N° 340

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du sud-est, et l'Union européenne et ses États membres (procédure accélérée),

Par M. Jean-Luc RUELLE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

180 et 341 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN) et l'Union européenne et ses États membres.

Cet accord s'inscrit dans un mouvement général relatif aux transports aériens impulsé par l'Union européenne en 2005 et relancé en 2012 puis en 2015.

Les accords globaux sont régis par les articles 100 et 218 du traité de fonctionnement de l'Union européenne.

Les accords de services aériens sont des traités destinés à définir l'ensemble des conditions dans lesquelles les liaisons aériennes peuvent être réalisées. Ils procèdent d'une compétence partagée. Certaines de ces dispositions, comme celles en matière de droit de la concurrence, renvoient à une compétence exclusive de l'Union européenne, tandis que d'autres, comme celles relatives à l'accès au marché (octroi des droits de trafic) relèvent encore des États.

En requérant des mandats de négociation, la Commission européenne se propose donc d'agir à la fois au nom des États membres et au nom de l'Union européenne. En revanche, les accords sont signés par l'Union européenne et les États membres et doivent être ratifiés également par les États membres. En application du principe de subsidiarité, les ratifications ou approbations sont d'abord effectuées par les États membres, avant de l'être par le Parlement européen. Le processus peut prendre plusieurs années et représenter des délais significatifs en ce qui concerne son entrée en vigueur. L'application provisoire de l'accord, dès sa signature, permet ainsi de réduire les inconvénients inhérents à la lenteur du processus de ratification.

Depuis une dizaine d'année, les signatures des accords aériens ont été suspendues à cause d'un différend entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de l'aéroport que le Royaume-Uni avait construit sur l'isthme de Gibraltar. Avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 1er janvier 2020, l'opposition à la signature des accords aériens a été levée. C'est pourquoi différents accords ont pu être signés en très peu de temps, comme ceux avec l'Ukraine, l'Arménie et le Qatar, alors qu'ils ont été négociés à des périodes différentes.

L'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'ASEAN et l'Union européenne et ses États membres a fait l'objet d'un mandat octroyé par le Conseil de l'Union européenne à la Commission européenne le 7 juin 2016. Après huit rencontres, il a été paraphé en juin 2021 et signé le 17 octobre 2022.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.

I. UN ACCORD QUI SE SITUE DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE D'OUVERTURE DES TRANSPORTS AÉRIENS

A. LES ARRÊTS DITS « CIELS OUVERTS » UNE JURISPRUDENCE QUI A REDESSINÉ LE PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE L'UNION ET SES ÉTATS MEMBRES

Les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 5 novembre 2002 dits « Ciel ouvert », ont marqué le point de départ d'une politique extérieure de l'aviation de l'Union européenne.

Il s'agissait pour la Cour de se prononcer sur des accords bilatéraux passés entre certains États membres et les États-Unis.

En effet, la Commission européenne estimait que la Communauté disposait d'une compétence exclusive pour conclure des accords de transport aérien avec des pays tiers.

La Cour n'a pas donné raison à la Commission européenne, considérant que si, effectivement, certaines dispositions des accords bilatéraux conclus par les États membres empiétaient sur la compétence communautaire (dispositions relatives aux systèmes informatisés de réservation et à la gestion des créneaux horaires, ainsi que certaines dispositions tarifaires), d'autres, comme celles relatives à l'accès au marché (octroi des droits de trafic) relèvent des États.

Prenant acte des arrêts de la Cour, le Conseil transports du 5 juin 2003 a adopté une décision autorisant la Commission à négocier un accord avec les États-Unis visant à établir un « espace aérien sans frontière » avec l'Union européenne, destiné à remplacer les accords bilatéraux de l'ensemble des États membres et à résoudre les problématiques juridiques soulignées par la Cour.

Le Conseil de juin 2003 a également autorisé la Commission à négocier avec l'ensemble des pays tiers (mandat de négociation dit « horizontal ») des accords dont l'unique objet est de remplacer les dispositions des accords bilatéraux des États membres contraires au droit européen.

Enfin, lors de cette session, le Conseil a arrêté une approche générale concernant un projet de règlement sur la négociation et la mise en oeuvre des accords de services aériens entre les États membres et les pays tiers. Celle-ci s'est concrétisée par l'adoption, en avril 2004, du règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil.

B. L'EXTENSION DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE DE L'AVIATION

En mars 2005, la Commission a précisé les objectifs de cette nouvelle politique dans une communication intitulée « Développer l'agenda de la politique extérieure de l'aviation de la Communauté ». Il s'agit principalement :

- d'assurer la mise en conformité avec le droit européen des accords bilatéraux existants, soit par le biais de négociations bilatérales entre les États membres et les pays tiers concernés, soit en ayant recours à une négociation européenne dans le cadre du mandat horizontal donné en 2003 ;

- et de négocier des accords entre l'Union européenne et certains pays tiers, qui se substitueraient aux accords bilatéraux de services aériens conclus par les différents États membres.

