Rapport n° 125 (1995-1996) de M. Hubert DURAND-CHASTEL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 13 décembre 1995

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N° 125

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1995

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Roumanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).

Par M. Hubert DURAND-CHASTEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet l'approbation d'un accord entre la France et la Roumanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

Après l'accord d'association signé le 1er janvier 1993 qui permet d'établir progressivement sur une période de dix ans une zone de libre-échange entre les pays membres de l'Union européenne et la Roumanie, cet accord constitue, sur le plan bilatéral, une étape importante dans le rapprochement économique entre nos deux pays.

Pour la Roumanie ce texte répond au souci de conforter, notamment par des accords bilatéraux, ses liens avec l'Europe occidentale et plus particulièrement les relations entre nos deux pays qu'une même culture latine rapproche.

La Roumanie redoute en effet de se laisser distancer par les pays appartenant au « groupe de Visegrad » (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne) dont les progrès économiques promettent une intégration rapide à l'Union européenne.

Aussi, pour bien comprendre la portée de cet accord, et avant d'en analyser les stipulations, votre rapporteur tentera-t-il d'exposer les raisons qui expliquent les retards pris par la Roumanie dans le processus de réformes que d'autres pays de l'ancien bloc socialiste ont su, pour leur part, mettre en oeuvre plus rapidement.

*

Sans revenir sur la transition politique de la Roumanie vers la démocratie et ses institutions actuelles, excellemment analysées par le rapport de M. Michel Poniatowski sur l'accord d'association entre l'Union européenne et la Roumanie, présenté devant notre commission l'an dernier 1 ( * ) , votre rapporteur souhaiterait concentrer l'attention sur la situation actuelle de la Roumanie caractérisée par la force des mouvements nationalistes et un bilan économique encore contrasté.

*

* *

I. LA ROUMANIE ENTRE LE REPLI SUR SOI ET L'OUVERTURE VERS L'EUROPE

A. LA TENTATION NATIONALISTE

1. Une unité difficile

L'histoire et les convulsions du dernier siècle ont laissé en héritage à la Roumanie un ensemble de minorités parmi lesquelles les Hongrois occupent le premier rang. Ces derniers, 1 600 000 personnes (sur une population totale de 23,43 millions d'habitants), sont fortement organisés, fiers de leur culture et de leur langue. La domination exercée par les Hongrois sur la Transylvanie sous l'empire austro-hongrois, l'avance économique actuelle de la Hongrie et donc les perspectives d'une intégration européenne plus rapide que celles qui s'offrent à la Roumanie, accusent les malentendus entre la communauté magyare et les Roumains.

Les Roumains doivent encore compter avec la présence, numériquement plus marginale, d'autres communautés nationales : Allemands (111 000) qui tendent d'ailleurs à quitter la Roumanie pour l'Allemagne, Russes (30 000), Turcs (30 000).

Si les Tsiganes (évalués à 410 000) ne constituent pas à proprement parler une minorité nationale, leur intégration n'en pose pas moins pour les Roumains un redoutable problème. En effet leur mode de vie, caractérisé par le nomadisme, leur goût de la liberté, leur confère une place à part dans la société roumaine. Particularisme qu'exacerbe encore l'ostracisme manifesté par les Roumains à leur endroit (dont témoigne par exemple la quasi-inexistence des mariages mixtes) et une situation économique précaire.

Le système de protection des minorités mis en place par la Roumanie n'a rien à envier aux pays voisins et se conforme aux normes internationales telles qu'elles ont été fixées notamment par la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).

En effet la Constitution roumaine (art. 6) garantit les droits des minorités et notamment le principe d'un enseignement dans leurs langues. Par ailleurs le gouvernement roumain reconnaît 18 minorités différentes représentées dans un Conseil créé en avril 1993, où elles peuvent proposer des lois.

La minorité magyare ne se satisfait cependant pas de ce dispositif juridique. Elle revendique en particulier pour le hongrois le statut de deuxième langue dans l'administration locale dans les régions où elle dispose d'une forte représentation.

