Rapport n° 235 (1995-1996) de M. Hubert DURAND-CHASTEL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 20 février 1996

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N° 235

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 février 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bolivie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres modificatives).

Par M. Hubert DURAND-CHASTEL,

Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) : 2266, 2386 et T.A. 468

Sénat : 218 (1995-1996).

Traités et conventions.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique Ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet, Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet l'approbation de l'accord entre la France et la Bolivie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 25 octobre dernier.

Ce texte, le premier de cette nature signé avec un pays membre du pacte Andin, s'inscrit dans la ligne des accords du même type conclus avec une quarantaine d'États.

La pauvreté de la Bolivie (le revenu par habitant -soit 900 dollars- est aujourd'hui le plus bas de tout le continent latino-américain) offre un saisissant contraste avec les richesses minières qu'ont incarnées les noms du Potosi, mine d'argent dont l'exploitation a favorisé la prospérité du monde occidental à la Renaissance, ou encore du Patiño, puissant empire minier fondé sur l'étain. Mais ces richesses trop rapidement épuisées, mal distribuées, moins prisées surtout sur les marchés extérieurs, n'ont pas permis à la Bolivie de surmonter les handicaps d'une nature rigoureuse et d'une histoire mouvementée.

Aujourd'hui, cependant, les autorités boliviennes sous la conduite du Président Sanchez de Lozada, manifestent un réel souci de réforme. Pour mieux évaluer le contexte dans lequel nos entreprises pourraient investir en Bolivie, votre rapporteur s'efforcera d'analyser la situation politique et économique de la Bolivie avant d'évoquer nos relations bilatérales.

I. LA BOLIVIE À LA RECHERCHE D'UN MEILLEUR ÉQUILIBRE SOCIAL

A. UNE DÉMOCRATIE RÉCENTE

Comme l'a noté un observateur « cette république qui porte le nom du Libertador est une succession d'espoirs déçus comme le furent les rêves de Bolivar » ( ( * )1) . Une unité brisée, une démocratie longtemps bafouée : l'histoire de la Bolivie condense en effet les illusions perdues de tout un continent.

1. Une unité brisée

Depuis son indépendance en 1825, la Bolivie a connu plusieurs démembrements qui ont réduit de plus de moitié son territoire (de 2,3 millions de km 2 à 1,1 million).

Au XIXe siècle d'abord, le Brésil et le Pérou convoitent les riches forêts d'hévéas situées dans la partie bolivienne du bassin amazonien et s'en emparent. En 1883, sa défaite dans le conflit du salpêtre qui l'opposa au Chili, contraignit la Bolivie à abandonner son accès à l'Océan Pacifique. Enfin son conflit avec le Paraguay en 1930 se solda par la perte de 225 000 km 2 dans le Chaco.

Dans ce territoire désormais enclavé, les trois quarts de sept millions d'habitants se concentrent dans les Andes. La Paz, la capitale, se situe elle-même à plus de 4000 mètres d'altitude.

2. Une démocratie longtemps bafouée

Malgré une instabilité politique chronique (un coup d'État par an entre 1850 et 1950), la réalité du pouvoir a longtemps appartenu aux puissants intérêts fonciers ou miniers du pays. En 1952, cependant, sous la conduite de Victor Paz Estenssoro, un mouvement populaire aboutit à d'importantes réformes : nationalisation des mines, partage des terres sur l'Altiplano, démantèlement de l'armée. Une gestion économique hasardeuse, l'hostilité des États-Unis condamnaient cette expérience à l'échec. Dans un contexte troublé, caractérisé par le retour d'une dictature de droite, Che Guevara pensa utiliser la Bolivie comme point de départ d'une vague révolutionnaire destinée à s'étendre à l'ensemble du continent. La vie politique fut marquée dans les années 1970 par le pouvoir autoritaire du Général Banzer, puis par une période confuse où s'est tragiquement distinguée la dictature particulièrement sanglante du Général Garcia Meza. Enfin en 1982, la démocratie rétablie ouvrit la voie à de nouvelles élections en 1985 qui portaient de nouveau au pouvoir Victor Paz Estenssoro, appelé en fait à conduire une politique économique libérale à rebours des réformes mises en oeuvre dans les années 1950. Le retour à la stabilité fut consacré par la victoire aux élections présidentielles de 1993 de M. Sanchez de Lozada.

