II. LA DOULOUREUSE QUESTION DES AIDES À LA PERSONNE

L'analyse de votre rapporteur sur la situation des aides personnelles n'a malheureusement pas changé depuis le précédent exercice : leur coût phénoménal est en grande partie lié à un accroissement injustifié du nombre des bénéficiaires.

On ne saurait tenir rigueur au gouvernement, qui a tant fait pour le logement en si peu de temps, de n'avoir pas encore résolu cette question. Mais précisément, le temps joue contre lui dans cette affaire... La parade actuelle, qui consiste à faire payer au plus grand nombre les allocations injustifiées de quelques-uns, n'est pas de bonne méthode.

A. UN COÛT ÉLEVÉ LIÉ À L'ACCROISSEMENT DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES

1. Un coût explosif

Les aides personnelles ont évolué comme l'indique le tableau suivant :

ALS : allocation de logement sociale

ALF : allocation de logement familiale

APL : aide personnalisée au logement

Cette très forte croissance (+ 48 % sur 5 ans) a pesé essentiellement sur l'État, notamment ces dernières années, du fait des difficultés économiques des entreprises et des exonérations de charges dont elles ont pu bénéficier en faveur de l'emploi.

Part de l'État dans le financement des différentes aides

La part de l'État a ainsi cru de 47 %, celle des entreprises de 44 %.

Pour 1996, une dotation de 27,4 milliards de francs est prévue ce qui paraît peu réaliste lorsqu'on considère que les crédits disponibles pour 1995 ont atteint 30 milliards de francs 1 ( * )

2. L'accroissement du nombre d'allocataires

Cet accroissement du coût des aides personnelles est directement lié à celui du nombre de ménages bénéficiaires, ainsi que le montre le rapprochement des deux graphiques suivants. Ce raisonnement est valable globalement et aide par aide.

évolution du coût des aides (millions de frs)

évolution du nombre de ménages bénéficiaires (milliers)

La croissance non négligeable de l'APL laisse transparaître que l'élément le plus dynamique est l'ALS. L'explosion de l'ALS est elle-même directement liée au "bouclage" de cette aide, qui a consisté de 1991 à 1993 à la généraliser en trois phases sous seules conditions de ressources, les effets de ce bouclage, définitivement entré en vigueur le 1er janvier 1993, se propagent comme une onde de choc progressive. Ils sont essentiellement constitués de l'accroissement de la population étudiante éligible à l'aide.

Montant des prestations versées au titre de l'allocation de logement sociale depuis 1989

Le surcoût de ce bouclage est entièrement à la charge du budget de l'État.

En l'absence de mesure particulière de réduction de l'aide aux étudiants, les prestations d'"ALS étudiant" devraient atteindre 6,8 milliards de francs en l'an 2.000 pour 750.000 étudiants bénéficiaires. Le tableau qui suit retrace ces évolutions.

Par ailleurs, 123.000 étudiants logés en logements conventionnés bénéficient de l'APL au 31 décembre 1994.

En 1996, la contribution de l'État à l'ALS dépassera pour la première fois celle consentie à l'APL.

B. DES TENTATIVES D'ÉCONOMIE ENCORE NON PERTINENTES

Alors qu'il serait nécessaire de limiter le nombre d'allocataires, le gouvernement ne parvient qu'à peser sur la valeur réelle des aides.

1. Une tentative peu efficace de limitation du nombre d'allocataires

Certes, les gouvernements successifs ont tenté d'intervenir sur ce facteur, notamment en abaissant le niveau réel des plafonds de ressources permettant de bénéficier des aides, ainsi que le montrent les exemples ci-dessous.

Les tableaux suivants retracent l'évolution du revenu mensuel d'exclusion pour des ménages-type dans une agglomération de province de plus de 100.000 habitants (zone 2) et des loyers ou mensualités au niveau des plafonds.

Revenu d'exclusion pour l'APL 1 location. Ménage monoactif avec 2 enfants, en zone 2 au loyer plafond (en francs)

Revenu d'exclusion pour l'ALS location. Isolé, en zone 2, au loyer plafond (en francs)

Mais s'agissant de la population étudiante, cette solution ne peut être qu'inopérante, des étudiants bénéficiaires de l'ALS étant quasiment dépourvus de ressources propres.

2. Une action peu équitable sur le niveau réel des aides

Les différents gouvernements ont donc tenté d'agir sur le niveau général des aides, afin d'en réduire le pouvoir d'achat.

