II. L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU TRIBUNAL INTERNATIONAL

Deux textes essentiels régissent l'organisation et le fonctionnement du Tribunal international pour le Rwanda :

- la résolution n° 955 du conseil de sécurité, qui a non seulement créé le Tribunal mais en a également fixé le statut ;

- le règlement de procédure et de preuve.

A. LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article premier du statut « le tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins entre 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».

Comme le faisait observer le comité présidé par M. Pierre Truche à propos de l'ex-Yougoslavie, le Tribunal pénal international devait trouver un équilibre entre, d'une part, la limitation des compétences de celui-ci à l'objet pour lequel il est créé (à savoir, le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales) et, d'autre part, « le souci de ne pas instituer une "juridiction de circonstances" ».

1. La compétence ratione materiae

Déterminée par les articles 2 à 4 du statut, elle est quelque peu différente de la compétence ratione materiae du tribunal pour l'ex-Yougoslavie.

Comme ce dernier, le tribunal international pour le Rwanda a compétence pour connaître :

- du génocide (article 2), défini comme un acte tel que le meurtre ou l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale « commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».

- des crimes contre l'humanité (article 3), définis comme des actes graves (assassinats, exterminations, réductions en esclavage, emprisonnements, viols...) lorsqu'ils « ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse ».

Le tribunal pour le Rwanda est également compétent pour connaître des « violations graves » à certaines stipulations des Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre, à savoir leur article 3 commun et leur protocole additionnel II (article 4 du statut). Sur ce point, le statut ne reprend donc pas exactement la solution retenue pour le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie qui ne connaît pas des infractions prévues par le protocole additionnel -lequel ne concerne que les conflits armés internes -mais connaît de l'ensemble des violations aux Conventions de Genève -et non seulement des violations de l'article 3-.

Pour résumer, et selon un rapport du Secrétaire Général des Nations-Unies au Conseil de sécurité, « le conflit ne présentant pas un caractère international, le Conseil a inclus dans la compétence ratione materiae du tribunal les violations du droit international humanitaire qui peuvent soit être commises à la fois dans le cadre des conflits armés internationaux et de conflits armés internes, (...), soit être commises uniquement dans le cadre de conflits armés internes. »

On observera que, à la différence du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, le Tribunal international pour le Rwanda n'est pas compétent pour les violations des lois ou coutumes de la guerre (emploi d'armes toxiques, pillage ...).

2. La compétence ratione temporis

La compétence ratione temporis du Tribunal se limite à l'année 1994.

Le déclenchement de la guerre civile et des atrocités qui lui sont liées ont débuté le 6 avril 1994, après le décès dans un accident d'avion des Présidents du Rwanda et du Burundi. Le Conseil de sécurité a cependant souhaité remonter au 1er janvier de cette année afin de tenir compte du climat d'extrême tension que connaissait le Rwanda plusieurs mois avant cet accident et d'intégrer dans la compétence du tribunal la planification de crimes qui aurait pu être engagée avant le 6 avril.

3. La compétence ratione loci

Il s'agit tout d'abord naturellement du territoire du Rwanda. Mais il s'agit également des États voisins pour ce qui est des faits commis par des citoyens rwandais. Selon le Secrétaire général des Nations-Unies, « en étendant ainsi la compétence territoriale du Tribunal, le Conseil avait à l'esprit essentiellement les camps de réfugiés situés au Zaïre et dans d'autres Pays voisins dans lesquels de graves violations du droit international humanitaire auraient été commises. ».

4. La compétence ratione personae

Le Tribunal international a compétence à l'égard des personnes physiques (article 5 du statut) « présumées responsables » (article premier) des violations graves du droit humanitaire précitées.

