B. DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS, MAIS DES MARGES PERSISTANTES DE PROGRÈS

Ce système donne, sur le plan quantitatif, des résultats encourageants.

Depuis la création de l'Agrasc en 2010 et sa montée en puissance progressive, et sous l'effet du renforcement de l'arsenal juridique dédié et de la diffusion d'une culture patrimoniale, le nombre et le montant des saisies et des confiscations réalisées est en constante augmentation.

Ainsi, un document synthétisant l'action de l'Agrasc pour l'année 202315(*) faisait état d'un montant de saisies réalisées dépassant 1,4 milliard d'euros, ce qui représente une augmentation de 87 % par rapport à l'année précédente. Le montant des confiscations a également augmenté, pour atteindre 175,5 millions d'euros en 202316(*). Près de 110 millions d'euros ont été reversés au budget général de l'État, le reste étant principalement réparti entre la Mildeca (50 millions), le fonds de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains (3,8 millions) et l'Agrasc (9,9 millions)17(*).

Source : Éléments chiffrés d'activité, Agrasc, 2023

Source : Éléments chiffrés d'activité, Agrasc, 2023

Les résultats exposés ci-avant témoignent d'une dynamique vertueuse marquée par la montée en puissance de l'Agrasc, le développement de ses antennes régionales18(*) et, plus généralement, par une plus grande attention portée à la dimension patrimoniale des enquêtes.

Ils connaissent pour autant, de l'aveu général, des marges réelles de progression puisque le montant des saisies et confiscations reste modeste au regard des revenus générés par la délinquance dans notre pays - à titre de comparaison, l'Office antistupéfiants estimait ainsi à plus de 3 milliards d'euros le « chiffre d'affaires » annuel du trafic de drogues en France.

Ce constat a conduit le premier ministre de l'époque, Edouard Philippe, à confier en 2019 une mission aux députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin, avec pour buts affichés de :

clarifier et rationaliser le système existant, marqué par l'intervention parfois peu lisible de multiples entités - l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, mais aussi la plateforme d'identification des avoirs criminels du ministère de l'intérieur et la cellule nationale des avoirs criminels (CeNAC) de la gendarmerie nationale, chacune de ces structures étant dotée d'antennes ou de correspondants à l'échelle locale qui eux-mêmes interviennent aux côtés des groupes interministériels de recherche (GIR) - ;

améliorer à la fois l'effectivité des saisies pénales, ce qui suppose de garantir une identification suffisante des avoirs criminels, et le taux de confiscation à la suite d'une saisie qui s'établit ces dernières années, au maximum, autour de 30 % ;

étudier les modalités d'un meilleur fonctionnement de l'Agrasc, en particulier s'agissant de son mode de financement et de la réaffectation aux acteurs publics des biens saisis ou confisqués.

Le rapport issu de cette mission, remis en novembre 2019 et intitulé « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner », relevait que, en dépit du chemin parcouru en une dizaine d'années, des évolutions de nature organisationnelle, règlementaire ou législative étaient nécessaires pour permettre au dispositif de saisies et de confiscations d'atteindre une plus grande efficacité. Il établissait à cette fin une liste de 34 propositions - dont 19 présentées comme étant de niveau législatif, et dont certaines ont déjà été mises en application comme l'affectation sociale de biens confisqués19(*) ou la prise en compte des tiers dans la procédure de confiscation20(*) - visant, entre autres, à renforcer substantiellement les prérogatives et les effectifs de l'Agrasc, à promouvoir l'enquête patrimoniale et à instaurer une procédure d'enquête post-sentencielle, à maximiser le nombre de confiscations, à réduire les frais de gestion des biens confisqués, à mieux assurer l'effectivité des décisions de confiscation, à optimiser l'emploi des avoirs confisqués ou encore à étendre le dispositif de restitution des biens dits « mal acquis ».

Les auditions conduites par le rapporteur corroborent le constat selon lequel il reste possible de faire mieux en matière de saisies et confiscations.

Elle relève en premier lieu que tous les intervenants reçus au cours des auditions, sans exception, se sont accordés pour considérer que le sujet des saisies et confiscations est au coeur de la lutte contre la délinquance, et singulièrement contre la criminalité organisée dont les protagonistes, qui ont intégré le risque de l'incarcération et sont mus par l'appât d'un gain rapide et facile, redoutent des peines qui viennent « frapper au portefeuille » davantage que la prison elle-même. À titre d'illustration, au cours d'une table ronde des organisations représentatives des magistrats, les intervenants ont rappelé que les recours formés par les délinquants de haut vol portaient désormais davantage sur les saisies que sur les détentions provisoires, témoignant du caractère fortement dissuasif des sanctions patrimoniales.

S'agissant des axes d'amélioration des saisies, un consensus a émergé sur la nécessité d'une meilleure identification des avoirs criminels. Cette mission semble, en l'état, ne pas être systématiquement conduite- notamment du fait d'un manque d'effectifs, qu'il s'agisse de ceux des GIR ou d'enquêteurs spécialisés en matière économique et financière. Les sénateurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain rappelaient d'ailleurs, dans un récent rapport, que les effectifs dédiés au traitement des contentieux économiques et financiers (qui interviennent également sur les enquêtes patrimoniales) étaient « en proportion des effectifs totaux, insuffisants » et que leur champ d'action était actuellement « en souffrance »21(*) au sein de la police judiciaire.

