Rapport n° 60 (1995-1996) de M. Luc DEJOIE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 9 novembre 1995

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N°60

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 novembre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques,

Par M. Luc DEJOIE, Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10éme législ.) : 2179, 2240 et T.A. 407.

Sénat : 14 (1995-1996).

Professions juridiques et judiciaires

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 8 novembre 1995 sous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Luc Dejoie, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Le projet de loi modifie le mode d'élection du Conseil national des barreaux afin de le simplifier et de rééquilibrer. Il proroge par ailleurs de quatre ans le régime transitoire d'exercice de la consultation juridique et de la rédaction d'actes sous seing privé.

Compte tenu de la répartition des compétences entre la loi et le règlement prévue par les articles 34 et 37 de la Constitution, la Commission a estimé que le mode d'élection du Conseil national des barreaux relevait du domaine réglementaire. En conséquence elle a souhaité que le Gouvernement mette en oeuvre la procédure de délégalisation prévue à l'article 37-2 de la Constitution afin de ne pas surcharger les textes de loi de dispositions réglementaires.

Pour ces motifs, et sans préjudice du fond, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer au texte en discussion une exception d'irrecevabilité constitutionnelle.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi dont vous êtes saisis a pour objet de modifier le mode d'élection du Conseil national des barreaux (CNB) institué par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 qui a modifié et complété la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pour fusionner les professions d'avocat et de conseil juridique.

L'exposé des motifs justifie les modifications proposées par le fait que le régime retenu en 1990 « a fait l'objet de certaines critiques, son application ayant conduit à un déséquilibre dans la représentation des barreaux ».

L'Assemblée nationale a examiné ce projet de loi, en première lecture, le 10 octobre dernier. Elle y a apporté quelques modifications purement formelles avant d'adopter, à la demande du Gouvernement, un article additionnel prorogeant de quatre nouvelles années le régime transitoire d'exercice de la consultation juridique et de la rédaction d'actes sous seing privé.

Votre commission des Lois a estimé que la fixation du mode d'élection du Conseil national des barreaux ne relevait pas de la compétence du législateur. Elle vous propose en conséquence d'adopter une motion d'irrecevabilité constitutionnelle tendant, pour ce motif, au rejet du texte.

Toutefois, afin de contribuer à la bonne information du Sénat, votre rapporteur a estimé utile de rappeler le rôle et les missions du Conseil national des barreaux ainsi que les raisons justifiant la modification de son mode de désignation.

I. LE CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX : TROIS ANNÉES ET DEMIE D'ACTIVITÉ APRÈS UNE GESTATION DIFFICILE

Le principe d'une représentation nationale de la profession d'avocat ne s'est pas imposé sans certaines hésitations et il fallut attendre la commission mixte paritaire pour qu'un accord put être trouvé entre les deux Assemblées.

A. UNE GESTATION DIFFICILE

Esquissé par le projet de loi initial, le principe d'une représentation nationale de la profession d'avocat avait été écarté, en première lecture, par l'Assemblée nationale. Reconnaissant toutefois la nécessité d'une meilleure coordination de la formation professionnelle, celle-ci avait proposé d'instituer un centre national de la formation professionnelle.

Admettant, pour sa part, le principe d'une représentation nationale de la profession, le Sénat avait rétabli l'organisme envisagé par le Gouvernement mais non sans en modifier la nature. Transformée en Conseil supérieur des barreaux, cette instance nationale était en effet conçue comme une émanation des barreaux. Elle était en outre relayée auprès de chaque cour d'appel par des conseils régionaux. Enfin ses missions étaient élargies par rapport au texte gouvernemental, en matière de formation professionnelle, d'harmonisation des règles et usages de la nouvelle profession et de règlement de certains différends professionnels.

