2. L'examen de la proposition de résolution n°101 (1988-1989)

Les auteurs de la proposition de résolution n° 101 demandent qu'il soit crée une commission d'enquête sur les faits auxquels ont donné lieu les opérations financières sur le capital de la Société générale.

Sans empiéter sur les compétences de la commission d'enquête que le Sénat, dans sa sagesse, pourrait décider de créer.

Il convient de rappeler brièvement les conditions dans lesquelles un certain nombre de transactions ont été réalisé sur le titre Société générale, banque privatisée en application de la loi du 2 juillet 1986.

Pour éclairer parfaitement le Sénat sur la nature des faits qui pourraient donner lieu à enquête, voire Commission des Finances a souhaité compléter son information en procédant à deux auditions :

- le 13 décembre 1988, elle a procédé à l'audition de M. Robert Lion, directeur général de !a Caisse des dépôts et consignations, accompagné de MM. Jacques Delmas-Marsalet, directeur général adjoint, et Bruno Boutrouille, directeur adjoint,

- le 15 décembre 1988, elle a procédé a l'audition de M. Jean Farge, président de la Commission des opérations de Bourse, accompagné de M. Jean- Luc Michau, chef du service de l'inspection.

Il ressort de ces auditions les éléments suivants :

- le titre Société générale a fait l'objet d'achats massifs sur les marchés français et étrangers pendant les mois d'août, septembre, octobre et novembre 1988, particulièrement au cours des deux derniers mois ;

- ces achats ont été le fait notamment de la Société immobilière de gestion et de participation (S I.G.P.) et de ses filiales étrangères, qui se sont rendues propriétaires de 5.567.462 actions Société générale représentant 10,07 % du capital de cette banque (dernière situation connue) ;

- la S.I.G.P., dont la seule activité a été de procéder aux achats susmentionnés, a réalisé plusieurs augmentations de capital pour financer ces acquisitions et, pour ce faire, elle a reçu le soutien de la Caisse des dépôts et consignations qui, grâce à un apport de un milliard de francs, est devenue actionnaire de la S.I.G.P. à hauteur de 32,2 % du capital, au côté de plusieurs investisseurs privés dont la société Camélia (majoritaire avec 51 % du capital de la S.I.G.P.), filiale indirecte de la société Marceau-Investissent.

Au total, le groupe Marceau Investissement détiendrait directement ou par le truchement de la S.I.G.P. 10,60 % du capital de la Société générale et la Caisse des dépôts, au titre des portefeuilles de ses différentes sections, 4,13 '% dudit capital.

Ces éléments d'information comportent davantage d'interrogations que de certitudes.

A titre d'exemple, on mentionnera, parmi les questions n'ayant pas reçu de réponse véritablement satisfaisante :

- les raisons qui ont conduit la Caisse des dépôts à prendre une participation de près du tiers du capital dans une société non cotée : cet investissement qui représente 8,2% de son portefeuille d'actions françaises cotées et qui triple le montant de son portefeuille d'actions non cotées contraste avec la politique de la caisse qui privilégie traditionnellement la liquidité et la division des risques ; de même, le fait de siéger au conseil d'administration de la S.I.G.P. semble contraire au souci de neutralité qui anime habituellement l'établissement.

- la contradiction - qui peut n'être qu'apparente - dans les déclarations du directeur général de la Caisse des dépôts lorsqu'il fait état de son souci, grâce à son soutien à l'offensive menée par Marceau-Investissement, de remédier à la fragilité de l'actionnariat de la Société générale alors que les dirigeants et le conseil d'administration de la banque se sont opposées à cette initiative.

Il en est de même, lorsque le directeur général émet le souhait que le renforcement de l'actionnariat de Marceau-Investissement permette d'entamer un dialogue sur la stratégie à moyen terme de la Société générale, alors même que la Caisse des dépôts s'interdit en principe une telle implication dans les sociétés dont elle est actionnaire et que la composition du tour de table de la S.I.G.P. fait apparaître une hétérogénéité des participants a priori peu propice à dégager une ligne d'action claire pour une des toutes premières banques de dépôts françaises.

- la contradiction entre les déclarations du directeur général de la Caisse telles qu'elles sont résumées ci-dessus et les propos tenus par M. le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du budget, appelant de ses voeux "une représentation plus équilibrée et pluraliste au sein des sociétés privatisées" ( 2 ( * ) ) ou encore souhaitant que les entreprises publiques soient des "partenaires actifs en participant à un véritable pluralisme dans les privatisées" ( 3 ( * ) ).

En réalité, les faits dont il s'agit - auxquels pourraient se joindre d'autres éléments telles les instructions qui auraient pu être données aux groupes publics d'assurances de se porter à leur tour acquéreurs d'actions Société générale - posent deux questions principales :

- la première a trait aux tentatives qui pourraient apparaître d'une renationalisation silencieuse des sociétés privatisées en application de la loi du 2 juillet 1986 alors même que le Gouvernement n'a demandé à ce jour au Parlement ni de revenir sur les opérations de privatisation déjà réalisées, ni même de renoncer à celles qui doivent intervenir avant le 1 er mars 1991 ;

- la seconde vise l'avenir de la place de Paris : les gouvernements qui se sont succédés au cours des dernières années ont eu pour souci constant de donner les moyens à la place financière de Paris de faire face à la concurrence des grandes places étrangères, notamment dans le cadre de l'unification européenne des marchés de capitaux. Des instruments et des marchés nouveaux ont été mis en place; l'importance de la sécurité, de la liquidité et de la transparence du marché a été soulignée.

A l'évidence, les investisseurs et les sociétés étrangères ne trouveront le chemin de la place de Paris que si cette dernière obéit à des règles du jeu claires et sans ambiguïté . Les conditions dans lesquelles se sont déroulés en Bourse ce qu'il faut bien appeler des "raids publics" ne semblent pas s'inscrire précisément dans l'évolution souhaitée par tous.

Se pose dans ces conditions le problème du rôle et des modalités d'intervention sur le marché des investisseurs institutionnels et plus généralement- des organismes publics et des règles auxquelles il convient de réfléchir pour en gommer les aspects les plus nocifs.

Les opérations financières dont a été l'objet au cours des derniers mois le capital de la Société générale mérite donc amplement que soit créée une commission d'enquête afin d'en préciser la nature et d'en tirer les leçons. C'est dans cet esprit que votre commission des finances vous propose un certain nombre de modifications au texte initial de la proposition de résolution.

* 2 - Journal Officiel Assemblé nationale, 1 ière séance du 30 novembre 1988, p. 2888

* 3 - interview à la Tribune de l'économie du 28 novembre 1988

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