PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DES QUATRE RAPPORTS DEMANDÉS EN JUILLET 1994 PAR LE GOUVERNEMENT SUR LE RÉGIME ÉCONOMIQUE DE LA PRESSE

Le 12 juillet 1994, à la demande de M. Édouard BALLADUR, alors Premier Ministre, M. Alain CARIGNON, Ministre de la Communication, constituait quatre groupes de travail consacrés au régime économique de la presse. Ces groupes étaient chargés de faire des propositions au Gouvernement :

1. le financement et la fiscalité des entreprises de presse ;

2. l'exploitation des entreprises ;

3. la place de la presse écrite dans la société ;

4. l'évolution de la presse écrite face au défi des nouvelles technologies multimédia.

Au sein de chaque groupe de travail, les travaux ont été conduits par des personnalités reconnues pour leur expérience professionnelle et leur compétence. Elles ont bénéficié du concours de rapporteurs choisis parmi les hauts fonctionnaires et les grands corps de l'État, n'exerçant pas de responsabilités directes dans la gestion des politiques publiques d'aide à la presse.

Le 25 janvier 1995, les quatre rapports étaient remis aux pouvoirs publics.

I. LE RAPPORT SUR LA PLACE DE LA PRESSE ÉCRITE DANS LA SOCIÉTÉ

A. UNE CRISE SECTORIELLE, MALGRÉ DE FOR TES AIDES DE L'ÉTAT

Le rapport du groupe de travail n° 3, présidé par M. Xavier ÉLIE, président-directeur général du journal Le Progrès, et dont M. André LE GALL, Conseiller-maître à la Cour des Comptes, était le rapporteur, part d'un double constat.

ï Les statistiques disponibles ne permettent pas de conclure qu'il existe une « crise de la presse ». En effet, que l'on considère l'évolution de la diffusion ou celle du chiffre d'affaires, seule la situation de la presse quotidienne nationale justifie que l'on parle de « crise ». Pour la presse quotidienne régionale et locale, le terme de stagnation paraît mieux adapté si l'on tient compte, sur une longue période (1939-1993), du décalage entre l'évolution du tirage et l'augmentation de la population. En tout état de cause, elle a beaucoup mieux résisté que la presse quotidienne nationale. Quant à la presse spécialisée grand public, elle connaît une progression de ses tirages et de ses ventes.

ï La diffusion et le chiffre d'affaires des quotidiens d'information générale et politique régressent, malgré l'aide de l'État à la presse, -qui représente une charge budgétaire de 4,5 milliards de francs, soit près de 12 % du chiffre d'affaires total du secteur économique de la presse-, laquelle avait essentiellement pour finalité, au nom du pluralisme, de conforter ce type de presse.

Les causes de cette situation sont connues, qu'il s'agisse de la présence massive de média concurrents, ou du prix trop élevé des journaux (sur la base 100 en 1970, l'indice des prix était de 420 en 1985 et celui des journaux de 835, soit une progression deux fois plus rapide que la moyenne des prix, en quinze ans). Contrairement à ses concurrents étrangers, la presse française n'a pas encore terminé sa mutation technologique industrielle et sociale, les investissements effectués par les entreprises étant financés par recours à différentes formes de crédit, faute pour celles-ci de disposer de fonds propres suffisants. De plus, il faut rechercher dans l'évolution française du mode de vie l'apparente désaffection pour la lecture des journaux. Non seulement le lecteur doit accepter d'y consacrer du temps, mais encore il doit recevoir son quotidien en tout début de journée, ce qui supposerait que le portage à domicile avant sept heures du matin se développe en France. Or, la distribution représente pour la presse quotidienne nationale, un prélèvement de 40 % sur le produit de la vente des journaux sans, pour autant, assurer la diffusion à une heure matinale. Enfin, le rapport cite, parmi les facteurs du recul de la lecture des journaux, le développement de l'illettrisme.

Le constat -sévère- ainsi dressé « n'incite pas à penser que la solution des problèmes puisse se trouver dans l'augmentation des concours existants non plus que dans l'invention de quelque concours nouveau bénéficiant indistinctement à l'ensemble de la presse ». Le rapport estime en outre que « / 'aide manque son objet et bénéficie à des catégories de publications qui ne sont pas celles que le législateur a eu en vue lorsqu' 'il a institué les dispositions tarifaires et postales destinées à favoriser la libre communication des pensées entre les citoyens de la République ». Le rapporteur cite, en exemple, la presse du sang, du sexe et du scandale.

Les aides à la presse -tarifs postaux privilégiés, détaxations fiscales, allocations de fonds publics- sont justifiées par le rôle politique, social et intellectuel joué par l'écrit comme mode de transmission et de réception du savoir, dans un univers où l'audiovisuel est devenu prédominant.

Après avoir rappelé que la presse quotidienne nationale exerçait une responsabilité démocratique, le rapport relève qu'au cours de la dernière décennie, « des prises de contrôle d'organes de presse sont intervenues de la part d'entreprises industrielles et commerciales, étrangères à la profession », ce qui expose la presse au risque que quotidiens et magazines ne deviennent « les accessoires médiatiques de groupes dont les activités et les ambitions majeures demeurent tout à fait étrangères à la presse ». Cette évolution pourrait, à terme, remettre en question la justification des concours publics à la presse : « si un périodique voit son contenu défini non en termes d'idées mais en fonction des caractéristiques propres de certaines tranches du lectorat identifiées comme autant de cibles marketing, en quoi conserve-t-il un caractère d'intérêt général ? ».

En fonction de ce constat, le rapport se prononce sur le maintien de l'aide de l'État en faveur du recentrage de ces aides.

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