Ces actions ont tout d'abord porté sur le principal instrument de revalorisation des aides : les barèmes. Le code de la construction et de l'habitation en prévoit la revalorisation annuelle au 1er juillet, en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction, de l'inflation, et de l'évolution des loyers 1 ( * ) . Systématiquement depuis plusieurs années, la revalorisation des aides s'est calée sur le niveau de l'indice le moins élevé. En pratique, cela consiste à ne tenir compte que de l'inflation pour les paramètres de ressources, et de l'indice INSEE du coût de la construction pour les paramètres de loyers-plafonds. Ainsi que l'indique le graphique ci-dessous, ces évolutions suffisent à dévaloriser les aides en termes réels.

Evolution des indices

En outre, les barèmes au 1er juillet 1993 ont été gelés.

Cette mesure, d'un rendement escompté de 400 millions de francs, aura finalement permis d'économiser 450 millions de francs (calcul réalisé sur un échantillon de 100.000 bénéficiaires).

Bien que prenant effet le 1er juillet 1995, l'évolution du barème prévue pour cette année n'est pas encore arrêtée à l'heure où votre rapporteur rédige ces lignes 1 ( * ) .

La procédure est complexe et le retard habituel. Mais votre rapporteur continue de s'étonner du caractère tardif de ces décisions dès lors que les efforts de révisions des services votés figurant dans les crédits du ministère du logement incorporent les effets de l'évolution des barèmes. Votre rapporteur rappelle que l'effort d'économie prévu pour 1996 est de 2,3 milliards de francs sur le tendanciel (0,9 milliards de francs sur l'APL - 1,4 milliards de francs sur l'ALS). Dès lors, il est très probable que la revalorisation des barèmes sera minimale, sachant qu'un relèvement d'1% a un coût budgétaire de 400 millions de francs.

Dates de parution des décrets

Par ailleurs, diverses mesures participant du même esprit ont été prises en 1994 et dans la loi de finances pour 1995.

- Cohabitation de bénéficiaires distincts dans un même logement en qualité de colocataires ou de copropriétaires.

Un forfait de charges spécifique a été décidé en AL sur le modèle de ce qui existe déjà en APL : 142 F pour un isolé colocataire (ou co-emprunteur), contre 282 F pour un locataire ou emprunteur unique. En outre, un loyer plafond particulier a été institué en APL comme en AL pour les cas de colocation. Il a été fixé à 80 % du loyer plafond "ordinaire".

- APL accession

Pour le flux nouveau des accédants, les mensualités plafonds ont été réduites pour tenir compte de l'évolution des taux d'intérêt dans chaque secteur de prêts depuis le 1er septembre 1993 ; cette réduction étant plus faible en PC qu'en PAP.

Par ailleurs, le taux d'effort minimum a été porté de 23 à 24 %.

Enfin, la revalorisation automatique de 2 % des mensualités plafonds des accédants ayant contracté des prêts avant le 31 décembre 1991 a été supprimée pour les prêts à taux fixe et à mensualités constantes.

- Aides versées aux étudiants

Le plancher de ressources applicable aux étudiants a été augmenté de 5,7 %.

- Conditions d'ouverture des droits

La loi de finances pour 1995 a prévu en outre deux mesures d'économies (article 93 de la loi n° 94-1162 du 28 décembre 1994 publiée au Journal officiel du 30) :

ï La limitation des rappels en cas de dépôt tardifs de la demande : le rappel est versé dans la limite des 3 mois (au lieu de 2 ans) précédant celui au cours duquel la demande est déposée (en APL et en AL) ;

ï L'harmonisation des conditions d'ouverture et de fin de droits en APL avec celles en vigueur pour l'AL : le droit est ouvert à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel les conditions d'ouverture du droit sont réunies et cesse à partir du premier jour du mois civil au cours duquel les conditions d'octroi cessent d'être réunies.

- Lutte contre la fraude

Au titre de la lutte contre la fraude, une campagne de comparaison entre les revenus déclarés à l'administration fiscale et ceux déclarés aux organismes payeurs des prestations sociales et familiales a été décidée par le précédent gouvernement. Cette campagne concerne en 1995, environ deux millions d'allocataires dont les dossiers sont gérés par les caisses d'allocations familiales sur les 6,6 millions percevant des allocations sous condition de ressources. Elle a nécessité d'importantes études techniques dues notamment au fait que la notion de foyer fiscal diffère de la notion de "foyer allocataire" retenue par la réglementation des prestations sociales et familiales (résultats attendus au 1er trimestre 1996).

Ces mesures, dont le rendement effectif n'est pas encore connu à ce jour, devaient être d'un rendement de 700 millions de francs sur l'exercice1994 (mesures prises pour 1994) et de 820 millions de francs sur l'exercice1995 (mesures prises dans la loi de finances pour 1995).

