N° 273

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 janvier 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin (procédure accélérée),

Par M. Jérôme DARRAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

50 et 274 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le présent accord a pour objet, dans le prolongement de l'Arrangement administratif signé le 19 avril 2011 entre le commandant de la Région de Gendarmerie d'Alsace et la Ministre de l'Intérieur du Land de Bade-Wurtemberg, la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin.

Il s'inscrit à la fois dans la continuité d'une longue coopération bilatérale pour la gestion du Rhin, remontant à l'« Acte de Mannheim » du 17 octobre 1868, et dans la volonté commune d'approfondir, dans le cadre de l'« Agenda franco-allemand 2020 » adopté le 4 février 2010, la coopération policière franco-allemande en zone frontalière.

L'Arrangement administratif précité a d'ores et déjà permis la mise en place, à titre expérimental, d'une compagnie fluviale commune de cinq unités (trois françaises et deux allemandes), reposant sur le principe d'une mutualisation des moyens humains et matériels ; le bilan de la coopération entre les deux détachements est jugé très positif par les deux parties, notamment sur les plans opérationnel et financier ; l'organisation de patrouilles et d'interventions mixtes s'est déroulée dans d'excellentes conditions, tant au niveau du commandement que sur le terrain.

Le présent accord vise à assurer la pérennisation de la compagnie et la parfaite sécurité juridique de ses interventions ; il en précise et complète marginalement les modalités de fonctionnement.

Pour la partie allemande, les procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de l'accord, tant au niveau du Land qu'au niveau fédéral, ont d'ores et déjà été exécutées.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.

I. CONTEXTE ET HISTORIQUE

A. LE RHIN, INTERFACE D'ÉCHANGES MAJEUR ENTRE LA FRANCE ET L'ALLEMAGNE

Le Rhin constitue la frontière naturelle entre la France et l'Allemagne sur 164 km.

S'agissant des échanges humains entre les deux pays, 4 996 bateaux (privés, de location, navires-passagers et péniches-hôtels) ont navigué sur la portion franco-allemande du fleuve en 2022. Le nombre de personnes franchissant chaque jour le Rhin est estimé à au moins 40 000.

Si le trafic commercial, qui représente 14,7 millions de tonnes de marchandises en 2022 sur la même portion franco-allemande, est en diminution de 14% par rapport à l'année précédente, le trafic de plaisance a concerné 35 000 embarcations de plaisance en 2022, soit une augmentation de 49% du trafic.

B. UNE COOPÉRATION FRUCTUEUSE DE LONGUE DATE

Depuis 1868, la Convention de Mannheim, signée entre les quatre États riverains du Rhin (Belgique, France, Allemagne, Pays-Bas) et la Suisse, et révisée notamment en 1963 et 2010, vise à garantir la gratuité de la circulation des marchandises, la simplification du dédouanement et l'uniformisation des règles de sécurité. L'Acte de Mannheim crée, à cet effet, la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), dont le siège est au Palais du Rhin à Strasbourg et qui est seule responsable dans le domaine de la police. Elle édicte notamment le Règlement de police de la navigation du Rhin (RPNR)1(*), qui s'applique de manière uniforme à l'ensemble de la voie fluviale dans sa partie internationale, en particulier sur sa partie formant frontière entre la France et l'Allemagne.

La CCNR est la plus ancienne organisation internationale au monde et constitue l'un des acteurs majeurs de la navigation intérieure européenne. Sa pérennité est la preuve de la plus-value représentée par l'Acte de Mannheim, dont les membres restent solidaires et coopératifs depuis plus de 165 ans.

S'agissant des questions de coopération policière à proprement parler, la Convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS)2(*), constitue le socle juridique permettant aux États parties de conclure entre eux des accords ou arrangements d'exécution complétant ou approfondissant les mécanismes généraux qu'elle établit.