L'Assemblée nationale ne retenait pas, en deuxième lecture, le principe d'une représentation de la profession par les barreaux et proposait une double désignation, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, par deux collèges :

- un collège composé de délégués élus au scrutin majoritaire à deux tours par les bâtonniers et les membres des conseils de l'ordre des barreaux du ressort de chaque cour d'appel ;

- un collège composé de délégués élus, au scrutin de liste avec représentation proportionnelle, par les avocats des barreaux du ressort de chaque cour d'appel.

L'Assemblée nationale supprimait par ailleurs les conseils régionaux.

En deuxième lecture, le Sénat les rétablissait et, surtout, confirmait la création d'une représentation nationale ordinale de la profession. Il confiait en outre au Conseil national la formation professionnelle que l'Assemblée nationale avait préféré attribuer à un organisme spécialisé.

Ce n'est donc finalement qu'à la faveur de la commission mixte paritaire qu'un accord put intervenir entre les deux Assemblées.

B. UN CONSEIL NATIONAL

Établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, le Conseil national des barreaux (CNB) est chargé, aux termes de l'article 21-1 introduit dans la loi de 1971 :

- de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics,

- de veiller à l'harmonisation des règles et usages de la profession d'avocat,

- d'harmoniser les programmes de formation professionnelle, de coordonner les actions de formation et de répartir le financement de la formation,

- de déterminer les conditions générales d'obtention des mentions de spécialisation,

- d'arrêter la liste des avocats étrangers susceptibles d'intégrer le barreau français.

Le Conseil national des barreaux est composé de soixante avocats élus pour trois ans, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, par deux collèges formés d'un nombre égal de délégués eux-mêmes élus :

- pour le premier collège, au scrutin de liste majoritaire à deux tours, par les bâtonniers et les membres des conseils de l'ordre des barreaux du ressort de chaque cour d'appel,

- pour le second collège, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, par les avocats des barreaux.

Le mode de calcul du nombre des délégués par cour d'appel a été fixé par le décret n° 91-1191 du 27 novembre 1991 à un délégué par barreau jusqu'à cinquante avocats inscrits au tableau ou sur la liste du stage, auquel s'ajoute un délégué supplémentaire pour chaque tranche supplémentaire de cinquante avocats, la dernière tranche, même incomplète, donnant droit à un délégué.

Quant à la composition des conseils de l'ordre, qui résulte également du décret de 1991, elle n'obéit pas à une stricte proportionnalité. Les conseils comptent en effet :

- trois membres pour les barreaux de huit à quinze avocats inscrits,

- six dans les barreaux de seize à trente membres,

- neuf dans les barreaux de trente-et-un à cinquante avocats,

- douze dans ceux de cinquante et un à cent avocats,

- dix-huit dans les barreaux de cent-un à deux cents avocats,

- trente-six membres pour le barreau de Paris.

C. TROIS ANNÉES D'ACTIVITÉ

Les élections des membres du Conseil national des barreaux ont eu lieu le 28 mars 1992. Un décret du 27 septembre 1994 a prorogé leur mandat jusqu'au 31 décembre 1995 pour permettre l'adoption de nouvelles règles électorales.

Présidé par le bâtonnier Guy Danet, le Conseil national des barreaux s'est doté de six commissions spécialisées, respectivement chargées :

- de la formation professionnelle,

- des questions internationales,

- de l'harmonisation des règles et usages de la profession,

- de l'accès au droit et à la justice,

- de la prospective,

- du statut social de l'avocat.

Le Conseil national des barreaux a dressé, à l'intention de votre rapporteur, un bilan de son activité depuis trois ans dont l'encadré ci-après reproduit l'essentiel.

Ce bilan permet de constater que, sans empiéter sur les missions propres aux conseils de l'ordre, le Conseil national a su assumer le rôle que le législateur avait souhaité lui donner.

LES ACTIVITÉS DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX


• La représentation de la profession auprès des Pouvoirs publics

Le Conseil national des barreaux est consulté pour avis par les Pouvoirs publics à l'occasion de l'élaboration ou de la modification de tous textes législatifs ou réglementaires concernant la profession d'avocat.

