N° 176

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi relative aux droits de l'enfant à entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation de ces derniers,

Par Mme Marie MERCIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

308 (2021-2022) et 177 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Malgré sa progression continue, la résidence alternée de l'enfant chez chacun de ses parents demeure une modalité de résidence minoritaire parmi les couples de parents séparés. Jugeant cet état de fait regrettable, la proposition de loi présentée par Élisabeth Doineau et plusieurs de ses collègues du groupe Union centriste tend à favoriser l'entretien régulier de relations personnelles entre les parents et leur enfant en cas de séparation, en particulier en systématisant la résidence alternée.

La commission des lois a souscrit à l'objectif poursuivi par la proposition de loi d'une plus grande implication des deux parents auprès de leur enfant, en cas de séparation. Elle a en conséquence adopté sans modification l'article 1er qui complète les obligations des parents dans le sens d'un entretien régulier de leurs relations personnelles avec leur enfant postérieurement à la séparation. Elle s'est également prononcée en faveur de la prise en compte par le juge aux affaires familiales dans ses décisions relatives à l'autorité parentale d'éventuelles violences ou pressions d'un parent sur la personne de l'enfant, afin de renforcer l'édifice juridique en matière de lutte contre les violences familiales.

Guidée par la nécessité de conserver l'appréciation la plus souple de l'intérêt de l'enfant afin de préserver au mieux celui-ci, la commission des lois n'a néanmoins pas retenu les dispositions de la proposition de loi tendant à instaurer une présomption légale de l'intérêt de l'enfant ou restreignant à l'excès la marge d'appréciation du juge aux affaires familiales : au regard de la diversité des situations auxquelles ceux-ci sont confrontés, il est apparu qu'ils ne sauraient être entravés par des dispositions inadaptées dans la préservation de l'intérêt de l'enfant.

Après avoir adopté trois amendements à l'initiative du rapporteur, la commission a adopté le texte ainsi modifié.

I. LA RÉSIDENCE ALTERNÉE : UNE SOLUTION EN CAS DE SÉPARATION DES PARENTS PARFOIS JUGÉE SOUS-EMPLOYÉE

A. VINGT ANS APRÈS SA RECONNAISSANCE JURIDIQUE, LA RÉSIDENCE ALTERNÉE PROGRESSE BIEN QU'IL Y SOIT INÉGALEMENT RECOURU

Déjà pratiquée dans le silence de la loi par certains parents séparés, la résidence alternée a vu son existence juridique consacrée par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Son régime juridique se caractérise par sa souplesse. Ainsi, si certaines de ses conséquences pratiques sont régies par la loi, notamment sur le plan financier1(*), le régime de la résidence alternée laisse au juge une marge d'appréciation pour adapter les modalités de résidence aux circonstances de l'espèce : la jurisprudence a ainsi reconnu que le temps passé par l'enfant auprès de chacun de ses parents peut être inégal, que peut être maintenue la résidence des enfants au domicile familial et organisée la résidence alternée des parents, et qu'il peut être mis fin à une résidence alternée dès les premiers signes de dysfonctionnement2(*).

Le recours à la résidence alternée semble avoir progressivement cru depuis sa reconnaissance juridique en 2002. Comme le rappelle la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) dans un rapport de 2013, la proportion de décisions de résidence alternée a progressé dans les premières années suivant sa reconnaissance, passant « de 10 % en 2003 à 17 % en 2012 »3(*). Interrogée par le rapporteur, la DACS n'a pas été en mesure de fournir une actualisation complète de l'étude mais a fait état d'une progression de ce taux de 12 points entre 2012 et 2022, à rebours du constat parfois dressé d'un échec du dispositif.

Proportion d'enfants en résidence alternée selon l'année, selon la génération4

Source : Insee

Bien qu'il tende à progresser continûment, le recours à la résidence alternée demeure inégal. Il varie en premier lieu selon la situation familiale de l'espèce, le nombre des enfants mais surtout l'âge influant tout particulièrement sur le mode de résidence choisi comme le montre le graphique ci-contre. Par ailleurs, les parents d'enfants en résidence alternée bénéficient d'une situation socio-économique en moyenne plus avantageuse : par rapport aux parents d'autres familles monoparentales ou recomposées, les parents d'enfants en résidence alternée sont plus souvent propriétaires de leur logement (54 % contre 34 %).

Si l'on peut regretter ce recours inégal à la résidence alternée, ces données semblent montrer que les juges comme les parents tiennent compte des conséquences matérielles concrètes qu'emporte un tel choix de résidence.

B. INSUFFISAMMENT DEMANDÉE, LA RÉSIDENCE ALTERNÉE DEMEURE MINORITAIRE ET PARFOIS JUGÉE SOUS-EMPLOYÉE

Malgré sa progression, le recours à la résidence alternée demeure minoritaire et s'avère parfois jugé insuffisant. En 2012, la proportion de décisions de résidence alternée s'expliquait pourtant selon la DACS par le fait que dans 80,9 % des cas, les parents étaient en accord sur la résidence de l'enfant et que ces accords prévoyaient, dans 71,2 % des cas, une résidence chez la mère. En d'autres termes, dans 57,6 % du total des cas, la résidence de l'enfant était fixée en 2012 chez la mère avec l'accord des parents.

La même étude de la DACS relevait ainsi que les décisions des juges aux affaires familiales suivent, dans leur écrasante majorité, les demandes des parents. Demandée respectivement par les pères et les mères dans seulement 19 % et 16 % des cas, la résidence alternée ne peut dès lors qu'être relativement peu ordonnée par les juges. Il en résulte que le taux de conformité aux demandes des parents était en 2012 de 93,4 % pour les pères et de 95,9 % pour les mères, comme le montre le tableau ci-dessous.

Nombre et taux de conformité des décisions de juge
selon les demandes des parents

 

S'agissant des pères

S'agissant des mères

Décision du juge

Ensemble des demandes des pères

Décision du juge conforme à la demande

Taux de conformité

Ensemble des demandes des mères

Décision du juge conforme à la demande

Taux de conformité

Résidence alternée

1763

1516

85,99%

1508

1465

97,15%

Résidence chez la mère

5451

5439

99,78%

6934

6642

95,79%

Résidence chez le père

1440

1091

75,76%

783

780

99,62%

Résidence chez un tiers

7

5

71,43%

7

5

71,43%

Aucune demande exprimée

738

723

97,97%

167

119

71,26%

Total

9399

8774

93,35%

9399

9011

95,87%

Source : DACS

Le juge aux affaires familiales se prononçant sur les moyens dont il est saisi dans les conclusions des parties, la proportion relativement modeste des décisions de résidence alternée résulte d'abord du faible nombre de demandes en ce sens des parents. Ce constat étant posé, lorsqu'elle était demandée par le père, la résidence alternée était néanmoins attribuée moins souvent (86 % des cas environ) que lorsque la mère la demande (97,2 % des cas environ). Il peut résulter de cet état de fait le sentiment que la résidence alternée est généralement sous-employée par les juges aux affaires familiales, au profit d'une résidence chez la mère.

II. LA PROPOSITION DE LOI : FAVORISER L'ENTRETIEN RÉGULIER DE RELATIONS PERSONNELLES ENTRE PARENTS ET ENFANT

Au regard de ce constat, l'objet de la présente proposition de loi est « de favoriser la résidence alternée lorsqu'elle est applicable et, à défaut, un temps parental aussi équilibré que possible. » Afin de pallier le recours, jugé trop faible, à un dispositif de résidence alternée présumé vertueux pour l'enfant, la présente proposition de loi se donne pour objectif « d'unifier la jurisprudence », considérant que « les jugements en matière de résidence alternée dépendent grandement de la sensibilité et du vécu familial des juges. »

L'article 1er tend ainsi à compléter le deuxième alinéa de l'article 373-2 du code civil, qui dispose que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant », pour y ajouter la notion d'« entretien régulier » de telles relations.

L'article 3 prévoit l'ajout d'un nouvel item aux critères pris en considération par le juge lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale : « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'enfant », celles exercées sur l'autre parent étant déjà prévues.

Enfin, l'article 2 prévoit en son alinéa 2 un régime de présomption de l'intérêt de l'enfant à « prendre appui de façon équilibrée sur chacun [de ses parents] et [à] bénéficier équitablement de leurs apports respectifs. » Cette présomption légale, qui pourrait être renversée dans deux cas (en présence de toute preuve contraire ou en cas de pressions ou violences exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre ou sur l'enfant), fonderait une compétence liée du juge pour ordonner la résidence alternée dès lors que l'un des parents au moins le demande. Dans l'éventualité où celle-ci ne serait pas appropriée, le juge pourrait seulement ordonner la résidence alternée à titre provisoire - faculté dont il dispose déjà. Au terme de cette période provisoire seulement, le juge pourrait écarter la résidence alternée, à condition de motiver sa décision « en considérant l'intérêt et les besoins de l'enfant » ; il serait alors tenu d'examiner « prioritairement la possibilité d'accorder [au parent chez qui l'enfant ne réside pas] un droit élargi à des jours de semaine ou à des périodes de congés scolaires ».

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : PRÉSERVER L'APPRÉCIATION IN CONCRETO DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT ET SÉCURISER CERTAINS APPORTS DE LA PROPOSITION DE LOI

A. LE NÉCESSAIRE MAINTIEN D'UNE APPRÉCIATION IN CONCRETO DE L'INTÉRÊT DE L'ENFANT

Les travaux conduits par le rapporteur n'ont pas permis d'étayer l'existence d'un consensus sur les bénéfices de la résidence alternée pour l'enfant. Associations comme professionnels sont divisés sur la pertinence de la résidence alternée au regard de l'intérêt de l'enfant. Il a dès lors paru à la commission aventureux que le législateur tranche le débat en prévoyant la systématisation de la résidence alternée.

Guidée par la volonté de la préservation la plus protectrice possible de l'intérêt de l'enfant, la commission a en conséquence rejeté les dispositions de l'article 2 tendant à instaurer une présomption d'intérêt de l'enfant à la résidence alternée et liant la compétence du juge dans le choix du mode de résidence de l'enfant.