Ce dernier objectif s'articule autour de deux axes :

- le premier concerne les pays de la politique de voisinage de l'Union européenne, auxquels il est proposé de conclure des accords européens de services aériens dont la principale caractéristique est de subordonner l'accès au marché intérieur à la reprise et la mise en oeuvre de l'acquis européen applicable au transport aérien ;

- le second concerne les partenaires clés de l'Union européenne - comme les États-Unis -, pour lesquels les accords européens de services aériens sont adaptés aux spécificités du pays concerné, en recherchant toutefois un certain degré de convergence des réglementations dans les principaux domaines du transport aérien, notamment dans celui de la sécurité.

Cette communication a servi de base aux conclusions que le Conseil transports a adoptées en juin 2005.

En décembre 2012, le Conseil a adopté de nouvelles conclusions pour orienter la politique extérieure de l'Union européenne dans ce domaine, sur la base d'une communication de la Commission intitulée « La politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation - Anticiper les défis à venir ». Considérant notamment que l'Union européenne devait adopter une approche « individualisée » avec certains partenaires clés (l'Inde, la Russie, la Turquie, certains pays du Golfe, l'Association des nations d'Asie du Sud-Est - ASEAN), le Conseil a notamment appelé à intensifier les négociations avec les pays du voisinage et consacré une large part de ses conclusions à la nécessité d'assurer les conditions d'une concurrence loyale entre transporteurs aériens.

Enfin, dans sa communication du 7 décembre 2015 « Une nouvelle stratégie de l'aviation pour l'Europe », la Commission a réservé une place importante à la politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation. La Commission a ainsi recommandé au Conseil de lui délivrer des autorisations pour négocier des accords globaux dans le domaine des transports aériens avec la Chine, l'ASEAN, la Turquie, six pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman), le Mexique et l'Arménie, et proposé d'entamer de nouveaux dialogues dans le domaine de l'aviation avec des partenaires clés comme l'Inde. La Commission a en outre fait part de son intention d'introduire des dispositions relatives à la concurrence loyale dans le cadre de la négociation des accords européens de transport aérien, et indiqué qu'elle envisageait d'adopter des mesures pour lutter contre les pratiques déloyales de la part des pays tiers et des opérateurs de ces pays.

Sur cette base, en juin 2016, le Conseil européen a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec l'ASEAN, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie puis, lors de sa session de décembre 2016, le Conseil a délivré une autorisation similaire pour l'Arménie.

A ce jour, l'Union européenne a d'ores et déjà signé des accords globaux de transport aérien avec :

- s'agissant de ses partenaires clés, les États-Unis en 2007 et le Canada en 2009. Un accord a été signé avec le Qatar en 2021, mais il n'est pas encore approuvé par la France ;

- s'agissant des pays impliqués dans sa politique de voisinage, le Maroc en 2006, la Géorgie et la Jordanie en 2010, la Moldavie en 2012, Israël en 2013. Des accords ont été signés avec l'Arménie et l'Ukraine en 2021, non encore approuvés par la France à ce jour.

Par ailleurs, un accord multilatéral a été signé en 2006 avec l'Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Roumanie et les États des Balkans occidentaux, dont l'objectif était d'élargir le marché intérieur. Ces États se sont engagés à appliquer l'intégralité des règles européennes, non seulement dans le domaine du transport aérien mais aussi dans celui de la concurrence.

L'accord faisant l'objet de ce projet de loi s'inscrit dans le cadre des accords avec des partenaires clés, qui articulent l'ouverture du marché avec un ensemble de règles visant à mettre les deux parties sur un pied d'égalité.

II. LE PREMIER ACCORD MONDIAL DE « BLOC À BLOC » DANS LE DOMAINE DU TRANSPORT AÉRIEN

Couvrant une population d'1,1 milliard d'habitants, cet accord est le premier accord aérien conclu entre deux blocs d'États, regroupant les 27 États membres de l'Union européenne et les dix États de l'ASEAN.

A. L'ASEAN ET LE PARTENARIAT STRATÉGIQUE UE-ASEAN

L'ASEAN a été fondée en 1967. Basée à Jakarta, elle est la seule organisation asiatique véritablement multilatérale en Asie du Sud-Est.

Elle rassemble dix États de l'Asie du Sud-Est aux niveaux de développement très hétérogènes, comptant des pays à revenus élevés (Brunei et Singapour), à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (Thaïlande, Malaisie) et de la tranche inférieure (Vietnam, Philippines, Indonésie) ainsi que trois PMA (Pays les moins avancés) : (Birmanie, Cambodge, Laos).

