ARTICLE 5 - Actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune et limitation des effets du plafonnement en fonction du revenu

Commentaire : cet article a pour objet d'actualiser le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune. Il précise également l'assiette pour certains actifs immobiliers exonérés de droits de mutation à titre gratuit. Enfin, il limite les effets du mécanisme de plafonnement de la cotisation d'ISF en fonction du revenu disponible.

I - LE PROJET DE LOI

L'article 5 contient trois séries de mesures : à côté de la traditionnelle actualisation du barème de l'impôt (paragraphe III), il propose certains aménagements techniques ou améliorations rédactionnelles du dispositif (paragraphes I et II) et surtout une mesure importante consistant à déplafonner le plafonnement de l'impôt (paragraphe IV).

A- LES MESURES TECHNIQUES ET RÉDACTIONNELLES

Le paragraphe I du présent article propose une modification purement rédactionnelle de l'article 885 A du code général des impôts. Celui-ci mentionne en effet le seuil de 4 millions de francs, alors que l'article 885 U, qui fixe le barème chaque année, indique un seuil différent. Afin de lever toute ambiguïté, il est proposé que l'article 885 A précité renvoie directement aux montants fixés par l'article 885 U.

Le paragraphe II propose d'exclure de l'assiette de l'ISF certaines exonérations récentes qui normalement devraient s'y appliquer.

L'article 885 A du code général des impôts prévoit que l'ISF est assis sur les bases d'imposition déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, sous réserves de dispositions particulières. De fait, ce même article exclut certaines exonérations totales ou partielles prévues en matière de droits de succession pour la détermination de l'assiette de l'ISF comme par exemple les parts de groupement forestier agricole, les immeubles acquis neufs entre le premier juin 1993 et le 31 décembre 1994 et affectés à l'habitation principale pendant au moins cinq ans, ou encore les immeubles classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Le présent projet propose de compléter cette liste par deux dispositifs adoptés dans le cadre de la loi de finances rectificative du 4 août 1995. Il s'agit :

- de la prorogation, jusqu'au 31 décembre 1995, de l'exonération de droits de mutation pour les immeubles acquis neufs et affectés à l'habitation principale, résultant de la loi de finances rectificative et codifiée à l'article 793-2-5° du code général des impôts ;

- de l'exonération pour les trois quarts de leur valeur des immeubles acquis entre le 1 er août 1995 et le 31 décembre 1996 donnés en location pendant neuf ans et lorsque les ressources du locataire et les loyers respectent des plafonds fixés par décret, issue de l'article 23 de la loi de finances rectificative codifiée à l'article 793-2-6° du même code.

Le défaut d'intégration expresse dans l'assiette de l'ISF résulte d'une omission lors de la rédaction de ces deux nouvelles exonérations issues d'articles additionnels introduits en cours de débat.

Sur le fond, de telles exclusions apparaissent justifiées dans la mesure où, dans un cas, il s'agit de la prorogation d'une exonération déjà exclue pour le calcul de l'ISF et, dans l'autre cas, d'un dispositif temporaire d'inspiration très voisine.

B- L'ACTUALISATION DU BARÈME DE L'IMPÔT

Le paragraphe III de l'article procède à l'actualisation du barème de l'ISF.

POURCENTAGE DE REVALORISATION DU BARÈME

Il convient de rappeler que l'ISF a rapporté 8,3 milliards de francs en 1994 et qu'il devrait rapporter environ 8,8 milliards de francs pour 1995.

Source ministère de l'économie et des finances

(1) Ce chiffrage prend en compte l'incidence du contrôle fiscal au titre des années intérieures

(2) A partir de 1994. il s'agit du nombre de déclarants redevables de l'ISF

(3) Ce chiffrage ne prend pas en compte les non-résidents

(4) Chiffre provisoire

Le produit attendu de l'impôt pour 1996 est de 9,07 milliards de francs, en hausse de 520 millions de francs par rapport aux évaluations révisées pour 1995. Pour 1995, le montant révisé est de 8,55 milliards de francs en diminution de 250 millions par rapport aux évaluations initiales, en dépit de la majoration exceptionnelle de 10 % prévue dans le collectif d'août 1995. Cette dégradation du rendement reflète la poursuite du marasme de l'immobilier et la médiocre conjoncture boursière.