C'est sur cette base que fut signé, le 9 octobre 1997, l'accord franco-allemand de Mondorf-les-Bains, entré en vigueur le 9 avril 2000, qui constitue, par son dynamisme et sa capacité d'adaptation, l'une des coopérations les plus abouties à l'échelle européenne. Il concerne tant les domaines de la sécurité publique que ceux de la police aux frontières ou de la police judiciaire, et revêt un caractère opérationnel particulièrement marqué :

- en intégrant dans son champ l'ensemble des domaines de l'action policière (sécurité publique, ordre public, lutte contre l'immigration irrégulière, lutte contre les trafics illicites et la criminalité transfrontalière, etc.) et en s'ouvrant au champ de la coopération douanière ;

- en conférant une base juridique pour la création de centres de coopération policière et douanière (CCPD), devant permettre d'approfondir les échanges d'informations opérationnelles dans la zone frontalière ;

- en établissant une panoplie extrêmement riche d'outils de coopération directe entre services opérationnels (patrouilles mixtes, centres de commandement communs, groupes de recherche et de contrôle, coordination du déploiement des forces et information réciproque sur les plans de recherche) et en élargissant autant que possible les échanges d'informations opérationnelles entre services locaux.

La construction de la coopération policière franco-allemande s'est poursuivie, le 10 novembre 2000, avec la signature de l'Accord de Vittel, entré en vigueur le 1er novembre 2003, relatif à la coopération dans l'exercice des missions de police de navigation sur le secteur franco-allemand du Rhin, concrétisant la volonté de renforcer la coopération transfrontalière en matière policière et de veiller à sa cohérence d'ensemble.

L'innovation juridique principale de l'Accord de Vittel réside dans la possibilité, pour les autorités de police fluviale des deux pays, d'intervenir sur toute la largeur du « secteur franco-allemand » du Rhin, sans préjudice du fait que la frontière physique est définie par le talweg (ligne de collecte des eaux) du fleuve, par nature susceptible d'évolution et qui ne peut en tout état de cause être physiquement démarqué, et d'y exercer l'ensemble des missions de police de la navigation et de police judiciaire qui leur échoient.

Le Traité de Prüm3(*), signé le 27 mai 2005 par sept États de l'Union européenne (dont la France et l'Allemagne), visait à donner une impulsion renouvelée à la coopération policière entre États membres, avec notamment le développement d'opérations conjointes et un système d'échanges d'informations dit « hit/no-hit » concernant les données relatives à l'ADN, les données dactyloscopiques et les données relatives à l'immatriculation des véhicules.

Le Traité est entré en vigueur le 31 décembre 2007, et l'essentiel de ses dispositions a été intégré dans le droit de l'Union européenne dès le 23 juin 2008, par la décision 2008/615 JAI du Conseil de l'Union européenne4(*) (surnommée « décision de Prüm »).

Dans ce contexte, l'« Agenda franco-allemand 2020 », adopté le 4 février 2010, fixe l'objectif d'une coopération policière plus intégrée entre les deux pays « notamment en créant une unité fluviale franco-allemande sur le Rhin ». Cette volonté a trouvé sa concrétisation, dans un premier temps, dans le cadre d'un arrangement administratif.

C. LA MISE EN PLACE DE LA COMPAGNIE EXPÉRIMENTALE ET LA GENÈSE DE L'ACCORD

La conclusion de l'Arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'Intérieur du Land de Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie fluviale commune sur le Rhin, signé à Strasbourg le 19 avril 2011, apparaît ainsi comme le prolongement naturel des mécanismes de coopération existants.

L'unité commune, mise en place à titre expérimental, inaugurée le 9 mars 2012, regroupe cinq unités fluviales (trois unités françaises, deux unités allemandes) appelées à participer à des patrouilles et interventions communes, qui ont été progressivement généralisées sur les quelque 164 kilomètres du Rhin franco-allemand. Elle constitue la première unité bilatérale pérenne à caractère opérationnel.

