II. UN DISPOSITIF DONT L'EFFICACITÉ DÉPEND EN GRANDE PARTIE DES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE ET DE LA GESTION D'ENSEMBLE DU MÉCANISME DES CODEVI

A. LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DU DISPOSITIF PROPOSÉ

La présente proposition de loi ne fait que permettre la mise en place d'un nouveau dispositif de financement de l'équipement des collectivités locales. Compte tenu de l'imprécision de la loi, son efficacité est entièrement subordonnée aux mesures prises par le pouvoir réglementaire pour son application.

Par ailleurs, la mesure proposée pourrait receler certains effets pervers contre lesquels votre rapporteur souhaite effectuer une mise en garde.

1. Un dispositif imprécis ...

a) La notion de PME

La présente proposition de loi vise les petites et moyennes entreprises, mais laisse toute latitude au pouvoir réglementaire pour définir le sens de cette notion.

Votre commission des finances a déjà mis en évidence ( ( * )1) le caractère imprécis et fluctuant de la définition des PME éligibles aux prêts financés sur fonds Codevi, tant en matière de taille que de secteurs d'activité. Cette imprécision est source d'inefficacité et d'erreurs : les établissements qui souhaitent respecter strictement la réglementation thésaurisent inutilement des fonds, tandis que ceux qui s'efforcent d'ajuster ressources et emploi peuvent être amenés à commettre des infractions.

C'est la raison pour laquelle votre commission avait proposé de réduire les conditions d'éligibilité à un seul critère : un chiffre d'affaires (consolidé) de 500 MF, indépendamment du secteur d'activité ( ( * )2) .

Au moment de l'adoption de la première loi de finances rectificative pour 1995, le Gouvernement a étendu le nombre des secteurs éligibles (3) . Par analogie avec le champ d'intervention de la SOFARIS, les financements sur fonds Codevi sont désormais possibles en faveur des entreprises spécialisées dans les services à la personne ou le commerce de détail.

Mais ce n'est que dans un arrêté du 20 décembre 1995 " fixant les règles d'emploi des sommes déposées sur les comptes pour le développement industriel " ( ( * )3) , que le Gouvernement a enfin défini avec précision cette notion.

Il s'agit désormais des entreprises appartenant à un des secteurs visés dans l'arrêté et répondant aux deux critères suivants :

- réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 500 millions de francs ;

- n'étant pas détenues directement ou indirectement à plus de 50 % par des entreprises ne répondant pas à ces deux critères.

Cette définition va dans le sens des recommandations effectuées par votre commission dans le rapport précité et mérite d'être saluée.

Toutefois, les travaux préparatoires de l'Assemblée nationale ont fait apparaître que la présente proposition pourrait être l'occasion de donner une définition différente des PME bénéficiant directement des fonds Codevi et de celles susceptibles d'en bénéficier de façon indirecte ( ( * )4) .

C'est pourquoi votre commission recommande vivement, afin de ne pas obscurcir davantage une réglementation déjà " compliquée, incertaine et instable ", que les critères applicables aux PME visées par la présente proposition soient identiques à ceux des PME éligibles directement aux prêts Codevi.

La simplicité de la procédure de sélection apparaît en effet comme une condition indispensable à la réussite de l'expérience et il ne paraît pas raisonnable de vouloir lancer les collectivités locales dans les méandres d'une " réglementation " qui a souvent dérouté les grands établissements de crédit.

b) La notion de dépenses destinées à favoriser l'activité et l'implantation (des PME)

La notion de dépenses destinées à favoriser l'activité et le développement des PME est particulièrement ambiguë.

Cette ambiguïté tient, en premier lieu, au caractère cumulatif ou alternatif des critères : activité et/ou implantation.

S'il s'agit de critères cumulatifs, comme le laisse penser l'utilisation de la conjonction " et ", le champ des dépenses éligibles sera forcément réduit aux dépenses d'infrastructures destinées à assurer l'implantation et le développement des entreprises. On peut imaginer par exemple des dépenses destinées à développer le réseau routier ou le système d'assainissement des eaux d'une zone d'activité industrielle ou encore permettant d'aménager un centre ville piétonnier.