Elle est structurée autour de trois « communautés » (politico-sécuritaire, économique et socio-culturelle).

L'ASEAN figure parmi les zones les plus dynamiques au monde sur le plan démographique, comptant 666 millions habitants (l'âge médian est de 29 ans). Sur le plan économique, elle connaît une croissance moyenne de 5% par an sur les 20 dernières années.

Avec un produit intérieur brut (PIB) proche de 3 700 milliards de dollars de 2022, l'ASEAN est aujourd'hui le 5ème ensemble économique au monde, après les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et le Japon. Elle devrait être l'un des principaux pôles économiques mondiaux à l'horizon 2050, au même titre que la Chine et l'Inde.

L'Union européenne est le 3ème partenaire commercial de l'ASEAN avec 272 milliards d'euros d'échanges de biens en 2022

Partenaire de dialogue depuis 1977, l'Union européenne s'est fortement investie dans la relation avec l'ASEAN ces dernières années.

En décembre 2020, le partenariat UE-ASEAN a été élevé à un niveau stratégique lors de la 23réunion ministérielle des Affaires étrangères. Il est mis en oeuvre à travers un plan d'action pour la période 2023-2027, articulé autour de trois thématiques : la coopération politique et sécuritaire, la coopération économique et la coopération socio-culturelle.

B. SELON L'ÉTUDE D'IMPACT, UN MARCHÉ AÉRIEN PROMETTEUR

Dès 2015, avec sa communication sur « Une nouvelle stratégie de l'aviation pour l'Europe », la Commission a identifié la négociation d'un accord aérien avec les dix États de l'ASEAN comme prioritaire.

L'objectif était notamment de contrer la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie, qui, avec leurs plateformes de correspondance, ont très largement absorbé la croissance du trafic entre de nombreuses villes d'Europe et d'Asie du Sud et du Sud-Est.

S'appuyant sur une étude d'impact de 2015, la Commission prévoyait une hausse de trafic de 10% en six ans. Les bénéfices escomptés étaient estimés entre 250 et 700 millions d'euros pour le fret et entre 1,3 et 2,8 milliards d'euros, uniquement pour les vols de passagers sans escales.

La crise sanitaire de la Covid-19 ayant fortement affecté le trafic aérien, ces prévisions sont aujourd'hui caduques et n'ont pas été réactualisées par une étude d'impact plus récente.

En effet, en 2019, dernière année avant la Covid-19, le trafic entre les 27 États membres de l'Union européenne et les pays de l'ASEAN dépassait les 8 millions de passagers. Sur la même année, le trafic France-pays de l'ASEAN représentait 3,4 millions de passagers, dont 2,2 millions étaient en correspondance.

A ce jour, le trafic d'avant Covid n'a toujours pas été atteint. D'année en année, le trafic progresse, atteignant en 2023 80% du trafic de 2019. Il devrait rattraper son niveau d'avant la crise sanitaire en 2025.

Lors du premier comité mixte en octobre 2023, la Commission européenne a présenté des projections, selon lesquelles le trafic de passagers de l'ASEAN vers l'Union européenne pourrait tripler d'ici 20 ans.

Cette croissance serait portée par la fin des restrictions liées à la Covid-19, tant pour la clientèle professionnelle que touristique, mais aussi par le développement économique à venir de certains États de l'ASEAN.

En effet, seule une faible partie de la population des États de l'ASEAN voyage à l'heure actuelle. Les perspectives de croissance sont grandes, dès lors que les populations de ces pays accèderont à un meilleur niveau de vie.

Des pays de l'ASEAN ont appelé les compagnies européennes à les desservir. En effet, certains, en particulier le Cambodge, ont construit de nouveaux aéroports internationaux. Ne disposant pas de compagnies nationales long courrier, ils souhaitent développer leur connectivité directe.

En effet, des liaisons directes entre l'Europe et l'Asie constituent un avantage comparatif certain par rapport aux compagnies aériennes des pays du Golfe et de la Turquie, qui ne proposent que des vols avec correspondances.

Toutefois, les professionnels français du secteur (Air France-KLM et la Fnam-Fédération nationale de l'aviation marchande) considèrent que ce nouvel accord ne bouleversera pas la concurrence avec les compagnies des pays du Golfe et de la Turquie, qui est déjà bien établie.

En matière de fret, pour le groupe CMA-CGM, déjà bien implanté en Asie du Sud-Est qu'il dessert par voie maritime, l'accord pourrait offrir des opportunités de faire croître ses occasions d'affaires dans la zone, notamment avec sa nouvelle division Air Cargo, créée en 2021. Toutefois, CMA-CGM souligne que les attentes suscitées par les précédents accords de libéralisation (signés avec les Etats-Unis et le Canada) n'avaient, de loin, pas été satisfaites et restent quant aux bénéfices réels à attendre de la convention.