Depuis le début de l'année 1995, il a été consulté sur le projet de directive communautaire d'établissement des avocats ressortissants de la CEE, l'accès à la profession d'avocat, le périmètre du droit, la participation de l'État au financement de la formation, le contrôle des CARPA, l'application de la loi de 1991 sur l'aide juridique.


La formation professionnelle

Le Conseil national des barreaux a élaboré une doctrine de la formation de l'avocat, défini le contenu de l'année d'école et des deux années de stage, déterminé les modalités d'obtention des mentions de spécialisation.

Le Conseil national des barreaux a organisé une gestion nationale des flux des élèves avocats, fixé le montant des fonds destinés à la formation pendant l'année d'école et déterminé leur mécanisme de répartition.


L'harmonisation des règlements intérieurs

Le Conseil national des barreaux a formulé des recommandations sur les limites de la publicité personnelle de l'avocat, proposé des dispositions précises quant à la clause de respect de la clientèle, réafffirmé la confidentialité des correspondances entre avocats et le secret professionnel qui s'y attache. Il travaille actuellement sur le conflit d'intérêts et le statut du collaborateur.


L'examen des dossiers présentés par les avocats étrangers

La saisine du Conseil national des barreaux est obligatoire pour tous les avocats étrangers qu'ils soient ressortissants de la CEE, - le Conseil arrête la liste des avocats susceptibles de bénéficier de la directive sur la reconnaissance mutuelle des diplômes et les matières de l'examen d'aptitude auquel ils peuvent être soumis-, ou d'États extérieurs à la CEE,- le Conseil arrête la liste des avocats admis à subir l'examen de contrôle des connaissances en droit français.

II. LE PROJET DE LOI REVOIT LE MODE DE DÉSIGNATION DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Le projet de loi est présenté par son exposé des motifs comme un remède au « déséquilibre » constaté « dans la représentation des barreaux ».

A. LA REPRÉSENTATION ACTUELLE DES GRANDS BARREAUX

La loi de 1990 et son décret d'application n'ont pas assuré, on l'a rappelé plus haut, une représentation strictement proportionnelle des barreaux en fonction de leur importance démographique, mais le Conseil d'État, saisi d'un recours dirigé contre le décret, a estimé que les modalités de suffrage prévues pour l'élection du Conseil national ne portaient pas atteinte au principe d'égalité même si elles ne garantissaient pas « une stricte proportionnalité entre le nombre des délégués de chaque barreau » (CE -12 avril 1995, Ordres des avocats à la Cour de Paris).

Les résultats de l'élection du 28 février 1992 montrent, malgré tout, que le mode de scrutin retenu a conduit à une sous-représentation anormale des grands barreaux, dans la mesure où ceux-ci ne peuvent obtenir de sièges de délégués au collège ordinal qu'avec les voix des petits barreaux du ressort de la cour d'appel dont ils dépendent.

C'est à Paris que la situation est la plus anormale. Le ressort de la cour d'appel de Paris dispose en effet de 210 sièges de délégués au collège ordinal et ses délégués doivent être élus au scrutin majoritaire à deux tours par les électeurs du ressort, c'est-à-dire le bâtonnier et les trente-six membres du conseil de l'ordre du barreau de Paris ainsi que les 116 bâtonniers et membres des conseils de l'ordre des huit autres barreaux du ressort.

Une répartition démographique des sièges, selon les critères de l'article 20 du décret (1 délégué pour 50 avocats inscrits), aurait dû conduire à attribuer 188 sièges aux avocats parisiens (9.399 avocats inscrits en 1992, soit un siège pour environ quarante avocats). Or, au premier tour du scrutin du 28 février 1992 (majorité absolue exigée), seuls 10 avocats parisiens obtenaient un siège tandis que les 86 candidats présentés par les autres barreaux étaient élus. Au second tour, les 144 sièges restants étaient pourvus à partir de la seule liste parisienne qui voyait ainsi sa représentation démographique théorique de 188 délégués réduite à 124, soit un délégué pour 75 avocats inscrits, la représentation des autres barreaux du ressort s'établissant à un délégué pour 10 avocats inscrits ; encore faut-il relever que ce déséquilibre aurait pu être aggravé si les petits barreaux avaient présenté plus des 86 candidats auxquels ils ont estimé avoir droit.