B. DES RÉFORMES ENCORE INACHEVÉES

1. Une volonté de réforme

L'intégration de la majorité indienne à la vie politique et sociale de la Bolivie reste une gageure pour les pouvoirs publics. Elle passe par une meilleure prise en compte de la culture indienne et des intérêts des collectivités locales. Le président Sanchez de Lozada a souhaité relever ce défi et promouvoir trois séries de réforme :

- la réforme de la Constitution ;

- la loi de participation populaire ;

- la réforme éducative enfin.

• La réforme constitutionnelle

La Constitution reconnaît désormais le caractère pluriculturel et multiethnique du pays. Par ailleurs, la réforme a porté à cinq ans la durée des mandats électifs assurant notamment une plus grande stabilité aux équipes municipales élues jusqu'alors pour deux ans seulement. Par ailleurs, l'élection des députés se fera pour moitié dans le cadre national et pour moitié dans le cadre départemental, permettant ainsi une meilleure représentation des collectivités.

• La loi de participation populaire

Cette loi vise un double objectif. En premier lieu, elle confère la personnalité juridique aux communautés traditionnelles invitées à se constituer en associations de droit local (les organisations territoriales de base), dotées d'un pouvoir de contrôle sur les dépenses des communes. En second lieu, le nouveau maillage territorial, grâce à la création de communes sur l'ensemble du territoire, ne laisse plus aux marges de la vie politique bolivienne une large part de la population rurale qui désormais peut voter aux élections municipales. De même cette population déshéritée peut aujourd'hui avoir sa part des avantages sociaux, certes limités, que procure un meilleur encadrement institutionnel ; en effet, les communes ont reçu dans le cadre de la loi de participation populaire des compétences propres (sur les infrastructures sociales, éducatives, sportives et culturelles) et surtout de nouvelles ressources fiscales.

• La réforme éducative

Deux orientations permettent de mieux satisfaire les besoins -considérables- d'une population dont une grande partie (plus de 20 %) reste illettrée : une réorganisation de la carte scolaire pour mieux couvrir l'ensemble du territoire, une prise en considération de la culture indienne (enseignement dans la langue vernaculaire, avant l'espagnol, dans les écoles rurales du primaire ; possibilité pour les enfants de venir en classe avec leur costume traditionnel ...).

2. Les résistances au changement

Si l'objectif de l'intégration des populations indiennes ne rencontre aucune opposition, les modalités de mise en oeuvre suscitent davantage de résistances. La réforme éducative, en particulier, s'est heurtée à l'hostilité du syndicat des enseignants d'obédience marxiste dont les prérogatives sur le système éducatif se trouvaient remises en cause. Le risque que se constitue un front de la contestation a conduit le président de la République à décréter l'état de siège en avril 1995, prorogé en juillet pour une durée de 3 mois.

Des réformes si profondes ne porteront leur fruit qu'à long terme. Or les populations, parmi les plus démunies du continent latino-américain, sont impatientes de connaître une amélioration de leur sort. Les espérances déçues pourraient créer un climat d'incertitudes politiques avant les élections générales qui auront lieu en 1997.

II. UNE ÉCONOMIE SUR LA VOIE DE LA STABILISATION MAIS ENCORE TRÈS FRAGILE

L'économie bolivienne présente tous les traits d'une économie en développement avec la prépondérance des activités agricoles (16 % du PIB) et des mines (10 % du PIB) -les industries manufacturières ne représentant que 14 % du PIB-. Le gouvernement bolivien a tenté de réformer une économie fragile mais il doit surmonter non seulement les handicaps traditionnels d'un pays pauvre mais aussi le poids très préoccupant du narcotrafic.