Comme l'indique l'étude d'impact jointe au projet de loi, la France était liée par neufs accords bilatéraux : avec le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Birmanie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Le nouvel accord, plus libéral, se substitue à ces accords, sauf en ce qui concerne les territoires français ne relevant pas de l'Union européenne : la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna.

Au niveau européen, le nouvel accord global se substitue à plus de 140 accords bilatéraux.

III. UN ACCORD AÉRIEN QUI SE VEUT AMBITIEUX, MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE DOIT ÊTRE STRICTEMENT CONTRÔLÉE

Il s'agit du plus grand accord aérien conclu à ce jour par l'UE.

Huit rencontres ont été nécessaires pour aboutir au paraphe de l'accord en juin 2021, puis à sa signature, le 17 octobre 2022. L'essentiel des négociations a porté sur les droits de trafic, et sur le cas de la Malaisie, qui tout en signant l'accord, a obtenu la possibilité de reporter sa ratification.

Il est à noter que l'accord ne prévoit pas d'application provisoire, contrairement à d'autres accords du même type, comme celui avec le Qatar. En revanche, lors de la signature de l'accord en octobre 2022, une déclaration de tous les pays de l'Union européenne et de l'ASEAN à l'exception de la Malaisie a été adoptée, pour « considérer favorablement les demandes de services aériens et d'autorisation des opérations aériennes par les compagnies aériennes de l'autre partie dans des termes équivalents à ceux de cet accord, sur la base de la réciprocité, depuis la date de signature de l'accord et jusqu'à son entrée en vigueur ». Cette déclaration n'est pas une application provisoire au sens juridique du terme. Elle indique en revanche l'intention des parties d'utiliser les pouvoirs administratifs qui sont les leurs - indépendamment de tout accord - pour permettre l'approbation des vols, sur une base volontaire et non obligatoire. Cet accord est ainsi appliqué transitoirement sauf pour la Malaisie.

L'accord répond aux standards modernes des accords aériens récemment conclus par l'Union européenne, en intégrant notamment des dispositions relatives à la concurrence, à la protection de l'environnement et aux droits sociaux. On peut l'examiner sous trois angles : ses dispositions économiques, celles relatives aux coopérations règlementaires et enfin, celles qui traitent des dispositions institutionnelles et qui mettent en place le comité mixte.

A. LES DISPOSITIONS ÉCONOMIQUES : LES DROITS DE TRAFIC ET LA CONCURRENCE ÉQUITABLE

Il s'agit en premier lieu des droits commerciaux des transporteurs aériens.

L'accord prévoit la libéralisation totale des vols directs de passagers. Il s'agit de l'octroi des 3e et 4libertés aériennes (voir annexe 2), c'est-à-dire le droit des transporteurs aériens des Parties à l'accord de desservir de tout aéroport de l'Union européenne, tout aéroport de l'ASEAN et réciproquement.

Pour le fret, l'accord libéralise tous les vols, y compris avec escales (5liberté). Concrètement, les transporteurs des pays de l'Union européenne pourront effectuer des vols vers un pays tiers, en continuation d'un vol bilatéral initial, en embarquant des marchandises sur un second segment, au-delà des États de l'ASEAN.

Les vols avec escales de passagers sont progressivement et partiellement libéralisés (5liberté). Dans un premier temps, ces vols sont limités à 7 par semaine et par États membres. Ils pourront être doublés au bout de deux ans, sous la condition que le segment en question ne soit pas déjà desservi par un transporteur aérien d'un État du même « bloc ».

L'accord étant conclu entre deux blocs d'États, ces droits de 5liberté sont utilisables non seulement avec un pays tiers, mais aussi entre deux pays de chacun des blocs. Il s'agit d'une nouveauté dans un accord aérien.

L'article 8 traite de la concurrence équitable. Il s'agit pour l'Union européenne d'une contrepartie indispensable à la libéralisation des droits commerciaux des transporteurs.

Le principe est l'interdiction des subventions, qui ne peuvent être accordées que sous des conditions bien définies.

L'article prévoit également la transmission annuelle par les transporteurs aériens d'un rapport financier ayant fait l'objet d'un audit externe et respectant les normes financières internationales. Des rapports financiers peuvent également être demandés et communiqués par l'autre Partie sous un délai de 30 jours.

Un dispositif est mis en place, permettant de prendre assez rapidement (de l'ordre de 3 mois) des mesures à l'encontre des transporteurs aériens responsables des actions prohibées par l'accord, ou ayant bénéficié de pratiques discriminatoires ou déloyales ou de subventions interdites par l'accord. Ce mécanisme innovant permet à une Partie d'agir unilatéralement dans le but de faire cesser rapidement le dommage, avant que les conséquences ne deviennent irréversibles. Il est indépendant de la procédure classique de règlement des différends.