Après un premier bilan du fonctionnement de l'unité, notamment en termes organisationnel et opérationnel, qui a permis d'affiner les modalités d'emploi des agents de l'unité et les dispositions applicables aux opérations conduites en commun, une négociation bilatérale a été engagée, à compter de 2013, en vue d'assurer la pérennisation de la compagnie et la parfaite sécurité juridique de ses interventions par le biais d'un accord intergouvernemental entre la France et le Land de Bade-Wurtemberg5(*).

Du fait de la crise sanitaire, la signature de cet accord, dont le texte était finalisé dès 2019, est finalement intervenue le 6 juillet 2022.

D. LA « COMPAGNIE FLUVIALE COMMUNE » : UNE EXPÉRIMENTATION RÉUSSIE AU SERVICE D'UNE COOPÉRATION EXEMPLAIRE

Ø Un juste équilibre entre collaboration efficace et souveraineté policière

La Compagnie fluviale commune, qui n'a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents, français et allemand, commandés chacun par un chef de détachement, chaque partie n'ayant d'autorité que sur son contingent respectif. Notamment, les règles nationales de subordination hiérarchique et d'autorité disciplinaire de chacun des deux États demeurent pleinement applicables.

La structure de commandement de la compagnie, basée à Kehl, est constituée de trois agents français et cinq allemands ; la composition de chacune des trois unités opérationnelles (sises à Kehl, Vogelgrun et Gambsheim) est également binationale, avec mutualisation des moyens humains et matériels.

Dans le cadre des interventions communes, chacune des deux parties peut exercer des compétences de puissance publique sur le territoire de l'autre État, mais uniquement sous la direction et en présence d'agents territorialement compétents et dans le respect du droit national, de sorte que la souveraineté policière de chaque partie sur son territoire demeure pleinement assurée.

Par ailleurs, ni les règles de procédure pénale des deux États, ni les modalités applicables, dans chacun d'eux, à l'exercice de la police judiciaire ou de l'entraide judiciaire en matière pénale ne sont affectées.

Les informations susceptibles d'intéresser les agents des deux détachements sont partagées essentiellement par voie électronique, chaque partie conservant la responsabilité de ses propres fichiers opérationnels et ayant seule l'accès au traitement automatisé de ses données à caractère personnel.

Ø Un partenariat exemplaire

La coopération entre les deux détachements nationaux s'opère de façon pragmatique, en fonction des impératifs de chaque situation. Elle repose avant tout sur la qualité des relations tissées entre le personnel des deux parties, et toujours dans le respect des orientations stratégiques et des directives décidées par les deux chefs de détachement français et allemand. Elle bénéficie de la mutualisation des moyens matériels disponibles des deux côtés.

Les locaux communs encouragent les contacts entre les deux détachements, dans un esprit de bienveillance, de convivialité et d'entraide entre les deux détachements, qui est une réalité quotidienne sur le terrain.

Condition indispensable à la parfaite coopération entre les agents des deux États, tous les gendarmes français servant au sein de la compagnie fluviale disposent d'un niveau d'allemand suffisant pour communiquer de manière fluide avec leurs homologues germaniques, la réciproque étant vraie pour les policiers allemands. Cet objectif est atteint grâce, à la fois, à une exigence en amont de la prise de fonction des nouveaux agents, et à une formation linguistique continue dispensée via des stages organisés au Centre national de formation aux langues et à l'international de la gendarmerie (Rochefort) et au Centre de formation linguistique commun (Lahr).

Ø Les missions assumées

Les principales missions de la compagnie fluviale commune dans le cadre de l'Arrangement administratif concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale et la poursuite des infractions, crimes, délits et contraventions, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la constatation des accidents en lien avec la navigation fluviale, la mise en oeuvre de moyens de recherche et d'enquête subaquatiques (dans laquelle la compagnie fluviale possède une expertise et des moyens particuliers qui peuvent l'amener à être sollicitée hors de la zone rhénane), et, plus ponctuellement, des missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers.

Elle participe en outre des actions de formation dans les domaines de la police fluviale et de la coopération policière, ainsi qu'au développement et à la promotion de la coopération policière franco-allemande.