A. UN PROGRAMME DE STABILISATION ACCOMPAGNÉ DE RÉFORMES STRUCTURELLES

1. La stabilisation économique

L'application du programme d'ajustement, sous les auspices des organisations de Bretton Wood, a porté ses fruits :

- La maîtrise des dépenses publiques, conjuguée à une meilleure rentabilité des impôts et une gestion plus efficace des entreprises publiques, a permis de ramener les déficits publics de 6,6 % du PIB en 1993 à 3,2 % en 1994.

- Une politique monétaire plus rigoureuse a mis fin à la dérive inflationniste qu'a connue la Bolivie au milieu des années 1980. En 1995 la hausse des prix ne devrait pas dépasser 10 % pour la troisième année consécutive.

- La réduction du déficit commercial bolivien même si le flux des exportations se concentre sur un nombre restreint de produits aux cours très fluctuants.

- La contraction du stock de la dette extérieure (4,2 milliards de dollars, soit 69 % du PIB en 1994) grâce au rachat de la dette contractée auprès des banques commerciales et au traitement favorable de la dette bilatérale dans le cadre du Club de Paris.

La Bolivie a renoué avec la croissance qui atteindra sans doute 4,5 % en 1995. Ce taux ne tient pas compte toutefois des résultats du secteur informel (évalué à 30 ou 40 % du produit intérieur brut).

2. Les réformes de structure

Le président Sanchez de Lozada a décidé de privatiser les six principales entreprises publiques (hydrocarbures, télécommunications, fonderies, électricité, transports aériens et ferroviaires) sous la forme d'une « capitalisation ». Il s'agit en fait pour les investisseurs privés d'apporter un capital équivalant à celui de ces entreprises et d'obtenir en contrepartie l'intégralité des pouvoirs de gestion. Cette réforme revêt un volet social dans la mesure où le capital initial des entreprises privatisées bénéficiera à des fonds de retraite destinés à la population.

La mise en oeuvre de ces réformes apparaît déjà bien avancée : quatre entreprises (télécommunications, électricité, compagnie de transport aérien, chemins de fer) sur six ont été privatisées. La métallurgie et l'industrie pétrolière devraient bientôt suivre.

Enfin les structures financières apparaissent très fragiles : la faillite de deux banques à la fin de l'année 1994 a joué à cet égard un rôle de révélateur. En effet si les dépôts représentent 40 % du PIB, ils sont fortement concentrés-les deux tiers d'entre eux étant contrôlés par 8 000 personnes seulement- Les liens entre la banque et les narcotrafiquants restent également un sujet de préoccupation sur lequel votre rapporteur reviendra.

B. UNE ÉCONOMIE TRÈS FRAGILE

L'économie bolivienne reste encore marquée par les stigmates du sous-développement et le poids financier du trafic de la drogue.

1. Une économie confrontée aux problèmes de sous-développement

Une analyse de la Banque interaméricaine de développement sur la Bolivie a récemment souligné une double caractéristique propre aux pays les plus pauvres : l'acuité des besoins sociaux, l'importance des inégalités.

• L'acuité des besoins sociaux

Même si la Bolivie tend à rattraper son retard dans de nombreux domaines, elle présente encore des retards par rapport aux autres pays du continent : taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans de 160 pour 1000 en 1990 (contre 63 pour 1000 en moyenne pour l'Amérique latine), une espérance de vie inférieure à 60 ans (contre 67 ans), un taux d'analphabétisme de 23 % (contre 15 %), un accès à l'eau potable limité à 47 % de la population (contre 81 %).

• Les inégalités

Vingt pour cent de la population concentrent 55 % de la richesse nationale tandis que les plus pauvres, soit 20 % de la population, se répartissent 4 % du revenu intérieur. La ligne de partage passe principalement entre villes et campagnes (elles présentent respectivement un taux de mortalité de 6,20 % et 10 %, un taux d'analphabétisme de 9 % contre 37 %) et alimente un exode rural que traduit la forte progression de la population urbaine. Il existe aussi une forte disparité entre l'Altiplano, pauvre et à dominante indienne, et la région de l'Oriente autour de Santa Cruz caractérisée par un réel dynamisme économique.