Enfin, d'autres dispositions d'ordre économique sont relatives aux conditions dans lesquelles les autorisations d'exploiter sont accordées ou refusées, celles relatives à l'exercice des activités commerciales de chaque Partie sur le territoire de l'autre Partie, ainsi que celles traitant des droits de douane, des redevances et du principe de la liberté de fixation des tarifs des services aériens proposés par les transporteurs.

La libéralisation de la propriété et du contrôle des transporteurs est exclue à ce stade, puisqu'en application de la règlementation européenne, les transporteurs aériens doivent être détenus et effectivement contrôlés par les États membres et/ou des ressortissants des États membres La question est donc renvoyée à un examen du comité mixte « à un moment opportun ».

B. LES COOPÉRATIONS RÈGLEMENTAIRES, DONT CELLES EN MATIÈRE ENVIRONNEMENTALE ET SOCIALE

Comme il est habituel dans les accords de transport aérien, des dispositions traitent de coopération en matière de sécurité et de sûreté aériennes et de gestion du trafic aérien. Il s'agit par exemple de la reconnaissance mutuelle des certificats de navigabilité, de compétences et des licences, d'échanges d'informations sur la sécurité, de concours à des activités de surveillance conjointes ou bien encore la garantie de la sûreté sur l'ensemble de la chaîne du transport aérien (aéroports, aéronefs, passagers, bagages, fret, fournitures destinées aux aéroports, approvisionnements de vos personnels et équipements de sûreté).

Le présent accord comporte un article consacré aux questions environnementales. L'affirmation des principes liés à la protection de l'environnement dans le cadre du développement et de la mise en oeuvre de la politique aéronautique internationale était un enjeu clef, porté par les négociateurs de la Commission européenne.

Toutefois, la Fnam et la compagnie Air France-KLM, dont les représentants ont été auditionnés par le rapporteur, considèrent que tant que les compagnies des pays de l'ASEAN ne seront pas soumises aux mêmes contraintes règlementaires en matière de protection de l'environnement, la concurrence restera faussée.

En effet, l'Europe met en oeuvre un programme ambitieux de réduction des émissions nettes européennes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990, afin d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050, appelé « Ajustement à l'objectif 55 ».

Dans ce contexte, en octobre 2023, le Conseil et le Parlement européen ont adopté la révision de la directive sur les énergies renouvelables et le règlement « ReFuelEU Aviation », qui font peser de nouvelles contraintes sur les transporteurs aériens européens.

Enfin, la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD) pourrait bientôt être adoptée formellement par les Etats membres de l'Union européenne. Elle vise à instaurer un cadre légal contraignant avec un engagement de la responsabilité civile des grandes entreprises, en cas d'impacts négatifs de leur chaîne d'activités sur l'environnement et les droits de l'homme.

Un article est également consacré aux « aspects sociaux ». Il y est fait plusieurs fois référence à l'Organisation internationale du travail (OIT), et prévoit en particulier que « chaque Partie s'engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour ratifier, si elle ne l'a pas encore fait, les conventions fondamentales de l'OIT. » 

Il s'agit ici encore d'une disposition sans valeur contraignante, mais, comme l'indique l'étude d'impact, il s'agit d'un engagement qui constitue une avancée, pour un nombre significatif de pays de l'ASEAN qui n'ont pas ratifié l'ensemble des conventions dites fondamentales de l'OIT.

Sur ce point aussi, la Fnam et la compagnie Air France-KLM regrettent que ces dispositions n'aient de valeur contraignante.

Enfin, les autres secteurs de coopération règlementaires visent à améliorer la protection des consommateurs et à faciliter le partage des systèmes informatisés de réservation.

C. LES DISPOSITIONS INSTITUTIONNELLES : LE COMITÉ MIXTE ET LA PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Comme dans tous les accords aériens, un comité mixte est institué. Il se réunit annuellement pour formaliser le dialogue entre les parties sur l'interprétation de l'accord et surveiller sa mise en oeuvre. Il rassemble des représentants de la Commission européenne, les autorités des États de l'ASEAN, les représentants des États membres, des organisations professionnelles et des compagnies aériennes.

Les réunions de ce comité sont essentielles pour s'assurer du respect des clauses de l'accord, en particulier concernant la concurrence équitable, mais aussi des avancées en matière environnementales ou sociales.

Lors de leurs auditions, les représentants de la Fnam et d'Air France-KLM ont souhaité que le suivi effectué lors de ces comités mixtes soit davantage approfondi, notamment en ce qui concerne le respect des dispositions relatives à la concurrence équitable et à la coopération en matière environnementale et sociale.

Les comités mixtes de ce nouvel accord regroupant outre la Commission européenne, les 27 États membres de l'Union européenne et les 10 États de l'ASEAN, il sera nécessaire de les préparer bien en amont.

