N° 114

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 décembre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi présentée par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mmes Françoise SELIGMANN, Josette DURRIEU et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachés, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.

Par M. Charles JOLIBOIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès. Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ;Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich

Voir le numéro :

Sénat : 378 (1994-1995).

Justice.

Mesdames, Messieurs,

A l'occasion de deux arrêts rendus par la Cour de cassation en assemblée plénière le 30 juin 1995, M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste ont déposé le 17 juillet la proposition de loi autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.

Or, loin de poser un problème nouveau, ces arrêts ne faisaient que confirmer la jurisprudence constante de la Cour de cassation devant le texte clair de l'article 114 du code de procédure pénale : aux termes de cette disposition, l'avocat peut se faire délivrer, à ses frais, pour son usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.

En conséquence, dit la Cour de cassation, s'il peut examiner ces copies avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, « il ne saurait en revanche lui remettre ces copies (... qui) doivent demeurer couvertes par le secret de l'instruction». Secret que l'avocat, soumis au secret professionnel, doit respecter mais auquel la personne mise en examen et la partie civile ne sont pas soumises, en l'état actuel du droit.

Le lien entre la communication des copies et le secret de l'instruction n'avait pas échappé à la mission d'information de la commission des lois sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction.

Parmi les 23 propositions et 4 recommandations issues de ses travaux menés d'octobre 1994 à avril 1995, figurait une proposition n° 16 qui en traitait dans le cadre global d'une réflexion sur la transparence des procédures de mise en état.

Car la question de la remise des copies du dossier à une partie est indissociable tant de celle de la protection de la présomption d'innocence des autres parties, que de l'évolution du secret de l'instruction, notamment dans les affaires où la protection des témoins se pose avec acuité ou dans celles concernant le crime organisé.

C'est ce qu'a estimé la commission des lois lors de l'examen du rapport de M. Michel Dreyfus-Schmidt sur la présente proposition de loi, le 8 novembre 1995.

Elle a en conséquence décidé qu'il était inopportun de se prononcer immédiatement sur le problème de la communication des copies du dossier aux parties.

M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui avait soumis à la commission des conclusions tendant à une nouvelle rédaction de sa proposition initiale, a indiqué qu'il ne pouvait en conséquence demeurer rapporteur.

Sur la proposition de son nouveau rapporteur, la commission des lois a confirmé le 6 décembre qu'aucune urgence particulière ne justifiait de traiter isolément cette question, indissociable d'une réflexion globale susceptible d'aboutir dans le cadre de la réforme d'ensemble de la procédure pénale annoncée par le ministre de la justice.

Votre commission des lois a également émis le souhait que cette réflexion puisse aboutir rapidement.

Pour ces motifs, votre commission a décidé de ne pas retenir le texte proposé par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste.

Aux termes de l'article 42 (6, c) du Règlement du Sénat : « lorsque la commission ne présente aucune conclusion ou si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le Sénat est appelé à discuter le texte initial de la proposition. »

En application de cet article, la commission des lois propose au Sénat de se prononcer en faveur de ses conclusions négatives.

I. LA CONFIRMATION DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION NE JUSTIFIE PAS DE STATUER SUR LE FOND DANS L'URGENCE

A. LA COUR DE CASSATION CONFIRME L'ÉTAT DU DROIT

1. Les textes en vigueur

Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale prévoit que « après la première comparution ou la première audition, les avocats des Parties peuvent se faire délivrer à leurs frais, copie de tout ou partie des Pièces et actes du dossier pour leur usage exclusif et sans pouvoir en établir de reproduction ».

Adopté à la suite d'une initiative de notre excellent collègue Charles de Cuttoli, ce texte résulte de la loi du 10 juin 1983. Figurant à l'époque dans
•'article 118 du code de procédure pénale, il a été repris dans l'actuel article 114 par la loi du 4 janvier 1993.