La question des minorités nationales apparaît encore compliquée par le problème des frontières dont le tracé, modifié à la suite de la deuxième guerre mondiale, reste contesté. En effet l'alliance de la Roumanie avec les puissances de l'axe lui a coûté en 1945 la perte de la Bessarabie et de la Bukovine annexées par l'URSS et rattachées respectivement à la Moldavie et à l'Ukraine. Le nord-ouest de la Transylvanie revenait à la Hongrie et le sud de la Dobroudja à la Bulgarie. Aujourd'hui, tandis que la Roumanie fait face à des revendications irrédentistes magyares au nord-ouest de son territoire, elle aspire à long terme à une réunion avec la Bessarabie moldave.

2. Une alliance politique fragile

La question des minorités conjuguée à un découpage territorial contesté, aiguise le nationalisme roumain.

Celui-ci se traduit sur le plan intérieur par le poids politique des partis nationalistes. En effet le gouvernement mis en place en 1992 au lendemain des élections législatives et dirigé par un haut fonctionnaire, M. Vacaroiu, repose sur une majorité parlementaire associant au parti principal -le parti de la démocratie sociale du Président Iliescu (PDSR)- trois partis nationalistes (le Parti de l'unité nationale roumaine, le parti Romania Mare, le Parti socialiste du travail enfin). Ces partis exploitant habilement la sensibilité nationaliste d'une partie de la population, exercent une pression permanente sur le gouvernement, qui joue parfois du nationalisme comme d'un exutoire aux déconvenues économiques et sociales entraînées par la politique de rigueur.

Le président du parti Romania Mare en particulier s'est signalé par des accents antisémites et fascistes. L'exclusion de son mouvement de l'alliance quadripartite en octobre 1995 prive le gouvernement de la majorité absolue au parlement et fragilise encore davantage le pouvoir en place.

B. UNE DIPLOMATIE CONTRASTÉE

1. Des relations de voisinage parfois difficiles

Cette pression nationaliste complique la diplomatie conduite par les autorités roumaines à l'égard de leurs voisins. Les enjeux de politique intérieure paraissent particulièrement forts dans les relations entre la Roumanie et la Hongrie. Sans doute les rapports se sont-ils détendus avec l'arrivée des socialistes au pouvoir à Budapest en juin 1993. Cependant la question très sensible des droits de la minorité magyare en Roumanie bloque la signature du traité bilatéral entre les deux parties. En effet les Hongrois souhaitent que l'autonomie régionale soit reconnue aux Magyars de Transylvanie comme le préconise d'ailleurs le Conseil de l'Europe (recommandation 1201). Dans ce contexte, tendu encore par la proximité des élections législatives de 1996, l'appel à une "réconciliation historique" lancé le 30 août dernier à la Hongrie par le Président Iliescu risque de ne pas se concrétiser dans l'immédiat.

Sans mettre en jeu des problèmes de politique intérieure, comme les relations avec la Hongrie, les rapports avec l'Ukraine et la Moldavie restent marqués par le souci de la Roumanie d'affirmer son identité dans la région.

Ainsi les négociateurs roumains qui souhaitaient introduire dans un accord avec l'Ukraine la possibilité de modifier pacifiquement les frontières -permettant ainsi de remettre en cause le rattachement de la Bukovine du nord à l'Ukraine après la seconde guerre mondiale- se sont heurtés au refus de la partie ukrainienne. Le traité bilatéral n'a donc pas encore vu le jour.

La Roumanie entretenait à terme des espoirs de réunification avec la Moldavie. Elle doit aujourd'hui déchanter.

Dans la nouvelle Constitution, la Moldavie reconnaît comme langue officielle le moldave -et non le roumain- parallèlement au russe. De même l'ouverture des négociations sur l'élaboration d'un accord entre la Moldavie et la Roumanie ne cesse d'être différée. La Moldavie paraît en effet, aujourd'hui, surtout soucieuse de nouer des liens privilégiés avec la Russie.

Or s'il n'existe aucun litige entre la Roumanie et la Russie, les Roumains continuent de craindre un regain de l'impérialisme russe et redoutent que Moscou ne s'oppose à l'adhésion de Bucarest à l'OTAN.

Enfin les relations avec la Bulgarie paraissent aujourd'hui tendues par un double désaccord :

- sur la centrale nucléaire de Kozloduy dont les Roumains souhaitent la fermeture du réacteur numéro un ;

- sur l'emplacement du deuxième pont entre les deux pays sur le Danube.

