Rapport n° 20 (1995-1996) de M. Hubert DURAND-CHASTEL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 11 octobre 1995

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N° 20

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès verbal de la séance du 11 octobre 1995

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime , faite à Strasbourg le 8 novembre 1990,

Par M.Hubert DURAND-CHASTEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Michel d'Aillières, François Abadie, Guy Penne, vice-présidents ; Jean Garcia, Michel Alloncle, Roland Bernard, Jacques Golliet, secrétaires ; Jean-Luc Bécart, Mme Monique Ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, André Bettencourt, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Paul Caron, Jean-Paul Chambriard, Yvon Collin, Claude Cornac, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Michel Crucis, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Roger Fossé, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Jacques Genton, Yves Guéna, Bernard Guyomard, Jacques Habert, Hubert Haenel, Marcel Henry, André Jarrot, Louis Jung, Christian de La Malène, Marc Lauriol, Edouard Le Jeune, Max Lejeune, Philippe Madrelle, Michel Maurice-Bokanowski, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Paul d'Ornano, Alain Poher, Michel Poniatowski, André Rouvière, Georges Treille, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon, Albert Voilquin.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Notre Haute assemblée est appelée à se prononcer sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe et signée à Strasbourg le 8 novembre 1990 .

La convention a pour objet d'établir progressivement, entre les divers Etats parties, une meilleure cohérence de leurs dispositifs pénaux respectifs afin d'être en mesure, en menaçant de priver les délinquants des profits , souvent considérables, de leurs crimes, de dissuader les criminels et, singulièrement, les organisations criminelles qui disposent de moyens considérables pour perpétrer leurs forfaits et dissimuler les revenus qu'elles en tirent.

La convention du 8 novembre 1990 invite les Etats à une double démarche : d'une part, aménager leur droit interne afin de le mettre en harmonie avec les dispositifs qu'elle propose, notamment en prévoyant une « infraction de blanchiment », d'autre part, prévoir les modalités et les procédures de coopération internationale afin que le dispositif répressif revête le même caractère -et si l'on peut dire la même efficacité- transnational que la circulation des produits d'actes délictueux.

PREMIÈRE PARTIE : PORTÉE GÉNÉRALE DE LA CONVENTION

I. LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX ILLICITES : UN PHÉNOMÈNE INTERNATIONAL MAJEUR

Depuis de nombreuses années, on a pu constater une internationalisation croissante des activités criminelles organisées. Ce constat porte en premier lieu sur les infractions ou les crimes eux-mêmes. Le trafic international des stupéfiants tout d'abord, mais aussi toutes autres formes de délits non liés directement à la drogue : racket, prostitution, terrorisme, etc . Cette internationalisation du crime s'appuie souvent sur des organisations de type mafieux qui, au delà de la Sicile ou des Etats-Unis, essaiment ou tentent de s'introduire dans d'autres pays comme le Japon, la Russie. La France, semble-t-il, n'est pas à l'abri de certaines activités mafieuses, comme l'avait relevé un rapport d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, par delà l'activité des organisations policières et judiciaires dont la coopération s'accroît de plus en plus, il convenait de mettre en place un dispositif multilatéral apte à priver les auteurs de crimes ou délits des produits, parfois très considérables, de leurs actes : n'estime-t-on pas à quelque 1 000 milliards de francs le marché annuel des stupéfiants -dont 14 milliards pour la France ?

C'est à cette fin qu'a été élaborée la présente convention qui, en prévoyant un dispositif juridique précis et mettant en place les règles d'une coopération internationale élargie, se propose de mettre fin aux mécanismes de blanchiment des fonds provenant d'actes illicites et, partant, de mettre un obstacle supplémentaire et dissuasif aux agissements criminels.

Cette lutte contre le blanchiment doit impérativement revêtir un caractère international, à l'heure où les transactions financières ont acquis, grâce aux techniques modernes, une fluidité et une rapidité nouvelles.