Ø Les moyens humains et matériels, et leur financement : une répartition informelle, mais équitable et adaptée aux besoins

L'effectif actuel de la compagnie est de 56 agents, correspondant, pour la partie française, aux brigades fluviales de gendarmerie de Strasbourg, Vogelgrun et Gambsheim et, pour la partie allemande, aux services de police de Kehl (Dienstgruppe) et de Breisach (Wasserschutzpolizeiposten).

Les policiers allemands comptent notamment dans leurs effectifs un mécanicien civil, qui assure la maintenance et la réparation des équipements tant allemands que français ; de ce fait, celui-ci représente un maillon essentiel de la coopération déployée sur le terrain.

La compagnie fluviale possède 3 vedettes : 2 fournies par la partie allemande et une par la partie française, ainsi que 7 embarcations de taille moyenne (4 françaises et 3 allemandes), 4 embarcations de petite taille (2 françaises et 2 allemandes), 3 canoë-kayaks (français) et un sonar de recherche.

Elle dispose par ailleurs de 19 véhicules de service routiers (11 français et 8 allemands).

S'agissant des locaux de la compagnie fluviale, chaque partie a la charge des emprises immobilières sises sur son territoire, à Strasbourg, Vogelgrun et Gambsheim pour la France, et à Kehl et Breisach pour la partie allemande ; cette dernière finance notamment la construction d'un nouveau bâtiment à Kehl, qui devrait être livré à l'été 2024. Ce futur site, particulièrement moderne et fonctionnel, constitue un investissement majeur du partenaire bade-wurtembergeois et témoigne de son implication dans la montée en puissance de la compagnie commune.

Le Bade-Wurtemberg fournit généralement le gasoil consommé par les navires de la compagnie et refacture à la France sa quote-part6(*).

La compagnie fluviale ne dispose pas d'un budget propre qui serait commun aux deux détachements : chaque partie assure le financement et le fonctionnement des investissements relevant de son détachement7(*). Ceci n'exclut pas cependant des dépenses partagées, comme cela fut le cas pour la vedette « Harmonie »8(*), basée à Gambsheim, et le sonar de recherche, tous deux acquis par la partie française avec un soutien bade-wurtembergeois, qui a en outre présenté l'avantage de rendre les projets éligibles au programme européen INTERREG et de leur faire bénéficier d'un co-financement européen.

En tout état de cause, la mutualisation des véhicules, équipements, emprises immobilières ainsi que des dépenses de fonctionnement permet une optimisation de leur utilisation, et entraîne de ce fait d'importantes économies en termes de coûts d'investissement et de fonctionnement.

L'effort financier apparaît équitablement réparti, et la mutualisation des moyens matériels s'avère à la fois une source d'économies sensibles et un montage financier efficient pour l'obtention de financements européens.

Ø Un périmètre géographique de compétence étendu

L'Arrangement administratif a permis d'étendre l'aire de surveillance, qui, dans le cadre de l'accord de Vittel se limitait au « secteur franco-allemand »9(*), aux cours d'eau ouverts sur le Rhin, plans d'eau, ainsi que le port de Huninge, la base nautique de Village-Neuf et l'Ile du Rhin.

Ø Un bilan à la hauteur de l'engagement des deux parties

En 2023, la compagne fluviale commune a enregistré à son actif la constatation de 1124 infractions (contre 829 en 2018), soit 48 délits et 1076 contraventions. Elle a réalisé 672 patrouilles communes.

Parmi ses actions notables, on soulignera des missions de surveillance du canal jouxtant le bâtiment du Parlement européen de Strasbourg lors de visites officielles ; l'intervention des plongeurs de plusieurs unités lors des recherches dans le cadre de l'enquête sur la disparition de la jeune Lina ; une intervention lors d'un dramatique accident nautique à hauteur de Gerstheim...