2. Le souci d'intégration européenne

Ces relations parfois difficiles avec les pays voisins paraissent contradictoires avec une autre tendance de la diplomatie roumaine, plus ouverte sur l'Europe. La Roumanie a manifesté en effet le souci de participer à l'intégration européenne comme en témoigne la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne entré en vigueur le 1er février 1995 et le dépôt officiel en juin dernier de sa demande d'adhésion à l'Union. Parallèlement, la Roumanie est devenue membre du Conseil de l'Europe (octobre 1993), et membre du Forum de consultation de l'Union de l'Europe occidentale (mai 1994).

La Roumanie souhaite avant tout éviter tout décrochage par rapport aux Etats d'Europe centrale ou orientale, notamment ceux appartenant au "groupe de Visegrad" pour lesquels les perspectives d'intégration à l'Union européenne paraissent mieux assurées. A cet égard elle supporte mal toute différence de traitement appliquée à son endroit (comme l'obligation de visa imposée également à la Bulgarie).

La Roumanie, consciente que l'apaisement de ses relations avec ses voisins favorisera son intégration européenne, participe à plusieurs initiatives de coopération régionale : la coopération des pays riverains de la mer Noire (11 Etats) créée à l'initiative de la Turquie, et la Commission du Danube.

Bien que l'adhésion à l'Union européenne reste l'objectif prioritaire de la diplomatie roumaine, la Roumanie, soucieuse d'échapper à une position qui la confinerait au rôle de puissance balkanique, privilégie également deux autres orientations.

D'une part la Roumanie tente de resserrer ses liens avec les Etats Unis qui lui ont accordé en 1993 la clause de la nation la plus favorisée.

D'autre part, la Roumanie entend jouer un rôle actif au sein de la communauté internationale. Elle a su faire valoir sa neutralité dans le conflit en ex-Yougoslavie et le respect de l'embargo à l'égard des belligérants malgré sa sympathie pour les autorités de Belgrade. Compte tenu du coût de l'embargo (estimé à 7 millions de dollars), elle réclame de la communauté internationale des compensations au titre de l'article 50 de la Charte des Nations Unies. Par ailleurs, la Roumanie participe à certaines des opérations conduites sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies notamment en Angola.

II. LA PROGRESSION DES INVESTISSEMENTS RESTE CONDITIONNÉE À UN ENGAGEMENT PLUS RÉSOLU DE LA ROUMANIE SUR LA VOIE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ

A. LA STABILISATION ÉCONOMIQUE NE S'EST PAS ENCORE ACCOMPAGNÉE DES RÉFORMES DE STRUCTURES SUFFISANTES

1. Une politique de rigueur

A la suite des recommandations faites par le Fonds monétaire international (FMI), dans le cadre du mémorandum négocié et signé à la fin de l'année 93 avec la Roumanie, ce pays s'est engagé dans une politique de rigueur qui porte aujourd'hui ses fruits.

La fin de l'année 1993 marque un tournant par rapport au relatif laxisme qui prévalait dans les domaines de la politique budgétaire et de la politique monétaire.

a) Une meilleure maîtrise des dépenses et recettes budgétaires

Après la chute du régime de Ceaucescu, la Roumanie avait privilégié une transition douce vers l'économie de marché. En particulier, les complexes industriels continuaient à bénéficier de subventions de l'Etat. Cette aide destinée à compenser les pertes de parts de marché a permis de limiter la progression du chômage. Cependant, elle a retardé l'adaptation pourtant inéluctable des structures industrielles. Par ailleurs, conjuguée au maintien de subventions à la consommation allouées aux ménages, l'augmentation des subventions aux entreprises a également déséquilibré le solde du budget de l'Etat, caractérisé pourtant au cours des années 80 par un excédent traditionnel lié à une politique d'austérité intérieure.

