CHAPITRE II UN BOULEVERSEMENT INSTITUTIONNEL PROFOND

I. LE RENFORCEMENT DU RÔLE DU PARLEMENT

A. L'AMÉLIORATION DE L'INFORMATION DU PARLEMENT

Au cours des deux dernières années, l'information du Parlement en matière de sécurité sociale a déjà connu une amélioration sensible, sans toutefois que ses compétences soient étendues dans ce domaine.

1. La consécration de la commission des comptes de la sécurité sociale

La commission des comptes de la sécurité sociale est l'institution chargée d'arrêter périodiquement un état global et officiel de la situation et des perspectives financières à court terme de l'ensemble des régimes de sécurité sociale.

Cette commission, à laquelle participent quatre députés et quatre sénateurs, dont votre rapporteur, est passée d'un statut réglementaire à un statut légal en vertu de la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale.

Un décret, actuellement en cours de signature, devrait bientôt être publié qui précisera que la réunion du printemps de la commission, consacrée aux comptes du régime général, se tiendra entre le 15 avril et le 31 mai de chaque année, tandis que celle d'automne, consacrée aux comptes de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale, aura lieu entre le 15 octobre et le 30 novembre.

Votre rapporteur est satisfait de la régularité ainsi conférée aux réunions de la commission, dont il vous avait demandé de voter le principe lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité sociale.

2. Le premier rapport de la Cour des Comptes au Parlement sur la sécurité sociale

Au mois de septembre dernier, la Cour des Comptes a transmis au Parlement son premier rapport sur les organismes de sécurité sociale, en application de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1994 précitée. Votre rapporteur vous avait proposé, au nom de la commission des finances, cette extension fondamentale des missions de la Cour des Comptes, qui contribuera beaucoup à améliorer l'information du Parlement.

La Cour des Comptes a une très large compétence sur les organismes de sécurité sociale :

- pour les caisses nationales de sécurité sociale, qui sont des établissements publics administratifs, le contrôle de la Cour des Comptes s'exerce dans le cadre de droit commun de sa juridiction sur les comptables publics et de son pouvoir de vérification sur pièces et sur place de la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités publiques ;

- pour les organismes de sécurité sociale de droit privé assurant tout ou partie de la gestion d'un régime légalement obligatoire, sa compétence est précisée par l'article 7 de la loi du 22 juin 1967.

Il existe un dispositif de contrôle des organismes locaux de droit privé, qui fait appel à des comités départementaux spécifiques d'examen des comptes de la sécurité sociale (CODEC) présidés par les trésoriers-payeurs généraux. Le réseau des CODEC qui ne fonctionne pas très bien actuellement, devra être redynamisé et coordonné sous l'autorité de la Cour des Comptes.

Le rapport annuel de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale n'est pas exactement comparable à son rapport annuel sur l'exécution des lois de finances. Pour ce dernier, la Cour peut s'appuyer sur la vérification de documents centralisés rapidement dans le cadre de l'organisation comptable propre à l'État. En revanche, l'émiettement du système de sécurité sociale entre plus d'un millier d'organismes dont les comptes sont trop hétérogènes pour pouvoir être consolidés interdit à la Cour de certifier les comptes de la sécurité sociale comme elle le fait pour les comptes de l'État.

Dans son premier rapport, la Cour s'est donc livré à une analyse critique de la gestion administrative et financière des organismes de sécurité sociale, faisant preuve à cette occasion d'une liberté plus grande que celle qui est autorisée à la commission des comptes de la sécurité sociale.

Votre rapporteur apprécie particulièrement l'esprit pratique dont a fait preuve la Cour des Comptes, qui a assorti chacune de ses observations d'une suggestion d'amélioration des règles en vigueur. Son rapport se présente ainsi comme un véritable guide pratique de la réforme en matière de sécurité sociale, et constitue une invite au législateur à intervenir.

3. Le débat annuel au Parlement

L'article 14 de la loi du 25 juillet 1995 relative à la sécurité sociale prévoit que "le Gouvernement présente chaque année au Parlement, lors de la première session ordinaire, un rapport relatif aux principes fondamentaux qui déterminent l'évolution des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. '

Votre rapporteur avait salué l'an dernier le progrès représenté par le débat organisé à l'occasion de la présentation de ce rapport, tout en regrettant sa brièveté et l'absence de vote final. En revanche, cette année, le débat sur la sécurité sociale a pris toute l'ampleur que l'on pouvait souhaiter.

Le Gouvernement, tout en engageant dès l'automne une vaste consultation des partenaires sociaux et en mobilisant les acteurs régionaux, a veillé à conserver au Parlement la primeur de la présentation de son plan de réforme de la protection sociale. La déclaration faite à ce sujet par le Premier ministre le 15 novembre dernier devant l'Assemblée nationale a été répétée le lendemain devant le Sénat.

Suite à cette déclaration, le Premier ministre a engagé la responsabilité de son gouvernement devant l'Assemblée nationale et demande l'approbation du Sénat, sur la base de l'article 49 de la Constitution. Dans les deux assemblées, la majorité parlementaire lui a apporté un soutien massif.

