- un risque de défaillance accru de fournisseurs ou d'entreprises clientes. Ce risque est, par ailleurs, accru en raison des premiers remboursements de prêts garantis par l'État (PGE).

À cet égard, le rapporteur spécial avait averti, et les chiffres 2023 lui donnent raison, que « le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés en 2023 pourraient s'avérer supérieurs à la prévision ».

En PLF 2024, la prévision de baisse de 2,8 milliards d'euros des remboursements d'impôt sur les sociétés par rapport à la LFI 2023 et de 6 milliards d'euros par rapport à l'exécution prévisionnelle 2023 s'explique par une accélération attendue du bénéfice fiscal en 2023 (+ 14 % contre + 2 % en 2022).

Le rapporteur spécial considère que la mission « Remboursements et dégrèvements » est un poste d'observation privilégié pour percevoir l'envolée des bénéfices. Il note, conformément aux travaux du fonds monétaire international (FMI), que l'accroissement massif des profits est un des facteurs principaux de l'inflation générée depuis la crise sanitaire de sorte qu'il estime être en présence d'une boucle « prix profits » causée par les plus grandes entreprises.

Évolution des facteurs d'inflation entre 2015 et 2023

Source : Eurostat, OCDE, FMI

Toutefois, dans un contexte inflationniste demeurant important en 2023, le rapporteur spécial reste, une fois encore, prudent concernant ces prévisions qui pourraient s'avérer inférieures à la réalisation en raison d'une potentielle baisse des bénéfices des petites et moyennes entreprises. En effet, depuis janvier 2023, l'inflation est supérieure à 5 %.

Évolution de l'inflation entre janvier 2022 et aout 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat à partir des données INSEE

3. Une situation différenciée entre les entreprises du CAC 40 et les TPE-PME

Les entreprises du CAC 40 sont, à ce stade et de manière générale, épargnées par cette inflation et ont même pu, dans certains cas, voir leurs bénéfices augmenter. Elles ont réalisé 142 milliards d'euros de bénéfice en 2022 et cumulent près de 81 milliards d'euros de bénéfices au premier semestre 2023, soit une hausse de 7 % par rapport au premier semestre 2022. Ce chiffre pourrait encore être revu à la hausse puisque seules 38 entreprises ont publié leurs chiffres, le constructeur ferroviaire Alstom et le spécialiste des spiritueux Pernod Ricard ayant un exercice financier décalé. Cette hausse est cependant moindre par rapport à celle constatée en 2021 (33 %) et en 2022 (25 %).

Cette situation s'explique de différentes manières en fonction du secteur des entreprises concernées. La hausse des prix de l'énergie et des produits pétroliers a eu un impact positif sur les résultats des entreprises du secteur. Ainsi, Total Énergies a réalisé un bénéfice de 9 milliards d'euros sur le premier semestre 2023, juste après le constructeur automobile Stellantis (11 milliards d'euros) et devant LVMH avec 8,5 milliards d'euros.

À noter également que ces grands groupes français ont réduit leurs coûts et sont montés en gamme afin de préserver leur croissance.

Par ailleurs, 31 d'entre elles affichent un chiffre d'affaires en hausse entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023, pour une augmentation moyenne de 8 %. L'année précédente, elles étaient 36 sur 38 à enregistrer une hausse du chiffre d'affaire de près de 20 %.

À l'inverse, au 1er trimestre 2023, le chiffre d'affaires des 585 000 TPE-PME (très petites, petites et moyennes entreprises) françaises n'a enregistré qu'une augmentation de 3 % par rapport au 1er trimestre 2022. Leur trésorerie se dégrade ainsi que leur marge nette.

De surcroit, les défaillances d'entreprises ont poursuivi en août leur mouvement de hausse et avoisinent, toutes catégories confondues, leur niveau de 2019, avant la pandémie de Covid- 19, selon les chiffres publiés en septembre par la Banque de France. Ces défaillances ont concerné au total, sur les douze mois jusqu'à fin août, 50 441 entreprises, en hausse de 41,5 % par rapport à août 2022, contre 51 145 en 201910(*).

Les défaillances dépassent de 61,9 % leur niveau de 2019 pour les très petites entreprises (TPE, moins de 10 salariés), de 79,1 % pour les petites entreprises (10 à 49 salariés), de 55 % pour les moyennes entreprises (50 à 249 salariés) et de 92,6 % pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI).


* 10 Les défaillances avaient chuté à des niveaux historiquement bas avec les mesures de soutien aux entreprises prises durant la crise sanitaire, mais leur nombre est reparti à la hausse depuis le début de 2022.

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