B. RENFORCER LA PRISE EN COMPTE PAR LES JUGES DE LA PERTINENCE DE LIENS RÉGULIERS ENTRE PARENT ET ENFANT

La commission a néanmoins souhaité renforcer la prise en compte par le juge aux affaires familiales de la pertinence de l'entretien régulier entre les parents séparés et leur enfant.

D'une part, bien que relevant sa portée juridique limitée, la commission a jugé bienvenu l'article 1er, qui viendrait signifier plus clairement aux parents que leurs obligations incluent l'entretien aussi régulier que possible de relations personnelles avec leur enfant. D'autre part, la commission a prévu à l'article 2 que, lorsque le juge se prononce sur les modalités de visite et d'hébergement, il tient compte de la nécessité d'un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parent et enfant.

C. PARFAIRE LA PRISE EN COMPTE DES VIOLENCES INTRAFAMILIALES

La commission a estimé l'article 3 très pertinent. Si des situations de violences d'un parent à l'égard de l'enfant étaient dans les faits déjà prises en compte, la précision apportée par cet article viendrait utilement rappeler cette nécessité au juge.

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Obligation des parents séparés d'entretenir régulièrement des relations personnelles avec leur enfant

L'article 1er de la présente proposition de loi tend à compléter l'obligation faite aux parents séparés de maintenir des relations personnelles avec leur enfant en y adjoignant la notion d'entretien régulier de celles-ci.

Tout en relevant sa faible portée juridique, la commission a estimé qu'une telle disposition était de nature à signifier plus clairement aux deux parents l'obligation qui leur est faite de cultiver des liens réguliers avec l'enfant, notamment dans le cas où la résidence de l'enfant est située chez l'un des parents.

La commission a en conséquence adopté l'article 1er sans modification.

1. L'état du droit : sans incidence sur l'autorité parentale, la séparation des parents implique le maintien de relations personnelles avec l'enfant

Corollaire de la notion de coparentalité - qui innerve la réforme de l'autorité parentale prévue par la loi n° 2002-305 du 4 mars 20024(*) -, l'exercice de l'autorité parentale est, aux termes du premier alinéa de l'article 372 du code civil, commun aux deux parents.

Dès lors, la séparation de ceux-ci est sans incidence sur l'autorité parentale, qui leur demeure dévolue selon les règles de droit commun comme le prévoit le premier alinéa de l'article 373-2 du code civil : sauf les cas où, « si l'intérêt de l'enfant le commande »5(*), l'autorité parentale est retirée à l'un des parents, prévaut l'adage selon lequel « le couple parental survit à la mort du couple conjugal ».

Le législateur a entendu donner corps à ce principe en prévoyant, au deuxième alinéa du même article, l'obligation pour chacun des parents séparés de « maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent ». Il en a tiré deux conséquences concrètes :

l'obligation d'information préalable et en temps utile de l'autre parent, lorsque le changement de résidence de l'un des parents modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Le fait de se soustraire à cette obligation dans un délai d'un mois à compter du changement de résidence est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende6(*) ;

- l'article 31 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a également prévu qu'il puisse être requis par le procureur de la République, « à titre exceptionnel, à la demande de la personne directement intéressée ou du juge aux affaires familiales », le concours de la force publique pour faire exécuter une décision de ce dernier ou une convention passée entre les parents séparés prévoyant les modalités d'exercice de l'autorité parentale afin de maintenir les relations personnelles entre les parents et l'enfant.

Le législateur a donc prévu, dans son principe comme dans ses modalités de mise en oeuvre concrète, la nécessité du maintien de relations personnelles entre les parents séparés et leur enfant.

2. Le dispositif proposé : signifier plus clairement l'obligation faite aux parents d'entretenir régulièrement des relations personnelles avec leur enfant, conformément au droit international

L'article 1er de la présente proposition de loi tend à prévoir que chacun des parents serait désormais tenu, outre l'obligation de maintien de relations personnelles avec l'enfant, d'entretenir régulièrement ces dernières.

Ce faisant, il tend à aligner la rédaction du droit français, dont il pouvait déjà être considéré qu'il « répond aux exigences de la convention internationale des droits de l'enfant »7(*), sur cette dernière, qui stipule à son article 9-3 que « les États parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. »

À la notion de « maintien » de relations personnelles, serait ainsi adjointe celle d'un « entretien régulier » de ces dernières, ce qui viendrait préciser la portée de l'obligation ainsi faite aux parents.

3. La position de la commission : une disposition de clarification bienvenue qui n'appelle pas de modification

Tout en jugeant sa portée juridique limitée, la commission a jugé bienvenue cette disposition, en ce qu'elle viendrait clarifier le droit existant et signifier plus clairement aux parents l'étendue de leurs obligations quant à leur enfant.

Sollicitée par le rapporteur sur le sujet, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a ainsi estimé que cette disposition était dépourvue de portée juridique, la prescription qu'elle prévoit étant déjà contenue dans la notion de « maintien » de relations personnelles.

Le rapporteur relève néanmoins que peut demeurer une incertitude sur l'applicabilité directe des dispositions de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant précitée.

L'applicabilité sélective par les juges administratif et judiciaire
de la convention internationale des droits de l'enfant

Ratifiée par la France le 7 août 1990, la convention internationale des droits de l'enfant signée le 26 janvier 1990 à New York a vu l'applicabilité directe de certaines de ses dispositions reconnue par la jurisprudence.

Ainsi le juge administratif a-t-il reconnu dans un premier temps, après avoir estimé que certaines stipulations telles que celles des articles 28(*) ou 12 et 149(*) n'étaient pas d'application directe, que les dispositions de l'article 3-1, désormais « quotidiennement invoquées »10(*), étaient d'effet direct11(*). Après avoir maintenu sa jurisprudence dite « Lejeune », qui ne reconnaissait pas l'effet direct des stipulations de cette convention, le juge judiciaire en a finalement reconnu l'effet direct pour celles de l'article 3-1 dans un arrêt du 18 mai 200512(*). Il est donc établi que la jurisprudence administrative comme judiciaire retient une applicabilité dite « sélective » des stipulations de la convention.

S'agissant de l'article 9 de celle-ci, l'effet direct de ses stipulations ne semble pas définitivement arrêté. En effet, la cour d'appel administrative de Marseille a estimé qu'un requérant « ne saurait invoquer utilement les stipulations de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant dépourvues d'effet direct en droit interne et qui ne créent d'obligations qu'entre les États »13(*). A contrario, la cour d'appel de Versailles a considéré « qu'il doit être rappelé que le droit de l'enfant d'entretenir des liens avec ses deux parents est protégé par l'article 9 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la France »14(*).

Dans ces conditions, afin que juges et justiciables aient la compréhension la plus précise de l'étendue des obligations qu'emporte concrètement le maintien de relations personnelles entre les parents séparés et leur enfant, il n'a pas paru à la commission dépourvu d'intérêt de prévoir l'ajout de la notion d'« entretien régulier » de telles relations.

Néanmoins, estimant le cadre juridique actuel satisfaisant, la commission n'a pas souhaité aligner strictement la rédaction du deuxième alinéa de l'article 373-2 du code civil sur l'alinéa 3 de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant. Il lui a en particulier paru superfétatoire d'assortir l'obligation d'entretien régulier de relations personnelles d'une réserve tenant à la préservation de l'intérêt de l'enfant, qui constitue la finalité même de l'autorité parentale aux termes de l'article 371-1 du code civil. Il lui a également semblé préférable de maintenir la formulation actuelle de l'alinéa, qui fait du maintien des relations personnelles une obligation du parent et non un droit de l'enfant.

À cette fin et dans un but de cohérence, la commission a adopté, à l'initiative du rapporteur et avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, un amendement COM-3 tendant à supprimer cette notion de l'intitulé de la présente proposition de loi.

La commission a adopté l'article 1er sans modification.

Article 2
Présomption de l'intérêt de l'enfant à un temps équilibré et équitable auprès de ses parents et compétence liée du juge pour prononcer la résidence alternée à la demande d'un des parents

Le présent article tend à instaurer une présomption d'intérêt de l'enfant à « prendre appui de façon équilibrée sur chacun [de ses parents] et de bénéficier équitablement de leurs apports respectifs. »

Il lierait à cette fin la compétence du juge aux affaires familiales dans la fixation de la résidence de l'enfant, en prévoyant que celui-ci serait tenu d'ordonner la résidence alternée dès lors que l'un des parents le demande. Enfin, dans le cas où, au terme d'une résidence alternée provisoire, le juge écarterait la résidence alternée, il devrait motiver sa décision en considérant l'intérêt et les besoins de l'enfant et serait tenu de se prononcer en priorité sur un droit de visite et d'hébergement élargi.

Estimant que l'intérêt de l'enfant ne saurait être abstraitement présumé mais doit être apprécié in concreto au regard des spécificités de chaque situation, la commission a refusé la création d'une présomption légale de l'intérêt de l'enfant qui lierait la compétence du juge dans la détermination des modalités de résidence de l'enfant. Elle a néanmoins souhaité que le juge soit incité à recourir au droit de visite et d'hébergement élargi en prévoyant qu'il se prononce sur ce dernier en prenant en considération l'obligation du parent, résultant de l'article 1er de la présente proposition de loi, d'entretenir régulièrement des relations personnelles avec son enfant.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

1. La résidence alternée : une solution en cas de séparation des parents parfois jugée sous-employée

1.1. La reconnaissance en 2002 d'une pratique préexistante par un régime juridique souple

Déjà pratiquée dans le silence de la loi par certains parents séparés, la résidence alternée a vu son existence juridique consacrée par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. L'article 373-2-9 du code civil dispose en effet que « la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux ». En plaçant la résidence alternée en priorité dans ce membre de phrase, le législateur avait pour intention de favoriser, lorsqu'elle est dans l'intérêt de l'enfant, une résidence alternée15(*).