Dans ces domaines, une coopération est d'ores et déjà engagée entre principaux pays industrialisés et la présente convention contribuera à la parfaire. Il reste toutefois que cette coopération se heurte à l'existence de divers « paradis » fiscaux ou bancaires où les opérations de blanchiment prennent leur origine (banques offshore des Caraïbes ou de la zone Pacifique). Enfin, d'autres pays n'ont pas encore adopté de réglementation et de modalités de contrôle de leurs organismes financiers, ce qui laisse le champ libre à toutes les infractions. Ainsi, certaines économies laissent-elles une large place aux paiements en espèce (Europe de l'Est ou Asie).

II. LA NÉCESSITÉ D'OUTILS JURIDIQUES ADAPTÉS

La convention des Nations Unies du 19 février 1988 contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, signée par la France le 13 juin 1989 1 ( * ) et entrée en vigueur le 31 mars 1991, engageait déjà les Etats signataires à ériger le blanchiment des produits du trafic des stupéfiants en infraction pénale. Elle laissait ainsi de côté les produits nés des autres trafics ou infractions , sans rapport avec les stupéfiants, mais qui représentent eux-mêmes des sommes importantes, en particulier lorsque les délits ou crimes qui les génèrent sont perpétrés par des organisations criminelles organisées.

Ainsi la présente convention invite-t-elle les Etats signataires à incriminer beaucoup plus largement le blanchiment de capitaux illicites.

La législation française avait déjà tiré les conséquences, sur sa propre législation, de la Convention de Vienne de 1988, par la loi n° 90-1010 du 14 novembre 1990, en prévoyant des dispositions autorisant la confiscation des produits liés au trafic des stupéfiants.

Préalablement, par la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 , relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants , la France avait pris en compte les recommandations du Groupe d'action financière internationale (GAFI) prévoyant en particulier l'incrimination du blanchiment des fonds provenant du trafic des stupéfiants et créant des structures administratives adaptées. Cette dernière loi a été modifiée par la loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, afin d'en élargir le champ d'application et d'en parfaire l'efficacité.

Enfin le projet de loi, examiné concomitamment à la présente convention internationale, a pour objet d'inscrire dans notre législation interne ses principales dispositions novatrices .

En particulier, il prévoit des dispositions permettant de répondre à une décision étrangère de confiscation , ou une demande de mesures conservatoires sur un bien situé sur le territoire national, procédures aujourd'hui limitées aux seuls produits du trafic de stupéfiants.

III. EN FRANCE : LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

C'est à l'initiative de la France, au Sommet du G 7 de l'Arche en juillet 1989 , que fut créé le Groupe d'Action Financière Internationale (GAFI), chargée de se réunir chaque année afin « d'empêcher l'utilisation du système bancaire aux fins de blanchir l'argent ». La première réunion aboutit à l'adoption de plusieurs recommandations destinées à adapter les législations pénale et bancaire et faciliter la coopération internationale.

La France procéda donc à une première adaptation de son arsenal juridique en la matière : la loi du 12 juillet 1990, précitée , a prévu la création de deux entités :

- Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) dépendant du ministère de l'Economie et des Finances,

- Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) , créé au sein du ministère de l'Intérieur.

De par ce dispositif, il revient aux banques et autres organismes financiers de déclarer à Tracfin leurs éventuels soupçons face à des opérations ou mouvements de fonds à caractère suspect.

Lors de la troisième réunion du GAFI, tenue à Lugano en juin 1992, la nécessité se fit sentir d' élargir le dispositif légal en l'étendant au blanchiment des capitaux illicites en général , au delà du seul trafic de stupéfiants, en y incluant notamment toutes infractions graves, impliquant en particulier des organisations criminelles de type mafieux. Pour la France, ce fut l'objet de la loi précitée du 29 janvier 1993 et notamment de ses articles 72 et 73, d'une part, étendant les déclarations de soupçons des banques aux opérations financières susceptibles de provenir de l'activité d'organisations criminelles et prévoyant, d'autre part, que les déclarations à Tracfin pourraient être verbales, afin d'inciter les banques à lever plus facilement le secret bancaire et protéger ainsi leur personnel.