Cette compétence ratione personae devait être définie de telle manière que puissent être poursuivis ces responsables, qu'elle que fût leur niveau. Sur ce point, le comité présidé par M. Truche distinguait trois degrés :

- celui des décideurs politiques, le plus élevé, « ceux qui ont érigé la violation des droits fondamentaux de la personne humaine (...) en système permettant d'atteindre des objectifs politiques ». Soulignant les difficultés susceptibles de résulter de notions classiques comme la provocation à commettre des infractions (qui auraient subordonné la sanction des dirigeants à la preuve, fort difficile à rapporter, d'un lien entre les infractions commises par les exécutants et des directives générales et lointaines), le comité proposait de rendre passibles du tribunal international les personnes coupables du crime de « conspiracy ». Cette infraction -que l'on peut rapprocher de notre association de malfaiteurs- avait d'ailleurs été incriminée par le statut du Tribunal de Nuremberg qui la définissait comme « l'élaboration ou (...) l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes » de la compétence du Tribunal ;

- deuxième niveau de responsabilité identifié par le comité : « celui où se donnent les ordres hiérarchiques » lesquels, « à la différence des directives générales (...) tendent à l'accomplissement d'actes constitutifs de crimes ». Sur ce point encore, une notion classique comme celle de complicité présentait ses inconvénients dans la mesure où elle n'aurait pas permis la répression des ordres imprécis ou non suivis d'effet. C'est la raison pour laquelle le comité proposait « de faire du choix d'exercer son commandement de manière délictueuse une infraction en soi plutôt que de la considérer comme une simple complicité dans l'infraction d'un exécutant » ;

- enfin, le comité se déclarait partisan d'incriminer l'exécution à un niveau subalterne, estimant que « le rappel, adressé aux exécutants directs, de leurs responsabilités individuelles pour leurs propres actes constitue une nécessaire mesure d'intimidation préventive, probablement plus efficace à la base qu'au sommet ».

Comme l'avait fait le statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, le statut du Tribunal pour le Rwanda fait une large part aux suggestions du comité. L'article 6 considère ainsi comme individuellement responsable « quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime » relevant de la compétence du Tribunal.

Outre cette incrimination large, le statut distingue les trois mêmes niveaux de responsabilités que le comité :

- il refuse expressément de reconnaître ce que l'on appelle parfois « l'acte d'État » en précisant que « la qualité officielle d'un accusé, soit comme chef d'État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale et n'est pas un motif de diminution de peine » ;

- au niveau intermédiaire, il précise que le fait que l'acte ait été commis par un subordonné ne constitue nullement une cause exonératoire de responsabilité du supérieur « s'il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s'apprêtait à commettre cet acte ou l'avait fait et que le supérieur n 'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs » ;

- enfin, au niveau des exécutants, le statut refuse de considérer l'ordre d'un supérieur comme un fait justificatif mais admet que le tribunal le considère comme une circonstance atténuante.

L'expérience du tribunal pour l'ex-Yougoslavie démontre qu'un tel dispositif permet des poursuites à tous les niveaux de responsabilité : les cinquante-trois personnes accusées publiquement au 29 février 1995 occupaient pour la plupart des fonctions élevées (responsables politiques, généraux ...).

B. L'ORGANISATION DU TRIBUNAL

1. Les organes du Tribunal

Le Tribunal a son siège à Arusha, en Tanzanie. À sa tête est placé un Président, élu pour deux ans, et renouvelable une fois par les juges du tribunal. Il s'agit actuellement de M. Laïti Kama, juriste sénégalais.

Reprenant le modèle du tribunal pour l'ex-Yougoslavie, le statut prévoit trois séries d'organes : les chambres, le procureur et un greffe.

a) Les chambres

Elles comprennent en tout onze juges indépendants, ressortissant d'États différents, ainsi répartis :

- trois siègent dans chacune des deux chambres de première instance ;

- cinq siègent à la chambre d'appel.

