II. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE AU MALI ESSENTIELLE POUR LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS MAIS SANS COMMUNE MESURE, NUMÉRIQUEMENT, AVEC LA COMMUNAUTÉ MALIENNE INSTALLÉE EN FRANCE

Le Mali, longtemps proche de l'ancienne Union soviétique, s'est rapproché au cours de la présente décennie de l'Occident et, surtout, de la France. Cependant l'existence d'une très forte communauté malienne en France demeure une source potentielle de tensions dans les relations en voie d'apaisement entre la France et le Mali.

A. LES FRANÇAIS AU MALI, UNE PRÉSENCE CARACTÉRISÉE PAR L'IMPÉRATIF DU DÉVELOPPEMENT

La présence du secteur privé français au Mali que suffirait à justifier la part de la France dans les échanges du Mali (premier client et second fournisseur après la Côte d'Ivoire) reste déterminante pour le développement dans ce pays.

Les entreprises françaises sont représentées au Mali par 28 filiales et emploient 2 700 personnes. Par ailleurs, 36 sociétés dirigées par des ressortissants français occupent 1 050 personnes et réalisent un chiffre d'affaires de 13 milliards de francs CFA. Les projets français s'orientent aujourd'hui dans trois grandes directions : l'exploitation des ressources naturelles (mine d'or de Sadiola), le développement des infrastructures (réseau routier, réseau électrique, barrages hydrauliques) et les télécommunications.

La présence française reste cependant dominée par la politique de coopération . Premier contributeur de l'aide au Mali qui, en moyenne sur 10 ans, se place au 6e rang des bénéficiaires de l'aide française (420 millions de francs en 1994 au titre de l'aide publique au développement), la France maintient également la présence de 130 coopérants (400 en 1991), concentrés principalement dans le secteur de l'enseignement.

Si la formation revêt une dimension essentielle de la coopération, les secteurs privé et associatif, les filières de production, le rééquilibrage régional bénéficient également du soutien français.

La coopération militaire s'efforce, par le concours des assistants militaires techniques, de former les forces, spécialement celles chargées du maintien de l'ordre, dans le respect des règles et de l'esprit démocratiques.

Au total, la communauté française réunit 2 808 immatriculés (les non-immatriculés sont estimés à 800 personnes). Par ailleurs, 33% des immatriculés bénéficient de la double nationalité.

B. LES MALIENS EN FRANCE : UNE COMMUNAUTÉ TRÈS IMPORTANTE ET ORGANISÉE 3 ( * )

La communauté malienne en France estimée à 80 000 personnes se caractérise par trois traits : l'ancienneté de son installation, une solidarité forte, un nombre important de Maliens en situation irrégulière.

Les Maliens ont commencé à s'installer en France à la faveur de la première vague migratoire africaine en France, de l'entre-deux-guerres jusqu'aux années 60. Sans doute ce mouvement s'explique-t-il essentiellement pour des raisons économiques, mais il a été favorisé par une certaine tradition du voyage initiatique et, surtout, par la constitution de filières de départ bien organisées. Ainsi certains Soninké, originaires du Mali, habitués aux migrations saisonnières, se sont fixés dans quelques grands ports africains (Dakar, Abidjan), où ils ont apporté un appui matériel et financier (prêts remboursables par les premiers salaires des jeunes immigrés) aux candidats au départ pour la France.

Les premières communautés maliennes en France se sont formées de cette façon. Leur rôle s'est avéré à leur tour déterminant lors de la deuxième grande vague migratoire (1960-1975) qu'ils ont amplifiée en servant de tête de pont pour les nouveaux arrivants. Ces derniers se sont surtout concentrés dans la région parisienne où les Maliens, les Sénégalais et les Mauritaniens représentaient les trois cinquièmes des 27 000 Africains recensés par la Préfecture de Paris en 1976. Les monopoles africains sur certains emplois (éboueurs de la voirie parisienne par exemple) ont permis "un système de rotation entre ceux qui sont en France et ceux qui sont au village d'origine  (...). C'est ce système que viendra perturber l'arrêt de l'immigration intervenu en 1974, déclenchant ainsi de nouvelles migrations à caractère plus définitif et empruntant des voies d'accès inédites" 4 ( * ) .