2. Une aide indispensable

Les États-Unis fournissent la quasi-totalité de l'aide bilatérale (soit 14 % de l'aide totale en 1993). De la sorte, ils disposent des moyens d'influence nécessaires pour obtenir des autorités boliviennes qu'elles prennent en compte les priorités fixées par les Américains : hier le combat contre la guérilla révolutionnaire, aujourd'hui la lutte contre le narcotrafic.

Toutefois les contraintes budgétaires ont conduit les États-Unis à réduire leur soutien à la Bolivie : suppression de l'aide alimentaire en 1994, accumulation des arriérés vis à vis de la dixième IAD (Association internationale pour le développement) dont la Bolivie est en Amérique Latine la principale bénéficiaire.

C'est pour se prémunir à la fois contre cette menace et l'influence trop exclusive des États-Unis que la Bolivie cherche à développer les relations avec l'Europe. Depuis 1976, l'aide communautaire atteint 350 millions d'écus et le soutien conjugué de l'Union et de ses États membres représentent aujourd'hui 40 % de l'aide totale reçue par la Bolivie.

La Bolivie table par ailleurs sur la libéralisation des échanges avec ses voisins comme élément moteur de son développement économique.

Ainsi, membre dès l'origine en 1969 du Pacte andin (qui intègre également le Pérou et l'Équateur), la Bolivie a adhéré à l'accord du libre-échange de 1991 puis à l'Union douanière de 1993. Elle réalise près de 13 % de ses échanges avec cette zone.

En second lieu, la Bolivie s'est rapprochée du Mercosur (le marché commun de l'Amérique du sud fondé en 1991 par l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay) qui représente aujourd'hui près de 22 % du commerce extérieur bolivien. La Paz a d'ailleurs plusieurs projets d'importance avec les pays du Mercosur et notamment la construction d'un gazoduc (2 milliards de dollars) qui permettrait d'approvisionner en gaz naturel le sud brésilien.

C. LE POIDS DE L'ÉCONOMIE DE LA DROGUE

Les moyens mis en oeuvre par le gouvernement pour lutter contre le trafic des stupéfiants ne paraissent pas à la mesure d'une activité en expansion.

1. Une activité en expansion

Le cocaïer ne pousse que dans les Andes, à une altitude de 1 200 à 1 800 mètres. Arbuste résistant, il peut produire jusqu'à quatre récoltes par an. Avec une production annuelle illégale estimée à 172 000 tonnes de feuilles de coca, la Bolivie se situe au deuxième rang mondial après le Pérou.

La fabrication et le trafic de chlorhydrate de cocaïne (évalué entre 200 et 400 tonnes par an) semblent de plus en plus revenir aux groupes nationaux qui ont su ainsi s'affranchir de la tutelle des cartels internationaux (où les Colombiens occupaient la première place).

2. Des moyens encore insuffisants

La lutte contre le trafic de la drogue a hésité entre deux voies : la répression d'une part, une éradication volontaire de la culture du coca d'autre part.

La répression a pour instrument la Force spéciale chargée de la lutte contre le trafic de stupéfiants (FELCN). Cette force, soutenue par les États-Unis (qui apportent un concours en hommes, en matériels et financent les opérations), privilégie essentiellement les actions de type militaire et la recherche de flagrants délits suivis de saisie, plutôt que des enquêtes plus longues permettant l'identification des narcotrafiquants. Cette méthode explique sans doute que si le nombre et l'importance des saisies a progressé au cours des dernières années, le nombre de personnes interpellées et déférées au Parquet est demeuré faible.

Les résultats contrastés de cette politique ont conduit le gouvernement à explorer une autre voie : les campagnes d'éradication de la culture du coca. Les autorités boliviennes, d'abord réticentes, se sont finalement soumises aux fortes pressions des États-Unis qui menaçaient de suspendre une aide financière vitale, on l'a vu, pour l'économie bolivienne.

Grâce aux nouveaux subsides des Américains que lui a valus son changement d'attitude, la Bolivie a pu mettre en oeuvre le principe d'une éradication volontaire avec compensation financière.