Depuis trois ans, le bilan de la cellule dite Tracfin peut se résumer ainsi : 1 624 déclarations de soupçons effectuées par les banques ou compagnies d'assurances, sociétés de bourse, changeurs, etc... Depuis février 1992, Tracfin reçoit quelque 30-40 déclarations de soupçons par mois (mais Scotland Yard en traite environ un millier). Sur ce total, 52 affaires ont été transmises au Parquet ; 30 relèvent de présomptions de blanchiment de trafic de drogue (quelques centaines de millions de francs), 22 relèvent d'infractions non liées au blanchiment.

IV. LES DIFFÉRENTES MÉTHODES DE BLANCHIMENT DES PRODUITS DU CRIME

Les trois années de fonctionnement de Tracfin ont permis de dresser une « typographie du blanchiment » qui laisse apparaître trois principales méthodes différentes.

1. Le placement des sommes en numéraire soit auprès d'établissements financiers, soit par transfert des devises à l'étranger. Il peut également s'agir d'une acquisition de chèques de voyage, ou d'objet précieux, revendus ensuite avec encaissement du chèque.

2. « L'empilage » : il s'agit de multiplier les opérations financières pour empêcher de remonter à l'origine des produits illicites, généralement des "paradis bancaires", au travers de sociétés écrans.

3. L'intégration : les fonds d'origine criminelle sont reconvertis, sous une apparence de légalité, dans l'activité économique, par voie d'investissements ; cela peut prendre plusieurs formes : opérations immobilières, fausses factures import/export, remboursement à une filiale de prêts fictifs accordés par la maison mère, enfin investissements dans l'industrie du tourisme.

DEUXIÈME PARTIE : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION

I. OBLIGATIONS POUR LES ÉTATS PARTIES DE DISPOSER D'UN ARSENAL JURIDIQUE ADAPTÉ

L'un des objectifs essentiels de la convention est de constituer un instrument contraignant les Etats à adapter leur législation interne au combat contre la grande criminalité en privant les criminels du produit de leurs actes délictueux .

Dans la phase préparatoire à la rédaction de la convention, les experts ont décelé d'importants écarts dans les droits nationaux dans trois domaines où la convention entend opérer un rapprochement des systèmes juridiques : les mesures de confiscation , les modalités de dépistage et d'enquête , la capacité de prendre des mesures provisoires .

Par ailleurs et surtout, la convention pose l'obligation, pour les Etats qui ne l'auraient pas encore fait, de prévoir dans leur législation interne l'infraction du blanchiment des produits du crime , au-delà du blanchiment des seuls produits du trafic de stupéfiants, dont le caractère délictueux est d'ores et déjà prévu par la convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et de substances psychotropes (signée à Vienne en 1988).

A. PRÉVOIR DES MESURES DE CONFISCATION

Chaque Etat devra disposer des textes permettant la confiscation de biens (quelle que soit leur nature, meuble ou immeuble, corporel ou incorporel) constituant un « produit » c'est-à-dire, selon la définition retenue, « un avantage économique tiré d'infractions pénales ». La confiscation est supposée porter également sur les « instruments » destinés à commettre une infraction ou faciliter sa commission.

L'harmonisation des systèmes juridiques en la matière se justifie d'autant plus que si tous les Etats prévoient le mode de confiscation de « biens », certains prévoient la confiscation de la « valeur » consistant en une obligation de verser une certaine somme représentant la valeur des produits tirés directement de l'infraction ou des biens acquis grâce à eux. La convention prévoit donc le recours possible aux deux méthodes (art. 2, § 1). On notera à cet égard qu'avant l'entrée en vigueur, au 1er mars dernier, du nouveau code pénal, notre droit pénal n'autorisait pas le mécanisme de la confiscation en valeur.