L'arrêt de l'immigration a ainsi eu deux effets paradoxaux :

- de provisoire, l'installation des Maliens dans notre pays est devenue définitive et a justifié ainsi les demandes de regroupement familial ;

- l'immigration clandestine s'est considérablement développée .

Comment comprendre cette évolution ?

Les motivations économiques à l'origine du départ des Maliens n'ont pas diminué alors même que les possibilités de migration au sein du continent noir se sont taries : le Gabon ou le Congo, soumis aux programmes d'ajustement structurel, ont fermé leurs frontières aux migrants venant du Mali. La pression migratoire vers nos frontières ne s'est donc pas relâchée, mais a dû emprunter des canaux inédits et parfois illégaux.

La dernière vague migratoire s'est ainsi caractérisée par deux traits principaux :

- le nombre croissant des travailleurs en situation irrégulière,

- la présence de nouvelles catégories d'immigrés : les étudiants en premier lieu espèrent, à la faveur d'une inscription dans une faculté française, s'installer dans notre pays même si le passage du statut d'étudiant au statut de salarié est rendu désormais difficile.

En second lieu, de plus en plus de Maliens sollicitent l'asile politique , bien que la situation politique du Mali ne se soit pas dégradée.

Enfin, le regroupement familial a joué surtout à partir de 1976. La population malienne en France est dès lors devenue plus diverse, avec une part plus importante de femmes et d'enfants.

L'importance de la présence malienne en France peut surprendre si l'on considère que d'autres communautés originaires de pays africains aussi pauvres et aux densités plus fortes (Rwanda, Burundi ...) demeurent nettement plus faibles. Le phénomène s'explique par l'existence de filières d'accès bien organisées et une réelle solidarité entre les Maliens expatriés et leurs concitoyens demeurés au pays. Ces liens se traduisent en particulier par l'organisation d'associations villageoises chargées de collecter les cotisations (11 000 cotisants pour l'ensemble des immigrés d'Afrique noire en 1992) et d'en assurer le transfert au profit du village familial. La participation à ces associations ne manifeste pas seulement un esprit de solidarité avec les Maliens restés au pays, elle témoigne aussi d'une bonne cohésion du groupe établi en France. Ainsi, comme le montrait une étude conduite en 1991-1992 sur la communauté malienne d'Evry, les familles qui participent le plus activement aux associations sont également les plus équilibrées. Quel que soit le bénéfice de cette cohésion, les conditions de vie des Maliens restent difficiles : exiguïté du logement exacerbée par la présence de familles polygames, situation peu favorable de l'emploi 5 ( * ) et, naturellement, précarité de la situation des étrangers qui ne disposent pas d'un titre de séjour.

En effet, une part prépondérante de Maliens se trouveraient en situation irrégulière : 50 000 personnes, alors que seules 31 886 personnes disposent d'un titre de séjour régulier 6 ( * ) . Un nombre important de Maliens déboutés d'une demande de droit d'asile -et ils sont la majorité comme en témoigne le tableau joint en annexe- demeurent en fait en France. Par ailleurs, d'après les statistiques fournies par le ministère de l'Intérieur, seules quelques mesures d'éloignement sont effectives sur l'ensemble des décisions prises.

L'importance numérique des Maliens installés sur notre sol, et surtout le statut précaire d'une majorité d'entre-eux, explique l'attention que porte le gouvernement malien à la politique française à l'égard des étrangers. Les négociations qui ont conduit à la signature des deux conventions ont tenu compte de cette "sensibilité" malienne mais la France n'a rien cédé sur la nécessité d'une présence régulière sur son territoire.

* 3 Les informations qui suivent sont tirées du rapport du groupe de travail interministériel L'immigration en France des ressortissants des pays d'Afrique noire (juin 1992).

* 4 Rapport du groupe de travail interministériel, op. cit., p. 12.

* 5 Cette situation est d'autant plus mal ressentie que les Maliens travaillant en France subissent une déqualification par rapport à leurs compétences acquises au Mali.

* 6 Par leur nombre, les Maliens en situation régulière forment la deuxième communauté d'Afrique subsaharienne installée en France, derrière les Sénégalais.

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