Le régime juridique de la résidence alternée se caractérise par sa souplesse. Pouvant résulter d'une convention entre les parents16(*)
- homologuée par le juge aux affaires familiales (JAF), le cas échéant - ou d'une décision directe de celui-ci, saisi par l'un des parents ou le ministère public17(*), les modalités concrètes en sont en toute hypothèse fixées par le juge. Elle peut au surplus être ordonnée à titre provisoire, à la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant ; à l'issue de cette période transitoire, dont la durée n'est pas encadrée par la loi, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant.

Si certaines de ses conséquences pratiques en sont régies par la loi, notamment sur le plan financier18(*), le régime de la résidence alternée a été appliqué par les JAF à un panel de situations différentes. La jurisprudence a ainsi reconnu que le temps passé par l'enfant auprès de chacun de ses parents peut être inégal19(*), que peut être maintenue la résidence des enfants au domicile familial et organisée la résidence alternée des parents20(*), et qu'il peut être mis fin à une résidence alternée par le JAF dès les premiers signes de dysfonctionnement21(*).

1.2. Vingt ans plus tard, la résidence alternée est en progression bien qu'il y soit inégalement recouru

1.2.1. Une pratique en progression

Le recours à la résidence alternée semble avoir progressivement crû depuis sa reconnaissance juridique en 2002. Comme le rappelle la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) dans un rapport de 2013, la proportion de décisions de résidence alternée a progressé dans les premières années suivant sa reconnaissance par le législateur, passant « de 10 % en 2003 à 17 % en 2012 »22(*). Si cette étude n'a pas connu d'actualisation récente, la DACS, interrogée à ce sujet par le rapporteur, a fait état d'une progression estimée de ce taux de l'ordre de 12 points entre 2012 et 2022 pour atteindre 29 %, à rebours du constat parfois dressé de l'échec du dispositif.

S'il est parfois avancé, en se fondant sur les données de l'Insee, que la résidence alternée serait en recul dès lors qu'en 2020 seuls 11,5 % des enfants de parents séparés vivaient en résidence alternée23(*), cet écart entre les données de la DACS et celles de l'Insee semble résulter de méthodologies statistiques distinctes24(*). Au demeurant, les données de l'Insee dénotaient en 201925(*) une claire progression entre les années 2010 et 2016, comme le montre le graphique ci-dessous.

Proportion d'enfants en résidence alternée selon l'année,
selon la génération26

Source : Insee

1.2.2 Une pratique inégale selon la situation socio-économique des parents ainsi que la situation familiale

S'il progresse tendanciellement, le recours à la résidence alternée, dans l'acception qui est celle de l'Insee, demeure inégal : l'analyse des données disponibles, de l'Insee comme du ministère de justice, semble ainsi montrer que les juges tiennent compte des conséquences matérielles concrètes qu'emporte un choix de résidence plutôt que l'autre.

a) La situation familiale influe sur le choix de résidence : âge et nombre des enfants

En premier lieu, la situation familiale influe sur l'adéquation d'une résidence alternée. Deux facteurs paraissent à cet égard déterminants : l'âge et le nombre des enfants.

S'agissant de l'âge, les données disponibles de l'Insee indiquent que la proportion d'enfants en résidence alternée augmente jusqu'à 10 ans, puis tend à diminuer pour les enfants plus âgés, en particulier à partir de 14 ans, comme le montre le graphique ci-dessous.

Part des enfants en résidence alternée
parmi les enfants ayant des parents séparés en 2020, selon l'âge

Source : Insee

Cette tendance semble correspondre aux évolutions de choix de résidence tels qu'ils ressortent des données du ministère de la justice, comme le montre le graphique ci-après : jusqu'à 6 ans, en raison des contraintes liées au jeune âge de l'enfant - dont la pratique pour certaines femmes d'allaiter leur enfant - la résidence alternée est relativement peu courante et la résidence chez la mère peut être plus souvent privilégiée ; entre 6 et 13 ans, les situations de résidence alternée tendent à être plus fréquentes ; au-delà, elles tendent à diminuer, possiblement en raison des souhaits de l'enfant qui peut éventuellement exprimer une préférence plus claire pour un seul lieu de résidence26(*).

La résidence des enfants mineurs selon l'âge de l'enfant

Source : ministère de la justice27(*)

Le second paramètre de la situation familiale semblant influer sur le choix du mode de résidence est le nombre des enfants du couple séparé. Il apparaît ainsi que la résidence alternée de l'ensemble des enfants d'une fratrie tend à diminuer avec le nombre de ces derniers : alors que 17 % des fratries de deux enfants de couples divorcés en 2009 étaient ensemble en résidence alternée l'année suivante, seules 5 % des fratries de 4 enfants étaient dans la même situation, comme le montre le graphique suivant.

Type de résidence pour la fratrie
selon le nombre d'enfants mineurs et par enfant lors du divorce

Source : Insee

b) La situation socio-économique du couple influe également sur le choix de résidence

Ainsi les parents d'enfants en résidence alternée bénéficient-ils d'une situation socio-économique plus avantageuse, tant vis-à-vis des parents de familles dites « traditionnelles »28(*) que des autres familles monoparentales ou recomposées.

En premier lieu, les parents d'enfants « alternants » sont davantage diplômés : selon l'Insee, 49 % des pères d'enfants alternants sont diplômés du supérieur, contre 42 % des pères vivant dans une famille « traditionnelle »29(*). Par ailleurs, les parents en emploi ayant des enfants alternants sont plus fréquemment cadres ou professions intermédiaires que les parents de familles « traditionnelles » (58 % contre 48 % pour les pères, 57 % contre 51 % pour les mères).

En second lieu, par rapport aux parents d'autres familles monoparentales ou recomposées, les parents d'enfants en résidence alternée sont plus souvent propriétaires de leur logement (54 % contre 34 %) et moins souvent au chômage (8 % des mères, 5 % des pères contre respectivement 18 % et 11 %).

Il en résulte que le recours à la résidence alternée est inégalement réparti sur le territoire. Deux facteurs semblent à cet égard déterminants : le niveau de vie moyen des territoires concernés ; le coût du logement, la résidence alternée exigeant un espace suffisant pour accueillir régulièrement un enfant. Dans ces conditions, comme le relève l'Insee, « la résidence alternée est plus répandue dans les zones périurbaines et là où les niveaux de vie médians sont les plus élevés ».

Part des enfants en résidence alternée parmi les enfants ayant des parents séparés, en fonction des territoires, appréciés à l'échelle des EPCI

Source : Insee

Ce regard statistique semble ainsi témoigner que parents séparés et juges tiennent compte des spécificités de la situation, tant sur le plan de la situation familiale que des circonstances socio-économiques pour décider du choix de résidence des enfants.

1.3. Minoritaire, la résidence alternée est parfois jugée insuffisamment ordonnée au profit d'une résidence chez la mère

Malgré sa progression, le recours à la résidence alternée demeure minoritaire et s'avère parfois jugé insuffisant. En 2012, la proportion de décisions de résidence alternée s'expliquait pourtant selon la DACS par le fait que dans une très large majorité des cas - de l'ordre de 80,9 % -, les parents étaient en accord sur la résidence de l'enfant et que ces accords prévoyaient, dans 71,2 % des cas, une résidence chez la mère, comme le montre le tableau ci-après. En d'autres termes, dans 57,6 % du total des cas, la résidence de l'enfant était fixée en 2012 chez la mère avec l'accord des parents.

Nombre et pourcentage des décisions de résidence en fonction des demandes des parents en 2012

Décision du juge

Ensemble des décisions

Situation d'accord entre les parents

Situation de désaccord entre les parents

Situation où un des deux parents ne s'est pas exprimé

Nombre d'enfants

Proportion

Nombre d'enfants

Proportion

Nombre d'enfants

Proportion

Nombre d'enfants

Proportion

Résidence alternée

1574

16,75%

1435

18,86%

113

12,32%

26

2,98%

Résidence chez la mère

6704

71,33%

5408

71,06%

578

63,03%

718

82,34%

Résidence chez le père

1110

11,81%

760

9,99%

224

24,43%

126

14,45%

Résidence chez un tiers

11

0,12%

7

0,09%

2

0,22%

2

0,23%

Total

9399

100,00%

7610

100,00%

917

100,00%

872

100,00%

Source : DACS

La même étude de la DACS relevait ainsi que les décisions des juges aux affaires familiales suivent, dans leur écrasante majorité, les demandes des parents. Ainsi, pour 58 % des enfants, les pères demandent que la résidence soit fixée chez la mère, pour 19 % en alternance et pour 15 % chez eux. Par ailleurs, les mères demandent une résidence chez elle pour 74 % des enfants, en alternance pour 16 % et chez le père dans 8 % des situations. Il en résulte que le taux de conformité des décisions des juges aux demandes des parents était en 2012 de 93,4 % pour les pères et de 95,9 % pour les mères, comme le montre le tableau ci-après.

Nombre et taux de conformité des décisions du juge
selon les demandes des parents en 2012

 

S'agissant des pères

S'agissant des mères

Décision du juge

Ensemble des demandes des pères

Décision du juge conforme à la demande

Taux de conformité

Ensemble des demandes des mères

Décision du juge conforme à la demande

Taux de conformité

Résidence alternée

1763

1516

85,99%

1508

1465

97,15%

Résidence chez la mère

5451

5439

99,78%

6934

6642

95,79%

Résidence chez le père

1440

1091

75,76%

783

780

99,62%

Résidence chez un tiers

7

5

71,43%

7

5

71,43%

Aucune demande exprimée

738

723

97,97%

167

119

71,26%

Total

9399

8774

93,35%

9399

9011

95,87%

Source : DACS

Le juge aux affaires familiales se prononçant sur les moyens dont il est saisi dans les conclusions des parties, la proportion relativement modeste des décisions de résidence alternée prises par les juges aux affaires familiales semble finalement résulter d'abord et avant tout du faible nombre de demandes en ce sens des parents, notamment des pères.

Ce constat étant posé, lorsqu'elle est demandée par le père, la résidence alternée était néanmoins attribuée moins souvent (86 % des cas environ) que lorsque la mère la demande (97,2 % des cas environ). Cet état de fait s'expliquait en 2012 notamment par le fait que dans les situations où le père demandait une résidence alternée et la mère une résidence chez elle, le juge prononçait une résidence chez la mère dans 75 % des situations et la résidence alternée dans 25 % des cas ; lorsque c'est le père qui demandait une résidence à son domicile alors que la mère demandait une résidence alternée, le juge ordonnait une résidence chez le père dans 60 % des cas et une résidence en alternance dans 40 % des cas.