L'estimation pour 1996, en augmentation de 6 % prend en compte le gain procuré par la limitation du plafonnement, soit environ 370 millions de francs

C - LA LIMITATION DES EFFETS DU PLAFONNEMENT DE L'ISF

Le paragraphe IV prévoit la limitation des effets du plafonnement de l'ISF.

A la suite des observations formulées par le Conseil des impôts dans son huitième rapport sur la fiscalité du capital (1989), le législateur a introduit, lors du rétablissement de l'impôt sur la fortune, une disposition visant à plafonner le total de la cotisation d'ISF et d'impôt sur le revenu par rapport au revenu disponible.

Ce garde-fou répondait au souci de protéger les personnes âgées propriétaires d'une résidence principale dont la valeur vénale s'était fortement valorisée mais ne disposant pas, pour autant, de revenus importants.

L'article 885 V bis du code général des impôts prévoit ainsi que le total formé par l'ISF et l'impôt sur le revenu dû au titre d'une année ne peut excéder 85 % 14 ( * ) des revenus nets de frais professionnels soumis à l'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire de cet impôt.

Ce mécanisme aboutit à déduire de l'ISF, environ 981 millions de francs (soit 12,6 % du total des cotisations issues du barème). Il concerne environ 1.900 personnes (sur 170.000 redevables), soit 1,2 % des redevables.

L'analyse de la population des redevables plafonnés permet de faire ressortir les éléments suivants qui doivent toutefois être pris en considération avec précaution compte tenu de la faiblesse de la population concernée :

1. Le mécanisme du plafonnement joue le plus souvent en faveur des contribuables disposant d'un patrimoine élevé.

Proportionnellement, le tableau ci-dessous, calculé à partir de l'imposition 1993, montre que seulement 0,3 % des redevables disposants d'un patrimoine inférieur à 7,13 millions de francs bénéficiaient du mécanisme du plafonnement, alors que 65 % des redevables disposants d'un patrimoine supérieur à 500 millions de francs en bénéficiaient.

NOMBRE DE REDEVABLES PLAFONNÉS EN PROPORTION DES REDEVABLES

Source Ministère Je l'économie, des finances et du plan

En valeur, sur les 981 millions de francs de déduction résultant du plafonnement, 900 millions sont déduits par les redevables taxés à la dernière tranche du barème, soit 92 % de son montant global et 760 millions de francs sont déduits par les seuls patrimoines supérieurs à 100 millions de francs, soit 77 % du montant global.

2. Parmi les redevables qui bénéficient du mécanisme du plafonnement, les plus nombreux sont ceux disposant d'un petit patrimoine et ceux disposant d'un patrimoine très élevé.

Le tableau ci-dessous fait en effet ressortir que sur les 1.902 redevables qui bénéficiaient du mécanisme du plafonnement en 1994, 46,4 % disposaient d'un patrimoine inférieur à 14 millions de francs et 33 % disposaient d'un patrimoine supérieur à 43 millions de francs.

NOMBRE DE REDEVABLES PLAFONNÉS PAR TRANCHE DE PATRIMOINE

Source Ministère de l'économie, des finances et du plan

3. Le mécanisme du plafonnement a plus d'effets pour les contribuables disposant d'un petit patrimoine que pour les autres.

Ainsi, il permet d'effacer totalement l'ISF pour 85 % des redevables dont le patrimoine est compris entre 4,47 et 7,27 millions de francs mais seulement pour 13,7 % des redevables dont le patrimoine est supérieur à 43,33 millions. De même, le taux de réduction de l'impôt généré par le mécanisme du plafonnement est de 87,8 % pour la première catégorie de redevables, alors qu'il n'est que de 67 % pour la dernière.

CARACTÉRISTIQUES DES REDEVANCES PLAFONNÉS

Source : Ministère de l'économie, des finances et des plan

4. Le mécanisme du plafonnement joue plus souvent pour les redevables disposant d'un faible revenu et pour ceux disposant d'un fort revenu que pour les autres.

Comme le montre le tableau ci-dessous, le mécanisme du plafonnement a bénéficié à 37 % des redevables de l'ISF qui disposaient de revenus trop faibles pour acquitter l'impôt sur le revenu et à 17 % des redevables qui payaient un impôt sur le revenu supérieur à 250.000 F.