Votre rapporteur se félicite que l'équilibre financier de notre système de protection sociale soit enfin reconnu comme une question d'importance majeure, même s'il doit regretter que cette prise de conscience se fasse sous la pression de déficits sans précédents. Mais le Parlement sera désormais amené à se prononcer chaque année sur cette question, grâce à l'extension fondamentale qui sera bientôt apportée à son champ de compétence.

B. LE PARLEMENT EST ENFIN PLACE AU SOMMET DU DISPOSITIF DE SÉCURITÉ SOCIALE

1. Un partage de compétences jusqu'à présent défavorable au Parlement

Le partage des compétences entre les gestionnaires des caisses de sécurité sociale, le Gouvernement et le Parlement a cantonné ce dernier dans un rôle secondaire en matière de finances sociales. Appelé à déterminer les principes légaux régissant les régimes sociaux en vertu de l'article 34 de la Constitution, le Parlement voit lui échapper l'essentiel des paramètres financiers de leur équilibre (taux de cotisations et montant des prestations).

Certes, le Parlement est périodiquement appelé à se prononcer sur des plans de redressement, qui sont pour lui autant d'occasions de se pencher sur les comptes sociaux. Mais les situations d'urgence auxquelles ces plans entendent répondre ne lui laissent qu'une faible marge d'appréciation. En fait, il manquait jusqu'à présent un mécanisme solennel de vérification périodique par le Parlement de l'adéquation entre l'évolution de la sécurité sociale et son environnement.

2. Une demande constante de votre rapporteur

En 1987, les deux chambres avaient cherché à remédier à cette situation peu satisfaisante en adoptant, à l'initiative de M. Michel d'Ornano, une loi organique relative au contrôle du Parlement sur les finances des organismes de protection sociale. Mais le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 87-234 du 7 janvier 1987, l'a invalidée, considérant qu'elle ne paraît pas s'inscrire dans le cadre de l'article 34 de la Constitution.

En 1992, tirant les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, votre rapporteur avait déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à réaffirmer les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation (n° 190, première session extraordinaire de 1992-1993), qui prévoyait d'organiser chaque année un débat parlementaire sur les recettes et les dépenses des organismes concourant à l'effort social de la Nation.

En 1993, le comité consultatif pour la révision de la Constitution mis en place par le Président de la République et présidé par le doyen Georges Vedel avait à son tour préconisé, parmi bien d'autres propositions de réformes constitutionnelles, d'institutionnaliser un débat annuel au Parlement sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Enfin, votre rapporteur a redéposé au début de cette année une proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement (n° 367 troisième session extraordinaire de 1994-1995).

En effet, avec la création de la CSG puis la mise en place du Fonds de solidarité vieillesse, il était devenu de moins en moins concevable de continuer à tenir à l'écart le Parlement du financement de la sécurité sociale.

3. La révision prochaine de la Constitution

Élément fondamental du plan de réforme de la protection sociale, une révision de la Constitution interviendra au début de l'année prochaine pour permettre au Parlement, sur proposition du Gouvernement, de se prononcer sur :

- les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale ;

- les ressources de la sécurité sociale financées par l'impôt ;

- le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses permettant de garantir l'équilibre du système ;

- le critère de répartition des enveloppes de dépenses ainsi arrêtées.

Comme l'a très justement déclaré le Premier ministre, cette révision constitutionnelle "sera l'acte fondateur qui donnera, cinquante ans après, une nouvelle légitimité à notre protection sociale". Elle permettra de bâtir l'architecture des responsabilités qui faisait jusque là défaut au système de sécurité sociale, en plaçant le Parlement à son sommet.

C. LE RECOURS AUX ORDONNANCES EST JUSTIFIÉ PAR L'URGENCE

Il peut sembler paradoxal de la part du Gouvernement, dans le même temps qu'il propose au Parlement de renforcer son rôle en matière de sécurité sociale, de lui demander l'autorisation de mettre en oeuvre une partie des réformes annoncées par voie d'ordonnances.

Votre rapporteur estime toutefois que l'urgence et la technicité des mesures concernées justifient amplement le recours à cette procédure extraordinaire. Les modalités envisagées par le Gouvernement présentent d'ailleurs toutes les garanties nécessaires pour limiter le dessaisissement du Parlement à ce qui est strictement nécessaire.

1. Un champ bien circonscrit

Le projet de loi d'habilitation, qui a été examiné en conseil des ministres le 29 novembre dernier, devrait porter sur les cinq points suivants :

- la création d'une caisse d'amortissement de la dette sociale et de la contribution destinée à l'alimenter ;

- les mesures immédiates de rééquilibrage financier des différentes branches vieillesse et famille ;

- la réforme de l'organisation des caisses de sécurité sociale

- la réforme hospitalière ;

- le renforcement de la politique de maîtrise médicalisée des dépenses.

2. Une ratification rapide

La loi d'habilitation devant être adoptée dès la mi-décembre, les premières ordonnances pourrait être prises avant la fin de cette année et au plus tard dans un délai de quatre mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Le Premier ministre s'est engagé à informer et consulter les commissions compétentes du Parlement pendant la mise au point des ordonnances et à présenter le projet de loi de ratification avant le 31 mai 1996.

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