L'esprit de la convention consiste à viser la confiscation des produits liés à plusieurs sortes d'infractions pénales majeures : trafic de stupéfiants mais aussi, par exemple, infractions terroristes, criminalité organisée, criminalité violente, exploitation sexuelle d'enfants ou d'adolescents, extorsion de fonds, enlèvement, ainsi que délits d'initiés, escroqueries ou infractions en matière d'environnement.

Mais tout en posant ce principe général, la convention prévoit que les Etats qui le souhaitent pourront, par déclaration, limiter le champ d'application de cette obligation de prévoir des mesures confiscatoires qu'à certaines infractions ou catégories d'infractions. En prévoyant cette faculté, les auteurs de la convention ont estimé qu'elle permettra de rassembler rapidement davantage d'Etats alors que l'exigence d'un dispositif portant sur toutes les infractions potentielles aurait conduit certains Etats à demeurer hors de la convention.

En tout état de cause, le gouvernement français n'a pas souhaité user de cette faculté et le projet de loi portant adaptation de la présente convention se propose de créer un délit général de blanchiment des produits du crime.

Cela étant, comme le précise le rapport explicatif du Conseil de l'Europe, cette possibilité de réserve par une Partie « ne signifie pas nécessairement qu'elle soit tenue de refuser de faire droit à une demande présentée par une Partie qui n'a pas fait de réserve analogue ».

B. ÊTRE À MÊME DE PRENDRE DES MESURES D'INVESTIGATION ET DES MESURES PROVISOIRES

La faculté de réserve, qui vient d'être évoquée, n'est toutefois pas envisagée s'agissant des mesures d'investigation ou des mesures provisoires (gel, saisie) qu'un Etat doit être en mesure de prendre, quelle que soit l'infraction génératrice du bien dont la confiscation pourrait être envisagée, en particulier pour répondre à la demande d'un autre Etat partie dans le cadre de la coopération internationale. En tout état de cause, dans ce cas de figure, subsiste toujours pour l'Etat sollicité la possibilité d'opposer un des motifs de refus prévus à l'article 18 de la convention (voir infra).

C. DISPOSER DE POUVOIRS ET DE TECHNIQUES D'INVESTIGATION

Chaque Etat devra prévoir un dispositif habilitant les tribunaux ou « autres autorités compétentes » à ordonner la communication ou la saisie de dossiers « bancaires, financiers ou commerciaux ».

Dans le cadre d'une coopération internationale, le secret bancaire ne saurait être invoqué lorsque sa levée est ordonnée par une autorité judiciaire agissant en matière d'infractions pénales (article 18, alinéa 7).

De même, les Etats parties devront prendre en compte l'ensemble des techniques d'enquêtes -surveillance des comptes bancaires, filatures, les écoutes téléphoniques, l'accès à des systèmes informatiques ainsi que les ordonnances de production de certains documents.

D. PRÉVOIR L'INCRIMINATION DU BLANCHIMENT

L'article 6 prévoit l'obligation de criminaliser le blanchiment , et plus précisément tout acte intentionnellement commis, destiné à :

- convertir, transférer des biens d'origine illicite ; dissimuler ou déguiser leur origine illicite ; aider toute personne impliquée dans un acte délictueux à échapper aux poursuites ;

- dissimuler l'origine, l'emplacement, la disposition ou les mouvements de propriété réels de biens liés à un acte délictueux.

De plus, si l'Etat partie à la convention n'en est pas empêché par les principes constitutionnels ou les concepts fondamentaux de son système juridique, il devra étendre la criminalisation du blanchiment à tout acte tendant à :

- acquérir, détenir ou utiliser en connaissance de cause des biens liés à un acte délictueux ;

- participer à l'un des actes visés ci-dessus ou s'associer, s'entendre ou se rendre complice de l'une de ces infractions.