RÉPARTITION DES REDEVABLES ISF PAR TRANCHE

D'IMPÔT SUR LE REVENU

Source Ministère de l'économie, des finances et du plan

Le fait que les redevables les plus fortunés soient aussi ceux qui bénéficient le plus du mécanisme du plafonnement constitue une sorte d' "anomalie" fiscale, qui a conduit le Gouvernement a proposer la limitation des effets du plafonnement de l'ISF, pour les contribuables dont le patrimoine est supérieur à 14,88 millions de francs.

En effet, certaines techniques fiscales permettaient, jusqu'à présent, de parvenir à un fort degré d'optimisation fiscale en réduisant considérablement le revenu imposable par la création artificielle, mais légale, de déficits au titre des bénéfices industriels et commerciaux (investissement dans le cadre de la loi "Pons", par exemple) ou, pour les titulaires de revenus de capitaux mobiliers, du dégagement d'importantes moins-values en fin d'année.

Le paragraphe IV du projet de loi de finances propose de limiter la réduction de la cotisation d'ISF résultant de l'application du plafonnement :

- soit à 50 % du montant de cette cotisation (laquelle s'entend après déduction du patrimoine taxable des impositions déductibles (15 ( * )) ;

- soit, si elle est supérieure à cette somme, "au montant de l'impôt correspondant à un patrimoine taxable égal à la limite supérieure de la troisième tranche du barème", soit 66.110 francs pour 1996, si ce même montant est supérieur à 50 % du montant de la cotisation.

En d'autres termes, l'allégement de la cotisation d'ISF ne peut excéder la plus élevée des deux valeurs suivantes :

-66.110 francs (pour 1996) ;

- 50 % de l'ISF dû avant plafonnement.

L'exemple ci-après permet d'appréhender l'effet de la mesure.

Supposons un contribuable célibataire dont le patrimoine taxable est de 50 millions de francs au 31 décembre 1995 et ayant disposé, pour 1995 d'un revenu imposable de 60.000 francs.

L'application du barème de l'impôt, tel que proposé par le présent projet de loi, fait ressortir un montant d'ISF de 478.700 francs, soit après prise en compte des impôts déductibles (pour simplifier on ne prend en compte que l'IR et l'ISF) un ISF théorique de 471.339 francs.

Dans la situation actuelle, l'impôt effectivement dû après application du plafonnement est égal à l'impôt théorique, en l'occurrence 471.339 F, réduit de la différence entre la somme des impositions (ISF théorique + IR = 471.339 + 12.000 soit 483.339 F) et 85 % du revenu imposable (85 X 60.000 soit 51.000 F) soit 432.339 F, soit donc au total : 39.000 F.

Plus simplement, lorsque le plafonnement joue, l'ISF effectivement dû est égal à la différence entre 85 % des revenus (51.000) et la somme des autres impositions de l'année (12.000) soit : 39.000 F.

Après application de la majoration exceptionnelle de 10 % résultant de l'article 3 de la loi de finances rectificative pour 1995, l'impôt dû au Trésor est de (39.000 X 10 % + 39.000) 42.900 F. On notera au passage, que la majoration aboutit déjà à ce que certains contribuables payent un total d'impôt supérieur à 85 % de leurs revenus.

Si le nouveau dispositif est adopté, le plafonnement ne pourra excéder 239.350 F (50 % de l'impôt calculé avant la prise en compte des impôts déductibles) puisque cette valeur est supérieure à 66.110 F. L'ISF finalement dû sera égal à 239.350 majoré de 10 %, soit 263.285 F.

Patrimoine taxable : 50 MF

application du barème (ISF brut) : 478 700 F

ISF après déduction de l'ISF et de TIR 471.339 F Revenu : 60 000F

(ou ISF théorique) IR : 12.000 F

taux moyen d'imposition 20.00 %

plafonnement actuel

ISF + IR : 483 339

85 % du revenu : 51000

le plafonnement : joue

réduction d'ISF 432 339

ISF dû 39.000

ISF après majoration de 10 % 42.900 total ISF + IR : 54 900

en % du revenu : 91.50

revenu disponible : 5 100

déplafonnement proposé

taxation à la 3 ème tranche : 66.110

50 % de l'ISF brut 239 350

réduction déplafonnée d'IS 239 350

ISF dû 239 350

ISF après majoration de 10 % 263.285 total ISF + IR : 275 285

en % du revenu : 458.81

revenu disponible -215 285

différence avant/après PI F 220.385

NB ce calcul prend en compte l'ISF théorique pour le calcul du plafonnement et l'ISF brut pour le déplafonnement du plafonnement

Les deux tableaux ci après permettent de voir les effets de la mesure, à différents niveaux de patrimoine, dans deux séries d'exemples :

Le gain attendu de cette mesure est de 370 millions de francs pour 1996.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

II - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

L'existence d'une anomalie fiscale résultant du plafonnement de l'ISF, ne fait guère de doutes.