Le retour d'expériences d'Air France-KLM concernant les comités mixtes des autres accords aériens indiquent que la Commission européenne et les États membres devraient exiger davantage de leurs partenaires et approfondir le contrôle des avancées effectives des pays tiers en matière environnementale et sociale. CMA-CGM regrette ne pas avoir être suffisamment associé aux échanges en amont des comités mixtes des accords déjà en vigueur et espère l'être davantage dans le futur.

Le premier comité mixte s'est tenu en octobre 2023. Il a surtout été l'occasion de présenter aux États de l'ASEAN les grandes dispositions de l'accord.

Une procédure de règlement des différends, comportant un recours à l'arbitrage est également prévu dans l'accord. Ce dispositif est habituel dans les accords aériens conclus par l'Union européenne.

Le comité mixte doit avoir été réuni préalablement. Faute de solution, ou si le comité mixte n'a pu se prononcer dans les six mois, une demande d'arbitrage peut être formulée. Le tribunal arbitral, composé de 3 juges, est constitué sous trois mois. Il peut adopter des mesures correctives provisoires. Le délai du processus est d'une dizaine de mois.

Une annexe complète le texte de l'accord. Elle est due à la multiplicité des pays qui constitue l'ASEAN. Elle traite donc des différences que les divers pays de l'ASEAN ont obtenues par rapport aux dispositions générales de l'accord.

CONCLUSION

Après un examen attentif des dispositions de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi n° 180 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du sud-est et l'Union européenne et ses États membres.

Cet accord se substitue aux 140 accords bilatéraux en vigueur entre les 27 États de l'Union européenne et les 10 de l'ASEAN, et donc aux neufs accords bilatéraux français.

Il permet à l'ensemble des États européens de bénéficier d'un cadre unifié définissant l'ensemble des conditions dans lesquelles les liaisons aériennes peuvent être réalisées. Il participe à concurrencer les compagnies aériennes du Moyen-Orient et de Turquie en facilitant les liaisons directes. Enfin, il intègre des clauses, même imparfaites, en matière de concurrence équitable, d'environnement et de droits sociaux.

Le suivi de l'application de ce traité devra être réalisé avec la plus grande application et vigilance de la part de la Commission européenne et des États membres, dont la France, dans le cadre du comité mixte.

Il serait également souhaitable que les accords aériens négociés par la Commission européenne sur mandat du Conseil européen puissent faire l'objet d'une évaluation périodique, en vue d'enrichir le contenu des conventions à venir.

À ce jour, l'accord aérien a été approuvé ou ratifié par six États européens : l'Estonie, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche, la Roumanie et la Lituanie et deux États de l'ASEAN : Singapour et le Vietnam.

L'examen en séance publique aura lieu le 29 février 2024 selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

EXAMEN EN COMMISSION

M. Cédric Perrin, président. - Nous passons à l'examen du projet de loi n° 180 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est et l'Union européenne et ses États membres.

M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Nous examinons désormais le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) et l'Union européenne et ses États membres.

Commençons par la présentation de la nature de ces accords et de la procédure. Les accords de services aériens sont des traités définissant l'ensemble des conditions dans lesquelles les liaisons aériennes peuvent être opérées. Le Conseil européen donne mandat à la Commission européenne pour négocier des accords aériens, qui doivent être ensuite approuvés par chaque État membre, selon ses procédures propres, puis par le Parlement européen. À l'échelon européen, ces accords relèvent d'une compétence partagée : les dispositions relevant du droit de la concurrence renvoient à une compétence exclusive de l'Union, tandis que d'autres, comme l'octroi des droits de trafic, relèvent encore des États.

J'en viens à l'historique des accords européens en matière d'aviation. L'accord que nous examinons s'inscrit dans le cadre de la politique européenne d'ouverture des transports aériens, qui a débuté dans les années 2000, avec les accords signés avec les États-Unis en 2007 et le Canada en 2009. À la suite de la conclusion de ces deux traités, le Conseil européen a donné mandat à la Commission européenne pour négocier des accords dits « avec les pays du voisinage » : Maroc, Géorgie, Jordanie, Moldavie, Israël. En outre, l'Union a signé un accord spécifique avec l'Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Roumanie et les États des Balkans occidentaux pour créer un espace aérien européen commun.

Fin 2015, la Commission européenne a publié une communication proposant une stratégie pour l'aviation avec pour ambition d'améliorer la compétitivité du secteur aérien, dans un contexte d'évolution rapide, à l'intérieur de l'Union européenne mais aussi à l'échelle mondiale, et de rétablir des conditions de concurrence loyale entre les compagnies aériennes européennes et celles des pays tiers, ce point étant à mon sens primordial. Sur cette base, le Conseil européen a donné mandat à la Commission européenne pour ouvrir des négociations avec l'Asean, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie et l'Arménie.