Le Conseil de sécurité a souhaité établir des liens entre le Tribunal pour le Rwanda et son prédécesseur pour l'ex-Yougoslavie dans le double but d'obtenir une procédure et une jurisprudence analogues et d'utiliser au mieux les ressources prévues pour leur fonctionnement. À cette fin, il a notamment décidé que les juges de la chambre d'appel seraient communs aux deux juridictions.

b) Le Procureur

Responsable des poursuites, il agit, aux termes du statut, « en toute indépendance. Il ne sollicite ni ne reçoit d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucune autre source ».

Le procureur du Tribunal pour le Rwanda est la même personne que le procureur du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie. La fonction est actuellement exercée par un juriste sud-africain, M. Richard J. Goldstone, nommé par le Conseil de sécurité en juillet 1994. Il sera remplacé en octobre 1996 par Mme Louise Arbour, de nationalité canadienne, nommée le 29 février dernier.

Le procureur est assisté d'un procureur adjoint qui, pour le Rwanda, est M. Honoré Rakotomanana.

c) Le greffe

Dirigé par un greffier désigné par le secrétaire général de l'ONU, le greffe est responsable de l'administration judiciaire et du secrétariat : gestion de la procédure, rédaction du compte-rendu des réunions, publication des documents, gestion des problèmes budgétaires. C'est le greffier qui transmet les mandats d'arrêt aux autorités nationales de l'État sur le territoire duquel réside l'accusé.

Il convient également de souligner l'existence d'une division d'aide aux victimes et aux témoins, créée auprès du greffier par le règlement de procédure et de preuve. Elle est chargée de recommander l'adoption de mesures de protection de ces personnes telles que la tenue d'audience à huis-clos et la protection de l'identité des victimes. Elle joue également un rôle de conseil et d'assistance.

2. Les relations entre le Tribunal et l'ONU

Le Tribunal international pour le Rwanda est un organe subsidiaire du Conseil de sécurité au sens de l'article 29 de la Charte.

L'article 30 du statut précise que ses dépenses sont imputées sur le budget ordinaire de l'ONU.

Par ailleurs, selon l'article 30, le président du Tribunal présente chaque année un rapport au Conseil de sécurité et à l'Assemblée générale.

Toutefois, s'il dépend administrativement et financièrement de l'ONU, le Tribunal est indépendant en tant qu'organe judiciaire, non seulement des États, mais aussi du Conseil de sécurité. En particulier, le fait que les juges soient nommés par l'Assemblée générale sur proposition du Conseil de sécurité (pour une période de quatre ans renouvelable) ne les empêche pas, une fois nommés, de bénéficier de toutes les garanties d'indépendance.

3. Une mise en place difficile

Votre rapporteur se montre quelque peu inquiet des moyens mis à la disposition du Tribunal qui, tant sur le plan financier que sur les plans administratif ou matériel, sont largement inférieurs à ceux dont bénéficie le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie.

Le 20 juillet 1995, l'Assemblée générale de l'ONU avait ainsi décidé d'ouvrir, pour inscription au compte spécial du Tribunal, un crédit net de 12,9 millions de dollars pour la période allant jusqu'au 31 octobre 1995. En novembre de la même année, le secrétaire général a constaté que, « le Tribunal n'étant pas pleinement opérationnel », ces crédits seraient suffisants pour couvrir une période double de celle initialement prévue, allant jusqu'au 31 décembre 1995.

Face à l'impossibilité d'établir des prévisions de dépenses détaillées pour 1996 (« le Tribunal n'étant toujours pas pleinement opérationnel »), il a été proposé d'approuver un budget couvrant le seul premier trimestre 1996, d'un montant de 7,09 millions de dollars.

Même s'il convient de se garder de toute comparaison hâtive, ce budget est largement inférieur à celui du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie (plus de 40 millions de dollars pour l'année 1996) alors même que le Tribunal pour le Rwanda doit faire face à d'importantes difficultés matérielles et notamment à l'absence de prison susceptible d'accueillir les détenus à Arusha.

Le Tribunal peut recourir aux services de 116 administrateurs, 24 agents d'exécution et 23 agents locaux. Mais ce personnel est réparti en trois lieux : Arusha, Kigali (avec notamment le bureau du Procureur) et La Haye.