A partir de 1993 toutefois, le gouvernement roumain a décidé de mieux contrôler les dépenses publiques. Parallèlement, l'élargissement de la base fiscale, la mise en place de nouveaux impôts (et notamment l'introduction de la TVA en juillet 1993) ont favorisé une amélioration des recettes fiscales. Ainsi le déficit budgétaire a pu être réduit à 3,5% du PIB en 1994.

b) Une politique monétaire sous contrôle

Des taux d'intérêt inférieurs à ceux de l'inflation, un endettement excessif des entreprises auprès du système bancaire, tels sont les deux termes d'une logique inflationniste qui, encouragée par le laxisme des autorités monétaires, a porté la hausse des prix entre 1990 et 1993 bien au dessus des taux d'inflation des autres pays d'Europe centrale et orientale.

Le souci de ne pas se couper des circuits financiers internationaux a toutefois obligé la Roumanie à composer avec les orientations fixées par le Fonds monétaire international (FMI). Ce retour à l'orthodoxie monétaire s'est manifesté d'une part par un relèvement du taux de base de la Banque nationale de Roumanie (immédiatement répercuté sur le taux prêteur des banques commerciales) et, d'autre part, par une réglementation plus stricte des réserves obligatoires constituées par les banques.

Ces mesures ont permis de ramener le taux d'inflation de 300% en 1993 à 60% en 1994 et sans doute 30 % en 1995 et de rétablir la confiance des Roumains dans leur monnaie, le leu. En conséquence, la demande de dollars considérés comme la monnaie refuge a diminué : le leu a pu ainsi se redresser face à la devise américaine.

Le retour de la confiance a permis aux autorités monétaires de s'en remettre au marché des changes interbancaire pour déterminer le taux de change, sans que cette mesure se traduise par une dépréciation du leu.

c) L'encouragement de la communauté internationale

Ses efforts ont permis en premier lieu à la Roumanie de bénéficier de nouveau des financements internationaux. D'avril 1994 à fin 1995, les organisations de Bretton Woods ainsi que le groupe des 24 pays les plus industrialisés auront prêté 2 milliards de dollars. L'endettement extérieur s'élève à 6,4 milliards de dollars en 1995. Il reste très en deçà du niveau atteint par les autres pays d'Europe centrale et orientale.

En second lieu, les exportations de la Roumanie ont su tirer parti, d'une part, de la signature de l'accord d'association commerciale avec la Communauté et, d'autre part, de la reconduction par les Etats-Unis de la clause de la nation la plus favorisée au profit de la Roumanie. Cette double ouverture a stimulé les exportations roumaines en direction des pays de l'Union européenne (+ 42% entre 1993 et 1994), et surtout des Etats-Unis (un triplement sur cette même période). Dès lors, la réduction de moitié du déficit de la balance commerciale entre 1993 et 1994 (de - 1 630 à - 858 millions de dollars) s'est accompagnée d'une profonde réorientation des échanges vers l'Ouest (qui représentent désormais 55,6% des exportations et 63,4% des importations roumaines - 80% du total de ces échanges concernant les pays de l'Union européenne). Les échanges des pays d'Europe centrale et orientale et de la Russie n'intéressent plus que 19% des exportations et 24,5 % des importations roumaines, après avoir représenté la moitié du commerce extérieur roumain.

Conjuguée à l'ouverture vers l'Ouest, la politique de rigueur a commencé à produire ses premiers résultats. Ainsi en 1994 le PIB aura progressé de 3,4%.

Le taux de chômage reste contenu à 11% de la population active après avoir augmenté de façon inquiétante en 1991 et 1992.

2. Les réformes de structure marquent le pas

Sans doute, à la fin de l'année 1994, 864 entreprises sur 6 500 sociétés commerciales privatisables aux termes de la loi sur la grande privatisation (1991) ont-elles été transférées au secteur privé. Celui-ci ne concerne cependant que 35% du PIB (contre 65% en République tchèque, 55% en Hongrie, Pologne et République slovaque et 40% pour la Bulgarie). Le processus apparaît ainsi loin d'être achevé. En 1995 les autorités roumaines devaient procéder à la transformation des certificats de propriété, distribués gratuitement à la population en 1992, en actions nominatives concernant plus de 3 000 entreprises.

Par ailleurs, le cadre juridique indispensable au développement d'une économie de marché tarde à se mettre en place malgré l'adoption d'une loi sur la faillite, d'une loi sur la concurrence, d'une loi sur la propriété intellectuelle.