Ces signatures ont été suspendues en raison d'un différend entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de l'aéroport que le Royaume-Uni avait construit sur l'isthme de Gibraltar. Ce n'est qu'avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne que des accords déjà négociés et paraphés ont pu être signés, comme les traités conclus avec l'Ukraine, l'Arménie, le Qatar ou l'Asean, traité qui est l'objet du projet de loi qui nous intéresse aujourd'hui.

L'Asean, créée en 1967, rassemble dix États de l'Asie du Sud-Est aux niveaux de développement très hétérogènes, comptant des pays à revenus élevés - Brunei et Singapour -, à revenus intermédiaires de tranche supérieure - Thaïlande, Malaisie - ou inférieure - Vietnam, Philippines, Indonésie - et trois pays figurant parmi les pays les moins avancés (PMA) - Birmanie, Cambodge, Laos. L'Asean figure parmi les zones les plus dynamiques au monde sur le plan démographique, comptant 666 millions d'habitants dont l'âge médian est de 29 ans. Sur le plan économique, elle a connu une croissance moyenne de 5 % par an sur les vingt dernières années.

Partenaire de dialogue de l'Asean depuis 1977, l'Union européenne s'est fortement investie dans la relation au cours des dernières années. En décembre 2020, lors de la vingt-troisième réunion ministérielle des affaires étrangères, l'Union européenne et l'Asean ont décidé de donner plus d'envergure aux relations entre les deux organisations régionales en instaurant un partenariat stratégique, notamment en matière d'échanges économiques, dont le présent accord est considéré comme la première pierre. Depuis lors, en 2022, une zone de libre-échange, appelée Partenariat économique régional global, s'est mise en place entre 15 pays d'Asie : ceux de l'Asean, l'Australie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande.

L'accord global dans le domaine du transport aérien avec les pays de l'Asean avait fait l'objet d'un mandat octroyé par le Conseil de l'Union européenne à la Commission européenne le 7 juin 2016. Après huit rencontres, il a été paraphé en juin 2021 et signé le 17 octobre 2022. Il s'agit du premier accord « bloc à bloc » jamais conclu en matière de transport aérien. Il couvre une population de près de 1,1 milliard d'habitants. Il est important de souligner que, contrairement aux accords précédents - signés avec les États-Unis et le Canada -, celui-ci lie des blocs d'États dont le niveau de développement est très hétérogène. Il est entré en vigueur d'un point de vue administratif dès sa signature, sauf pour la Malaisie, qui fait l'objet, sur sa demande, d'un traitement particulier. Pour ce qui concerne la France, cet accord se substitue aux accords bilatéraux conclus avec 9 États de la région, sauf en ce qui concerne les territoires français ne relevant pas de l'Union européenne : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna.

J'en viens aux dispositions économiques de l'accord. Celui-ci, à caractère fortement technique, comporte des clauses économiques et des dispositions en matière de coopération ; il prévoit aussi l'institution d'un comité mixte chargé de veiller à la bonne application de l'accord.

Sur les aspects économiques, l'accord prévoit :

- la libéralisation totale des vols directs de passagers. Les transporteurs aériens des parties à l'accord sont ainsi autorisés à desservir tout aéroport de l'Union européenne et de l'Asean et réciproquement. Les vols avec escale seront progressivement et partiellement libéralisés, avec dans un premier temps une limite de 7 vols par semaine et par État membre.

- la libéralisation de tous les vols de fret, y compris ceux qui ont des escales.

Concrètement, les transporteurs des pays de l'Union peuvent effectuer des vols vers un pays tiers, en continuation d'un vol bilatéral initial, en embarquant des marchandises sur un second segment, au-delà des États de l'Asean, et réciproquement.

L'étude d'impact annexée au projet de loi déposé devant le Sénat renvoie à une étude d'impact non publique de la Commission. Sur notre demande, l'étude nous a finalement été adressée en diffusion restreinte et uniquement en langue anglaise. Elle fait état de perspectives de croissance importantes, sans toutefois expliciter la méthodologie employée pour aboutir à ces projections. Ce point a particulièrement appelé mon attention. En effet, j'ai repris les études d'impact des précédents accords - États-Unis et Canada - et j'ai comparé les résultats escomptés à l'époque de leur signature aux bénéfices réellement obtenus par la suite. Cet examen a montré que les prévisions étaient généralement bien trop optimistes, tant pour ce qui concerne l'augmentation des trajets de passagers que pour ce qui a trait au trafic fret, du moins du côté européen.

C'est pourquoi j'ai souhaité entendre en audition, en plus des commissaires du Gouvernement et de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), des représentants d'Air France-KLM et de CMA-CGM. Les représentants d'Air France-KLM considèrent que le présent accord ne changera rien à la situation actuelle, en raison de la concurrence déjà bien installée des compagnies du Golfe sur ces destinations. Le vice-président de CMA-CGM nous a pour sa part indiqué que les attentes des opérateurs de fret aérien n'avaient pas été satisfaites, et de loin, à la suite de la signature des accords de libéralisation signés avec les États-Unis et le Canada.