L'affectation des biens saisis ou confisqués aux enquêteurs, source indéniable de motivation pour ces derniers, semble par ailleurs souffrir d'un processus administratif parfois trop lourd, et donc trop lent, en particulier dans la police nationale : les auditions conduites par le rapporteur ont, sur ce sujet, démontré que l'architecture pratiquée par la gendarmerie
- qui repose sur la CeNAC et ses déclinaisons régionales - offrait une simplicité bienvenue.

Les auditions conduites par le rapporteur montrent, par ailleurs, que la conduite des enquêtes patrimoniales pâtit d'un accès parfois difficile des officiers de police judiciaire aux fichiers qui leur permettent de retracer le patrimoine des personnes mises en cause : ainsi, si le pouvoir réglementaire les a dotés d'un accès direct au FICOBA (pour les comptes bancaires) ou au FICOVIE (pour les assurances-vie), la nécessité d'une réquisition persiste pour d'autres fichiers, tel le FIDJI (fichier informatisé des données juridiques immobilières).

Cette affectation est, par ailleurs, rendue plus difficile par une gestion des scellés dans les juridictions qui ne différencie que rarement les saisies probatoires (qui doivent être conservées jusqu'au jugement car elles concernent des biens utiles à la manifestation de la vérité) des saisies patrimoniales (qui, à l'inverse, peuvent être affectées à titre gratuit aux enquêteurs même en l'absence de décision définitive de confiscation).

S'agissant, cette fois, des confiscations, les facteurs de « décrochage » par rapport aux saisies sont nombreux et semblent tenir principalement à :

- comme en matière de saisies, un manque d'effectifs spécialisés, alors même que la technicité de la matière suppose une pleine maîtrise des procédures et un suivi fin ;

- des saisies parfois insuffisamment motivées ou, pire, dont la motivation a été perdue au cours de la procédure. Sur ce terrain, on rappellera que les moyens informatiques dont disposent à ce jour les magistrats ne comportent pas de « chaînage » logiciel sur l'ensemble de la procédure, imposant à la juridiction de jugement de conduire un complexe travail rétrospectif pour caractériser les biens saisis dont ils envisagent de prononcer la confiscation - travail d'autant plus pesant qu'il a déjà été effectué aux stades antérieurs de la procédure, mais que sa trace n'a pas été pleinement conservée. Cette situation crée à l'évidence des lourdeurs qui n'incitent pas au prononcé des confiscations ;

- une procédure ressentie par les magistrats comme complexe, fastidieuse et chronophage, et dont l'intérêt semble parfois relatif au vu du laps de temps qui s'est écoulé depuis la saisie : comme l'a résumé l'Agrasc dans le cadre de son audition, « les dossiers avec des détenus, enserrées dans des délais contraints, les dossiers d'atteintes aux personnes, notamment de violences conjugales, sont incontestablement prioritaires sur les dossiers concernés par des saisies patrimoniales notamment quant à l'audiencement de ces dossiers, ce qui explique le délai entre la saisie et la confiscation éventuelle et devant être prononcée parfois des années plus tard alors que la situation du mis en cause a changé ».

Un consensus s'est ainsi exprimé sur la lourdeur de la procédure et sur l'impossibilité, au vu de sa complexité et de l'insuffisance des effectifs dédiés à sa mise en oeuvre, de « massifier » les saisies et les confiscations.

Si on peut espérer que les difficultés informatiques évoquées ci-avant soient, au moins pour partie, levées par la mise en oeuvre de la procédure pénale numérique (PPN), le rapporteur rappelle que ce projet ne sera effectif qu'à la fin de 2025 et qu'il connaît, depuis son lancement, des retards qui font craindre que cette date ne soit pas tenue. Elle appelle par conséquent le Gouvernement à mettre en place, sans attendre, des moyens informatiques complémentaires visant à faciliter l'action des juridictions ; elle demande également au pouvoir exécutif de garantir la bonne prise en compte, dans le périmètre du chantier PPN, des éléments liés aux biens saisis et à enfin mettre en place le « chaînage » numérique qui fait aujourd'hui défaut et dont l'absence entrave le prononcé des peines de confiscation.


* 15 Éléments chiffrés d'activité, Agrasc, 2023

* 16 Il est toutefois difficile de le comparer directement avec le montant des saisies, dans la mesure ou confiscations et saisies peuvent répondre à des temporalités différentes, un bien saisi en année N ne se trouvant définitivement confisqué que plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard.

* 17 600 000 euros ont également été virés à une autorité étrangère dans le cadre d'une entraide pénale internationale (EPI), et 1,3 million est revenu au Compte d'affectation spéciale : « Participations financières de l'État »

* 18 En 2023, selon les données de l'Agrasc, celles-ci étaient à l'origine de 70 % des sommes versées.

* 19  Loi du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

* 20  Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, complétée par le décret n° 2021-1794 du 23 décembre 2021.

* 21  Rapport n° 387 (2022-2023) « La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite », fait au nom de la commission des lois.

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