Cela étant, le Tribunal a pu se mettre en place le 8 janvier 1996. Neuf personnes soupçonnées d'exactions sont d'ores et déjà emprisonnées.

Par ailleurs, le contingent de la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda), soit près de 1 800 soldats, apporte sa contribution à la sécurité du Tribunal, du personnel et de ses locaux.

C. LA PROCÉDURE APPLICABLE DEVANT LE TRIBUNAL

1. Le cadre général de la procédure : le respect des principes fondamentaux de la procédure pénale

Le statut, complété par le règlement de procédure et de preuve, prévoit le respect des principes fondamentaux de la procédure pénale d'une justice impartiale.

a) Le respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence

Le respect des droits de la défense est garanti aussi bien au cours de l'enquête que lors de la phase de jugement :

- tout suspect interrogé a le droit d'être assisté d'un conseil de son choix (y compris commis d'office) et de bénéficier, si nécessaire, de services de traduction dans une langue qu'il parle et comprend ; il peut garder le silence et doit être averti que chacune de ses déclarations sera enregistrée et pourra être utilisée comme moyen de preuve ;

- tout accusé a droit à un minimum de garanties : présomption d'innocence, droit d'être informé dans une langue qu'il comprend des motifs de l'accusation, droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix, droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions.

b) Le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable

En vertu de l'article 19, paragraphe 1, du statut, « la chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide ».

Tout accusé a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et, en principe, publiquement. La personne a également le droit d'« être jugée sans retard excessif ».

L'impartialité du Tribunal est renforcée par le règlement de procédure et de preuve, notamment en son article 15 : « un juge ne peut connaître en première instance ou en appel d'une affaire dans laquelle il a un intérêt personnel ou avec laquelle il a ou il a eu un lien quelconque de nature à porter atteinte à son impartialité (...). Toute partie peut solliciter du Président de la Chambre qu'un juge de cette chambre soit dessaisi d'une affaire en première instance ou en appel (...). Aucun membre de la Chambre d'appel ne peut connaître, en cette qualité, d'une affaire dont un autre juge de la même nationalité a eu à connaître en première instance ».

c) Le principe de l'individualisation des peines

En vertu de l'article 23 du statut, la chambre de première instance ne peut imposer que des peines d'emprisonnement (elle peut également ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources illicitement acquis). Une telle limitation avait d'ailleurs été préconisée par le comité présidé par M. Truche, lequel avait souligné que, compte tenu de leur gravité, les faits ne pouvaient être sanctionnés d'une simple amende sans pour autant permettre le prononcé de la peine de mort, philosophiquement injustifiable pour une démocratie, « aussi abominables que soient les infractions ».

Les peines doivent néanmoins être individualisées, ledit article 23 imposant à la chambre de première instance de tenir compte de facteurs tels que la gravité de l'infraction et la situation personnelle du condamné.

d) La reconnaissance de voies de recours

Les décisions des Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo étaient insusceptibles de recours.

Depuis lors, la communauté internationale a posé le principe, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel « toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ».

Appliquant ce principe au Tribunal international pour le Rwanda, l'article 24 du statut confère à la Chambre d'appel la connaissance des recours introduits contre les décisions des Chambres de première instance.

Le droit d'appel est reconnu aux condamnés et au procureur. Il peut porter sur une erreur de droit ou sur une erreur de fait.

Outre le droit d'appel, le statut admet la possibilité d'un recours en révision, susceptible d'intervenir à la requête d'un condamné ou du procureur en cas de fait nouveau inconnu lors du procès et qui aurait pu être un élément décisif de la décision.

Enfin, la possibilité de bénéficier d'une mesure de grâce est reconnue par le statut mais n'est pas laissée à la discrétion de l'État sur le territoire duquel est détenu le condamné : elle doit préalablement être autorisée par le président du Tribunal, en consultation avec les juges.