Le FMI et la Banque mondiale n'ont pas manqué de relever ces retards, imputables en partie à la mauvaise volonté du parlement roumain, et ont menacé de suspendre le versement de certains prêts.

B. UNE PRÉSENCE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE ENCORE MESURÉE

1. Un rééquilibrage des échanges commerciaux en faveur de la Roumanie

L'excédent de nos échanges avec la Roumanie en 1992 (+ 1,5 milliards de francs) et en 1993 (1 milliard de francs) s'expliquait principalement par la livraison d'Airbus et de fourniture de céréales. En 1994, les exportations françaises se sont contractées de 26,5% (1,91 milliards de francs) alors que nos achats en Roumanie ont progressé de 16,1% (1,81 milliard de francs).

La France se classe ainsi au 5ème rang des fournisseurs de la Roumanie (derrière l'Allemagne, l'Italie, la Russie et les Etats-Unis) et au troisième rang de ses clients (derrière l'Allemagne et l'Italie).

D'après les informations fournies par le ministère des affaires étrangères, les principaux contrats en cours concernent Alcatel, de Dietrich, Feal, Bouygues. Par ailleurs, à la suite des appels d'offres lancés par la Banque mondiale, GEC-Alsthom Energie a été choisi pour la réhabilitation du réseau routier.

Enfin, parmi les contrats en projet, certains concernent le secteur militaire (vente d'ATR42 et 72 par la société ATR, de deux Falcon par Dassault, de missiles par Matra).

2. Le développement de la coopération bilatérale

Dans le domaine économique, la France prête son concours à la Roumanie principalement sous trois formes :

- le programme de coopération conduit avec le ministère roumain des finances et la Banque nationale concernant le plan comptable, les statistiques, la fiscalité ;

- la présence d'experts français pour assister la mise en oeuvre du fonds de la propriété privée de Craiova ;

- l'octroi d'aides financières, en 1994, dans le cadre du fonds des pays de l'Est au profit de plusieurs projets dans le domaine agricole (filière avicole et filière sucrière) et touristique (développement de la station de sports d'hiver de Sinaïa).

3. Les investisseurs français encore réticents

Les Français continuent d'occuper la quatrième position parmi les investisseurs étrangers en Roumanie. Au total, les investissements extérieurs en Roumanie ont dépassé le seuil du milliard de francs et s'élevaient en 1995 à 1,3 milliard de francs. Une importante promesse d'investissement de l'entreprise coréenne DAEWOO dans l'usine d'automobiles de Craiova a permis de classer en 1994 la Corée du Sud au premier rang des investisseurs étrangers, avec 158 millions de dollars investis, devant les Etats-Unis (111 millions de dollars), l'Allemagne (109 millions de dollars) et enfin la France (108 millions de dollars).

Les investissements français ont pour leur part surtout porté sur le bâtiment et l'hôtellerie (Centre d'affaires international-Sofitel construit par Bouygues, rénovation de l'hôtel Athénée-Palace par Feal International), les télécommunications (production de centraux téléphoniques par Alcatel, transport de données par Transpac), la métallurgie (groupe Genoyer Vilmar), le transport ferroviaire (société mixte avec GEC-Alsthom transport et Faur). Depuis 1994, plusieurs entreprises se sont installées en Roumanie : Compagnie générale des eaux, Schlumberger pétrole, Schlumberger compteurs, Salomon, Parizot...

Les Roumains regrettent souvent la timidité manifestée par les Français à l'endroit de la Roumanie. La lenteur du processus de privatisation, les difficultés pratiques rencontrées par certains investisseurs alors même que le dispositif législatif paraît plutôt favorable, expliquent sans doute les réticences de nos compatriotes.

Deux exemples témoignent ainsi des obstacles plus pratiques que juridiques qui entravent le développement de nos investissements.

Les autorités de tutelle n'ont toujours pas permis à l'entreprise roumaine OTELINOX de s'associer avec Ugine, qui comptait investir 20 millions de dollars dans les laminages à froid de tôles inoxydables.