Sans aucun doute la lutte contre le trafic de la drogue a connu quelques succès au cours des dernières années : la baisse des exportations illégales de cocaïne, selon des estimations par définition très incertaines, (171 millions de dollars, soit 24% du total des exportations contre 453 millions, soit 84% des exportations en 1988) en apporte le meilleur témoignage.

Cependant, l'efficacité des actions mises en oeuvre doit encore principalement surmonter deux types d'obstacles.

En premier lieu, l'aide accordée aux paysans pour arracher leurs plantations de cocaïne reste insuffisante : les ressources liées à la production de la cocaïne représenteraient aujourd'hui d'après des estimations par définition très incertaines 3 à 5% du PIB contre 10% en 1988. Cependant ce secteur emploierait encore près de 20% de la population active.

Enfin, le cadre juridique présente des lacunes importantes comme, par exemple, l'absence d'une législation sur le blanchiment de l'argent qui permettrait de mieux combattre le soutien occulte procuré parfois par le réseau bancaire au trafic de drogue.

La remise en cause du poids de la drogue dans l'économie et la société boliviennes reste, pour le gouvernement de M. Sanchez de Lozada, une gageure difficile et en tout cas une source majeure d'incertitude politique.

L'économie bolivienne invite davantage à l'aide publique qu'elle ne suscite l'intérêt des investisseurs. Les relations entre la France et la Bolivie en apportent une illustration, même si le présent accord vise précisément à développer l'intérêt de nos investisseurs pour la Bolivie.

III. UN NOUVEL ENJEU DANS LES RELATIONS ENTRE NOS DEUX PAYS : DÉVELOPPER L'INTÉRÊT DES INVESTISSEURS FRANÇAIS POUR LA BOLIVIE

A. UNE COOPÉRATION ÉTATIQUE DYNAMIQUE MAIS DES RELATIONS ÉCONOMIQUES ENCORE LIMITÉES

1. Une aide publique centrée sur quelques axes prioritaires

La coopération franco-bolivienne présente trois volets significatifs.

• La coopération scientifique apparaît spécialement importante ; elle mobilise quarante chercheurs de l'ORSTOM (dans les domaines de la santé, l'agronomie, les sciences de la terre) et dispose d'un crédit de 20 millions de francs (soit près de 40% des crédits destinés à notre coopération avec la Bolivie).

• La coopération éducative et culturelle bénéficie d'un réseau non négligeable constitué par le lycée franco-bolivien de La Paz (800 élèves de la maternelle à la terminale, boliviens à 85%) et six Alliances françaises (2 500 élèves en moyenne par an). Théoriquement obligatoire dans le secondaire, le français n'est en fait enseigné que dans le tiers des établissements publics et la pratique de notre langue apparaît menacée.

La France conduit d'autres types d'actions de coopération : lutte contre le trafic des stupéfiants, fonds de contrepartie de l'aide alimentaire (3 millions de francs en 1995).

• La coopération économique repose sur quelques grands projets : installation des réseaux pour la distribution de gaz à domicile (SOFREGAZ)-prêt de 80 MF en 1989- ; plan directeur de transport aérien (aéroport de fParis) -don de 5 millions de francs en 1994.

En décembre 1995 est intervenue la signature d'un protocole concernant l'étude des transports publics et de la circulation pour la ville de Santa Cruz (2 millions de francs)

2. La place marginale de la Bolivie dans le commerce et les investissements français

• La faiblesse des échanges commerciaux

La Bolivie ne se situe qu'au 111e rang de nos clients et au 88e rang de nos fournisseurs. Nos importations portent principalement sur l'or et les minerais de plomb et de zinc (348 millions de francs au total). Nos exportations (219 MF) sont constituées pour les trois quarts par des voitures particulières enregistrées en Bolivie mais destinées en fait au marché argentin. En 1994, la France enregistrait un déficit commercial de 129 millions de francs.

• Un flux d'investissement très faible : 3 millions de francs en 1994

La part de la France apparaît donc très marginale au regard du montant total des investissements étrangers en Bolivie, soit 128 millions de dollars en 1994 (en nette progression par rapport à 1989 où le flux d'investissement ne dépassait pas 35 millions de dollars). Les États-Unis, le Chili et le Brésil constituent, dans l'ordre décroissant, les trois premiers investisseurs.