II. UNE NOUVELLE ÉTAPE : LA « CG2FA »

A. PÉRENNISER ET CONFIRMER LES ACQUIS DE L'ARRANGEMENT ADMINISTRATIF

L'arrangement administratif de 2011 avait une vocation transitoire : même s'il a posé les premiers jalons quant à la forme juridique de la coopération future, il avait pour objectif premier de fonder l'expérimentation de la compagnie fluviale. La phase d'expérimentation a permis de démontrer la plus-value de la compagnie commune en termes notamment opérationnel et financier, et a fait la preuve de la très bonne efficacité de son fonctionnement. Aussi l'objectif de l'Accord est-il d'assurer dans la durée les bénéfices de la coopération déjà en place : il reprend l'essentiel des dispositions aménagées à titre expérimental dans le cadre de l'Arrangement administratif, mais leur offre le cadre indispensable à la sécurité juridique des actions conduites sur le territoire national de l'autre partie.

La consolidation du cadre juridique de la compagnie constitue ainsi le principal enjeu de l'accord, dont le contenu conserve, dans ses grandes lignes, l'économie générale de l'arrangement :

- La phase d'expérimentation a ainsi permis de confirmer que l'octroi d'une personnalité juridique autonome à la compagnie commune n'était pas opportun, la capacité de chaque détachement à contracter à son niveau permettant de répondre aux besoins dans ce domaine.

- De même, la phase d'expérimentation a fait la preuve du caractère pleinement fonctionnel d'une organisation en deux détachements nationaux. Ce mode d'organisation s'avère le plus adapté pour tenir compte des différences de statut et de droit du travail entre la Gendarmerie nationale française et la Police du Bade-Wurtemberg. Il permet en outre de garantir l'intégrité des chaines de commandement nationales et les prérogatives disciplinaires des autorités de l'État d'origine, sans que cela affecte au quotidien la qualité de la coopération opérationnelle ni le fonctionnement pleinement mixte de l'unité.

- Il n'est pas apparu opportun de figer l'effectif de l'unité, ou de prévoir des règles contraignantes ou coercitives concernant l'effectif des deux détachements, au-delà de la simple affirmation d'un principe de « juste équilibre » reposant sur une volonté commune de bonne coopération des deux parties.

- Enfin, la période d'expérimentation a permis de constater que la création d'un fichier opérationnel commun contenant des données à caractère personnel n'était pas nécessaire.

B. ... SOUS RÉSERVE DE QUELQUES ÉVOLUTIONS TRÈS MARGINALES

L'accord visant essentiellement à pérenniser une coopération dont l'efficacité est avérée, les modifications introduites par le texte de l'accord proposé, par rapport à celui de l'Arrangement administratif, apparaissent mineures.

Elles consistent en :

- L'affirmation forte, dans la droite ligne de la coopération expérimentale prévue par l'Arrangement administratif, du fonctionnement paritaire de la compagnie fluviale : que « l'action commune constitue la règle » et que « les patrouilles fluviales comme terrestres soient mixtes par principe ».

- Un nouvel élargissement du périmètre géographique de compétence de la compagnie, de façon à y intégrer divers plans d'eau ou zones terrestres figurant en Annexe au texte de l'accord.

- Une description plus précise des missions de la compagnie, intégrant les aspects relatifs à la prévention des infractions, au secours aux personnes, ou à l'assistance à la gestion de grands événements en zone frontalière.

- Diverses précisions relatives aux compétences des agents intervenant sur le territoire de l'autre État.

- Une clarification du financement, avec un détail fin des coûts incombant aux deux parties.

- Une clarification des modalités de réparation des dommages causés aux tiers.

C. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD

L'objet de l'accord est défini, dans son article 1er, comme la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande (« CG2FA »), dont le cadre juridique s'inscrit dans le prolongement de l'Accord de Vittel et relève du droit de l'Union européenne (article 2).

L'article 3 consacre l'absence de personnalité juridique propre de la compagnie ; il décrit la coopération entre les deux détachements nationaux, qui demeurent soumis à la réglementation de leur partie d'origine. Les deux détachements disposent d'un emblème commun.