De même, la décision des Sucreries de Corbeille, à la suite des actions d'assistance et de modernisation de la filière betteraves à sucre conduites par la France, d'investir dans l'une des principales sociétés roumaines dans ce secteur, la sucrerie d'Urziceni, reste suspendue à la décision du ministère de l'économie roumaine de débloquer le problème des dettes accumulées par cette entreprise.

La façon dont ces deux dossiers seront résolus par les pouvoirs publics constituera certainement un signal fort pour nos entreprises.

Les investissements étrangers sont aujourd'hui soumis aux cinq principes suivants :

- taux d'imposition sur les bénéfices de 38 % (25 % pour les sociétés agricoles) ;

- rapatriement des bénéfices sans limite après paiement de l'impôt sur les bénéfices ;

- retenue à la source de 10 % pour tout transfert de dividendes ;

- exonération des droits de douane à l'importation de matériels, équipements représentant un apport en nature dans le capital ou un acquis par le numéraire ;

- exonération pendant deux ans des droits de douane sur l'importation de biens consommables.

Par ailleurs tous les investisseurs étrangers doivent prendre contact avec l'Agence roumaine de développement qui centralise les dossiers et en assure le suivi.

III. UN DISPOSITIF CLASSIQUE DE PROTECTION RÉCIPROQUE DES INVESTISSEMENTS

A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ACCORD

1. Champ d'application géographique

Il comprend le territoire et la zone maritime (incluant la zone économique et le plateau territorial) de chacune des parties (art. 1.5).

2. Investissements concernés

Les investissements recouvrent l'ensemble des avoirs dont l'article 1.1 de l'accord donne une liste qui comprend notamment les biens meubles et immeubles ainsi que les autres droits réels (hypothèque, cautionnement...), les actions, les obligations, les droits d'auteur et de propriété industrielle, les concessions accordées par la loi en vertu d'un contrat.

Par ailleurs, la protection ne jouera que pour les investissements conformes à la législation de la partie contractante sur le territoire de laquelle ils sont réalisés.

3. Les investisseurs intéressés

Il convient de distinguer d'une part les personnes physiques qui doivent posséder la nationalité de l'une des parties contractantes et d'autre part les sociétés constituées conformément à la législation de l'Etat contractant où se trouve situé leur siège social (art. 1.2).

4. Les revenus visés

Les revenus recouvrent « toutes les sommes produites par un investissement (...) durant une période donnée » (art. 1.3).

B. DES STIPULATIONS CLASSIQUES TENDANT À ENCOURAGER ET PROTÉGER LES INVESTISSEMENTS RÉCIPROQUES

1. L'encouragement des investissements

Le principe, posé par l'article 2, se traduit sous deux formes :

- l'octroi d'un traitement « juste et équitable » pour ces investissements (art. 3)

- l'application par chaque partie d'un traitement au moins aussi favorable aux investisseurs de l'autre partie que celui accordé à ses propres investisseurs, ou l'octroi de la clause de la nation la plus favorisée, si celle-ci se révèle plus avantageuse (art. 4).

Ce régime d'encouragement ne s'étend pas cependant aux avantages consentis dans le cadre d'accords particuliers à l'image d'une zone de libre-échange, d'une union douanière, d'un marché commun ou d'une autre forme d'organisation économique régionale.

Par ailleurs il convient également de souligner que le principe d'un traitement aussi favorable pour les investissements nationaux que pour les investissements de l'autre partie, ne s'appliquent pas dans le domaine fiscal. Compte tenu de l'importance des allégements fiscaux accordés à certains investisseurs nationaux, ces derniers bénéficient ainsi d'un net avantage.

2. La protection des investissements : trois principes traditionnels

Les investisseurs de l'autre partie doivent d'abord bénéficier, en cas de dépossession (nationalisations, expropriations...), d'une « indemnité prompte et adéquate », dont le montant est évalué par rapport à une « situation économique normale et antérieure à toute menace de dépossession » (art. 5.2).

En second lieu, en cas de dommages et pertes provoqués par des circonstances exceptionnelles telles qu'un conflit armé, une révolution, l'état d'urgence, les investisseurs étrangers ont droit à un traitement aussi favorable que celui des investisseurs nationaux (art. 5-3).