Le graphique ci-dessous fait en effet ressortir que le taux moyen de l'ISF avant et après plafonnement de l'impôt s'accroît normalement jusqu'à un certain niveau de patrimoine, mais décroît ensuite anormalement.

Cette "anomalie" tient aux caractéristiques du plafonnement qui bénéficie, comme le montre le graphique ci-après, aux contribuables disposant de patrimoines importants.

Néanmoins, votre commission, tient à attirer votre attention sur les risques que comporte la mesure proposée par le Gouvernement.

Économiquement, la mise en place d'une mesure aboutissant, dans certains cas, à ce que les contribuables soient obligés d'aliéner une partie de leur patrimoine pour payer leurs impôts induit un risque fort de délocalisation des fortunes françaises, qui peut apparaître disproportionné par rapport au gain budgétaire espéré.

Ce risque est d'autant plus réel que l'analyse des caractéristiques patrimoniales des redevables plafonnées fait ressortir que le pourcentage détenu sous forme de biens meubles s'accroît fortement au fur et à mesure que le patrimoine augmente. Ainsi, le pourcentage du patrimoine détenu sous forme d'immeubles bâtis est de 61 % pour les redevables dont le patrimoine est compris entre 4,4 et 7,2 millions de francs, alors qu'il n'est que de 8,8 % pour ceux dont le patrimoine est supérieur à 43 millions de francs.

COMPOSITION DU PATRIMOINE DES REDEVABLES PLAFONNÉS

Source Ministère de l'économie, des finances et du plan

Juridiquement, ensuite, on peut s'interroger sur la constitutionnalité de cet article au regard de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que la contribution publique "doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".

En effet, le mécanisme qui nous est proposé pourrait aboutir, dans certains cas, à ce que des contribuables disposant de revenus substantiellement différents soient amenés à verser la même contribution.

L'encadré ci-après montre qu'un redevable disposant d'un patrimoine de 50 millions de francs et d'un revenu de 600.000 francs, devant acquitter un impôt sur le revenu de 283.000 francs, serait, si l'article 5 est adopté, contraint de verser un impôt sur la fortune de 263.285, identique à celui qu'aurait à verser un redevable disposant d'un même patrimoine, mais d'un revenu de 60.000 francs (soit 10 fois inférieur au précédent) et tenu d'acquitter un impôt sur le revenu de 12.000 francs (voir exemple cité précédemment).

Mais on peut considérer, a contrario, que la capacité contributive s'apprécie normalement, impôt par impôt, au regard de la seule assiette concernée, en l'occurrence le patrimoine, à l'exclusion de l'assiette d'autres impôts dont, notamment, le revenu.

Si l'on admet le bien fondé de ces considérations, il peut apparaître nécessaire de tempérer les rigueurs du déplafonnement du plafonnement de l'ISF.

C'est pourquoi, votre commission vous proposera un amendement ayant pour objet de permettre que les personnes dont l'habitation principale constitue l'essentiel du patrimoine, ne soient pas obligées d'aliéner celle-ci afin de payer leurs impôts.

Décision de la commission : sous les réserves qui viennent d'être indiquées, et sous réserve de l'adoption de son amendement, votre commission vous propose d'adopter cet article.

2. Régime fiscal des transmissions d'entreprises

* 14 Au moment de la mise en place de l'ISF, ce pourcentage était de 70 %. Il a été porté à 85 % par la loi de finances pour 1991.

* 15 Ce sont les "impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant l'imputation de l'avoir fiscal, des crédits d'impôt et des retenues non libératoires" soit : l'ISF théorique ; l'impôt sur le revenu de l'année en cours ; la taxe d'habitation, la taxe sur le foncier bâti et la taxe sur le foncier non bâti

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