Il peut résulter de cet état de fait le sentiment que la résidence alternée est généralement sous-employée par les juges aux affaires familiales. Ce sentiment s'est traduit par le dépôt de nombreuses propositions de loi sur ce sujet depuis 2002, issues de différents groupes politiques, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

2. La proposition de loi : instaurer une présomption légale d'intérêt de l'enfant à la résidence alternée et lier la compétence du juge

Poursuivant, selon l'exposé des motifs, l'objectif « d'unifier la jurisprudence », en considérant que « les jugements en matière de résidence alternée dépendent grandement de la sensibilité et du vécu familial des juges », l'article 2 de la présente proposition de loi tend à modifier en profondeur les dispositions régissant actuellement la résidence alternée, prévues à l'article 373-2-9 du code civil.

D'une part, il prévoit en son alinéa 2 un régime de présomption de l'intérêt de l'enfant à « prendre appui de façon équilibrée sur chacun [de ses parents] et [à] bénéficier équitablement de leurs apports respectifs. » Ce faisant, il reprend des termes d'une décision de la cour d'appel de Versailles du 16 mars 201730(*).

Cette présomption légale pourrait être renversée dans deux cas : en présence d'une preuve contraire ; dans le cas où des pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, seraient exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre ou sur l'enfant - s'appuyant ainsi sur les dispositions prévues à l'article 3 de la présente proposition de loi.

D'autre part, il prévoit en son alinéa 3 une compétence liée du juge pour ordonner la résidence alternée dès lors que l'un des parents au moins la demande. Dans le cas éventuel où celle-ci ne serait pas appropriée, le juge pourrait seulement ordonner la résidence alternée à titre provisoire - une faculté dont il dispose déjà. Au terme de cette période provisoire seulement, le juge pourrait écarter la résidence alternée, à condition de motiver spécialement sa décision « en considérant l'intérêt et les besoins de l'enfant ».

Enfin, l'alinéa 4 prévoit que dans le cas où la résidence alternée ne serait pas ordonnée, le juge serait tenu d'examiner « prioritairement la possibilité d'accorder [au parent chez qui l'enfant ne réside pas] un droit [de visite et d'hébergement] élargi à des jours de semaine ou à des périodes de congés scolaires ». Par incidence, cet alinéa complèterait ainsi le droit de visite déjà prévu à l'article 373-2-9 du code civil pour prévoir qu'il serait un droit de visite et d'hébergement.

3. La position de la commission : préserver l'appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant et favoriser le recours à un droit de visite et d'hébergement élargi

3.1. Face à l'absence de consensus définitif sur un intérêt par principe de l'enfant à une résidence alternée, maintenir un cadre juridique souple

Les travaux conduits par le rapporteur n'ont pas permis d'étayer l'existence d'un consensus sur les bénéfices de la résidence alternée pour l'enfant. Le rapporteur relève ainsi que le constat d'une pratique contestée, dressé par Jean-Jacques Hyest et Nicolas About en 2007 dans leur rapport d'information sur le sujet, demeure valide31(*).

D'une part, les associations auditionnées par le rapporteur ont exprimé des points de vue diamétralement opposés sur l'opportunité de l'instauration d'une résidence alternée de principe. Les associations favorables à une généralisation de la résidence alternée, se présentant généralement comme des associations représentant les pères, se sont dites favorables au dispositif et ont souhaité le compléter en prévoyant que le juge serait tenu d'ordonner une résidence alternée paritaire32(*). À l'inverse, d'autres associations auditionnées par le rapporteur - telles que la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) ou la Fondation des femmes - se sont dites « fermement opposées à l'instauration d'une présomption de résidence alternée » en faisant notamment valoir qu'une résidence alternée pourrait, dans le cas de violences intrafamiliales, faire perdurer une situation de danger pour la mère et l'enfant, notamment dans des situations d'emprise.

D'autre part, le regard des professionnels semble aussi divisé. Ainsi, Caroline Siffrein-Blanc, maître de conférences en droit privé, a-t-elle énoncé au rapporteur que le droit actuel « ne permet pas de répondre aux droits de l'enfant d'entretenir des relations avec ses deux parents ». À l'inverse, les pédopsychiatres auditionnés par le rapporteur ont fait valoir leur opposition à une généralisation de la résidence alternée. Le professeur Maurice Berger, mobilisé de longue date sur le sujet, a notamment souligné qu'à ses yeux les besoins de l'enfant gagneraient à être hiérarchisés et que dans cette optique, « le besoin pour un enfant d'avoir des relations avec ses deux parents est secondaire par rapport au besoin de stabilité », auquel il estime qu'une résidence alternée peut nuire.

S'il n'appartient pas au législateur de trancher de tels débats, notamment entre professionnels de l'enfance, il paraîtrait à tout le moins aventureux de prévoir, comme le fait l'article 2 de la présente proposition de loi, la systématisation de la résidence alternée au regard de l'absence de consensus sur le sujet.

Il semble dès lors impératif de préserver la souplesse du cadre juridique actuel, qui permet au droit de s'adapter à une grande diversité de situations concrètes.

3.2. Préserver la marge d'appréciation du juge en matière de résidence alternée

Dans cette perspective, il a paru nécessaire à la commission de préserver la marge d'appréciation du juge aux affaires familiales se prononçant sur les modalités de résidence de l'enfant de parents séparés.

Dès lors, la commission, par l'adoption de l'amendement COM-1 présenté par le rapporteur avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, a rejeté plusieurs dispositions souffrant de défauts juridiques certains.

D'une part, présumer de l'intérêt de l'enfant à « prendre appui de façon équilibrée sur chacun [des parents séparés] et [à] bénéficier équitablement de leurs apports respectifs » a paru inopportun à la commission. En effet, l'intérêt de l'enfant a vocation à être apprécié in concreto et ne saurait être présumé in abstracto : en dépit de cette disposition, il existerait nécessairement des cas dans lesquels il n'est pas de l'intérêt de l'enfant - en raison de son jeune âge, de l'éloignement géographique de ses parents, du conflit entre ces derniers, etc. - de prendre appui sur ses deux parents de façon équilibrée. Par ailleurs, il serait difficile de renverser cette présomption :

- l'intérêt de l'enfant résultant nécessairement d'une pluralité de facteurs et ne constituant pas un état de fait démontrable, il serait délicat de fournir une quelconque « preuve » en la matière ;

- la mention de cas « avérés » de pressions ou violences exercées par un parent sur l'enfant ou l'autre parent pourrait poser difficulté : dans le cas où seule une condamnation pénale permettrait de renverser une telle présomption, la résidence alternée pourrait fortement retarder la protection de l'enfant du parent violent.

D'autre part, la procédure prévue à l'alinéa 3 enserrerait à l'excès la marge de manoeuvre du juge. Voyant sa compétence liée, le juge serait ainsi tenu d'ordonner une résidence alternée dès lors qu'un parent le demande. L'application telle quelle d'une telle disposition pourrait ainsi aboutir à des situations potentiellement contraires à l'intérêt de l'enfant : dans le cas où le parent A - anticipant la demande potentielle d'une résidence alternée de l'autre parent - demanderait la résidence alternée et le parent B la résidence chez le parent A, car ne souhaitant voir son enfant résider chez lui, la résidence alternée devrait tout de même être ordonnée par le juge. Plus fondamentalement, la résidence alternée devrait ainsi être ordonnée, y compris lorsque l'enfant est d'un très jeune âge, ou lorsque les domiciles des parents sont très éloignés géographiquement, deux conditions susceptibles de rendre difficile la résidence alternée pour les enfants. Il apparaît ainsi nécessaire de permettre au juge d'écarter la résidence alternée dès avant son prononcé à titre provisoire lorsqu'elle est manifestement inadaptée au cas d'espèce.

À cet égard, le rapporteur relève qu'en imposant par principe à un parent qui ne le souhaite pas, sans permettre au juge d'en contrôler l'opportunité au cas par cas, une résidence alternée, même à titre temporaire, ce dispositif poserait de sérieuses difficultés au regard du droit à une vie familiale normale, protégé constitutionnellement33(*) et conventionnellement34(*). Sur le plan conventionnel, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) opère d'ailleurs une claire hiérarchisation entre l'intérêt de l'enfant et celui des parents, le premier devant primer sur le second : celle-ci relève ainsi que si « l'intérêt des parents notamment à bénéficier d'un contact régulier avec l'enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu », « il existe actuellement un large consensus - y compris en droit international - autour de l'idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer »35(*). Cette articulation entre intérêts de l'enfant et des parents est notamment appliquée par la CEDH dans les décisions relatives à la résidence et au droit de visite des enfants : elle a ainsi souligné dans une décision de 2019 « que dans les affaires dans lesquelles sont en jeu des questions de placement d'enfants et de restrictions du droit de visite, l'intérêt de l'enfant doit passer avant toute autre considération36(*). »Enfin, la motivation spéciale de la décision du juge écartant la résidence alternée au regard de l'intérêt et des besoins de l'enfant a paru inopportune à la commission. Auditionnée sur ce sujet, la DACS a notamment fait valoir qu'une telle disposition, ajoutant une lourdeur procédurale sur un contentieux de masse, serait particulièrement malvenue.

Au regard des difficultés juridiques posées par une éventuelle évolution du droit et afin de répondre au sentiment de certains parents d'être insuffisamment entendus, le rapporteur appelle l'attention sur la nécessité de développer la médiation dans la détermination de la résidence de l'enfant. Le rapporteur relève en particulier l'intérêt que lui semble revêtir la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), dont l'expérimentation dans onze juridictions37(*) a été prorogée jusqu'au 31 décembre 2024 par l'article 188 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023. Alors que ce dispositif semble peiner à faire ses preuves sur le terrain38(*), la prolongation « de la dernière chance »39(*) de ce dispositif dont l'expérimentation aura duré huit ans doit être l'occasion de son évaluation précise et chiffrée afin de permettre d'envisager sereinement son éventuelle généralisation.