Le principe de la liberté des transferts , essentiel pour les investisseurs, se trouve garanti à l'article 6 de l'accord. Il s'applique sans réserve notamment aux revenus et aux produits de la liquidation de l'investissement (y compris les plus-values). Son application apparaît, en revanche, limitée pour les transferts des revenus des ressortissants de l'une des parties travaillant sur le territoire de l'autre partie à une « quotité appropriée de leur rémunération » (art. 6).

C. UN MODE TRADITIONNEL DE RÈGLEMENT DES CONFLITS

L'accord prévoit deux dispositifs différents de règlement des conflits.

1. Différends entre l'une des parties et un investisseur de l'autre Etat

Dans cette hypothèse et lorsqu'un règlement à l'amiable n'a pu être obtenu au terme d'un délai de 6 mois, le différend est soumis à l'arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) créé sous les auspices de la Banque mondiale, par la Convention de Washington du 18 mars 1965 (art. 7).

2. Différends relatifs à l'interprétation et à l'application du présent accord

A défaut de règlement amiable par la voie diplomatique dans un délai de six mois, ces différends sont soumis à un tribunal d'arbitrage ad hoc dont les décisions sont définitives et exécutoires de plein droit (art. 10).

*

Quant aux dispositions finales de l'accord, elles prévoient l'entrée en vigueur de l'accord un mois après le jour de la réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures internes requises.

L'accord est conclu pour une durée initiale de 10 ans et sera reconduit tacitement après ce terme, sauf dénonciation par l'une des parties avec préavis d'un an. Enfin, il prévoit de prolonger pendant vingt ans la protection des investissements effectués pendant la période de validité de l'accord (art. 11).

Le Parlement roumain a pour sa part autorisé la ratification de l'accord de protection des investissements le 16 octobre 1995.

*

* *

CONCLUSION

L'expérience montre que l'encouragement des investissements passe autant par l'adoption d'un cadre juridique adapté que par une pratique ouverte et souple des autorités administratives. De ce point de vue, il reste à la Roumanie à accomplir quelques progrès.

Aussi la ratification de la présente convention ne suffira-t-elle sans doute pas à convaincre nos entreprises à investir en Roumanie.

Un engagement plus résolu de ce pays sur la voie des réformes des structures économiques constituerait sans doute pour nos investisseurs le meilleur des encouragements.

Au-delà de sa portée économique, l'accord sur la protection des investissements revêt cependant une dimension politique. Il concourt en effet à ancrer davantage à notre système de valeurs, un pays tenté parfois par les sirènes du nationalisme et du repli sur soi. Que cet accord concerne un pays relevant de la sphère latine et permette à la France de renforcer son influence dans une région où le poids économique de l'Allemagne ne cesse de croître, c'est là un argument supplémentaire aux yeux de votre rapporteur pour inviter votre commission à adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 13 décembre 1995.

A la suite de l'exposé du rapporteur , M. Xavier de Villepin, président, a souligné que les pays d'Europe centrale et orientale étaient entrés dans une période difficile comme en témoignaient les résultats des élections les plus récentes, notamment en Pologne, caractérisées par le retour au pouvoir des anciens communistes. Il s'est également interrogé sur les incertitudes présentées par le prochain scrutin législatif en Russie. M. Xavier de Villepin, président , s'est enfin demandé si l'accord sur la protection des investissements offrait des garanties suffisantes pour nos investisseurs.

M. Hubert Durand-Chastel a précisé que, dans l'hypothèse où nos ressortissants seraient privés de leurs biens, ils pourraient bénéficier, sous certaines conditions, d'une indemnisation "prompte et adéquate", et d'un traitement comparable à celui des nationaux. Il s'est félicité de la garantie supplémentaire ainsi apportée par le nouvel accord à nos compatriotes établis en Roumanie.

La commission a alors, suivant l'avis de son rapporteur, approuvé le projet de loi qui lui était soumis .

PROJET DE LOI

(Texte présenté par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Roumanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole), signé à Paris le 21 mars 1995 et dont le texte est annexé à la présente loi 2 ( * ) .

* 1 Rapport Sénat n° 379 - session 1993-1994

* 2 Voir le texte annexé au document Sénat n° 89 (1995-1996)

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