Sans le dire explicitement, c'est principalement à cette situation que le projet de loi s'efforce de remédier.

B. LE PROJET DE LOI : UN CERTAIN RÉÉQUILIBRAGE

Le collège ordinal serait désormais composé des bâtonniers et des membres des conseils de l'ordre de l'ensemble des barreaux, l'étape intermédiaire de la désignation de délégués étant supprimée.

Par ailleurs, l'élection pourrait avoir lieu, dans chaque collège, sur la base de « plusieurs circonscriptions », étant précisé qu'en ce cas, la répartition des sièges à pourvoir entre les circonscriptions serait proportionnelle au nombre des avocats inscrits dans chaque circonscription.

D'après l'avant-projet de décret communiqué par la Chancellerie, le collège ordinal serait scindé en deux circonscriptions, celle de Paris et celle des autres barreaux, la sous-représentation des grands barreaux au sein de la seconde circonscription étant corrigée par un vote plural.

Quant au collège général, il comporterait également deux circonscriptions, désignant directement leurs représentants au scrutin de liste avec attribution des restes à la plus forte moyenne.

Chaque collège devrait élire la moitié des membres du Conseil dont l'effectif serait porté à 80.

C. L'ASSEMBLÉE NATIONALE : QUELQUES CORRECTIONS FORMELLES

Après avoir relevé que le projet de loi présentait le double mérite de « simplifier le mode d'élection des membres du Conseil national des barreaux » et d' « assurer une meilleure représentation des barreaux, et partant de la profession d'avocat, au sein dudit conseil », le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, notre collègue, M. Xavier Beck, n'a proposé que quelques modifications pertinentes mais purement formelles.

III. UN ARTICLE ADDITIONNEL PROROGE LE RÉGIME TRANSITOIRE D'EXERCICE DE LA CONSULTATION JURIDIQUE ET DE LA RÉDACTION D'ACTES

A la demande du Gouvernement, l'Assemblée nationale a introduit un article 3 nouveau qui proroge le régime transitoire d'exercice de la consultation juridique et de la rédaction d'actes sous seing privé fixé par l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971.

Cet article, qui ouvre le titre II inséré par la loi du 31 décembre 1990, interdit aux professionnels qui ne sont pas titulaires d'une licence en droit ou « d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent par arrêté » de donner des consultations juridiques ou de rédiger des actes sous seing privé ; il prévoyait toutefois, dans son dernier alinéa, de différer l'application de la condition de diplôme de quatre ans, soit au 1er janvier 1996, afin de laisser aux professionnels le temps d'acquérir les titres nécessaires.

Faisant valoir que « beaucoup de professionnels concernés n'avaient pas eu le temps de se mettre en règle » et que la procédure d'élaboration de l'arrêté interministériel n'avait pas encore pu aboutir, - « les arbitrages ne sont pas terminés »-, le Garde des Sceaux a demandé à l'Assemblée nationale, qui l'a accepté, de reporter de quatre nouvelles années l'exigence de diplôme et donc de proroger d'autant le régime transitoire.

IV. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : UNE EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ CONSTITUTIONNELLE

Avant tout examen au fond du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, la commission des Lois a examiné la question de la compétence du législateur pour fixer le mode d'élection du Conseil national des barreaux.