La référence à l'éventuelle limitation par un Etat, du fait de principes juridiques supérieurs, à la criminalisation du blanchiment doit être entendue dans le cadre de la coopération internationale : dans ce cas, un Etat ne serait pas en en mesure de répondre à une demande étrangère au motif que l'infraction qui la fonde ne serait pas qualifiée telle dans l'Etat sollicité en vertu, précisément, de ces considérations juridiques supérieures.

La convention précise, en ce même article 6, que dans cette incrimination du blanchiment, le fait que l'infraction principale ayant généré le produit illicite ait été commise en dehors du territoire de l'Etat n'entre pas en ligne de compte, l'objet de la convention étant notamment de viser les infractions extra-territoriales. Elle prévoit enfin le cas de certains Etats dont le système juridique dispose que le blanchiment ne constitue pas, pour l'auteur de l'infraction principale, une infraction supplémentaire.

Enfin chaque Etat a la faculté de criminaliser le comportement négligent d'une personne ayant à traiter d'un bien illicite, les relations d'affaires fondées sur les produits du crime, enfin la facilitation en connaissance de cause d'une activité criminelle.

II. FACILITER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

L'objectif de la coopération qu'entend promouvoir la convention est, en particulier, de mettre chaque Etat signataire juridiquement en mesure de répondre à une demande , émanant d'une autre partie, de confiscation des biens acquis à la suite d'une infraction . De même, les Etats devront prévoir des modalités de coopération et d'entraide aux fins d' investigations et de mesures provisoires ayant pour objet d'obtenir la confiscation de tels biens ou produits.

A. LE CHAMP D'APPLICATION PRINCIPAL DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE : ENQUÊTES, MESURES PROVISOIRES, CONFISCATION

1. Enquêtes

« Les Parties s'accordent, sur demande, l'entraide la plus large possible pour identifier et dépister les instruments (permettant la commission de l'infraction), produits et autres biens susceptibles de confiscation ».

L'entraide revêt donc un champ d'application assez large, pouvant même concerner des biens d'origine licite, comporter des mesures de saisie de pièces à conviction ou de preuves. Enfin ces mesures d'entraide aux fins d'investigation peuvent être déclenchées au profit d'autres autorités que les autorités judiciaires, telles que la police ou les douanes, si l'entraide n'entraîne pas de mesures coercitives (cf. article 24, § 5).

La convention innove en matière d'entraide en ce qu'elle prévoit la transmission spontanée d'information d'une Partie à une autre Partie (article 10).

2. Mesures provisoires

Entre le moment où un Etat aura engagé une procédure pénale ou une action en confiscation mais où aucune décision n'aura encore été rendue, une Partie, sollicitée par cet Etat, devra prendre des mesures de sûreté (gel ou saisie des avoirs et des biens), sauf à recourir aux procédures de refus ou d'ajournement prévues par la convention (voir infra).

3. Confiscation

Comme l'avait fait la convention des Nations Unies de 1988, le présent texte prévoit deux modes de coopération entre Etats en vue de procéder à la confiscation de biens ou produits acquis illicitement. Chaque Etat signataire doit être en mesure :

- soit d'exécuter directement la décision de confiscation étrangère ;

- soit de demander à ses propres « autorités compétentes » d'ordonner la confiscation et de l'exécuter (art. 13-1-6).

Dans les deux cas, la décision devra être prise par un tribunal soit directement (demande de décision d'un tribunal étranger exécutée par l'Etat requis), soit indirectement , après que les « autorités compétentes » de l'Etat requis auront saisi leurs propres autorités judiciaires.

En tout état de cause, il revient à la Partie requise de choisir le mode de coopération qu'elle souhaite appliquer. L'exécution de la décision de confiscation est réalisée, quel que soit le mode de coopération retenu, conformément au droit et aux règles de procédure de l'Etat requis.

