III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l'examen de la recevabilité de la proposition de résolution, reposant sur l'évaluation du respect des critères précités.

a) Un effectif ne dépassant pas vingt-trois membres

L'article unique de la proposition de résolution présentée par Yannick Jadot et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires tend à créer une commission d'enquête composée de dix-neuf membres, sur « les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». 

L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait donc pas la limite de vingt-trois membres fixée à l'article 8 ter du Règlement du Sénat.

b) Un objet non traité par une commission d'enquête au cours des douze derniers mois

Les activités liées à l'exploitation pétrolière et gazière ont fait l'objet de nombreux travaux du Sénat, lors desquels le groupe TotalEnergies a été auditionné. Récemment, ce fut le cas notamment dans le cadre du rapport de contrôle budgétaire de la commission des finances sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie15(*) ou encore du rapport d'information sur la décarbonation des transports16(*) issu de la mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert.

Aucun de ces travaux récents menés par les commissions permanentes et les structures temporaires, a fortiori une commission d'enquête, n'a cependant été dédié spécifiquement aux activités du groupe TotalEnergies.

À l'Assemblée nationale, une commission d'enquête portant sur « les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France » a clos ses travaux le 30 mars 2023. Dans ce cadre, le président-directeur général du groupe TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a été auditionné le 23 novembre 2022 et a notamment été interrogé sur les investissements du groupe TotalEnergies dans les énergies fossiles. Cette circonstance n'emporte pas pour autant l'irrecevabilité de la proposition de résolution, l'objet de la commission d'enquête qu'il est envisagé de créer au Sénat étant plus ciblé et n'abordant pas la thématique des investissements dans les énergies fossiles sous l'angle de la souveraineté énergétique, mais sous celui du respect des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France. À ce titre, la commission d'enquête que tend à créer la présente proposition de résolution ne peut être considérée comme ayant « le même objet », selon les termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, que celle de l'Assemblée nationale.

Ainsi, la proposition de résolution n° 144 (2023 - 2024) n'a pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois, respectant par conséquent l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

c) Une commission d'enquête portant sur la gestion des services publics au sens large

Les auteurs de la proposition de résolution estiment, dans son exposé des motifs, que les activités et les plans d'investissement du groupe TotalEnergies sont « massivement orientés vers les énergies fossiles, pétrolières et gazières ». Toujours d'après les auteurs de la proposition de résolution, qui citent les travaux des organisations non gouvernementales (ONG) françaises Eclaircies et Data for Good, le groupe TotalEnergies serait associé au moins à 23 « bombes carbones », des projets d'extraction d'énergies fossiles qui représenteraient 12 % du « budget carbone restant à l'humanité ». Sont également mentionnées les « campagnes permanentes de communication » de l'entreprise qui contreviendraient à sa « responsabilité » dans la production de combustibles fossiles.

Les auteurs de la proposition de résolution considèrent :

- d'une part, que ces activités sont incompatibles avec les engagements internationaux de la France en matière environnementale, et notamment les accords de Paris qui visent à limiter le réchauffement climatique à 1,5° C par rapport à l'ère préindustrielle ainsi que l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050 fixé par l'Union européenne ;

- et, d'autre part, alimentent des situations « de corruption, de conflits armés, de violations des droits humains et des libertés fondamentales ».

Partant de ces considérations, les auteurs de la proposition de résolution souhaitent que la commission d'enquête identifie les moyens qu'a mobilisés et que peut mobiliser l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France. Ils appellent également à ce que cette commission d'enquête formule des recommandations en matière de régulation des multinationales.

Au titre de l'article L. 100-2 du code de l'énergie, l'État doit veiller, « en mobilisant les entreprises » à « maîtriser la demande d'énergie et favoriser l'efficacité et la sobriété énergétiques », à « réduire le recours aux énergies fossiles » et à « assurer l'information de tous et la transparence [...] sur l'ensemble de[s] impacts sanitaires, sociaux et environnementaux [des énergies] ». Pour ce faire, le code de l'énergie octroie au Gouvernement un accès de droit aux « informations nécessaires à la politique énergétique » (articles L. 142-1 à L. 142-12), des pouvoirs d'enquête et de contrôle ainsi que la possibilité de prononcer des sanctions administratives (articles L. 142-13 à L. 142-36).

En tant que premier énergéticien français, le groupe TotalEnergies est un acteur prépondérant de la mise en oeuvre effective de la politique énergétique du pays et apparaît directement concerné par la supervision que confie à l'État l'article L. 100-2 du code de l'énergie en matière de réduction du recours aux énergies fossiles. Ses activités à l'international ont également des conséquences sur la définition et la crédibilité de la politique étrangère française. L'État étant chargé de faire appliquer la législation nationale et les accords internationaux auxquels la France a souscrit, les moyens qu'il met en oeuvre pour s'assurer du respect par TotalEnergies des orientations de la politique énergétique, climatique et étrangère de la France intéressent plusieurs services publics, notamment ceux liés à l'approvisionnement en énergie, la sécurité d'approvisionnement faisant partie des principaux « objectifs » de la politique énergétique selon les termes du code de l'énergie, ou à la protection de l'environnement.

Il appert que les investigations de cette commission d'enquête devraient porter sur la maîtrise de la politique énergétique et le respect des engagements internationaux de la France, sous le prisme du contrôle par l'État de leur bonne application par le groupe TotalEnergies, notamment au titre de l'article L. 100-2 précité.

Le champ d'investigation retenu peut bien être regardé comme portant sur la gestion d'un service public au sens large, non sur des faits déterminés.

Ainsi, la proposition de résolution entre-t-elle bien dans le champ défini à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion d'un service public, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.

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Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 144 (2023 - 2024) est recevable.

Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage ».


* 15 Rapport d'information n° 779 (2022 - 2023) fait par Christine Lavarde au nom de la commission des finances, intitulé : « Contrôle budgétaire sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie : l'usine à gaz des aides énergie », déposé le 27 juin 2023.

* 16 Rapport d'information n° 825 (2022 - 2023) fait par Gilbert-Luc Devinaz au nom de la mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert, intitulé : « Décarbonation des transports : l'urgence de choisir - Développer les filières de carburants et d'hydrogène durables », déposé le 3 juillet 2023.

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