C'est le secteur minier au premier chef qui intéresse nos entreprises : la BRGM a engagé depuis quelques années des dépenses de prospection et obtenu une concession sur une mine de cuivre, Total et Elf ont pour leur part obtenu des concessions de prospection pétrolière.

Par ailleurs, la privatisation, ou plutôt la capitalisation des grandes entreprises publiques et notamment de la société pétrolière YPFV, des sociétés distributrices d'eau des trois principales villes de Bolivie, pourrait intéresser les investisseurs français. D'autre part, le projet de gazoduc entre la Bolivie et le Brésil ouvre des marchés intéressants pour nos entreprises.

B. UN DISPOSITIF CLASSIQUE DE PROTECTION DES INVESTISSEMENTS

1. Le champ d'application de l'accord

a) Champ d'application géographique

Il comprend le territoire et, le cas échéant, la zone maritime de chacune des parties (art. 1.5).

b) Investissements concernés

Les investissements recouvrent l'ensemble des avoirs dont l'article 1.1 de l'accord donne une liste qui comprend notamment les biens meubles et immeubles ainsi que les autres droits réels (hypothèque, cautionnement ...), les actions, les obligations, les droits d'auteur et de propriété industrielle, les concessions accordées par la loi en vertu d'un contrat.

Par ailleurs, la protection ne jouera que pour les investissements conformes à la législation de la partie contractante sur le territoire de laquelle ils sont réalisés.

c) Les investisseurs intéressés

Il convient de distinguer d'une part les personnes physiques qui doivent posséder la nationalité de l'une des parties contractantes et d'autre part les sociétés constituées conformément à la législation de l'État contractant où se trouve situé leur siège social (art. 1.2).

d) Les revenus visés

Les revenus recouvrent " toutes les sommes produites par un investissement (...) durant une période donnée " (art. 1.3).

2. Des stipulations classiques tendant à encourager et protéger les investissements réciproques

a) L'encouragement des investissements

Le principe, posé par l'article 2, se traduit sous deux formes :

- l'octroi d'un traitement " juste et équitable " pour ces investissements (art. 3)

- l'application par chaque partie d'un traitement au moins aussi favorable aux investisseurs de l'autre partie que celui accordé à ses propres investisseurs, ou l'octroi de la clause de la nation la plus favorisée, si celle-ci se révèle plus avantageuse (art. 4)

Ce régime d'encouragement ne s'étend pas cependant aux avantages consentis dans le cadre d'accords particuliers à l'image d'une zone de libre-échange, d'une union douanière, d'un marché commun ou d'une autre forme d'organisation économique régionale.

Par ailleurs il convient également de souligner que le principe d'un traitement aussi favorable pour les investissements nationaux que pour les investissements de l'autre partie, ne s'applique pas dans le domaine fiscal. Compte tenu de l'importance des allégements fiscaux dont disposent certains investissements nationaux, ces derniers bénéficient ainsi d'un net avantage.

b) La protection des investissements : trois principes traditionnels

Les investisseurs de l'autre partie doivent d'abord bénéficier, en cas de dépossession (nationalisations, expropriations ...), d'une " indemnité prompte et adéquate ", dont le montant est évalué par rapport à une " situation économique normale et antérieure à toute menace de dépossession " (art. 5.2).

En second lieu, en cas de dommages et pertes provoqués par des circonstances exceptionnelles telles qu'un conflit armé, une révolution, l'état d'urgence, les investisseurs étrangers ont droit à un traitement aussi favorable que celui des investisseurs nationaux (art. 5.3).

Le principe de la liberté des transferts, essentiel pour les investisseurs, se trouve garanti à l'article 6 de l'accord. Il s'applique sans réserve notamment aux revenus et aux produits de la liquidation de l'investissement (y compris les plus-values). Son application apparaît, en revanche, limitée pour les transferts des revenus des ressortissants de l'une des parties travaillant sur le territoire de l'autre partie à une " quotité appropriée de leur rémunération " (art. 6).