S'il s'agit en revanche de critères alternatifs, comme le laissent supposer les travaux préparatoires de l'Assemblée nationale, le terme d'" activité ", concept très large, est susceptible de déboucher sur toutes les opérations d'équipement possibles, dès lors qu'elle se traduisent par le maintien ou l'augmentation du chiffre d'affaires des PME. Ainsi, le fait pour une collectivité locale ou un groupement de passer une commande d'équipement, quelle qu'il soit, à une petite ou moyenne entreprise, par exemple l'équipement informatique d'un service administratif ou d'équipements scénique pour un théâtre, serait susceptible de bénéficier d'un financement sur fonds Codevi.

En second lieu, la question se pose de savoir s'il s'agit de dépenses destinées à des travaux réalisés par des PME ou destinées à faire effectuer des travaux à leur profit, auquel cas il ne serait pas possible d'éviter que tout ou partie des prestations ne soient confiées à des grands groupes ou à leurs filiales.

Cette question est du reste étroitement liée à la précédente.

Dans une logique de développement des infrastructures des zones d'activité, il est assez indifférent que les dépenses soient effectuées par des grandes entreprises ou par des PME . La définition même des PME ne revêt dans ce cas qu'une importance mineure, puisqu'il apparaît a priori assez difficile de distinguer, au sein d'une même zone d'activité, la part d'équipement collectif qui bénéficiera à des entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 500 millions de francs.

En revanche, dans une optique que l'on pourrait qualifier de commande publique, il est important que celle-ci ne bénéficie qu'aux PME, ce qui du reste viendrait immédiatement contredire le code des marchés publics et serait générateur de contentieux et de risques nombreux pour les élus eux-mêmes.

c) Le problème de la distribution de l'enveloppe entre les réseaux

L'enveloppe utilisable pour financer des prêts Codevi aux collectivités locales est très simplement définie : il s'agit de 10 % des encours des livrets. Cet encours s'élevait à 179 milliards de francs à fin octobre 1995, et sera probablement plus élevé en janvier 1996 du fait de l'engouement actuellement observable pour les livrets défiscalisés. Le montant expérimental de prêts pourra donc être, au moins, de l'ordre de 18 milliards de francs.

Ce constat fait, les difficultés apparaissent : à quelle date circonscrire l'encours ? Comment répartir cette enveloppe entre les réseaux et sur quoi l'imputer ? Les établissements non collecteurs y auront-ils accès ? Selon quelles modalités ?

On voit ainsi que le dispositif proposé n'est pas immédiatement opérationnel et l'on pourrait très bien imaginer que le Crédit agricole ou les Caisses d'épargne s'arrogent une part dominante de l'encours distribuable, ou que tous les réseaux s'engagent dans une course qui ne s'arrêterait qu'à épuisement de l'enveloppe, les établissements les plus rapides octroyant alors davantage de crédit que les autres.

Le premier problème est celui de la définition de l'encours de Codevi servant de base au calcul. Il s'agit d'un stock qui varie tous les jours. Sera-ce l'encours au 1 er janvier 1996, tel que constaté par la Banque de France ? Sera-ce la moyenne de l'encours de 1996, qui ne sera connue qu'après achèvement de l'expérience ? Ou bien s'agira-t-il d'un encours calculé en fin de chaque mois, sur lequel il faudra ajuster l'enveloppe, ce qui pourrait présenter des difficultés si, pour des raisons improbables à ce jour, une décollecte venait à survenir.

Le plus commode serait sans doute de se fonder sur l'encours au 31 décembre 1995 ou au 31 janvier 1996, ce qui permettrait de définir aisément un plafond pour la durée de l'expérience.

Cet aspect étant clarifié, il convient de résoudre les problèmes de l'imputation comptable et de la distribution de l'enveloppe entre les réseaux ; ces deux problèmes étant connexes.