L'article 4 définit la zone de compétence de la compagnie, qui, au-delà du « secteur franco-allemand » prévu par l'Accord de Vittel, englobe les cours d'eau directement reliés au Rhin, les ports, y compris les zones de transbordement, les chantiers navals et les installations annexes, ainsi que les autres masses d'eau de surface. Cette zone de compétence est explicitée par un tableau et une carte figurant en Annexe.

L'article 5 énonce les règles relatives au commandement du personnel des deux détachements nationaux : chacun des deux contingents nationaux est placé sous l'autorité d'un chef de détachement, qui n'a autorité hiérarchique que sur lui ; les décisions sont prises d'un commun accord entre les deux hiérarchies, en veillant à la qualité des relations entre les deux parties. L'allemand et le français constituent les deux langues de travail de la compagnie, et doivent être maîtrisés par tous ses agents.

L'article 6, sans figer l'effectif de l'unité, rappelle la nécessité de veiller à l'équilibre entre les effectifs des deux détachements.

L'article 7 décrit les principes généraux de fonctionnement de l'unité : la mixité des interventions est posée comme la « règle », sur la base de laquelle doit être assurée une équitable répartition des charges entre les deux détachements. En revanche, la planification du service et son organisation interne relèvent d'un règlement intérieur élaboré sous la responsabilité des chefs de détachement.

L'article 8 autorise le port des uniformes nationaux sur le territoire de l'autre partie, ainsi que celui des armes et équipements réglementés par le droit national. Il règle l'usage des véhicules et embarcations.

Les modalités financières applicables sont définies à l'article 9, qui pose le principe d'un financement conjoint et à parts égales assuré par les deux parties, dans le cadre de leurs budgets propres respectifs. Les rémunérations des agents sont à la charge de leur partie d'origine. S'agissant des équipements, dont la mutualisation est généralisée, ainsi que des dépenses de fonctionnement et d'entretien, une répartition équitable des coûts est recherchée.

L'article 10 décrit les missions de l'unité, soit notamment : la surveillance et le contrôle de la navigation dans le cadre de patrouilles communes ; la prévention, la constatation et la poursuite des infractions, crimes et délits ; la participation à des investigations subaquatiques dans le cadre d'enquêtes administratives et judiciaires ; le secours et l'assistance aux personnes ; l'appui à la gestion de grands événements ; l'organisation de patrouilles terrestres.

L'article 11 est consacré aux attributions des agents de l'unité en vertu du droit interne des deux parties et du droit de l'Union européenne.

Le titre IV pose le principe de la communication à l'autre partie des informations utiles pour l'exercice des missions, décrit la mise en place d'un fichier commun ne contenant aucune donnée à caractère personnel, ainsi que les modalités de confidentialité et de conservation des archives.

Le titre V comprend les dispositions de nature statutaire : protection juridique des agents présents sur le territoire de l'autre État et règles applicables en cas de dommages causés ou subis par les agents.

Le titre VI regroupe les dispositions communes et finales de l'accord.

L'accord faisant l'objet du présent rapport, dont l'enjeu est essentiellement de pérenniser les acquis de l'Arrangement administratif de 2011 et d'offrir le cadre indispensable à la sécurité juridique des actions conduites conjointement, intervient au terme d'une expérimentation de plus de 10 années, qui a fait la preuve à la fois de la pertinence du modèle binational et de sa parfaite efficacité sur le terrain.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 janvier 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Jérôme Darras sur le projet de loi n° 50 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin.

M. Jérôme Darras, rapporteur. - L'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin, signé à Strasbourg le 6 juillet 2022, s'inscrit dans le prolongement naturel d'une coopération bilatérale de plus de cent cinquante ans. Elle remonte en effet à l'Acte de Mannheim du 17 octobre 1868, qui crée la commission centrale pour la navigation du Rhin, laquelle constitue la plus ancienne organisation internationale au monde.

La Convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990, qui permet aux États parties de conclure entre eux des accords ou arrangements d'exécution, constitue le socle juridique de l'accord, lequel constitue un objet original et particulièrement remarquable à plusieurs titres.