Au préalable, la loi du 2 février 1981 avait permis aux avocats des Parties d'obtenir, sans pouvoir les rendre publiques, des copies du dossier au stade de la chambre d'accusation (article 197 du code de procédure pénale).

Ces textes traduisaient législativement la faculté accordée par l'usage au juge d'instruction d'autoriser le greffier à établir des copies des pièces que celui-ci remettait, moyennant finances, aux avocats.

Cette pratique fut l'une des conséquences matérielles de l'accès des avocats au cabinet du juge d'instruction à partir de 1897. L'article 10 de la loi du 8 décembre 1897 prévoyait en effet que la procédure soit mise à la disposition du conseil la veille de chaque interrogatoire. L'usage facilitait l'accès au dossier du défenseur en lui permettant ainsi de l'emporter en dehors du greffe pour préparer les comparutions et plus généralement la défense.

2. La jurisprudence

Dès le 2 mai 1903, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait eu l'occasion de distinguer la situation de l'avocat de celle de la partie et d'exclure la communication directe par le juge des copies à la partie :

« L'article 10 de la loi du 8 décembre 1897 édicte une prescription qui a été jugée nécessaire mais suffisante pour garantir, en ce qui concerne la communication de la procédure, le libre exercice des droits de la défense aucune disposition légale n'impose au juge d'instruction l'obligation de communiquer la procédure en dehors des conditions déterminées par ledit article ; en décidant, par suite, que le magistrat instructeur avait pu légalement refuser de communiquer à l'inculpée elle-même, le dossier de la procédure et de lui faire donner copie des pièces, l'arrêt attaqué n'a commis aucune violation des droits de la défense ».

En 1961, la Cour d'appel d'Aix précisait que l'avocat, lui non plus, ne pouvait remettre les copies à son client :

« Il appartient donc à l'avocat qui a pris copie de pièces d'information (ou s'est fait délivrer copie de ces pièces en vertu d'une tolérance justifiée uniquement par sa qualité), d'apprécier en son âme et conscience si les nécessités de la défense lui font un devoir d'en informer son client mais (...) il ne peut en aucun cas lui remettre ces pièces qui par leur nature même doivent rester secrètes tant que dure l'information ; (...) si (...) pendant le cours de l'information une partie pouvait détenir copies des pièces de celle-ci, l'information cesserait d'être secrète puisque non seulement cette partie en connaîtrait les éléments, mais l'article 11 du code de procédure pénale ne lui étant pas applicable, elle pourrait les faire parvenir à des tiers ».

La Cour de cassation confirme constamment cette analyse notamment dans un arrêt du 2 février 1994 :

« Il résulte tant de l'article 11 du code de procédure pénale que de l'article 89 du décret n°72-468 du 9 juin 1972, applicable en l'espèce, fixant les règles professionnelles de l'avocat, que si celui-ci autorisé par l'article 118, alinéa 4 du code de procédure pénale à se faire délivrer des copies de pièces du dossier d'instruction, peut en communiquer la teneur à son client pour les besoins de la défense, il ne peut en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour « son usage exclusif », ces pièces devant rester secrètes tant que dure l'instruction ».

Les arrêts du 30 juin 1995 n'énoncent donc pas une règle nouvelle.

Ils ont été rendus sur un arrêt de la Cour d'appel d'Aix du 24 février 1995 qui, reprenant l'interdiction de communication des copies, qualifiait (à tort) la remise des copies de « manquement à l'honneur» et un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 27 juin 1994 qui s'en remettait en la matière à la « prudence de l'avocat ».

La Cour de cassation n'a retenu aucune de ces deux analyses. Elle a décidé que, en application de l'article 114 du code de procédure pénale et de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991, « si l'avocat, autorisé à se faire délivrer des copies du dossier d'instruction, peut procéder à leur examen avec son client pour les besoins de la défense de ce dernier, il ne saurait en revanche lui remettre ces copies qui ne lui sont délivrées que pour « son usage exclusif » et doivent demeurer couvertes par le secret de l'instruction ».

Page mise à jour le

Partager cette page