III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l'examen de la recevabilité de la proposition de résolution, reposant sur l'évaluation du respect des critères précités.

a) Un effectif ne dépassant pas vingt-trois membres

L'article unique de la proposition de résolution présentée par Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues tend à créer une commission d'enquête composée de vingt-trois membres, sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ».

L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait donc pas la limite de vingt-trois membres fixée à l'article 8 ter du Règlement du Sénat.

b) Un objet non traité par une commission d'enquête au cours des douze derniers mois

L'étude des capacités de production, des évolutions de la consommation ou des variations du prix de l'électricité en France ont déjà fait l'objet de nombreux travaux parlementaires, aussi bien dans le cadre de l'examen de projets ou de propositions de loi que dans le cadre des travaux de contrôle des commissions permanentes, en particulier la commission des affaires économiques, la commission des finances et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

À titre d'exemple, lors de la session parlementaire 2022 - 2023, le Sénat s'est prononcé sur deux projets de loi15(*) et une proposition de résolution16(*) relatifs à la production d'électricité. Sur la même période, la commission des finances a adopté un rapport d'information sur l'adaptation des centrales nucléaires au changement climatique17(*) et la commission des affaires économiques un rapport d'information relatif à la fraude à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh)18(*).

En parallèle des commissions permanentes, l'approvisionnement électrique du pays a également fait l'objet d'une mission commune d'information du Sénat ayant rendu les conclusions de ses travaux en 200719(*). Enfin, au titre du « droit de tirage » du groupe écologiste, une commission d'enquête sur « le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques »20(*) a été créée lors de la session parlementaire 2011 - 2012.

À l'Assemblée nationale, une commission d'enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France » a clôturé ses travaux le 30 mars 2023. Si les travaux de cette commission d'enquête embrassent partiellement ceux de la commission d'enquête que tend à créer la proposition de résolution n° 75 (2023 - 2024), l'objet de cette dernière est cependant plus circonscrit, centré sur la seule électricité, et n'a pas le même horizon temporel, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ayant dressé des constats sur la situation actuelle, tandis que celle du Sénat serait davantage prospective, puisqu'elle est censée se projeter « aux horizons 2035 et 2050 ». À ce titre, elle ne peut être considérée comme ayant « le même objet », au sens de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, que celle de l'Assemblée nationale.

En conséquence, la proposition de résolution n° 75 (2023 - 2024) n'a pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois, respectant ainsi l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

c) Une commission d'enquête portant sur la gestion des services publics

Mettant en avant les difficultés rencontrées par la France lors de l'hiver 2022 - 2023 en matière de production d'électricité, lors duquel le parc nucléaire français aurait atteint son plus bas niveau historique, à 279 térawattheures, les auteurs de la présente proposition de résolution considèrent cette situation de « précarité électrique » comme un « naufrage » qui résulterait de « choix politiques ».

Les auteurs de la proposition de résolution estiment ainsi que le nucléaire civil a été « laissé à l'abandon » et s'inquiètent du « vieillissement » des réacteurs nucléaires, dont la plupart devraient être arrêtés entre 2035 et 2050. Ils constatent également que « l'efficacité productive du système électrique a chuté de 11 % en quinze ans, entre 2007 et 2021 » et que malgré la libéralisation du marché de l'énergie, Électricité de France (EDF) assure encore 85 % de la production nationale d'électricité, notamment en raison de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), un mécanisme arrivant à échéance en 2025 qui impose à EDF de vendre un certain volume d'électricité issue du parc nucléaire à ses concurrents à un prix fixe.

Toujours selon les auteurs de la proposition de résolution, EDF, détenue à 100 % par l'État, a dû faire face à une multiplication par 20 du prix du kilowattheure entre 2021 et 2022 et à l'instauration, par le Gouvernement, d'un bouclier tarifaire plafonnant la hausse des tarifs d'électricité pour les consommateurs à 4 %.

À partir du constat de ces difficultés, les auteurs de la proposition de résolution souhaitent « examiner avec réalisme et précision les perspectives de production et de consommation » du pays, « déterminer quelle pourrait être la trajectoire des prix de l'électricité en France en fonction [des] fondamentaux [actuels] et d'hypothèses de réformes » et analyser si « les déclarations d'intention du Gouvernement et du Président de la République » se concrétisent dans les projets actuels.

Conformément à l'article L. 121-1 du code de l'énergie, « le service public de l'électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l'intérêt général, l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national ». Dès lors, toutes les entreprises du secteur de l'électricité sont soumises à des obligations de service public définies au même code. Au titre de l'article L. 121-45 dudit code, lequel dispose que « l'État, les communes ou leurs établissements publics de coopération organisent, chacun pour ce qui le concerne, le service public de l'électricité », ce dernier concerne de nombreuses entités publiques, notablement l'État qui assure un rôle de planification et de coordination et veille à la sécurité énergétique du pays ainsi qu'à la bonne exécution des missions de service public dans le domaine de l'énergie21(*).

Il appert que les investigations de cette commission d'enquête devraient ainsi porter sur le service public de l'électricité, qui concerne aussi bien la production, la consommation et la fixation du prix de l'électricité.

Le champ d'investigation retenu peut bien être regardé comme portant sur la gestion d'un service public au sens large, non sur des faits déterminés.

Ainsi, la proposition de résolution entre-t-elle bien dans le champ défini à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion d'un service public, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.

* *

*

Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 75 (2023 - 2024) est recevable.

Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage ».


* 15 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 16 Résolution n° 141 (2022 - 2023) du 19 juin 2023 relative aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union.

* 17 Rapport d'information n° 442 (2022 - 2023) de Christine Lavarde, fait au nom de la commission des finances, intitulé : « Pour une approche systémique de l'adaptation des centrales nucléaires au changement climatique », déposé le 21 mars 2023.

* 18 Rapport d'information n° 833 (2022 - 2023) de Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay, fait au nom de la commission des affaires économiques, intitulé : « Mieux prévenir et réprimer la fraude à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) », déposé le 5 juillet 2023.

* 19 Voir le rapport d'information n° 357 (2006 - 2007) de Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor, fait au nom de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, déposé le 27 juin 2007.

* 20 Voir le rapport d'information n° 667 (2011 - 2012) de Jean Desessard, fait au nom de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, intitulé « Électricité : assumer les coûts et préparer la transition énergétique », déposé le 11 juillet 2012.

* 21 Ces missions sont en particulier confiées à la direction de l'énergie du ministère de la Transition énergétique.

Partager cette page