IV. L'EXAMEN PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS

A. L'APPROBATION DU PROJET DE LOI

La création du Tribunal international traduit le souci de l'ONU de poursuivre et de sanctionner les personnes coupables d'actes de génocides ou d'autres crimes contre l'humanité et, ce faisant, de prévenir la réitération de telles atrocités.

Ce Tribunal a vocation à être l'instrument judiciaire international par lequel la justice sera rendue. Il pourra également contribuer au rétablissement de la paix ainsi qu'à la réconciliation nationale au Rwanda.

Ses moyens ne sont certes pas à la hauteur de ceux dont bénéficie le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Mais son existence elle-même doit être approuvée. Elle permet de stigmatiser les auteurs d'exactions abominables. Elle fait également peser sur ceux-ci la menace perpétuelle d'une épée de Damoclès car, ne l'oublions pas, le génocide et les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles.

Aussi votre commission a-t-elle pleinement approuvé le projet de loi. Elle ne vous propose que quatre amendements d'ordre rédactionnel. Il s'agit de supprimer une référence inutile, d'apporter une précision et de réparer une omission. Le quatrième amendement supprime la référence expresse à la double incrimination pour les raisons indiquées ci-dessus.

Mais, au-delà de cette approbation de principe, votre commission a procédé à un large échange de vues sur les perspectives de la justice pénale internationale.

B. LE TRIBUNAL INTERNATIONAL AD HOC : SUBSTITUT OU EMBRYON D'UNE JURIDICTION PERMANENTE ?

Pour les raisons indiquées précédemment, tenant notamment à l'urgence, la formule de la juridiction ad hoc a été retenue tant pour l'ex-Yougoslavie que pour le Rwanda.

Il convient cependant de souligner le fait que, quelle que soit son utilité, cette solution du « cas par cas » contient en elle-même ses limites.

En intervenant par hypothèse a posteriori, après le début d'un conflit et la commission de crimes, son caractère préventif se limite à la période courant de sa création (ou, au mieux, de l'annonce de sa création) à la fin du conflit auquel elle s'applique.

En outre, comme tous les organes subsidiaires du Conseil de sécurité, les tribunaux ad hoc sont soumis au principe de spécialité : leur objet demeure limité au règlement de la crise qui a justifié leur création.

Or, rien ne permet d'assurer que tous les génocides et crimes contre l'humanité donneront lieu à l'institution d'une juridiction internationale. Il est même vraisemblable que celle-ci ne verrait jamais le jour dans la mesure où la voie diplomatique apparaîtrait comme susceptible de mettre fin au conflit ; le prix de la paix serait alors l'impunité des dirigeants coupables d'exactions. C'est cette situation que résume le slogan certes simplificateur mais évocateur : « une impossible justice sans paix ou une paix sans justice ».

Autant de raisons qui plaident pour la création d'une juridiction internationale permanente que votre rapporteur appelle personnellement de ses voeux.

Au cours de l'examen du présent projet de loi par votre commission, ce souhait a notamment été expressément partagé par nos collègues MM. Patrice Gélard et Jacques Mahéas.

Il apparaît aujourd'hui du domaine du réalisable comme en témoigne le rapport de juillet 1994 de la commission du droit international de l'ONU. Celui-ci présente un projet de statut d'une cour criminelle internationale, qui comprend 60 articles et tient compte de l'expérience qu'a constitué le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie.

Ce projet de statut fait montre de réalisme. Il limite la compétence de la Cour aux « crimes les plus graves qui intéressent la communauté internationale dans son ensemble » (génocide, crime d'agression, violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés, crimes contre l'humanité notamment). Aux yeux de la commission « le statut est censé s 'appliquer en particulier dans les cas où rien ne permet d'escompter que les intéressés seront dûment jugés par des juridictions nationales. La Cour est ainsi envisagée surtout comme un organe qui viendra compléter les juridictions nationales ainsi que les procédures existantes de coopération judiciaire internationale en matière pénale et n 'est pas censé exclure la juridiction des tribunaux nationaux compétents ni porter atteinte au droit des États de requérir l'extradition et d'autres formes d'assistance judiciaire internationale en vertu des arrangements en vigueur ».

La Cour comprendrait dix-huit juges élus pour neuf ans au scrutin secret à la majorité absolue des États. Renouvelés par tiers tous les trois ans, ils ne seraient pas rééligibles.

Une chambre des recours serait constituée après chaque renouvellement et comprendrait six juges. En première instance, c'est une chambre constituée pour une affaire donnée, composée de cinq juges, qui serait saisie. À l'exception de la faculté reconnue au Conseil de saisir la Cour d'une situation à laquelle s'appliquerait le chapitre VII de la charte, l'accès à la Cour par voie de plainte serait limité aux États.

L'enquête serait confiée à un parquet indépendant, avec à sa tête un procureur.

La commission du droit international ne préconise pas une phase d'instruction pour les motifs suivants : « Premièrement, le statut offre ses propres garanties en ce qui concerne l'indépendance du processus judiciaire et les droits du suspect. Deuxièmement, les plaintes ne seront pas déposées devant la Cour sans une enquête préalable par l'État plaignant, qui peut remplacer dans une certaine mesure l'enquête préliminaire par une autre forme d'instruction. Troisièmement, le statut doit créer une structure souple qui n'entraîne pas de dépenses excessives ni une prolifération de services ».

Comme pour les tribunaux ad hoc créés pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, le procureur devrait établir un acte d'accusation pour déclencher la phase proprement judiciaire.

Le projet de statut prévoit évidemment l'application à la Cour des principes fondamentaux du droit pénal de la procédure pénale (principe de légalité, présomption d'innocence, délai raisonnable, droits de la défense, non bis in idem...).

Il reste bien entendu à résoudre le problème essentiel du mode de création de cette juridiction internationale. La majorité de la commission du droit international s'est prononcée pour la voie conventionnelle, solution qui paraît la plus satisfaisante dans la mesure où, d'une part, le bon fonctionnement de la Cour internationale supposerait la coopération et donc l'adhésion des États (par exemple pour le transfèrement des accusés). Au surplus, l'institution d'une juridiction permanente ne présente pas un degré d'urgence incompatible avec les lenteurs de la procédure conventionnelle (à la différence de la création d'une juridiction ad hoc).

D'autres problèmes que le mode de création devront être résolus : faut-il véritablement retenir une procédure à dominante accusatoire ? Ne faudra-t-il pas, s'agissant de la France, adapter notre Constitution sur certains points, concernant notamment le droit de grâce ?

Il n'en reste pas moins que la réflexion mérite d'être poursuivie et qu'il convient de se féliciter de l'accord de principe de la France à l'institution d'une cour criminelle internationale.

C'est parce qu'il considère la création d'une telle juridiction comme souhaitable (et même nécessaire) et possible (car l'expérience des tribunaux ad hoc a permis de sortir du niveau d'abstraction auquel s'est longtemps située la réflexion) que votre rapporteur l'appelle personnellement de ses voeux et suivra avec une particulière attention l'évolution des travaux conduits au sein de l'ONU.

Sous le bénéfice de ces observations et des quatre amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi.

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