Enfin, l'exécution d'une décision de confiscation émanant d'autorités judiciaires étrangères pose le problème de la valeur internationale des jugements répressifs puisque, en application de la convention, l'Etat sollicité d'exécuter une mesure de confiscation est « lié » par la « constatation des faits » établie par le tribunal de l'Etat demandeur. Certains systèmes juridiques internes ne prévoient pas, en matière répressive, cette procédure « d'exequatur ». A cette fin, le paragraphe 3 de l'article 14 donne aux Etats la possibilité de déclarer, lors de la procédure d'adhésion à la convention, que cette disposition « ne s'applique que sous réserve de (leurs) principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de (leurs) systèmes juridiques ». La France n'a pas, là encore, eu recours à cette faculté de réserve.

Toutefois, si l'Etat requis est bien lié par la « constatation des faits » établie par le tribunal de l'Etat requérant, il ne l'est pas par ses conséquences juridiques : il existe donc sur ce point une marge d'appréciation pour les autorités de l'Etat requis qui peut aller, le cas échéant, jusqu'au refus d'exécution.

B. LES CAS DE REFUS DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

1. Les motifs de refus opposables aux trois types de coopération (investigations, mesures provisoires, confiscations)

Un Etat peut refuser toute forme de coopération prévue par la convention :

- si la mesure demandée est contraire à ses principes juridiques fondamentaux.

- si l'exécution de la demande affecterait la souveraineté, la sécurité, l'ordre public ou d'autres « intérêts essentiels » de l'Etat requis.

Il s'agit là de garde-fous traditionnels posés en matière d'exécution de jugements étrangers, tels que posés par la convention européenne sur la transmission des procédures répressives, ou par la convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs.

- s'il existe une disproportion flagrante entre la mesure sollicitée et l'infraction qui la justifie (frais de confiscation supérieurs au produit qu'elle générera, faiblesse des sommes dont la confiscation est demandée, enfin caractère mineur de l'infraction justifiant la demande).

- si l'infraction a un caractère politique ou fiscal . Toutefois comme le précise le rapport explicatif du Conseil de l'Europe, « aucune infraction définie par la convention des Nations Unies comme infraction en matière de stupéfiants ne devrait être considérée comme une infraction politique ou fiscale ».

- si l'infraction a déjà fait l'objet d'un jugement dans la partie requise (principe dit « non bis in idem »).

- si l'infraction ne serait pas susceptible, dans la partie requise, de faire l'objet d'une incrimination. Cette condition n'est applicable, dans le cas de l'entraide aux fins d'investigation, que si celle-ci prévoit des mesures coercitives.

2. Les motifs de refus opposables aux demandes de mesures coercitives dans le cadre de procédures d'investigations et de mesures provisoires

Le refus de coopération dans ce cadre est possible si les mesures sollicitées ne pouvaient être appliquées dans la partie requise ou dans la partie requérante en vertu de leur droit interne respectif. En tout état de cause une demande de coopération comportant des mesures coercitives devra toujours être autorisée par une autorité judiciaire pénale .

3. Les motifs de refus à une demande de confiscation

La confiscation peut être refusée

- si, dans le droit interne de l'Etat requis, une confiscation pour le type d'infraction en cause n'est pas prévue.

- si la relation n'est pas directe entre l'infraction et l'avantage économique qu'elle a généré.

- si, au regard de la législation de la partie requise, la décision de confiscation fait l'objet d'une prescription.

- si la demande de confiscation n'est pas fondée sur une condamnation antérieure ou une décision de caractère judiciaire.

- si la décision de confiscation n'a pas acquis un caractère définitif, étant susceptible par exemple de recours à effets suspensifs.

- si la décision de confiscation a été rendue par défaut, en l'absence de la personne visée, celle-ci n'ayant alors pu exercer pleinement sa défense.

Toutefois, cette dernière condition est à interpréter restrictivement ; elle n'est pertinente que sous certaines conditions démontrant que l'intéressé ne s'est pas délibérément soustrait à la justice ou n'a pas voulu utiliser les voies de recours qui lui étaient ouvertes.