A. LE PARTAGE ENTRE LES DOMAINES DE LA LOI ET DU RÈGLEMENT

Parce que trop de lois sont alourdies par des dispositions de caractère réglementaire, parce que l'allongement de la durée de la session ordinaire ne doit surtout pas encourager cette dérive, votre commission des Lois s'efforce de veiller au strict respect du partage des compétences entre la loi et le règlement tel qu'il résulte des articles 34 et 37 de la Constitution.

La circonstance qu'en l'espèce le CNB ait été créé par la loi qui a également fixé les principes généraux de son élection et de ses compétences ne doit pas arrêter la réflexion. Le Gouvernement dispose en effet toujours de la faculté de demander, dans les conditions prévues par l'article 37-2 de la Constitution, le déclassement de dispositions de nature réglementaire figurant dans une loi. La saisine du Conseil constitutionnel à cet effet étant une prérogative exclusivement gouvernementale, le Parlement qui estimerait qu'une disposition dont l'adoption lui est demandée est de nature réglementaire ne pourrait que la rejeter pour ce motif.

Dans le cas présent, qu'en est-il de la compétence du législateur ?

Le partage des compétences entre la loi et le règlement n'est pas toujours aisé à définir. Il résulte toutefois de l'article 34 de la Constitution que relève de la compétence exclusive du législateur toute disposition mettant en cause l'un des principes fondamentaux ou l'une des règles que cet article réserve à la loi.

En l'espèce, s'il est incontestable que l'organisation de la profession d'avocat touche à l'exercice des libertés publiques et à la garantie des droits de la défense, faut-il pour autant considérer que le mode d'élection du Conseil national des barreaux relève de la loi ? Votre commission des Lois ne l'a pas pensé dans la mesure où cet organisme ne dispose d'aucun pouvoir de décision, notamment en matière de déontologie ou de discipline. En outre, son rôle de représentation de la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics est purement consultatif. Reste qu'il contrôle l'accès des avocats étrangers aux barreaux français mais cette compétence ne paraît pas non plus avoir un lien avec l'une des matières dont l'article 34 confie à la loi le soin de fixer les principes fondamentaux ou les règles.

B. LES DÉBATS EN COMMISSION

M. Luc Dejoie, rapporteur, a précisé que le projet de loi modifiait le mode d'élection du Conseil national des barreaux institué par la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de la profession d'avocat. Après avoir rappelé que le Conseil national des barreaux assurait la représentation de cette profession auprès des pouvoirs publics, il a précisé qu'il comportait soixante membres élus par deux collèges selon un mode de scrutin particulièrement complexe dont les résultats s'étaient traduits par un déséquilibre dans la représentation des grands barreaux. Il a indiqué que le projet de loi remédiait à ces inconvénients en simplifiant le mode de scrutin et en assurant une représentation équilibrée des grands barreaux.

Avant d'aborder l'examen au fond des dispositions proposées, M. Luc Dejoie, rapporteur, s'est interrogé sur leur nature législative. Il a estimé que si un certain parallélisme des formes pouvait commander qu'une loi fût modifiée par une autre loi, la nature des compétences du Conseil national des barreaux ne commandait pas nécessairement que les modalités de son élection fussent précisées par la loi.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la nature juridique du Conseil national des barreaux que la loi qualifie d'établissement d'utilité publique. M. Jacques Larché, président, lui a indiqué que les établissements d'utilité publique constituaient une catégorie sui generis ne relevant pas des catégories d'établissements publics pour lesquelles l'article 34 de la Constitution attribue compétence au seul législateur.

M. Robert Badinter, s'appuyant sur les articles 21-1 et 53 3° de la loi du 31 décembre 1971, a estimé que les modalités d'élection du Conseil national des barreaux relevaient clairement de la compétence réglementaire et qu'il convenait que le Gouvernement mette en oeuvre la procédure de déclassement prévue à l'article 37-2 de la Constitution pour s'en assurer et, le cas échéant, les modifier par décret.

