N° 320

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 février 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise,

Par Mme Dominique VÉRIEN,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

126 et 321 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

La présente proposition de loi, déposée par Louis Vogel et plusieurs de ses collègues, tend à clore un débat trentenaire en attribuant, sous certaines conditions, le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques rédigées par des juristes d'entreprise.

Suivant la position qu'elle avait déjà adoptée lors de l'examen de cette disposition dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, la commission a acté dans son principe l'octroi d'une telle confidentialité aux consultations juridiques des juristes d'entreprise. Il lui a en particulier paru que cette disposition était de nature au triple défi de la lutte contre l'application extraterritoriale par certaines autorités étrangères de leur droit national, du renforcement de l'attractivité juridique de la place de Paris ainsi que de l'appropriation par les entreprises des exigences de la « conformité ».

Ce faisant, elle a néanmoins attaché une attention particulière à la recherche d'une solution juridique la plus consensuelle et équilibrée. La commission a en conséquence adopté, sur proposition de la rapporteure et avec l'accord de l'auteur du texte, trois amendements visant à renforcer les conditions ouvrant le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques, à sécuriser la procédure de contestation ou de levée de celle-ci et à apporter certaines précisions juridiques nécessaires.

I. UN DISPOSITIF DÉJÀ ADOPTÉ VISANT À CLORE UN DÉBAT ANCIEN

A. LE STATUT ET LES PRÉROGATIVES DES JURISTES D'ENTREPRISE : UN DÉBAT TRENTENAIRE

L'opportunité de l'octroi d'une confidentialité aux avis des juristes d'entreprise est débattue depuis le début des années 1990. Alors que depuis cette date la question du statut du juriste d'entreprise n'a jamais trouvé de conclusion définitive, celle de l'attribution d'un privilège de confidentialité aux consultations juridiques des juristes d'entreprise a fait l'objet d'une attention renouvelée, étant présentée comme un élément de réponse à trois défis auxquels est confronté l'environnement juridique national :

· l'application extraterritoriale par certaines autorités étrangères de leur droit national ;

· l'attractivité de la place de Paris ;

· la mutation du rôle du juriste d'entreprise en raison de l'émergence de la culture de la « conformité » - ou « compliance » - et de la multiplication des textes auxquels les entreprises doivent se conformer.

La question de l'attractivité de la place de Paris se pose avec d'autant plus d'acuité que, si elle n'est pas reconnue par la jurisprudence européenne1(*), la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise ou avocats d'entreprise est consacrée dans la législation de plusieurs des principaux partenaires économiques de la France.

Règles de confidentialité des avis juridiques applicables aux avocats en entreprise dans les principaux pays partenaires de la France en 2019

Pays

Reconnaissance du statut d'avocat en entreprise

Opposabilité du secret au civil

Opposabilité
du secret
aux autorités administratives2(*)

Opposabilité du secret au pénal

Afrique du Sud

Oui

Oui

Oui

Oui

Allemagne

Oui

Oui

Oui/Non

Non

Belgique

Oui3(*)

Oui

Oui

Oui

Canada

Oui

Oui

Oui

Oui

Espagne

Oui

Oui

Oui

Oui

États-Unis

Oui

Oui

Oui

Oui

France

Non

Non

Non

Non

Italie

Oui

Oui

Oui

Oui

Japon

Oui

Oui

Oui

Oui

Pays-Bas

Oui

Oui

Oui

Oui

Royaume-Uni

Oui

Oui

Oui

Oui

Source : rapport de Raphaël Gauvain4(*)


* 1 CJUE, 14 sept. 2010, aff. n° C-550/07, Akzo Nobel Chemicals Ltd. e.a. / Commission européenne.

* 2 Pour les pays membres de l'Union européenne, la confidentialité est écartée dans les procédures menées par les autorités européennes.

* 3 La Belgique a créé en 2011 un statut spécifique de juriste d'entreprise, profession réglementée dont les avis bénéficient d'une confidentialité au civil, au pénal et dans les procédures administratives.

* 4  « Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », rapport de Raphaël Gauvain remis au Premier ministre, 26 juin 2019.

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