Enfin, le secret bancaire ne saurait être utilisé comme motif à un refus de demande de confiscation, sous réserve toutefois que celle-ci ait été demandée par un magistrat, un juge d'instruction ou un procureur.

Il convient de rappeler qu'en application de la convention des Nations Unies, le secret bancaire ne peut être opposé pour refuser une coopération dans le cas d'infractions en matière de stupéfiants et de blanchiment.

La convention prévoit également que la demande de coopération peut faire l'objet, de la part des autorités de l'Etat requis, d'une ou de plusieurs décisions d'ajournement , si la demande est à même de porter préjudice à des investigations ou des procédures menées par ses propres autorités. Enfin, entre le refus pur et simple de coopération et l'acceptation totale, la convention prévoit la possibilité d'une acceptation partielle ou sous conditions de la demande (article 20).

C. LES DISPOSITIONS PROTECTRICES POSÉES PAR LA CONVENTION

1. La protection des droits des tiers

Une section de la convention est consacrée à la sauvegarde des droits des tiers impliqués dans une des procédures de coopération internationale prévues par le texte. A cet égard, elle constitue la base juridique en matière de notification de documents, élément important du respect du droit des tiers. Ainsi, est-il prévu que la partie demanderesse, auteur de la notification, indiquera formellement les recours juridiques ouverts au destinataire : quel tribunal de l'Etat demandeur est-il possible de saisir et dans quels délais par exemple.

Enfin, l'article 22 de cette section pose les conditions à remplir en matière de reconnaissance de décisions judiciaires étrangères. Une telle reconnaissance dans le cadre d'une demande de coopération est automatique si les droits des tiers concernés ont été protégés dans l'Etat demandeur de l'action de coopération. A l'inverse, la reconnaissance peut être refusée si, d'une façon générale, les tiers n'ont pas eu la possibilité de faire valoir leurs droits.

2. Les règles formelles prévues dans le cadre de la coopération internationale

La convention énumère les formalités précises qui doivent être remplies afin de permettre une bonne exécution de la coopération internationale. Chaque pays désignera une ou plusieurs autorités centrales chargées d'envoyer les demandes ou de les exécuter. En France, il s'agira du ministère de la Justice et plus particulièrement du service des affaires européennes et internationales. On notera que la France a eu recours à la faculté ouverte à l'article 21, dernier alinéa, en vertu de laquelle, par déclaration, le gouvernement français a voulu que les actes judiciaires ne soient délivrés que par cette autorité centrale.

L'article 24 décrit les modalités de communication ouvertes aux autorités centrales pour échanger des demandes entre elles, la faculté étant laissée aux autorités judiciaires de s'adresser directement des demandes, notamment en cas d'urgence. En tout état de cause Interpol constitue dans ce cadre un intermédiaire privilégié .

S'agissant des formes que doivent revêtir les demandes de coopération, elles sont détaillées précisément à l'article 25 de la convention : elle prévoit notamment l'usage possible de toute forme moderne de communication (y compris les telefax).

On relèvera également que la convention spécifie que les éléments d'information ou de preuve fournis par un Etat à un autre dans le cadre d'une coopération liée à une affaire précise ne soient pas utilisés dans un autre cadre (règle dite de spécialité). L'article 33 mentionne enfin l'importance d'un usage confidentiel des informations transmises -notamment éviter que des institutions financières n'avertissent leurs clients d'une mise en oeuvre d'investigations à leur encontre.

Enfin, quant au champ d'application territorial de la convention et en ce qui concerne la France, le gouvernement français déposera, dans le cadre de l'article 38 de la convention, une déclaration précisant qu'elle s'appliquera « en ce qui concerne les territoires d'outre-mer, sous réserve de l'entrée en vigueur, à l'égard de ces territoires, du nouveau code pénal (...) ». Or l'extension du nouveau code pénal aux TOM ne devrait intervenir que dans le courant de l'année 1995.