3.3. Renforcer la prise en compte par les juges de la pertinence de liens réguliers entre parent et enfant

La commission a néanmoins souhaité renforcer la prise en compte par le juge aux affaires familiales de la pertinence de l'entretien régulier entre les parents séparés et leur enfant.

Par l'adoption du même amendement COM-1 du rapporteur, la commission a ainsi indiqué plus clairement au juge statuant sur les modalités de droit de visite et d'hébergement du parent chez lequel la résidence de l'enfant n'est pas située, la nécessaire prise en compte des obligations des parents vis-à-vis de leur enfant en cas de séparation. Or, aux termes de l'article 1er de la présente proposition de loi, l'obligation faite aux parents, en cas de séparation, de maintenir des relations personnelles avec leur enfant serait précisée pour prévoir explicitement qu'elle implique l'entretien régulier de telles relations. Ainsi complétée, cette obligation a vocation à favoriser l'implication des deux parents, y compris dans le cas où une résidence alternée n'a pu être décidée, dans l'entretien et l'éducation de l'enfant.

Dès lors, sans modifier les conditions dans lesquelles le juge se prononce sur la résidence alternée40(*), le présent amendement prévoit que, lorsqu'il se prononce sur les modalités de visite et d'hébergement (DVH), il tient compte de la nécessité d'un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parent et enfant. Cette évolution doit conduire le juge, dans le cas où une résidence alternée ne paraît pas adaptée à la situation familiale, à mieux prendre en considération la possibilité d'octroyer un DVH dit « élargi », notion jurisprudentielle recouvrant l'octroi d'un temps avec l'enfant plus ample qu'un DVH dit « classique » -impliquant généralement un week-end sur deux et le partage à égalité des congés scolaires.

La commission a par ailleurs souhaité, par l'adoption du même amendement COM-1, préciser explicitement que la notion de droit de visite actuellement prévue au troisième alinéa de l'article 373-2-9 du code civil inclut un droit d'hébergement, ce qui est déjà le cas en pratique. Néanmoins, dans le cas d'une visite médiatisée dans un espace de rencontre désigné par le juge, ce droit serait logiquement circonscrit au seul droit de visite.

La commission a adopté l'article 2 ainsi rédigé.

Article 3
Ajout des pressions ou violences exercées par l'un des parents sur l'enfant aux critères pris en compte par le juge pour déterminer les modalités d'exercice de l'autorité parentale

L'article 3 de la présente proposition de loi tend à compléter les critères indicatifs dont le juge tient compte dans la détermination des modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Seraient ainsi pris en compte non les seules pressions ou violences exercées par l'un des parents sur l'autre mais également celles exercées sur la personne de l'enfant. Jugeant cette précision bienvenue, la commission s'est bornée à préciser la rédaction de ce nouveau critère.

La commission a en conséquence adopté l'article 3 ainsi modifié.

1. L'état du droit : des critères indicatifs complétés en 2010 pour prendre en compte les violences conjugales

L'article 373-2-11 du code civil reprend des dispositions antérieurement prévues à l'article 290 du code civil. Ce dernier prévoyait ainsi que le juge tenait compte dans ses décisions en matière familiale des accords passés entre les époux, des renseignements recueillis dans les enquêtes et contre-enquêtes sociales ainsi que des sentiments exprimés par l'enfant.

L'article 5 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a complété ces critères, en y adjoignant « la pratique que les parents avaient précédemment suivie », « l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre », ainsi que le résultat « des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l'âge de l'enfant ».

L'article 8 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a complété cette liste en y ajoutant « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre. »

La liste de ces critères, qui n'est nullement exhaustive, « précise certains des éléments sur lequel le juge doit fonder son appréciation41(*) » et a ainsi vocation à éclairer le juge dans la construction de ses décisions.

2. La position de la commission : parfaire la prise en compte des violences intrafamiliales

L'article 3 de la présente proposition de loi prévoit l'ajout d'un nouvel item aux critères pris en considération par le juge lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale : « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'enfant. » Il viserait ainsi à compléter le droit positif, qui prévoit déjà la prise en compte de telles violences lorsqu'elles sont exercées sur l'autre parent.

La commission a jugé cet ajout bienvenu. Si de telles situations étaient dans les faits déjà prises en compte, comme l'ont précisé au rapporteur les associations de magistrats auditionnées, cette précision viendrait utilement rappeler cette obligation au juge. La commission a adopté un amendement COM-2, présenté par le rapporteur avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, visant simplement à clarifier la rédaction retenue pour cette disposition.

La commission a adopté l'article 3 ainsi rédigé.

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EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2023

M. Christophe-André Frassa, président - À sa demande formulée en application de l'article 15 bis du règlement du Sénat, je vous propose d'accueillir notre collègue Élisabeth Doineau pour qu'elle présente le texte dont elle est l'auteur.

Mme Élisabeth Doineau, auteure de la proposition de loi. - Je tiens à remercier la commission des lois de me donner l'opportunité de présenter ma proposition de loi. Elle m'a été inspirée par notre ancien collègue Yves Détraigne, qui m'avait alertée sur le sujet de la résidence alternée des enfants de parents séparés. Très impliquée dans la protection de l'enfance, l'action sociale de proximité et le rapport avec les familles, j'avais trouvé opportun de prendre le relais de sa proposition. Je remercie également Marie Mercier, avec qui nous avons entretenu un dialogue franc et respectueux.

J'ai bien conscience de la nécessité d'avancer pas à pas dans cette discussion portant sur un sujet de société, dans un esprit d'apaisement et de responsabilité profitable à l'enfant. Je tiens à le rappeler en préambule, le seul guide qui m'a animé dans la rédaction de cette proposition de loi est l'intérêt supérieur de l'enfant.

La Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France le 7 août 1990 prévoit, dans son article 9-3, « le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

Cette disposition a été reprise dans la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Elle figure désormais à l'article 373-2 du code civil. Cette même loi a fait entrer la résidence alternée dans le code civil. Ce mode de résidence est l'application concrète du principe de coparentalité, un terme auquel je suis attachée.

En dépit de la volonté claire du législateur de favoriser son recours, la résidence alternée s'est peu développée en France : seuls 12 % des enfants de parents séparés se trouvent en résidence alternée d'après l'Insee. Or la fixation d'une résidence alternée est de plus en plus reconnue par les juges comme bénéfique à l'enfant en cas de séparation de ses parents.

Selon une décision de la cour d'appel de Versailles, « l'alternance est un système simple, prévisible, qui permet aux enfants comme aux parents de se projeter dans l'avenir et de construire des projets fiables [...] ; elle permet

aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs de nature différente, mais complémentaires ».

La cour d'appel de Paris en a conclu que l'instauration d'une résidence en alternance forme le meilleur cadre à la mise en oeuvre de l'article 9-3 de la Convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 373-2 du code civil, aux termes duquel chacun des parents doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent.

Ce faible recours à la résidence alternée ne peut pas s'expliquer uniquement par une forme de désintérêt de certains pères pour leur enfant. Nous devons interroger nos propres réflexes et modifier nos mentalités, car nous considérons trop souvent que l'attachement maternel doit forcément être prioritaire, au détriment des liens avec l'autre parent.

Il paraît évident que si nous voulons équilibrer la charge parentale, il convient de promouvoir des systèmes qui promeuvent une telle vision. C'est le cas de la résidence alternée.

Selon la sociologue du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Christine Castelain-Meunier, que certains d'entre nous avons pu rencontrer, « une telle loi aiderait les mères à se délester de l'impératif de la bonne mère, qui est encore très fort dans la société » et qui peut déboucher sur des situations de paupérisation.

Par ailleurs, ces dispositions tendent à pacifier les relations entre les parents. Dans le cadre de mon cheminement, je tiens à mettre en avant la médiation, qui doit être recherchée par les avocats comme par les juges.

On peut ainsi faire le pari qu'en clarifiant les règles applicables et en réduisant ainsi l'aléa judiciaire, la loi contribuerait à « déjudiciariser » le contentieux familial et à désencombrer les tribunaux. Selon les juges, il serait ainsi possible de consacrer davantage de temps aux situations les plus compliquées, ce qui n'est pas possible actuellement.

J'en viens aux dispositions de la proposition de loi.

Son article 1er propose d'aligner la rédaction de l'article 373-2 du code civil sur celle de l'article 9-3 précité de la Convention internationale des droits de l'enfant, afin que l'expression « entretenir régulièrement des relations personnelles » apparaisse dans notre droit. Le code civil disposerait ainsi que « chacun des père et mère doit maintenir et entretenir régulièrement des relations personnelles avec l'enfant ».

L'article 2 du texte vise à encourager le recours à un temps de présence parentale aussi équilibré que possible. Il ne s'agit pas d'imposer au juge une solution unique alors que les situations familiales peuvent être diverses, mais de faire en sorte que, conformément à la jurisprudence précitée, tous les juges aux affaires familiales (JAF) en France examinent préalablement et prioritairement une organisation aussi équilibrée que possible lorsque l'un des parents le demande. Cette priorité se traduit par la création, comme en Belgique, d'un régime de présomption légale.

Cette présomption pourrait naturellement, au regard des pièces du dossier, être renversée par le juge s'il est démontré par l'un des parents que l'intérêt supérieur de l'enfant commande de fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un d'eux. Ce renversement de la charge de la preuve permettrait d'unifier la jurisprudence et de se conformer à la volonté du législateur exprimée en 2012.

Naturellement, le texte n'entend en aucun cas privilégier un temps parental équilibré lorsqu'une situation de violences intrafamiliales est établie, notamment quand l'un des parents exerce, sur la personne de l'autre ou de l'enfant, des pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique.

Or, l'article 373-2-11 du code civil, qui prévoit une liste non exhaustive des critères pris en compte par le juge dans ses décisions sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, ne prévoit étonnamment pas de critère portant sur des pressions ou violences sur la personne de l'enfant. L'article 3 y remédie afin d'exclure explicitement le prononcé par le juge d'un temps parental équilibré en cas de comportement violent d'un parent, que cette violence s'exerce sur l'autre parent, y compris par le biais d'une instrumentalisation de l'enfant, ou sur la personne même de l'enfant.