J'en viens aux contreparties. L'accord UE-Asean introduit des dispositions visant à garantir une concurrence équitable entre les acteurs :

- encadrement strict des subventions versées aux compagnies aériennes ;

- transmission annuelle de documents financiers à la demande de l'autre partie ;

- possibilité de restreindre provisoirement les droits de trafic en cas de pratiques déloyales.

Comme il est d'usage dans les accords aériens, des coopérations réglementaires, notamment des procédures communes, sont prévues sur les aspects de la sécurité et de la sûreté aériennes, et pour la gestion du trafic.

Je veux dire quelques mots sur l'environnement et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Le présent traité intègre des dispositions internationales relatives à l'environnement et aux droits sociaux mais sans valeur contraignante. Le caractère non obligatoire de ces mesures fait craindre une distorsion de marché en défaveur des pays européens, qui sont en outre susceptibles d'être bientôt soumis à la directive proposée par la Commission européenne dite Corporate due diligence directive. Celle-ci vise à encadrer les obligations de responsabilité des entreprises sur le plan social et environnemental, à appliquer pour les plus grosses compagnies européennes, donc, de facto, l'ensemble des compagnies aériennes, une responsabilité financière et pénale de leur supply chain au-delà de leur « devoir de vigilance ». L'Allemagne pourrait toutefois mettre son veto, ce qui suspendrait provisoirement le parcours législatif de cette directive.

Comme dans tous les accords aériens, un comité mixte est institué pour assurer la bonne mise en oeuvre de l'accord. Il rassemble des représentants des parties ainsi que des représentants d'organisations professionnelles et des compagnies aériennes. Cet organe essentiel doit s'assurer du respect par les parties des dispositions de l'accord, en particulier des clauses relatives à la concurrence équitable, mais aussi des avancées en matière environnementale et sociale. Les différentes auditions que j'ai pu mener ont montré qu'un renforcement du suivi effectif du comité était souhaitable. Il est particulièrement nécessaire d'y associer plus étroitement les acteurs du fret aérien, qui n'ont que très peu été impliqués dans ces comités dans le cadre des accords existants.

Je conclus, mes chers collègues. Cet accord doit faire l'objet d'un suivi attentif de la part des autorités françaises et de la Commission européenne, afin de veiller à ce qu'aucune concurrence déloyale de la part des compagnies des pays de l'Asean ne puisse s'installer. Je recommande que l'Union européenne, les États membres et le comité mixte exercent une vigilance particulière quant à l'engagement des pays de l'Asean de souscrire aux engagements RSE ainsi qu'aux conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Par ailleurs, il me semble impératif qu'une évaluation des résultats des précédentes conventions soit faite afin de les intégrer dans la négociation des futurs accords. À ce jour, l'accord aérien UE-Asean a été approuvé ou ratifié par 6 États européens - l'Estonie, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche, la Roumanie et la Lituanie - et 2 États de l'Asean : Singapour et le Vietnam.

Je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. Son examen est prévu en séance publique le 29 février 2024, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

M. Guillaume Gontard. - Nous partageons les conclusions du rapporteur. Cet accord s'inscrit dans le sens d'une augmentation du trafic aérien, mais il permet également de mieux encadrer cette hausse. J'ai une réserve néanmoins quant au mécanisme de compensation des émissions, le fameux système Corsia (système de compensation et de réduction de carbone pour l'aviation internationale), qui est plutôt un échec et relève surtout du green washing. En outre, les clauses sociales ne sont pas contraignantes, donc il conviendra de faire preuve d'une vigilance particulière.

Le projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

M. Frédéric INZA, Direction d'Asie et d'Océanie, Sous-Direction d'Asie du Sud-Est, rédacteur ASEAN

M. Alexis MORENO, Direction de l'Union européenne, Sous-Direction des politiques internes et des questions institutionnelles, Rédacteur Transports

M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités (DJ/MAT), direction des affaires juridiques

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

Mme Florence SZEREMETA, chargée de mission accords européens de transport aérien, Sous-direction des services aériens, direction générale de l'aviation civile (DGAC)

Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers :

M. Laurent TIMSIT, délégué général 

Air France - KLM :

M. Aurélien GOMEZ, Directeur des affaires parlementaires et territoriales 

M. Eric JOFFRAIN, négociateur des accords de service aérien.

CMA-CGM :

M. Patrice BERGAMINI, vice-président, en charge des affaires publiques et des contrats gouvernementaux et du développement

ANNEXE 1 : CARTE DES ETATS DE L'ASEAN

ANNEXE 2 : LES NEUF LIBERTÉS DE L'AIR

Source : Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)

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