CONCLUSION

La convention qui vient d'être présentée dans ses grandes lignes est importante en ce qu'elle se propose d'établir un vaste espace -les territoires des Parties- d'où seront abolis, autant que faire se peut, les obstacles juridiques qui freinent les actions judiciaires réprimant le blanchiment des capitaux illicites. En cela elle constitue un outil précieux de lutte contre le crime.

Il est clair également que l'efficacité de cette convention dépendra non seulement de la diligence que mettront les gouvernements des Etats parties à en tirer les conséquences juridiques internes qu'elle induit, mais aussi de la participation du plus grand nombre possible de pays. A cet égard, la convention prévoit en son article 36 qu'elle est ouverte non seulement aux Etats membres du Conseil de l'Europe mais aussi à ceux des Etats non membres qui ont participé à son élaboration : en clair, l'Australie, le Canada et les Etats-Unis. Or, parmi eux, seule l'Australie a signé la convention. Celle-ci a été signée par 22 pays et, sur cet ensemble, ratifiée par seulement huit 2 ( * ) . Il importera enfin que les pays de l'Europe de l'Est membres du Conseil de l'Europe s'intègrent au dispositif proposé, afin de pouvoir en tirer toutes les conséquences possibles, notamment en ce qui concerne leur réglementation bancaire, actuellement en gestation.

La France a tenu dès le début un rôle moteur dans la mise en oeuvre de dispositions juridiques novatrices en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux. Il apparaît donc essentiel qu'elle soit partie à cet instrument. Votre rapporteur vous invite donc à donner un avis favorable au projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du projet de loi au cours de sa séance du mercredi 11 octobre 1995.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, MM. Jacques Habert et Guy Penne se sont interrogés sur les raisons du retard de la France à ratifier la convention. M. Guy Penne a estimé que le peu d'engouement des Etats à ratifier la convention préjugeait mal de son efficacité. Le rapporteur a indiqué à M. Jacques Habert que la Suisse avait ratifié la convention, le Luxembourg l'ayant seulement signée mais non encore ratifiée. Il a rappelé que le retard de la France à ratifier le texte était lié au nécessaire aménagement de notre droit interne, afin de l'harmoniser avec les prescriptions de la convention.

La commission a ensuite approuvé le projet de loi qui lui était soumis.

*

* *

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, faite à Strasbourg le 8 novembre 1990 et signée à Strasbourg le 5 juillet 1991, dont le texte est annexé à la présente loi 3 ( * ) .

ANNEXE

I - Etat des ratifications

Etats

Bulgarie

Finlande

Italie

Lituanie

Norvège

Pays-Bas

Royaume-Uni

Suisse

Date de ratification

1er juin 1993

9 mars 1994

20 janvier 1994

20 juin 1995

16 novembre 1994

10 mars 1993

28 septembre 1992

11 mai 1993

Entrée en vigueur

1er octobre 1993

1er juillet 1994

1er mai 1994

1er octobre 1995

1er mars 1994

1er septembre 1993

1er septembre 1993

1er septembre 1993

II - Etats signataires n'ayant pas ratifié la Convention

Signataires Date de signature

Allemagne 8 novembre 1990

Australie 28 septembre 1992

Autriche 29 septembre 1992

Belgique 8 novembre 1990

Chypre 8 novembre 1990

Danemark 8 novembre 1990

Espagne 8 novembre 1992

Grèce 28 septembre 1990

Islande 8 novembre 1990

Liechtenstein 29 juin 1995

Luxembourg 28 septembre 1992

Portugal 8 novembre 1990

Suède 8 novembre 1990

Slovénie 23 novembre 1993

* 1 Voir à ce sujet le rapport de M. Michel Alloncle (n° 357, 1989-1990).

* 2 Voir en annexe la liste dees Etats signataires et l'état des ratifications.

* 3 Voir le texte annexé au document Sénat n°610 (1993-1994)

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