N° 364

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 février 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française,

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

191, 363 et 365 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée le 11 décembre 2023 par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi vise à apporter une première réponse aux difficultés de financement rencontrées par les entreprises de l'industrie de défense française.

Alors que la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 a appelé à la mobilisation de tous les leviers de l'économie de guerre, les entreprises de la base industrielle et technologique de défense, dont la grande majorité sont des petites et moyennes entreprises, se trouvent confrontées à la difficile montée en cadence de leurs chaînes de production. D'autres, qualifiées de « pépites technologiques », suscitent un fort intérêt d'investisseurs étrangers.

Pour remédier à ces difficultés, l'article 1er de la proposition de loi propose de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations vers le financement des entreprises de l'industrie de défense française.

Cette proposition, si elle ne répond que partiellement aux besoins de financement des entreprises de la BITD, qui requièrent aussi un renforcement de leurs fonds propres, constitue la « meilleure des solutions d'attente », comparée par exemple à la création d'un produit d'épargne dédié. Sur proposition du rapporteur Dominique de Legge, la commission, réunie le mercredi 28 février 2024 sous la présidence de Claude Raynal, a adopté trois amendements afin de préciser les dispositions de l'article 1er, de compléter le contenu du rapport d'évaluation prévu à l'article 2 et d'insérer un article additionnel après l'article 1er pour expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la BITD.

I. RÉPONDRE AUX BESOINS DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES DE LA DÉFENSE, UN IMPÉRATIF DANS UN CONTEXTE D'ÉCONOMIE DE GUERRE

La loi de programmation militaire pour les années 2024 à 20301(*) a acté l'impératif de mobiliser les leviers de l'économie de guerre, condition sine qua non pour permettre à la France de faire face à un engagement majeur et à des affrontements de haute intensité tout en apportant son soutien à l'Ukraine. Ainsi que l'a également exprimé le commissaire européen au marché intérieur2(*), M. Thierry Breton, les entreprises de la défense doivent être incitées à changer de modèle économique et à monter en cadence.

Pourtant, les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), et en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), se heurtent encore à des difficultés de financement, qui entravent leur développement, leurs capacités d'exportation et la montée en puissance de leurs chaines de production.

La guerre en Ukraine, un changement de paradigme pour les entreprises de la défense

Les difficultés de financement bancaire que peuvent rencontrer les entreprises de l'industrie de défense française sont moins liées à leur secteur d'activité que communes à celles des autres entreprises, quel que soit leur secteur d'activité. Une entreprise fragile financièrement n'aura qu'un accès limité au crédit.

Pour autant, les établissements financiers ont pu se montrer réticents à financer spécifiquement les entreprises de la défense, en arguant d'un risque d'image, d'exigences de conformité renforcées ou de la complexité des contrats exports. Toutefois, dans un contexte géopolitique totalement bouleversé, des efforts ont été entrepris ces deux dernières années pour rapprocher l'industrie de la défense et les établissements bancaires : nomination de « référents défense » dans les réseaux bancaires, modification des doctrines d'intervention, journées communes de formation.

Les travaux menés par le rapporteur ont ainsi permis de montrer que, davantage que l'accès au crédit bancaire, deux problématiques étaient prégnantes pour les entreprises de la défense : les fonds propres et l'exportation.

II. MOBILISER LES ENCOURS NON CENTRALISÉS DU LIVRET A ET DU LIVRET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET SOLIDAIRE, UNE PREMIÈRE RÉPONSE QUI DOIT ÊTRE COMPLÉTÉE

En réponse aux difficultés précédemment énoncées, le rapporteur propose à la commission de soutenir le dispositif porté par la proposition de loi, tout en le complétant ; les besoins de financement des entreprises de la BITD étant de nature différente, il ne saurait être possible d'y apporter une réponse unique.

· Flécher une partie des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers le financement des entreprises de la BITD

L'article 1er de la proposition de loi prévoit de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts vers le financement des entreprises de l'industrie de défense française. Ainsi, le financement du logement social n'est absolument pas concerné par la disposition. Sont seuls affectés les encours non centralisés, qui font aujourd'hui l'objet de strictes conditions d'utilisation : les établissements doivent les mobiliser pour financer les PME (à hauteur d'au moins 80 %), les projets contribuant à la transition énergétique et à la réduction de l'empreinte climatique (10 %) et l'économie sociale et solidaire (5 %).