Tout d'abord, on soulignera qu'il est conclu, côté allemand, au niveau du Land et non au niveau fédéral : en effet, la Loi fondamentale allemande désigne expressément les Länder comme les entités compétentes pour contracter ce type d'engagement.

Ensuite, la démarche qui a présidé à la genèse de la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande (CG2FA) est remarquable, et à maints égards exemplaire : le projet, lancé par les acteurs de terrain eux-mêmes, a donné lieu à la mise en place, dès 2011, d'une version expérimentale de la compagnie binationale dans le cadre d'un arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'intérieur du Land du Bade-Wurtemberg ; le pragmatisme est demeuré le maître mot de l'organisation opérationnelle de la compagnie, et c'est le retour d'expérience des acteurs de terrain, durant plus de dix années, qui a permis la validation ou l'adaptation des modalités initiales en vue du futur accord. Cette démarche expérimentale et pragmatique est pour beaucoup dans la réussite du projet.

La compagnie fluviale commune constitue un concept tout à fait novateur, puisqu'elle est la première unité bilatérale pérenne à caractère opérationnel. La CG2FA, qui n'a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents - l'un français, l'autre allemand -, commandés chacun par un chef de détachement qui n'a autorité que sur son propre contingent. Ainsi, les règles nationales de subordination hiérarchique et d'autorité disciplinaire de chacun des deux États demeurent pleinement applicables. Elle regroupe cinq unités, trois françaises et deux allemandes, pour un effectif de cinquante-six agents. Ces unités sont appelées à participer à des patrouilles et à des interventions communes, qui ont été progressivement généralisées sur les quelque 164 kilomètres du Rhin franco-allemand. Dans ce cadre, chacune des deux parties peut exercer des prérogatives de puissance publique sur le territoire de l'autre État, mais uniquement sous la direction et en présence d'agents territorialement compétents, et dans le respect du droit national, de sorte que la souveraineté policière de chaque partie demeure pleinement assurée sur son territoire.

Les principales missions de la CG2FA concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale, la poursuite des infractions, crimes, délits et contraventions, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la constatation des accidents en lien avec la navigation fluviale et, plus ponctuellement, des missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers. De plus, dans le domaine des recherches subaquatiques, la compagnie fluviale dispose d'une compétence reconnue, qui la conduit à être régulièrement sollicitée hors de la zone rhénane.

Le partenariat mis en place s'applique dans d'excellentes conditions. Il repose avant tout sur la qualité des relations tissées entre les personnels de part et d'autre. À cet égard, l'existence de locaux communs encourage les contacts entre les deux détachements, dans un esprit de convivialité et d'entraide qui est une réalité quotidienne sur le terrain.

Condition indispensable à la parfaite coopération entre les agents des deux États, tous les gendarmes français servant au sein de la compagnie fluviale possèdent un niveau d'allemand suffisant pour communiquer de manière fluide avec leurs homologues germaniques, et réciproquement pour les policiers allemands.

S'agissant des moyens matériels, la règle est la mutualisation : cela permet d'importantes économies en investissement comme en fonctionnement. Par exemple, un mécanicien civil allemand, en assurant la maintenance et la réparation des équipements tant français qu'allemand, représente un maillon essentiel de la coopération observée sur le terrain.

Globalement, l'effort financier est équitablement réparti. De plus, la mutualisation des moyens matériels entraîne une source d'économies significative et correspond à un montage financier efficace en vue de l'obtention de financements européens, comme cela a été le cas pour l'acquisition d'une vedette et d'un sonar dans le cadre du programme européen Interreg de coopération territoriale européenne.

Sur le terrain, les résultats sont là. En 2023, la compagne fluviale commune a à son actif - pour une cinquantaine d'agents - la constatation de 1124 infractions (contre 829 en 2018), soit 48 délits et 1076 contraventions ; elle a mené 672 patrouilles. Parmi ses actions notables : des missions de surveillance du canal jouxtant le Parlement européen de Strasbourg lors de visites officielles ; la participation de plongeurs aux recherches à la suite de la disparition de la jeune Lina ; une intervention lors d'un dramatique accident nautique à hauteur de Gerstheim.