Votre rapporteur rappelle que le Codevi fait déjà l'objet de ratios réglementaires d'emplois, qui doivent être respectés par chacun des réseaux collecteurs. Les ratios en vigueur sont les suivants :

Conformément au raisonnement qui prévaut aujourd'hui, il paraît raisonnable d'appliquer les 10 % de crédits aux collectivités locales à chacun des réseaux collecteurs, ce qui permettra d'éviter les distorsions de concurrence entre eux.

Mais cela ne résout pas le problème de l'imputation, qui a une incidence sur la répartition entre réseaux distributeurs , et notamment sur le point de savoir si les non collecteurs y auront accès ou non. On peut imaginer que l'enveloppe soit entièrement imputable sur les titres du développement industriel (TDI). En ce cas, la répartition des crédits, voire leur octroi direct, pourrait être à la charge de la Caisse des dépôts et consignations. On peut, à l'inverse, imaginer que l'enveloppe soit imputable sur la fraction destinée aux prêts bancaires aux entreprises. En ce cas, chaque établissement collecteur effectuerait les prêts directement, sous réserve d'être excédentaire sur cette fraction, et il pourrait ne pas y avoir de redistribution entre établissements.

Dans tous les cas, l'objectif doit être de ne pas affecter les conditions actuelles de la concurrence entre établissements vis-à-vis du crédit aux collectivités locales.

Il ne s'agit pas de figer les parts de marché entre établissements, mais il ne s'agit pas non plus d'orienter leur évolution dans un sens ou dans un autre. Si l'on souhaite que l'expérience soit réussie, il est nécessaire que les établissements puissent y participer en fonction de leurs compétences dans le crédit aux collectivités locales et non pas en fonction de leur volume de collecte de Codevi. Or, ces deux données se recoupent très mal. Comme en matière de crédit aux PME, de nombreux établissements très expérimentés dans le crédit aux collectivités locales ne sont pas collecteurs de Codevi et notamment le Crédit local de France et le Crédit foncier de France.

Si cet objectif n'est pas poursuivi, on observera le même phénomène qu'en matière de prêts bancaires aux entreprises : l'accumulation d'excédents inemployés par des établissements peu compétents sur le marché des collectivités locales, et l'insuffisance de ressources pour ceux qui ont une compétence dans le domaine.

Il est donc nécessaire de fournir en ressources Codevi les établissements spécialisés dans le crédit aux collectivités en fonction des besoins exprimés - certes avec plafonnement - et non en fonction des ressources Codevi qu'ils détiennent (elles sont souvent nulles). Les établissements fournisseurs pourraient alors bénéficier d'une marge représentative des frais de collecte, par exemple 1,50 %

Dans cette optique, le plus simple serait peut-être d'imputer proportionnellement les 10 % de l'enveloppe sur les ratios actuels de TDI et de PBE, à l'exception des liquidités pour des raisons évidentes de sécurité.

Cela donnerait les résultats suivants ( ( * )1) :

Compte tenu de la répartition observée par la Banque de France en juin 1995 entre les différents établissements collecteurs, les montants pouvant être affectés aux collectivités locales seraient les suivants (en milliards de francs) :

Ainsi, sans augmenter la fraction centralisée, il serait possible d'attribuer plus de 3 milliards de francs de TDI aux établissements non collecteurs, par le truchement de la Caisse des dépôts, afin qu'ils puissent effectuer des prêts aux collectivités locales.

Les 14 milliards de francs restant seraient laissés aux établissements collecteurs.

Cette solution évite d'accroître les contraintes pesant sur les établissements collecteurs tout en dégageant des marges de manoeuvre pour les non collecteurs.

On voit cependant qu'elle ne permet pas de respecter - au départ - les parts de marché de chacun des établissements dans le crédit aux collectivités locales.

Il pourra donc se révéler nécessaire, dans un second temps, d'octroyer des ressources supplémentaires aux établissements non collecteurs, essentiellement le Crédit local de France et le Crédit foncier de France, dès lors qu'ils auraient épuisé leur contingent initial.

Cela peut se faire par des négociations bilatérales, de gré à gré, entre établissements non collecteurs et établissements excédentaires. Toutefois, l'expérience semble montrer les limites d'une telle méthode.

