N° 445

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels,

Par Mme Muriel JOURDA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1162, 1911 et T.A. 206

Sénat :

169 et 446 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée par le député Jean-Luc Warsmann (Liberté, Indépendants, Outre-mer et Territoires - LIOT, Ardennes), déjà à l'initiative de plusieurs textes en la matière, la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels a été examinée en première lecture en tant que texte « transpartisan » par l'Assemblée nationale et adoptée par celle-ci le 5 décembre 2023.

Ce texte, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, s'inspire largement du rapport « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » établi par l'auteur de ce texte et le député Laurent Saint-Martin en tant que parlementaires en mission et remis en novembre 2019 au Premier ministre Édouard Philippe.

Dans un contexte où les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés et où l'on estime qu'environ 30 % seulement des biens saisis finissent par être effectivement confisqués par une juridiction de jugement, la proposition de loi - que les députés ont substantiellement enrichie à l'Assemblée nationale par l'adoption de plusieurs articles additionnels, faisant passer le texte de 3 à 11 articles - vise à faire vivre l'adage populaire selon lequel « le crime ne paie pas » et à contribuer à ce que les délinquants soient effectivement privés du fruit de l'infraction qu'ils ont commise.

La commission des lois a salué les avancées permises par le texte, qui comporte des mesures de nature à faciliter l'action des enquêteurs, des magistrats et de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) et qui, surtout, vient opérer une révolution copernicienne en mettant en place un mécanisme de confiscation « de droit » de certains biens saisis.

S'inscrivant dans la droite ligne de ces avancées, la commission des lois a amélioré et précisé la rédaction du texte en vue de faciliter son appropriation par les praticiens et apporté des compléments au texte de l'Assemblée nationale, en particulier en étendant la possibilité donnée aux officiers de police judiciaire de procéder à certaines saisies spéciales, en donnant de nouvelles prérogatives à l'Agrasc en matière d'alinéation ou de vente avant jugement des biens saisis et en comblant un vide juridique quant à l'autorité compétente pour se prononcer sur les biens saisis à certains stades de la procédure.

I. LE DISPOSITIF ACTUEL DES SAISIES ET CONFISCATIONS : UN CADRE COMPLET AUX RÉSULTATS MITIGÉS

A. LE RÉGIME DES SAISIES ET CONFISCATIONS : DES OUTILS PUISSANTS POUR QUE « LE CRIME NE PAIE PAS »

Les procédures pénales de saisie et de confiscation traduisent deux pratiques distinctes.

La saisie est un acte judiciaire réalisé dans le cadre de procédures pénales permettant à l'autorité judiciaire d'appréhender matériellement ou juridiquement des biens, ce qui entraîne leur indisponibilité temporaire. La saisie peut être opérée à visée probatoire - préservation des éléments de preuve - ou confiscatoire - en vue de l'éventuel prononcé d'une peine de confiscation.

Par ailleurs, et bien que cette distinction ne résulte pas strictement du code pénal ou du code de procédure pénale, la doctrine distingue classiquement les saisies probatoires, qui concernent des biens utiles à la manifestation de la vérité (l'instrument de l'infraction, par exemple), des saisies dites « patrimoniales » qui portent sur les autres biens et poursuivent l'objectif de garantir à l'issue de la procédure soit la récupération du produit direct ou indirect de l'infraction, soit l'indemnisation des victimes.

Contrairement à la saisie pénale, qui intervient au cours de l'enquête ou de l'instruction, la confiscation constitue une peine prononcée à l'occasion d'une condamnation qui, lorsqu'elle devient définitive, entraîne la dépossession permanente d'un bien et son transfert au profit de l'État. Elle peut être prononcée à titre de peine alternative pour les délits1(*) ou les contraventions de la cinquième classe2(*), ou à titre de peine complémentaire dans les cas prévus par la loi ou le règlement, et de plein droit pour les infractions punies d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse3(*).

La peine complémentaire de confiscation peut porter sur l'ensemble des biens qui ont un lien avec un crime ou un délit, qu'ils aient servi à commettre l'infraction ou qu'ils en soient le produit direct ou indirect4(*). Pour les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit à leur auteur, la confiscation peut porter sur les biens ayant un lien présumé avec l'infraction, c'est-à-dire sur ceux dont ni le condamné ni le propriétaire n'ont pu justifier l'origine5(*).