2. Le déroulement de la procédure

Contrairement à la solution préconisée par le rapport du comité présidé par M. Truche, qui prévoyait notamment une phase d'instruction confiée à une commission, la procédure suivie devant le Tribunal international emprunte largement au système des pays dits de « common law ». Il convient notamment de souligner l'impossibilité de toute constitution de partie civile et le caractère largement accusatoire de la procédure.

Celle-ci est marquée par trois étapes principales : l'enquête, la mise en accusation et la phase de jugement.

a) L'enquête

Elle est conduite par le Procureur, lequel peut à cette fin convoquer et interroger les suspects, entendre les victimes et les témoins ou solliciter d'une Chambre de première instance ou d'un juge le prononcé de toute ordonnance nécessaire. Il peut également obtenir l'aide de toute autorité nationale compétente et de tout organisme international, notamment l'Organisation Internationale de Police Criminelle (INTERPOL).

Le Procureur peut en particulier demander à tout État de prendre -en cas d'urgence- des mesures conservatoires telles que l'arrestation ou le placement en garde à vue d'un suspect ou la saisie d'éléments de preuves matériels.

C'est lui qui décide de l'ouverture d'une information, soit d'office, soit sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources, notamment des gouvernements, des organes de l'ONU, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. En précisant que le procureur « évalue les renseignements reçus ou obtenus et décide s'il y a lieu de poursuivre », le statut consacre le principe de l'appréciation de l'opportunité des poursuites.

Si le Procureur décide d'engager les poursuites, il établit un acte d'accusation qui est transmis à un juge de la Chambre de première instance.

b) La mise en accusation

Le juge saisi de l'acte d'accusation le confirme ou le rejette selon que le procureur a ou n'a pas établi de présomptions suffisantes pour engager des poursuites.

En cas de confirmation, l'acte d'accusation est en principe rendu public. Le juge saisi décerne sur réquisitions du Procureur, les ordonnances et mandats (mandats d'arrêt, de dépôt, ...) nécessaires pour la conduite du procès.

L'accusé est placé en état d'arrestation, immédiatement informé des chefs d'accusation et déféré au Tribunal international. La mise en liberté provisoire est possible mais n'est admise que dans des « circonstances exceptionnelles » (article 65).

La Chambre de première instance donne lecture de l'acte d'accusation et s'assure que les droits de l'accusé sont respectés. Elle fixe la date du procès.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, une douzaine d'actes d'accusation publics ont été établis, et ont donné lieu à neuf incarcérations.

c) Le jugement

Les audiences obéissent au principe de la publicité des débats, la Chambre pouvant toutefois ordonner le huis-clos en considération des intérêts de la justice, pour des raisons d'ordre public ou de bonnes moeurs ou pour assurer la protection d'une victime ou d'un témoin.

Les débats font l'objet d'un enregistrement sonore.

Le jugement doit être motivé, les opinions individuelles ou dissidentes étant admises.

En cas de condamnation, la peine est exécutée au Rwanda ou dans un État désigné par le Tribunal sur une liste d'États ayant indiqué leur volonté d'accueillir des personnes condamnées. La France n'a pas fait acte de candidature afin d'éviter de poser un problème d'ordre constitutionnel tenant à l'impossibilité pour le chef de l'État de faire usage de son droit de grâce sans l'accord du Président du Tribunal.

Le transfert du condamné vers cet État est effectué aussitôt que possible après expiration du délai d'appel (en principe de trente jours à compter du prononcé de la sentence).

En cas d'appel, la Chambre peut confirmer, annuler ou réviser là décision de première instance. En cas de condamnation, l'arrêt est exécutoire immédiatement.

D. LES RELATIONS ENTRE LE TRIBUNAL INTERNATIONAL ET LES AUTORITÉS NATIONALES

Elles sont dominées par deux principes : celui de l'obligation pour les États de coopérer avec le Tribunal ; celui de la compétence concurrente du Tribunal et des juridictions nationales avec primauté au Tribunal.