La commission a adopté l'amendement COM-5 du rapporteur, qui procède à une réécriture de l'article 1er afin de garantir que ce nouvel objectif de fléchage ne remette pas en cause ces cibles. Le financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense, désignation préférée à celle d'entreprises de l'industrie de défense, ne constituerait ainsi pas une quatrième catégorie de fléchage de ces encours non centralisés, mais une sous-poche au sein de l'objectif de financement des PME.

Un signal politique clair de soutien aux entreprises de la défense

Certes, la disposition ne répond que de manière limitée aux difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la défense, qui ont aussi besoin d'outils pour renforcer leurs fonds propres. Pour autant, la création d'un plan d'épargne dédié n'apparaît pas plus opportune, en l'absence de certitude sur sa capacité à collecter suffisamment de fonds. Les épargnants français préfèrent en effet dans leur grande majorité des produits d'épargne règlementée, avec une rémunération garantie et une grande disponibilité de dépôts. Le livret A et le LDDS répondent à ces deux critères.

À la fin du mois de janvier 2024, les encours du livret A s'élevaient à

À la fin du mois de janvier 2024, les encours du LDDS s'élevaient à

Le ratio des encours de prêts octroyés aux PME par rapport
aux fonds déposés sur le livret A
et le LDDS était de

 
 

 

soit une collecte annuelle nette de 21,6 milliards d'euros

soit une collecte annuelle nette de 10,3 milliards d'euros

à la fin de l'année 2022, avec 145 milliards d'euros de nouveaux prêts octroyés en 2022

Surtout, mobiliser le livret A et le LDDS envoie un signal politique clair et franc en direction des acteurs économiques et financiers, qui doivent soutenir les entreprises de la BITD, y compris sur leurs problématiques de fonds propres, de trésorerie et d'exportation. C'est la meilleure solution dans l'attente du développement d'autres outils appropriés à ces enjeux, après une évaluation objective des besoins de financement de ces entreprises. Faire participer l'ensemble des épargnants au financement de la BITD relève d'un enjeu de souveraineté, dans un contexte d'économie de guerre.

· Compléter le rapport d'évaluation pour tenir compte de l'ensemble des problématiques de financement des entreprises de la BITD

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 31 décembre 2026, un rapport évaluant le dispositif prévu à l'article 1er de la proposition de loi. À défaut de résultat probant, ce rapport devrait également étudier l'opportunité de créer un produit d'épargne dédié au financement des entreprises de la défense.

Une date de remise du rapport attendu avancée d'un an pour « maintenir l'écosystème sous tension »

Cette demande d'évaluation doit être soutenue : il est impératif de répondre aux besoins de financement des entreprises de la BITD et de disposer des outils appropriés à cet effet. Pour refléter la diversité des problématiques de financement rencontrées par ces entreprises, la commission a complété le contenu de l'évaluation (amendement COM-7 du rapporteur). Le rapport devra ainsi également évaluer l'opportunité de renforcer les instruments mis en place par Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations pour soutenir les fonds propres des entreprises de la BITD et les outils d'accompagnement à l'exportation. Il devra aussi inclure une présentation par le Gouvernement des actions qu'il a entreprises au niveau européen pour qu'il soit davantage tenu compte des problématiques de financement du secteur de la défense, tant dans le cadre des règlementations relatives aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) que dans la doctrine d'intervention du Fonds européen d'investissement de la Banque européenne d'investissement.

· Expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la BITD

À l'initiative du rapporteur, la commission a enfin adopté un amendement pour consacrer dans l'ordonnance du 29 juin 2005 relative à la banque publique d'investissement les missions de Bpifrance en faveur des entreprises de la BITD - soutien et offre de services, renforcement des fonds propres et accompagnement à l'export (amendement COM-6 portant article additionnel après l'article 1er).

Hors assurance export, environ 1,5 milliard d'euros aurait été octroyé par Bpifrance aux entreprises de la BITD en 2023, et l'opérateur s'apprêterait également à lancer un « accélérateur » au profit de dirigeants de PME de la défense.

20 ans après la publication de l'ordonnance, le contexte géostratégique a profondément évolué : alors que la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 a acté la mobilisation des leviers de « l'économie de guerre », les acteurs institutionnels, au premier titre desquels Bpifrance, doivent être pleinement mobilisés pour remédier aux problématiques de financement rencontrées par les entreprises de la BITD.


* 1 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, rapport annexé.

* 2 Audition de M. Thierry Breton, par les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères et de la défense et des affaires européennes du Sénat, 18 janvier 2024.

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