Enfin, pour certaines infractions d'une particulière gravité, il arrive que la loi prévoie une confiscation dite « générale », susceptible de porter sur tous les biens d'un condamné y compris en l'absence de lien avec l'infraction6(*).

Saisie comme confiscation peuvent porter sur tout type de bien situé en France ou à l'étranger, meuble comme immeuble, divis ou indivis, corporel ou immatériel, appartenant à une personne physique ou morale - y compris, pour éviter le recours à des « prête-noms », ceux dont la personne mise en cause ou condamnée n'est pas propriétaire mais dont elle a la libre disposition.

Ce cadre législatif est hérité de la législation anti-blanchiment de la France qui, dès les années 1990, s'est montrée pionnière pour affirmer que la confiscation des avoirs criminels était un objectif de politique publique7(*). Ainsi, en 1992, l'article 131-21 du code pénal introduisait les premières dispositions générales sur la peine complémentaire de confiscation. Le droit est ensuite régulièrement précisé8(*), en particulier en 2010 avec l'adoption de la loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale9(*), dite « loi Warsmann ». Celle-ci visait essentiellement à élargir le champ des biens susceptibles d'être saisis et confisqués, à clarifier les procédures pénales applicables et à améliorer la gestion des biens saisis et confisqués, notamment par la création de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), chargée de gérer les biens saisis et confisqués et qui, en cas de vente de ces biens, affecte les sommes récoltées au budget général de l'État, à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca),à des associations de prévention du proxénétisme et de la traite des êtres humains ou encore aux juridictions et services d'enquête luttant contre la criminalité et la délinquance organisées.

L'Agence, qui s'est progressivement étoffée depuis lors, s'appuie aujourd'hui sur huit antennes territoriales ; créées entre 2021 et 2023, celles-ci répliquent l'implantation des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et se trouvent (par ordre de création) à Marseille, Lyon, Lille, Rennes, Nancy, Bordeaux et Fort-de-France. Elle constitue désormais la pierre angulaire de la politique de dynamisation des scellés (dont la conservation est coûteuse, puisqu'elle suppose un stockage et parfois un entretien pour éviter que les biens ne se dégradent) et des biens confisqués et assure, dans les cas prévus par la loi, leur affectation à titre gratuit à des entités publiques (services d'enquête, services judiciaires, associations et fondations d'intérêt public...) qui peuvent ainsi en faire usage au service de l'intérêt général.

Outre les dispositions du code pénal relatives à la peine de confiscation10(*), de nombreuses dispositions du code de procédure pénale encadrent le recouvrement, le gel et la confiscation des avoirs criminels11(*). Le droit français s'inscrit par ailleurs dans un cadre européen - en particulier celui de la directive 2014/42/CE12(*) qui prévoit des règles minimales pour le gel, la gestion et la confiscation des avoirs criminels, et le règlement UE) 2018/180513(*), qui assure la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation des avoirs au sein de l'Union.

Enfin, conformément à la décision-cadre 2006/960/JAI dite « initiative suédoise14(*) », la France a identifié deux « bureaux de recouvrement des avoirs » (BRA), qui jouent le rôle de « points de contact » en matière de saisies et confiscations afin de faciliter la coopération à l'échelle européenne : la Plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC) et l'Agrasc.


* 1 Article 131-6 du code pénal.

* 2 Article 131-14 du même code.

* 3 Article 131-21 du même code.

* 4 Ibid.

* 5 Ibid.

* 6 Ibid.

* 7 Source : commission des affaires européennes du Sénat, contrôle de subsidiarité, 25 mai 2022 : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs

* 8 En particulier, par les lois n° 2004-204 du 9 mars 2004, n° 2007-297 du 5 mars 2007 et n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ou encore, concernant les « biens mal acquis » par certains chefs d'État étrangers en France, n°2021-1031 du 4 août 2021.

* 9  Loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale

* 10 Articles 131-6, 131-10, 131-14, 131-16, 131-21 et 131-21-1 du code pénal

* 11 Articles 694-10 à 694-14, 695-9-1 à 695-9-30-2, 706-103, 706-141 à 706-165 et 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale

* 12  Directive 2014/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne.

* 13  Règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation.

* 14  Décision 2007/845/JAI du Conseil du 6 décembre 2007 relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres en matière de dépistage et d'identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page