M. Jean-Jacques Hyest a considéré que le projet de loi ne remettant pas en cause le principe de l'existence du Conseil national des barreaux mais simplement les modalités de son élection, il serait souhaitable que le Gouvernement saisisse le Conseil constitutionnel pour s'assurer de leur nature réglementaire.

M. François Giacobbi a fait observer qu'une loi de 1977 avait fixé la composition des barreaux et qu'on pouvait donc s'interroger sur la nature réglementaire des dispositions dont la modification était proposée par le projet de loi. Il a par ailleurs signalé que les avocats honoraires faisaient partie des barreaux.

M. Maurice Ulrich a estimé qu'il était indispensable de combattre la multiplication de dispositions réglementaires dans des textes législatifs et que le projet de loi sur le Conseil national des barreaux constituait une bonne occasion pour le Parlement d'affirmer son souci de combattre cette dérive.

M. Jacques Larché, président, a indiqué qu'il avait évoqué le problème de la compétence du législateur à l'occasion d'un contact personnel avec le Garde des Sceaux et qu'il lui avait demandé par courrier de bien vouloir saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 37-2. Il a ensuite estimé qu'il était urgent de prévenir toute surcharge inutile de l'ordre du jour par des dispositions réglementaires au moment où se mettait en place la session de neuf mois.

Il a enfin rappelé que le Parlement avait toujours la possibilité d'adopter une exception d'irrecevabilité fondée sur l'inconstitutionnalité des dispositions proposées.

M. Robert Badinter a estimé qu'il serait nécessaire de déclasser des pans entiers de la législation qui relevaient clairement du domaine règlementaire ; il a considéré que la codification devrait permettre une remise en ordre. Il a en outre regretté que le Conseil constitutionnel n'ait pas défendu avec plus de fermeté la répartition des compétences entre la loi et le règlement résultant des articles 34 et 37 de la Constitution.

M. Luc Dejoie, rapporteur, a attiré l'attention sur l'urgence s'attachant à la modification du mode d'élection du Conseil national des barreaux dont le renouvellement ne saurait être indéfiniment prorogé. Il a toutefois indiqué qu'il s'en remettrait à la commission pour apprécier l'opportunité d'opposer une exception d'irrecevabilité.

Il a par ailleurs évoqué l'article 3 du projet de loi qui reporte de quatre nouvelles années la période transitoire d'exercice de la consultation juridique en raison du défaut de publication de l'arrêté interministériel fixant la liste des diplômes équivalents à la licence en droit exigés à compter du 1er janvier 1996. Il a suggéré que quelque soit le sort réservé aux articles premier et 2, l'article 3 soit supprimé et le Gouvernement encouragé à publier un arrêté avant le 31 décembre 1995, quitte à ce que celui-ci soit modifié pour prendre en compte ultérieurement les professions dont la situation soulève des difficultés.

M. Patrice Gélard est revenu sur les conditions dans lesquelles le Parlement pouvait s'opposer à l'introduction de dispositions règlementaires dans la loi en faisant valoir que les articles 41 et 37-2 de la Constitution étaient à la disposition exclusive du Gouvernement. Il a par ailleurs rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la possibilité pour le Parlement d'inclure des dispositions réglementaires dans la loi.

M. Jacques Larché, président, lui a fait observer que l'article 41 ne réservait pas nécessairement au Gouvernement l'exclusivité de l'irrecevabilité. Il a par ailleurs rappelé que l'article 44 du règlement du Sénat permettait d'opposer une exception d'irrecevabilité fondée sur le caractère inconstitutionnel des dispositions proposées. Il a enfin indiqué que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne faisait aucunement obstacle au vote d'une telle exception.

Au cours d'un débat auquel ont pris part MM. François Giacobbi, Michel Dreyfus-Schmidt, Robert Badinter et Jacques Larché, président, la commission a ensuite examiné l'opportunité d'adopter une question préalable plutôt qu'une exception d'irrecevabilité. Parce qu'elle ne souhaitait pas manifester son désaccord à l'égard du fond du projet de loi, elle a préféré adopter une exception d'irrecevabilité fondée sur la méconnaissance de la répartition des compétences entre les articles 34 et 37 de la Constitution.