La présente proposition de loi entend donc franchir une nouvelle étape dans la coparentalité, en proposant un dispositif équilibré et juste, dénué d'esprit polémique et tenant compte des précédents débats sur ce sujet.

Je l'ai dit en préambule, gageons que la discussion parlementaire saura offrir un cadre de discussion serein et dépassionné dans un esprit d'apaisement et de responsabilité profitable à l'enfant. Il y va de son intérêt, tout comme de celui de la société tout entière.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je remercie Élisabeth Doineau pour cette présentation et pour les nombreux échanges que nous avons pu avoir en amont.

La proposition de loi qui est soumise à notre examen aujourd'hui s'inscrit dans l'histoire longue et - force est de le constater - heurtée de la résidence alternée.

Les auditions que j'ai conduites et auxquelles Elsa Schalck et Dominique Vérien ont assisté - ce dont je les remercie vivement - ont ainsi témoigné du fossé qui demeure entre partisans et opposants à une systématisation de la résidence alternée. J'ai d'ailleurs été frappée par la vivacité du dissensus qui s'est fait jour dans le cadre des auditions à ce sujet.

Dès lors, afin de trouver une position aussi équilibrée que possible, mes travaux ont été guidés par deux principes : premièrement, la volonté de donner corps, autant que possible, à l'objectif, poursuivi au travers de la proposition de loi, d'un renforcement du principe de coparentalité par la poursuite d'une implication aussi équilibrée que possible entre les deux parents dans l'éducation de l'enfant y compris en cas de séparation ; et deuxièmement, la préservation à tout prix de l'intérêt de l'enfant, valeur qui fait vivre le droit de l'autorité parentale - à bon droit, il me semble !

Les dernières années ont bien montré combien la structure familiale peut malheureusement s'avérer violente et maltraitante pour les enfants. Dans la conciliation que nous devons opérer entre les divers principes qui irriguent le droit de la famille, celui-ci me paraît légitimement devoir primer.

Mes travaux ont d'abord consisté à objectiver, autant que faire se peut, la réalité de la résidence alternée dans notre pays.

Si un appareil statistique complet et actualisé fait défaut en la matière, les études produites tant par l'Insee que par le ministère de la justice tendent à montrer que, à rebours du constat parfois dressé d'un recul de la résidence alternée, elle connaît une progression continue dans notre pays. Selon la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), la proportion de décisions de résidence alternée prises par les JAF serait passée de 10 % en 2003 à 29 % en 2022.

Si cette pratique demeure minoritaire, c'est en raison, notamment, du faible nombre de demandes dont elle fait l'objet : la dernière étude complète et actualisée de la DACS, qui date de 2012, montrait bien que la résidence alternée était peu demandée par les mères comme les pères, ce qui aboutissait à un taux général relativement faible.

Ce constat étant posé, lorsqu'elle était demandée par le père, la résidence alternée était néanmoins attribuée moins souvent - dans 86 % des cas environ - que lorsque la mère la demandait - dans 97 % des cas environ. Il peut résulter de cet état de fait le sentiment que la résidence alternée est généralement sous-employée par les JAF, au profit d'une résidence chez la mère.

Faut-il dès lors systématiser les décisions de résidence alternée, comme le prévoit l'article 2 de la présente proposition de loi ? Je vous proposerai de répondre à cette question par la négative.

Au regard de l'absence de consensus que j'ai évoquée en introduction sur les bénéfices pour l'enfant d'une telle mesure, il me paraîtrait aventureux que le législateur tranche le débat en prévoyant ainsi la systématisation de la résidence alternée.

Dans ces conditions, je vous proposerai par l'adoption du premier de mes trois amendements de rejeter deux dispositions particulièrement sujettes à caution de l'article 2.

La première est la présomption de l'intérêt de l'enfant à « prendre appui de façon équilibrée sur chacun [des parents séparés] et [à] bénéficier équitablement de leurs apports respectifs », qui me paraît inopportune. En effet, l'intérêt de l'enfant a vocation à être apprécié in concreto et ne saurait être présumé : il existerait nécessairement des cas dans lesquels il n'est en réalité pas de l'intérêt de l'enfant - en raison de son jeune âge, de l'éloignement géographique de ses parents, du conflit entre ces derniers, etc. - de prendre appui sur ses deux parents de façon équilibrée.

Par ailleurs, les cas de renversement de cette présomption seraient beaucoup trop restreints : l'intérêt de l'enfant résultant nécessairement d'une pluralité de facteurs et ne constituant pas un état de fait démontrable, il serait délicat - le mot est faible - de fournir une quelconque « preuve » en la matière et la mention de cas « avérés » de pressions ou violences exercées par un parent sur l'enfant ou l'autre parent pourrait poser une condition difficile à remplir.

La seconde de ces dispositions problématiques est la procédure prévue à l'alinéa 3 de l'article 2, qui me paraîtrait restreindre à l'excès la marge d'appréciation du juge. Celui-ci serait ainsi tenu d'ordonner la résidence alternée dès lors qu'un des parents le demande, ce qui pourrait conduire à des situations manifestement contraires à l'intérêt de l'enfant : je pense notamment au nourrisson allaité par sa mère qui pourrait ainsi être périodiquement séparé de cette dernière, ou encore aux cas dans lesquels il est impossible pour l'un des parents de voir l'enfant résider chez lui.

Sur ces dispositions, il me paraît donc primordial que nous conservions à l'esprit la nécessité impérieuse de garantir les meilleures conditions juridiques à la préservation de l'intérêt de l'enfant.

Faire de la résidence alternée un mode de résidence par défaut pour impliquer davantage les pères dans l'éducation de leurs enfants me semble au demeurant prendre le problème à l'envers : il me semble ainsi que la plus grande implication des deux parents, notamment des pères, constitue davantage un prérequis au prononcé par les juges de décisions de résidence alternée plus nombreuses que la conséquence éventuelle de celui-ci - parfois au prix de l'intérêt de l'enfant. Je note d'ailleurs tout l'intérêt que peut revêtir, pour apaiser les tensions et faciliter l'acceptabilité des décisions - de résidence alternée comme de résidence chez l'un des parents - le renforcement des moyens alloués à la médiation. Une expérimentation est en cours : elle doit faire l'objet d'une évaluation au plus vite afin d'envisager sereinement son éventuelle généralisation.

En dernier lieu, je suis néanmoins sensible à l'objectif poursuivi dans la présente proposition de loi de l'entretien plus régulier de relations personnelles entre les parents séparés et leur enfant. Je vous propose donc, chers collègues d'adopter trois dispositifs prévus par la proposition de loi allant dans ce sens.

Tout d'abord, je vous propose d'adopter sans modification l'article 1er, qui prévoit précisément de compléter l'obligation actuelle de maintien de relations personnelles par une obligation de l'entretien régulier de telles relations. L'apport juridique d'une telle disposition est certes limité mais, afin que juges et justiciables aient la compréhension la plus précise de l'étendue des obligations qu'emporte concrètement le maintien de relations personnelles entre les parents séparés et leur enfant, cette précision m'a paru utile. Dans la mesure où ce maintien est en droit français une obligation du parent et non un droit de l'enfant - j'insiste sur ce point -, je vous proposerai néanmoins un amendement tendant simplement à mettre l'intitulé de la proposition de loi en cohérence avec le droit sur ce point.

Ensuite, l'idée d'un renforcement du recours au droit de visite et d'hébergement (DVH) élargi est apparue pertinente. Ne souhaitant pas - à nouveau - contraindre inutilement la marge d'appréciation du juge ou ajouter une lourdeur procédurale, je propose de substituer l'examen prioritaire du DVH élargi prévu à l'article 2 par une disposition prévoyant que le juge tient compte de la nécessité d'un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parent et enfant lorsqu'il se prononce sur les modalités du DVH. Nous mettons ici l'accent sur l'importance de la parentalité relationnelle.

Cette évolution doit conduire le juge, dans le cas où une résidence alternée ne paraît pas adaptée à la situation familiale, à mieux prendre en considération la possibilité d'octroyer un DVH dit « élargi », ce qui me paraît conforme à l'intention de la proposition de loi.

Enfin, je souscris pleinement au dispositif de l'article 3, qui vient utilement prévoir que le juge prenne en compte les pressions ou violences exercées par l'un des parents sur la personne de l'enfant dans la détermination des modalités d'exercice de l'autorité parentale. Il me semble que l'on comble ici un manque, et l'amendement que je propose est de portée purement rédactionnelle.

Au bénéfice de ces observations, et sous réserve de l'adoption de ces trois amendements, je vous proposerai d'adopter le texte ainsi modifié.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

Mme Dominique Vérien. - Je tiens à remercier notre rapporteur, dont la tâche consistait à résoudre la quadrature du cercle compte tenu des fortes oppositions entre les associations. Ce texte exclut évidemment du dispositif toute violence, qu'elle s'exerce à l'encontre d'un conjoint - la mère le plus souvent - ou de l'enfant, écartant donc les violences intrafamiliales et l'inceste. Je tiens à rappeler que 244 000 violences intrafamiliales ont été

enregistrées par le ministère de l'intérieur en 2022. Je me permets ce rappel car, même en prenant en compte les violences non dénoncées par les victimes, il semble que la focalisation des associations sur ce point puisse donner l'impression que les violences sont bien plus répandues.

Les conflits sont évidemment fréquents en temps de divorce, mais, dès que la médiation intervient, la question de l'enfant et de son bien-être reviennent au coeur de la question de la séparation, de telle sorte que les parents réfléchissent ensemble à ce qui semble être le mieux pour leur enfant. En règle générale, les choses se passent ensuite relativement bien, ce qui conduit plus facilement à s'orienter vers une résidence alternée.

Le juge doit bien sûr rester libre, chaque situation étant unique. Au cours des auditions, le problème de la répartition précise de la garde alternée a été soulevé, l'idée de la coparentalité étant bien que chacun prenne sa part. Là encore, il n'est pas cohérent de demander aux hommes d'assumer leurs responsabilités et d'étendre les congés paternité, tout en leur retirant tout rôle après un divorce, ce qui entraîne une déresponsabilisation par rapport à la paternité.