3. Les prémices de la mise en place d'une base ressources homogène

Pour 1996, aucune mesure n'est encore arrêtée. Selon les informations de votre rapporteur, outre la révision minimale du barème, ces mesures devraient consister à ne plus prendre en compte les ressources que pour leur niveau, sans considération de leur nature. Dans son rapport de juin 1994 1 ( * ) , la Cour des comptes avait relevé cette anomalie en fonction de laquelle pour un même niveau de revenu, un salaire donne droit à une aide inférieure à une prestation sociale. Le gouvernement pourrait donc décider de faire figurer désormais dans la base de ressources, des prestations telles que les indemnités journalières de maternité ou d'accidents du travail. Il s'agit d'un prélude à une prise en compte de tous les revenus, y compris les minima sociaux (RMI, minimum vieillesse, allocation adultes handicapés, etc.).

Sous réserves de précisions ultérieures, votre rapporteur ne désapprouve pas cette démarche : il n'y a en effet pas de raison de pénaliser les revenus du travail.

Il considère cependant que le vrai problème - celui de la dérive du nombre d'allocataires - n'est pas encore abordé de front.

4. L'affrontement des vrais problèmes se fait attendre

Outre le rapport de la Cour des comptes précité, un rapport de l'Inspection générale des finances rendu en décembre 1994 fait le point des solutions possibles. Ces deux rapports ont une approche assez semblable, et préconisent principalement :

- d'unifier les aides en les alignant sur les modalités de l'APL ;

- de prendre en considération les ressources de façon réaliste, ce que le gouvernement veut commencer à faire ;

- d'accroître l'assiette-logement des aides pour pouvoir en réduire le taux ;

- de s'assurer d'un effort minimal réel des ménages bénéficiaires ;

- de simplifier les modalités de financement de ces aides, actuellement trop complexes (participation des employeurs transitant par les URSSAF, l'ACOSS, puis trois fonds ; participation de l'État).

Ces deux rapports s'accordent enfin et surtout pour remettre en cause le bouclage des aides en faveur des étudiants ; qualifié d'"anomalie flagrante" par l'inspecteur général Jean Choussat. Ce dernier considère que la réglementation devrait prendre en compte les ressources des parents dans le calcul du plafond de ressources de l'étudiant, ou à tout le moins, supprimer le cumul de l'aide et les effets du quotient familial. M. Choussat ajoutait que l'ALS-étudiant accentue le travers anti-redistributif de l'enseignement supérieur.

C'est cette dernière option qu'a tenté de faire valoir le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Philippe Auberger 1 ( * ) . Il n'a retiré son amendement que pour éviter de gêner le gouvernement dans sa préparation du statut de l'étudiant.

Cette option est pourtant bien la bonne. Contrairement à 1993, on ne peut plus aujourd'hui revenir sur la partie "dépenses" de l'ALS-étudiant : 500.000 étudiants en bénéficient, et ils sauraient faire valoir puissamment l'"injustice" qu'on leur ferait en les en privant. En revanche, dès lors que cette aide est perçue, il est illégitime que les familles les plus aisées en bénéficient sans aucune contribution de leur part sous forme d'impôt sur le revenu ; cependant que le gouvernement s'efforce de réduire l'aide accordée aux plus nécessiteux.

En réponse à notre collègue député Jean Briane, le ministre du logement écrit le 3 octobre 1995 2 ( * ) :

"Le rapport de la mission d'évaluation sur les aides personnelles au logement qui avait été confiée à M. Choussat, inspecteur général des finances, constitue l'un des éléments de la réflexion du nouveau gouvernement qui indiquera, notamment à l'occasion de l'élaboration du budget du logement pour 1996, la suite qu'il entend donner aux propositions qui ont été formulées. "

Qu'en est-il aujourd'hui ?

* 1 LF1 = 26,1 MdsF - LFR n°1 = 2,2 MdsF - LFR n°2 = + 1,7 MdsF

* 1 Les barèmes des aides personnelles sont normalement actualisés de la façon suivante :

- paramètres liés à la prise en compte des ressources des bénéficiaires : indice moyen des prix de détail (hors tabac),

- loyers et mensualités plafonds : indice du coût de la construction,

- forfait de charges : progression du coût d'un panier représentatif des charges réelles.

* 1 Aucune décision interministérielle n'est encore intervenue. Celle-ci précèdera la consultation du Conseil National de l'Habitat et du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales. La décision ne sera rendue publique qu'ensuite.

* 1 Enquêtes sur le logement 1 - Les aides au logement dans le budget de l'Etat 1990-1993

* 1 J.O. débats AN - 3e séance du jeudi 18 octobre 1995 P. 2019

* 2 J. O. Questions AN - 23/10/1995 - page 4461

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