L'accord qui vous est soumis aujourd'hui intervient ainsi au terme d'une expérimentation de plus de dix années, qui a démontré la pertinence du modèle binational et sa parfaite efficacité sur le terrain. Il a pour enjeu de pérenniser les acquis de l'arrangement administratif de 2011 et d'offrir le cadre indispensable à la sécurité juridique des actions conduites sur le territoire national de l'autre partie. En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

· Pour le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

- M. Jean-Charles GONTIER, conseiller sécurité, Sous-direction de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée,

- M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités, Direction des affaires juridiques,

- M. Corentin SANTILLI, Mission de l'Allemagne et de l'Europe alpine et adriatique, rédacteur Allemagne relations transfrontalières et transports,

 

· Pour le Ministère de l'Intérieur et des Outre-Mer :

M. Aymeric PIGOT, chef de mission, Mission juridique de la Sous-direction des affaires juridiques et institutionnelles.


* 1 https://www.ccr-zkr.org/13020500-fr.html#01

* 2 Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen 19 juin 1990.

* 3 Décret n° 2008-33 du 10 janvier 2008 portant publication du traité entre le royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le royaume d'Espagne, la République française, le Grand-duché de Luxembourg, le royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale (ensemble deux annexes et une déclaration), fait à Prüm le 27 mai 2005.

* 4 Décision 2008/615/JAI du Conseil du 23 juin 2008 relative à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière. À ce jour, 14 états membres de l'Union européenne sont parties au traité.

* 5 Côté allemand, dans la mesure où la sécurité publique constitue par principe une compétence des Länder et où ces derniers se voient reconnaître par la Loi fondamentale du 23 mai 1949 (article 32) une capacité à contracter des engagements avec des États étrangers dans leurs domaines de compétence (sans préjudice des compétences attribuées à la fédération), le Land de Bade-Wurtemberg doit être regardé comme la partie contractante compétente pour conclure un tel engagement, qui a en outre été validé par les autorités fédérales allemandes.

Côté français, la conclusion d'accords internationaux ne peut en principe intervenir qu'avec des sujets de droit international, mais il est admis que la France puisse signer des accords internationaux avec des entités fédérées d'États étrangers si celles-ci sont habilitées par leur droit interne à conclure de tels accords.

* 6 Cependant, les délais de mise en paiement côté français et les dates de clôture des exercices comptables, mal compatibles, conduisent souvent à des retards de paiement, ce qui oblige l'administration fiscale allemande à appliquer des pénalités de retard. La mise en oeuvre d'une procédure adaptée pour traiter ce type de cas semblerait donc opportune.

* 7 Budgétairement, le détachement français de la compagnie fluviale est rattaché à l'état-major de la région de gendarmerie du Grand-Est et soutenu par lui (déplacements et formation des agents, entretien des moyens nautiques et des véhicules, dotation en équipements individuels et équipements informatiques et téléphones mobiles). La région de gendarmerie du Grand-Est prend par ailleurs en charge les coûts liés à l'entretien des emprises immobilières sises en territoire français, avec les collectivités territoriales concernées, et à leur équipement (mobilier de bureau, téléphones fixes).

* 8 Le programme INTERREG V A Rhin supérieur (2014-2020) a permis l'acquisition de ladite vedette, pour un montant de 900 000 € à la charge de la Gendarmerie nationale française, 160 000 €, de la part du Bade-Wurtemberg, et 1,54 M€ provenant du programme Interreg/Feder.

* 9 Soit : la zone comprise entre le point kilométrique (PK) 170,000 (frontière germano-suisse près de Weil am Rhein /Bâle) et le PK 333,700 (Porte amont Double Écluse d'Iffezheim, y compris le môle central), le Grand Canal d'Alsace, le vieux Rhin ainsi que les secteurs immédiats des berges.

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