3. Un mode traditionnel de règlement des conflits

L'accord prévoit deux dispositifs différents de règlement des conflits.

a) Différends entre l'une des parties et un investisseur de l'autre État

Dans cette hypothèse et lorsqu'un règlement à l'amiable n'a pu être obtenu au terme d'un délai de six mois, le différend est soumis à l'arbitrage d'un tribunal arbitral ad hoc. La compétence du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) créé sous les auspices de la Banque mondiale, s'appliquera quand la Bolivie aura adhéré à la Convention de Washington du 18 mars 1965 (art. 7).

Il convient de noter que l'article 9 de la convention pose le principe de la subrogation de l'un des États dans les droits et actions des bénéficiaires de la garantie qu'il a accordée à un investissement réalisé sur le territoire ou dans les zones maritimes, le cas échéant, de l'autre partie, dès lors qu'il a été conduit à effectuer des versements à des bénéficiaires de cette garantie.

b) Différends relatifs à l'interprétation ou à l'application du présent accord

A défaut de règlement amiable par la voie diplomatique dans un délai de six mois, ces différends sont soumis à un tribunal d'arbitrage ad hoc dont les décisions sont définitives et exécutoires de plein droit (art. 10).

Quant aux dispositions finales de l'accord, elles prévoient l'entrée en vigueur de l'accord un mois après le jour de la réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures internes requises.

L'accord est conclu pour une durée initiale de 10 ans et sera reconduit tacitement après ce terme, sauf dénonciation par l'une des parties avec préavis d'un an. Enfin, il prévoit de prolonger pendant vingt ans la protection des investissements effectués pendant la période de validité de l'accord (art. 11).

CONCLUSION

La convention relative à la protection réciproque des investissements s'inscrit pour la France dans une politique d'aide publique qui donne toute sa place à l'investissement privé comme instrument de développement.

Sans doute, ne faut-il pas se dissimuler les limites de ce texte. L'impéritie de l'administration, la puissance des intérêts liés aux narcotrafiquants sont autant de facteurs dissuasifs pour les entreprises étrangères désireuses de s'installer en Bolivie. Il est juste cependant de reconnaître que le gouvernement bolivien s'est décidé à prendre la mesure des problèmes auxquels son pays se trouve confronté : les réformes engagées devraient modifier en profondeur l'économie et la société. Cette politique mérite sans aucun doute notre soutien. A cet égard, malgré ses limites, l'accord sur la protection des investissements ne procure pas seulement un cadre juridique adéquat, il adresse aussi un signal politique utile à un moment décisif pour la Bolivie.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi lors de sa réunion du mardi 20 février 1996.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les actions conduites par la Bolivie pour atténuer les effets de son enclavement.

M. Hubert Durand-Chastel a rappelé que cet enclavement était le fruit des conflits successifs qui avaient opposé la Bolivie avec ses voisins et l'avaient privée de son accès à la mer. Il a indiqué que des accords économiques avec le Paraguay ou encore le Brésil, avec lequel avait été négociée la construction d'un gazoduc, avaient permis, dans une certaine mesure, de surmonter les handicaps de l'histoire et de la géographie.

M. Jacques Habert a précisé à cet égard que les relations de la Bolivie avec le Chili restaient complexes, malgré l'existence entre les deux pays d'une ligne de chemin de fer qui pourrait être utile pour les échanges économiques.

M. Hubert Durand-Chastel a rappelé que certaines des régions de la Bolivie, notamment autour de la ville de Santa Cruz, grâce aux ressources en gaz, présentaient un réel dynamisme économique.

La commission a alors approuvé le projet de loi qui lui était soumis.

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article unique

Est autorisée la ratification de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bolivie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 25 octobre 1989 (ensemble un échange de lettres modificatives, signées les 18 mars 1992 et 17 décembre 1993) et dont le texte est annexé à la présente loi ( ( * )1) .

* (1) Olivier Dollfus in Bolivie, Dictionnaire géopolitique des Etats 1996

* (1) Voir le texte annexé au document A.N. n° 2266 (10e législature).

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