C'est pourquoi votre rapporteur préconise de procéder par voie d'adjudication en fonction des besoins exprimés par les établissements à la recherche de ressources, adjudication auxquelles les établissements excédentaires devraient être contraints de faire des offres en fonction de leur volume d'excédent . Ces adjudications pourraient avoir lieu à la Caisse des dépôts ou à la Banque de France selon une périodicité à définir.

Cette solution en deux temps n'entraînerait pas nécessairement un blocage des parts de marché, mais permettrait à chacun, en fonction de son activité de crédit aux collectivités locales, de fournir la demande.

2. ... qui pourrait receler certains effets pervers

Outre le risque d'introduire des distorsions de concurrence dans le marché du crédit aux collectivités locales, le dispositif proposé pourrait receler certains effets pervers aussi bien pour les collectivités locales que pour les PME.

a) Les risques concernant les collectivités locales

S'agissant tout d'abord des collectivités locales et de leurs groupements, la fixation d'un montant maximum de prêts accordés à chaque collectivité va sans doute jouer un rôle déterminant dans le succès de l'expérience.

Trop élevé, ce plafond permettrait d'obtenir un effet d'entraînement significatif, mais au prix d'un accroissement du niveau d'endettement des collectivités locales.

Or, il convient d'observer, d'une part, que le niveau de la dette des collectivités locales est déjà élevé, et qu'il ne serait pas raisonnable d'encourager celles-ci à l'accroître démesurément.

Source Direction de la comptabilité publique jusqu'en 1994, direction générale des collectivités locales en 1995.

(1) Estimations résultant, pour les communes, d'enquêtes effectuées sur des échantillons de budgets primitifs de 4 500 communes.

(2) Y compris METP pour la région Île-de-France à partir de 1994

D'autre part, on peut s'interroger sur l'opportunité d'accroître les dépenses des collectivités locales, au moment où tout le monde s'accorde sur la nécessité de réduire les dépenses publiques, y compris celles des collectivités locales.

Inversement, si le montant du plafond est trop faible, l'effet de relance sera modeste et le dispositif ne produira, (à condition que le différentiel de taux soit rétabli) que des " effets d'aubaine ". Les collectivités, notamment les plus importantes, se contenteront de substituer des financements Codevi à d'autres emprunts, pour des équipements qu'elles auraient de toute façon réalisés.

b) Les risques concernant les PME

S'agissant des PME, le risque existe, compte tenu de la relative abondance des fonds déposés sur les Codevi, que les banques soient tentées de prêter en priorité aux collectivités locales dont la signature est, par définition, meilleure que celle des PME. Il y aurait donc éviction des PME d'un instrument qui leur est prioritairement destiné.

La limitation du volume des prêts bancaires dont sont susceptibles de bénéficier les collectivités locales à 10 % de l'encours des Codevi, voulue par le Gouvernement, tient précisément à prendre en compte ce risque.

Mais on peut observer que pour être réellement efficace cette limitation devrait, d'une part, être appréciée réseau par réseau et non pas globalement et, d'autre part, porter sur la production de crédits et non sur les encours . En effet, compte tenu de la masse des encours de fonds Codevi, certains établissements de crédit n'auront guère de difficultés, dans le respect des conditions actuellement prévues, pour concentrer leurs nouveaux prêts bancaires de façon exclusive ou quasi exclusive sur les collectivités locales qui offrent des garanties de solvabilité bien supérieures à celles des PME et ne représentent aucun risque de signature.

* (1) Voir Rapport Sénat n° 298 précité p. 20 et suivantes.

* (2) Rapport cité page 55.

* (3) Journal Officiel du 16 janvier 1996 ; p. 745

* (4) Rapport AN n° 2370 précité, p. 31

* ( 1) Le calcul de la fraction de 10 % est le suivant :

10 % = 10 % x TDl + fraction TDI de l'ensemble TD1 + PBE x fraction liquidités + 10% x PBE + fraction PBE de l'ensemble TDI + PBE x fraction liquidités

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