1. L'obligation de coopération des États

L'article 28 du statut impose aux États une obligation de coopération et d'entraide judiciaire avec le Tribunal pour la recherche et le jugement des personnes susceptibles de lui être déférées.

Il exige qu'ils répondent « sans retard à toute demande d'assistance » émanant d'une Chambre de première instance, qui peut notamment concerner l'identification et la recherche des personnes, la réunion des témoignages et la production des preuves, l'expédition de documents, l'arrestation ou la détention de personnes où le transfert d'un accusé devant le Tribunal international;

2. La primauté du Tribunal international sûr les juridictions nationales

Le Tribunal international ne connaît pas de manière exclusive des crimes entrant dans son champ de compétence. L'article 8 du statut prévoit une compétence concurrente des juridictions nationales. Mais il pose également le principe de la primauté du Tribunal sur celles-ci auxquelles il peut demander de se dessaisir à tout stade de la procédure.

a) La procédure de dessaisissement des juridictions nationales

Elle est régie par les articles 8 à 11 du règlement de procédure et de preuve qui distingue quatre étapes :

1- la demande d'information du Procureur

Lorsqu'il apparaît au Procureur qu'une infraction relevant de la compétence du Tribunal fait ou a fait l'objet de poursuites pénales devant une juridiction interne, il peut demander à l'État concerné de lui transmettre toutes les informations pertinentes. L'État doit alors y donner suite sans, délai, conformément à son obligation de coopération.

2- la requête du Procureur aux fins de dessaisissement

La demande de dessaisissement n'émane pas du Procureur mais d'une chambre de première instance désignée à cet effet. Il appartient donc au Procureur, sil estime le dessaisissement souhaitable, de saisir ladite Chambre à cette fin. Ce pouvoir n'est d'ailleurs pas entièrement discrétionnaire mais conditionné puisque la requête aux fins de dessaisissement ne peut être présentée que :

- si l'infraction a reçu une qualification de droit commun ;

- ou s'il apparaît au Procureur que la procédure interne engagée ne serait ni impartiale ni indépendante, viserait à soustraire l'accusé de sa responsabilité pénale internationale ou ne serait pas exercée avec diligence ;

- ou si l'objet de la procédure porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence sur des poursuites en cours devant le Tribunal international.

3- la demande officielle de dessaisissement

Elle émane de la Chambre de première instance saisie si la requête du Procureur lui apparaît fondée ; il lui appartient donc de vérifier que l'une au moins des trois conditions précitées est remplie.

La demande de dessaisissement apparaît particulièrement large puisqu'elle porte aussi sur la transmission des éléments d'enquêtes, des copies du dossier d'audience et, le cas échéant, d'une expédition du jugement. Elle est notifiée par le greffier.

En cas de dessaisissement, la procédure est portée devant la Chambre de première instance qui n'a pas formulé la demande officielle.

4.- la sanction du non-respect d'une demande officielle de dessaisissement

L'État doit fournir à la Chambre l'assurance qu'il a pris ou entend prendre les mesures voulues pour se conformer à une demande officielle de dessaisissement dans les soixante jours à compter de sa notification.

À défaut, la Chambre peut demander au président du Tribunal de soumettre la question au Conseil de sécurité.

b) Le principe non bis in idem

En vertu de ce principe, reconnu expressément par l'article 9 du statut, nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale pour des faits pour lesquels il a déjà été jugé par le Tribunal.

Inversement, les personnes traduites devant une juridiction nationale ne peuvent plus être traduites devant le Tribunal sauf si :

- soit le fait pour lequel elles ont été jugées était qualifié de crime de droit commun ;

- soit la juridiction interne n'a pas jugé de façon impartiale ou indépendante, ou la procédure visait à soustraire les accusés à leur responsabilité pénale internationale ou la poursuite n'a pas été exercée avec diligence.

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