Le groupe Union Centriste soutiendra évidemment ce texte, issu de nos rangs.

Mme Muriel Jourda. - Merci à Marie Mercier pour ses conclusions de bon sens au regard de la réalité : l'intérêt de l'enfant ne consiste pas nécessairement à voir chacun de ses parents de manière mathématiquement égale. Chaque enfant, chaque famille a une histoire différente, il faut donc laisser une latitude suffisante au juge pour apprécier les meilleures modalités d'exercice de l'autorité parentale pour l'enfant, si tant est qu'il arrive à le faire, car la tâche est extrêmement délicate.

Un certain nombre de décisions sont prises non pas dans l'intérêt de l'enfant, mais au profit des adultes : la résidence alternée en fait parfois partie, car il s'agit, dans la majorité des cas, de permettre aux pères de voir leurs enfants après la séparation. Cette modalité peut convenir à certains enfants, mais elle est très difficile à vivre pour d'autres. Mettons-nous à la place des enfants qui déménagent toutes les semaines - contrainte que nous n'apprécierions guère -, sans parler des cas dans lesquels les parents ne s'entendent pas, conduisant les enfants à vivre avec la peur au ventre, puisqu'ils savent que tout oubli d'un cahier chez l'autre parent peut déclencher une grave crise s'ils osent le réclamer.

En systématisant, sur la demande d'un seul parent, la résidence alternée, on placerait donc des enfants dans des situations difficiles. Faisons confiance à la justice et tentons d'assurer au mieux l'entente des parents après une séparation, dans l'intérêt de l'enfant.

M. Philippe Bas. - J'ai des réticences à l'égard de ce texte. L'article 373-2-9 du code civil tel que modifié par le texte initial de la proposition de loi aboutirait à ce que la résidence alternée, qui est à présent une décision que le juge a la faculté de prendre, devienne obligatoire à la demande de l'un des parents. Cela aboutit donc à la suppression pour le juge de toute marge d'interprétation. Il ne s'agit pas d'une bonne manière de procéder, et je ne peux voter un texte qui fait obligation au juge de prononcer la résidence alternée.

Mme Patricia Schillinger. - Il n'est pas fait référence aux ascendants, alors que la garde alternée leur est parfois confiée si l'un des conjoints décède. Nous avons tous été sollicités par des grands-parents à ce sujet.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce texte aborde le sujet de la résidence des enfants de manière subtile. Nous essayons de faire en sorte que l'enfant conserve des liens avec ses deux parents, sachant que la perte du lien avec le père reste le problème le plus fréquent. Si les articles 1er et 3 ne posent pas de problème, l'article 2 fait référence, comme l'a justement relevé Philippe Bas, à un principe, ce qui fait que l'on ne sait plus très bien dans quelles circonstances la résidence alternée peut ne pas être prononcée.

En outre, les notions de « preuve contraire » et de cas « avérés » de pressions ou violences pour renverser la présomption légale prévue à l'article 1er me semblent soulever des difficultés.

Il s'agit de ne pas oublier un certain nombre de contraintes : celle du lieu d'habitation, afin que l'enfant puisse aller à l'école ; celle ensuite des moyens, car cela implique que chacun des parents dispose d'une chambre ; celle enfin de la volonté, car cela ne fonctionne que si les deux parents sont favorables à ce dispositif. De manière générale, se pose la question des moyens. Ce dispositif s'adresse, en réalité, aux familles aisées.

Enfin, j'ai une totale confiance à l'égard du JAF, fonction la plus difficile de la magistrature.

En l'état, mon enthousiasme concernant cette proposition de loi est donc assez relatif.

M. Louis Vogel. - L'intention des auteurs du texte est-elle d'obliger le juge à prononcer la garde alternée, ou bien de lui laisser la faculté de le faire ? J'aimerais que vous clarifiiez ce point.

M. François-Noël Buffet, président. - Le texte initial de la proposition de loi a pour objet de lier la compétence du juge pour prononcer la résidence alternée dès lors qu'un des parents la demande. Un des amendements du rapporteur a précisément pour objet de supprimer cette disposition et de maintenir la marge d'appréciation dont bénéficient actuellement les JAF pour ordonner une telle mesure.

Mme Mélanie Vogel. - Sur le principe, je partage l'idée qu'un monde égalitaire est préférable à un monde qui ne le soit pas. A priori, quand on a bénéficié d'une parentalité égalitaire et non genrée, la résidence alternée semble l'issue la plus probable après une séparation. Mais, dans la mesure où nous n'évoluons pas dans un monde idéal, cette proposition de loi me pose problème.

Premièrement, le fait de définir l'intérêt supérieur de l'enfant dans la loi ne se justifie pas. En effet, il est faux de penser que l'intérêt supérieur de l'enfant serait d'avoir obligatoirement un lien avec ses deux parents ; cela doit s'évaluer au cas par cas.

Deuxièmement, sans parler d'automaticité, car il existe toujours la possibilité de statuer défavorablement, il s'agit d'une solution par défaut. Je ne suis pas convaincue que cela soit la décision la plus appropriée. Lorsque les ruptures interviennent dans des contextes familiaux égalitaires, les parents demandent la résidence alternée et l'obtiennent. Cette proposition de loi, qui s'attaque au problème du partage de la charge parentale, intervient au moment où les parents se séparent, c'est-à-dire quand beaucoup de choses sont déjà établies au sein de la cellule familiale.

Je vais reprendre cet argument qui nous est souvent opposé, à nous qui siégeons dans l'opposition, et qu'habituellement je désapprouve : je partage l'objectif, mais les moyens ne conviennent pas. Il ne s'agit pas, dans le cas présent, de régler la question de la coparentalité, mais de statuer sur la gestion de la résidence de l'enfant où moment où intervient une séparation.

Je suis dubitative ; la position de notre groupe dépendra du sort réservé aux amendements.

Mme Nathalie Delattre. - La société a besoin d'une réponse sur cette question de la résidence alternée. J'ai accompagné le combat de l'association SOS Papa, car il existe des pères qui s'impliquent dans l'éducation de leur enfant. Nous devons faire progresser la cause de la garde alternée. Il ne s'agit pas d'imposer une règle de résidence paritaire, à 50-50 ; il revient au juge d'apprécier les conditions de cette résidence alternée.

Les situations de rupture ont amplifié les problèmes liés au logement. En fonction de la recomposition des familles, l'enfant navigue entre deux, voire trois logements. La garde alternée n'aggraverait donc pas cette crise déjà profonde du logement.

Cela étant dit, il nous faut être prudents d'un point de vue juridique et ne pas rendre plus complexes encore certaines situations. Tout en émettant un avis favorable, j'écouterai la sagesse du rapporteur concernant les améliorations éventuelles.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je suggère au rapporteur un amendement : en cas de résidence alternée, la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants - plus communément appelée « pension alimentaire » - se trouve fragilisée ; celle-ci est possible en cas de disparité de revenus, mais il serait utile de le préciser dans le texte.

Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pour répondre à Philippe Bas et Louis Vogel, le premier de mes trois amendements supprimera bien la compétence liée du juge sur la détermination de la résidence alternée ; il permettra de restaurer la marge d'appréciation dont bénéficie actuellement le juge.

En maintenant l'article 1er, on entend faire signe aux JAF, même si en réalité l'entretien aussi régulier que possible des relations entre les parents séparés et l'enfant existe déjà en fait comme en droit. La portée juridique de cet article est donc très faible.

Par ailleurs, la « pension alimentaire » peut être versée en cas de résidence alternée, même s'il est vrai que certains parents privilégient l'option de la résidence alternée pour ne pas avoir à la payer.

J'insiste sur l'idée de progressivité de la garde alternée. On ne peut pas transporter un enfant comme un paquet d'une résidence à l'autre ; son âge est à cet égard un point à prendre en compte.

Pour répondre à Mélanie Vogel, le juge continuerait d'apprécier l'intérêt de l'enfant in concreto dans le dispositif tel qu'il résulte de nos amendements. Ainsi, nous pallions les défauts du texte initial qui impliquait une automaticité.

Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que celui-ci comprend les dispositions relatives à la définition des modalités d'exercice de l'autorité parentale et à l'intervention dans ce cadre du JAF.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1 est adopté sans modification.

Article 2

Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-1 renforce la prise en compte par les JAF statuant sur les modalités de droit de visite et d'hébergement du parent chez lequel la résidence de l'enfant n'est pas située des obligations des parents vis-à-vis de leur enfant en cas de séparation.

Aux termes de l'article 1er de la proposition de loi, que nous venons d'adopter, l'obligation faite aux parents, en cas de séparation, de maintenir des relations personnelles avec leur enfant serait précisée afin que celle-ci implique l'entretien régulier de telles relations. Ainsi complétée, cette obligation a vocation à favoriser l'implication des deux parents, y compris dans le cas où une résidence alternée n'a pu être décidée, dans l'entretien et l'éducation de l'enfant.

Dès lors, sans modifier les conditions dans lesquelles le juge se prononce sur la résidence alternée, l'amendement prévoit que, lorsqu'il se prononce sur les modalités de visite et d'hébergement, celui-ci tient compte de la nécessité d'un entretien aussi régulier que possible des relations personnelles entre parents et enfant. Cette évolution doit conduire le juge, dans le cas où une résidence alternée ne paraît pas adaptée à la situation familiale, à mieux prendre en considération la possibilité d'octroyer un DVH élargi, notion jurisprudentielle recouvrant l'octroi d'un temps avec l'enfant plus ample qu'un DVH classique, impliquant généralement un week-end sur deux et le partage à égalité des congés scolaires.

Par ailleurs, l'amendement précise que la notion de droit de visite actuellement prévue au troisième alinéa de l'article 373-2-9 du code civil inclut un droit d'hébergement, ce qui est déjà le cas en pratique. Néanmoins, dans le cas d'une visite médiatisée dans un espace de rencontre désigné par le juge, ce droit serait en conséquence circonscrit au seul droit de visite.