C. L'ADOPTION D'UNE EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ CONSTITUTIONNELLE

A l'issue de ce débat, la commission des Lois a donc décidé à une très large majorité l'adoption d'une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 44, alinéa 2, du Règlement dont l'objet est « de faire reconnaître que le texte en discussion... est contraire à une disposition constitutionnelle... et dont l'effet, en cas d'adoption, est d'entraîner le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée. »

D'aucuns pourraient soutenir que l'adoption de cette motion risque de retarder l'élection du Conseil national des barreaux qui a été reportée une première fois. Votre rapporteur tient toutefois à faire observer que la saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure prévue par l'article 37-2 de la Constitution n'exigerait que peu de temps, le Gouvernement pouvant ensuite soumettre au Conseil d'État un projet de décret comprenant les dispositions du projet de loi et celles que leur mise en oeuvre aurait de toute façon exigées.

Votre rapporteur précise enfin que le rejet du texte englobe également l'article 3 même si la commission ne l'a pas placé dans le champ de ses objections constitutionnelles. Cette conséquence est de peu d'importance, cet article, qui proroge de quatre nouvelles années le régime transitoire d'exercice de la consultation juridique et de la rédaction d'actes sous seing privé, lui paraissant en effet mal venu : le Gouvernement dispose encore des semaines nécessaires avant le 31 décembre 1995 pour publier l'arrêté interministériel d'équivalence, quitte à ce que celui-ci soit ultérieurement complété pour prendre en compte les diplômes dont l'évaluation exigerait quelques délais supplémentaires.

Pour les motifs d'ordre constitutionnel qui viennent d'être exposés, votre commission des Lois vous demande d'adopter la motion d'irrecevabilité suivante :

« Vu les articles 34 et 37 de la Constitution et en application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ».

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier

(Art. 27-1 de la loi n° 71 -1130 du 31 décembre 1971)

Abrogation

L'article premier a pour objet l'abrogation des quatre alinéas de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 relatifs à l'élection des membres du Conseil national des barreaux. Il sera proposé, à l'article 2, que ces dispositions, modifiées, fassent l'objet d'un article 21-2 nouveau, l'article 21-1 n'étant plus consacré qu'aux compétences du Conseil.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sous réserve d'une rectification formelle dans le décompte des alinéas.

Article 2

(Art. 21-2 de la loi n 0 71-1130 du 31 décembre 1971)

Mode de désignation du Conseil national des barreaux

Le Conseil national des barreaux est actuellement composé d'avocats élus au second degré par deux collèges formés de délégués élus, au scrutin majoritaire à deux tours, par les bâtonniers et les membres des conseils de l'ordre des barreaux du ressort de chaque cour d'appel, pour le premier, à la représentation proportionnelle, par l'ensemble des avocats des barreaux du ressort de chaque cour d'appel, pour le second.

Le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat fixe le nombre de délégué par barreau et par cour d'appel.

Aux termes de l'article 2 du projet de loi, les membres du Conseil national des barreaux seraient désormais élus au suffrage direct par un collège ordinal composé des bâtonniers et des membres des conseils de l'ordre (qui sont eux-mêmes élus par l'assemblée générale de l'ordre) d'une part, par un collège dit général, d'autre part, composé de l'ensemble des avocats inscrits au tableau ou sur la liste du stage.