M. Philippe Bas. - Cet amendement règle effectivement le problème soulevé précédemment ; il maintient les termes actuels de l'article 373-2-9 du code civil, qui fait de la résidence alternée une faculté. L'ensemble de l'article se trouve ainsi réécrit.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 3 est ainsi rédigé.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-3 tend à mettre en conformité l'intitulé de la proposition de loi avec le droit existant.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 2

Mme Marie MERCIER, rapporteur

1

Prise en compte par le juge de l'obligation d'entretien régulier de relations personnelles entre les parents séparés et l'enfant pour la détermination du droit de visite et d'hébergement

Adopté

Article 3

Mme Marie MERCIER, rapporteur

2

Amendement rédactionnel

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Mme Marie MERCIER, rapporteur

3

Précision de l'intitulé de la proposition de loi 

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 42(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie43(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte44(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial45(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 6 décembre 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 308 (2021-2022) relative aux droits de l'enfant à entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation de ces derniers.

Elle a considéré que ce périmètre incluait la définition des modalités d'exercice de l'autorité parentale et l'intervention dans ce cadre du juge aux affaires familiales.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

MINISTÈRE DE LA JUSTICE - DIRECTION DES AFFAIRES CIVILES ET DU SCEAU (DACS)

Mme Raphaelle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

M. Emmanuel Germain, rédacteur au bureau du droit des personnes et de la famille

Table ronde d'associations de magistrats

ASSOCIATION DES MAGISTRATS DE LA JEUNESSE ET DE LA FAMILLE (AFMJF)

Mme Alice Grunenwald, présidente, première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, tribunal pour enfants de de Saint-Etienne

M. Daniel Pical, membre du comité directeur

ASSOCIATION DES MAGISTRATS FRANÇAIS POUR LA JUSTICE CIVILE (AMFJC)

M. Clément Bergère-Mestrinaro, co-président, président du tribunal judiciaire de Sens,

Table ronde de pédopsychiatres

M. Jean-Marc Ben Kemoun, psychiatre, pédopsychiatre, médecin légiste, médecin des hôpitaux honoraire, expert près la cour d'appel de Versailles

M. Maurice Berger, pédopsychiatre

Mme Sarah Bydlowski, pédopsychiatre

M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, membre du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine

UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS FAMILIALES (UNAF)

Mme Marie-Andrée Blanc, présidente

Mme Claire Menard, chargée des relations parlementaires

M. David Pioli, coordonnateur du pôle droit de la famille, parentalité, protection de l'enfance

CONSEIL INTERNATIONAL SUR LA RÉSIDENCE ALTERNÉE

Mme Caroline Siffrein-Blanc, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université d'Aix-Marseille

Tables rondes d'associations

FÉDÉRATION NATIONALE SOLIDARITÉ FEMMES

Mme Mine Günbay, directrice générale

Mme Françoise Brié, directrice générale

Mme Joan Auradon, responsable du pôle justice

FONDATION DES FEMMES

Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

Mme Sophie Soubiran, avocate et membre de la force juridique

SOS PAPA

M. Jean Latizeau, président national

JAMAIS SANS PAPA

M. Alain Vial, président national

Mme Christelle Do Carmo, avocate

Mme Corinne Constant, médiatrice

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS

- Association Égalité parentale

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-308.html


* 1 La résidence alternée peut donner lieu au versement d'allocations familiales divisées entre les deux parents. Sur le plan fiscal, sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent, cette présomption pouvant néanmoins être écartée « s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants. »

* 2 Voir les décisions suivantes : Cour de cassation, Civ. 1ère, 25 avril 2007, n° 06-16-886, Cour d'appel de Paris, 26 septembre 2013, n° 12-12514 et Cour d'appel de Lyon, 7 mars 2011, n° 10/03267.

* 3 Guillonneau, Maud et Moreau, Caroline, « La résidence des enfants de parents séparés : de la demande des parents à la décision du juge », DACS, étude du PEJC, novembre 2013.

* 4 Voir Gallmeister, Inès, « Le principe de coparentalité », AJ Famille, avril 2009.

* 5 Article 373-2 du code civil.

* 6 Article 227-6 du code pénal.

* 7 Voir le commentaire de l'article 4 du rapport n° 3117 de Marc Dolez, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déposé le 7 juin 2001.

* 8 Conseil d'État, 10 juillet 1996, n° 162098 : « Considérant que M. X... n'est pas fondé à se prévaloir des stipulations de l'article 2-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant qui ne créent d'obligations qu'entre États et ne sont pas invocables par les particuliers ».

* 9 Conseil d'État, 3 juillet 1996, n° 140872 : « Considérant que les stipulations des articles 12-1, 12-2 et 14-1 de la même convention créent seulement des obligations entre États sans ouvrir de droits aux intéressés ».

* 10 Schwartz, Rémy. « La jurisprudence du Conseil d'État et les droits de l'enfant », Journal du droit des jeunes, vol. 296, no. 6, 2010, pp. 37-41.

* 11 Conseil d'État, 22 septembre 1997, n° 161364.

* 12 Cour de cassation, Civ. 1ère, 18 mai 2005, n° 891, D. 2005.1909.

* 13 Cour d'appel administrative de Marseille, 3ème chambre, 14 juin 2018, n° 17MA02843.

* 14 Cour d'appel de Versailles, 16 mars 2017, n° 16/02336.

* 15 Le texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture prévoyait ainsi un ordre de priorité différent selon qu'il existe un accord entre les parents ou non.

* 16 L'accord des parents n'est ainsi ni suffisant, le juge pouvant refuser ce mode d'hébergement s'il n'apparaît pas conforme à l'intérêt de l'enfant, ni même nécessaire, le juge pouvant ordonner la résidence alternée même lorsqu'elle n'est demandée que par un seul des parents.

* 17 Articles 373-2-8 et 373-2-13 du code civil.

* 18 La résidence alternée peut donner lieu au versement d'allocations familiales divisées entre les deux parents, chacun des deux parents étant ainsi considéré comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale. Sur le plan fiscal, l'article 194 du code général des impôts dispose que, sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent, cette présomption pouvant néanmoins être écartée « s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants. »

* 19 Cour de cassation, Civ. 1ère, 25 avril 2007, n° 06-16-886.

* 20 Cour d'appel de Paris, 26 septembre 2013, n° 12-12514.

* 21 Cour d'appel de Lyon, 7 mars 2011, n° 10/03267.

* 22 Guillonneau, Maud et Moreau, Caroline, « La résidence des enfants de parents séparés : de la demande des parents à la décision du juge », DACS, étude du PEJC, novembre 2013.

* 23 Pour un exemple d'une telle approche, « Résidence alternée et intérêt de l'enfant : regards croisés des magistrats », AJ Famille 2021 p. 403.

* 24 Les données de l'Insee résultent du recensement et non des décisions des juges aux affaires familiales. Au surplus, la définition retenue par l'Insee de la résidence alternée prévoit qu'un « enfant de parents séparés est en résidence alternée s'il passe autant de temps dans le logement de chacun de ses deux parents », ce qui n'est pas conforme à la définition juridique retenue par la DACS.

* 25 Voir l'étude Insee première n° 1728, paru le 10 janvier 2019, consultable à l'adresse suivante : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3689165.

* 26 Comme l'expliquent Carole Bonnet, Bertrand Garbinti et Anne Solaz dans une étude Insee première : « rare quand l'enfant est très jeune, le recours à la garde alternée concerne plus souvent les enfants d'âge scolaire en école maternelle ou primaire, mais moins ceux aux âges du collège et surtout du lycée. Ces adolescents, qui peuvent être entendus par les juges aux affaires familiales, ont en effet plus de marge de manoeuvre dans le choix de leur lieu de résidence ; ils ont par ailleurs parfois des contraintes géographiques liées à leur lieu d'études qui peuvent les conduire à privilégier l'un des domiciles parentaux. » Voir Insee première, 4 février 2015, n° 1536.

* 27 « Les décisions des juges concernant les enfants de parents séparés ont fortement évolué dans les années 2000 », Infostat justice n° 132, janvier 2015.

* 28 Par cette notion, l'Insee désigne une famille composée d'un couple et d'enfants tous issus dudit couple.

* 29 Voir l' étude Insee première n° 1841 du 3 mars 2021.

* 30 Cour d'appel de Versailles, 16 mars 2017, n° 16/02336 : « Considérant que l'alternance (...) permet aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs ».

* 31 Voir le rapport d'information n° 349 (2006-2007) sur la résidence alternée de Jean-Jacques Hyest et Nicolas About, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 26 juin 2007. Ce rapport relevait notamment que les « auditions ont mis en lumière l'absence d'étude fiable sur les conséquences de la résidence alternée pour l'enfant, des divisions encore marquées entre les associations ».

* 32 L'association SOS Papa a ainsi émis cette proposition.

* 33 Voir par exemple le considérant n° 4 de la décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle.

* 34 Pour un exemple de la jurisprudence de la CEDH relatif à l'application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au sujet de la résidence de l'enfant de parents séparés, voir notamment : CEDH, C. c. Croatie, 8 octobre 2020, n°  80117/17, §§77-82.

* 35 Pour un exemple d'un tel raisonnement, voir les paragraphes 134 et 135 de la décision de grande chambre Neulinger et Shuruk c. Suisse, 2010.

* 36 CEDH, Strand Lobben et autres c. Norvège, 2019, § 207.

* 37 Bayonne, Bordeaux, Cherbourg-en-Cotentin, Evry, Montpellier, Nantes, Nîmes, Pontoise, Rennes, Saint-Denis-de-la-Réunion et Tours.

* 38 Voir notamment Boussard, Valérie, «  L'évaluation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) : quand médier n'est pas remédier », mission de recherche droit et justice, décembre 2020. Le rapport conclut notamment que deux dossiers TFMPO sur trois aboutissent à une saisine du tribunal.

* 39  Rapport général n° 115 (2022-2023) d'Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 40 Déjà prévues à l'article 373-2-11 du code civil.

* 41 Voir le commentaire de l'article 3 bis du rapport n° 564 (2009-2010) de François Pillet sur la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, déposé le 17 juin 2010.

* 42 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 43 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 44 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 45 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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