La détermination du mode de scrutin ne figurerait pas dans la loi ; elle serait donc renvoyée à un décret en Conseil d'État. Le décret précité du 27 novembre précise d'ores et déjà la composition des conseils de l'ordre qui est fonction du nombre des avocats, sans qu'il y ait une stricte proportionnalité (trois membres pour les barreaux comportant huit à quinze avocats, six membres pour les barreaux comptant seize à trente avocats, neuf membres pour les barreaux comportant trente-et-un à cinquante avocats, vingt-et-un dans ceux de plus de deux cents avocats et trente-six pour le barreau de Paris qui regroupait au 1er janvier 1995 11.441 avocats sur les 30.543 que la profession compte en France) ; il attribue en outre à chaque barreau un délégué au collège général pour chaque tranche de cinquante avocats inscrits, la dernière tranche, même incomplète, donnant également droit à un délégué. C'est sans doute ce décret qui sera modifié pour fixer l'effectif du Conseil national des barreaux et la composition des collèges.

Le projet de loi prévoit par ailleurs que l'élection de chaque collège peut avoir lieu sur la base de circonscriptions. Il incomberait là encore au décret de déterminer les circonscriptions, étant rappelé par le dernier alinéa de l'article 2 qu'en cas de pluralité de circonscriptions, « la répartition des sièges à pourvoir entre les circonscriptions est proportionnelle au nombre des avocats inscrits dans chacune d'elles ».

Cette innovation est destinée à assurer une représentation plus équilibrée de l'ensemble de la profession en préservant le poids relatif du barreau de Paris et des grands barreaux.

L'Assemblée nationale a approuvé l'économie du dispositif proposé, sous réserve de deux rectifications formelles.

Article 3

(Art. 54 de la loi n 0 71-1130 du 31 décembre 1971)

Consultation juridique et rédaction d'actes sous seing privé

La loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 a inséré un titre II dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 pour réglementer la consultation en matière juridique et la rédaction d'actes sous seing privé.

C'est ainsi qu'aux termes de l'article 54, « nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :

« 1°) S'il n'est pas titulaire d'une licence en droit ou d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des universités ».

Cette condition de diplôme ou de titre ne devait s'imposer qu'à l'issue d'une période transitoire ; celle-ci arrive à échéance le 31 décembre 1995, or l'arrêté définissant les diplômes ou titres reconnus comme équivalents n'est pas encore paru.

Estimant que « beaucoup des professionnels concernés n'avaient pas eu le temps de se mettre en règle » et constatant que « les arbitrages ne sont pas encore terminés », le Garde des sceaux a souhaité la prorogation du régime transitoire pour quatre nouvelles années. L'Assemblée nationale a accepté ce report après que sa commission des Lois eût renoncé à en réduire la durée à deux ans.

Dès lors qu'aucun arrêté n'a pu être publié, la fin de la période transitoire aurait pour conséquence, qu'à compter du 1er janvier 1996, seuls les titulaires d'une licence en droit pourraient continuer à donner, dans le cadre de leur activité professionnelle, des consultations en matière juridique et rédiger des actes sous seing privé ; autrement dit, les très nombreux ingénieurs conseils, experts-comptables, agents immobiliers et autres professionnels pour lesquels le conseil juridique constitue une activité accessoire et qui ne sont pas titulaires d'une licence en droit perdraient le droit d'exercer cette activité.

Une telle situation ne correspondrait pas à l'intention du législateur, et singulièrement du Sénat qui avait jugé souhaitable, pour reprendre les termes du rapport présenté en deuxième lecture par votre rapporteur au nom de la commission des Lois, « d'élargir la liste des professions autorisées à exercer une activité juridique accessoire, dans le souci de ne pas pénaliser certaines professions... qui ont une activité à la marge du domaine juridique et de ne pas bloquer certains secteurs de l'activité économique ». (n° 166 -1990-1991, p. 42).

Votre rapporteur regrette vivement que quatre années n'aient pas pu suffire à l'élaboration d'un arrêté. Il estime que le Gouvernement dispose encore des quelques semaines nécessaires à la publication de celui-ci, quitte à ce qu'il soit ultérieurement complété pour y ajouter, le cas échéant, les diplômes dont l'évaluation n'aurait pu être faite en temps utile

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