N° 314

SÈNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 avril 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de MM. Serge VINÇON, Michel ALLONCLE, Louis ALTHAPÉ, Jean BERNARD, Roger BESSE, Paul BLANC, Jacques BRACONNIER, Gérard BRAUN, Robert CALMEJANE, Jean-Pierre CAMOIN, Auguste CAZALET, Jacques CHAUMONT, Jean-Patrick COURTOIS, Désiré DEBAVELAERE, Philippe de GAULLE, Luc DEJOIE, Jacques DELONG, Charles DESCOURS, Michel DOUBLET, Alain DUFAUT, Patrice GÉLARD, Alain GÉRARD, Daniel GOULET, Georges GRUILLOT, Bernard HUGO, Jean-Paul HUGOT, Roger HUSSON, André JOURDAIN, Alain JOYANDET, Edmond LAURET, Jean-François LE GRAND, Maurice LOMBARD, Pierre MARTIN, Mme Nelly OLIN, MM. Charles PASQUA, Alain PLUCHET, Victor REUX, Roger RIGAUDIÈRE, Michel RUFIN, Jean-Pierre SCHOSTECK, Maurice SCHUMANN, Louis SOUVET et Jacques VALADE, tendant à autoriser les élus des communes comptant 3.500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux,

Par M. Jean-Paul DELEVOYE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude. Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat : 239 (1995-1996).

Baux

CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 17 avril 1996 sous la présidence de M. Jacques Larché, Président, la commission a procédé, sur le rapport de M. Jean-Paul Delevoye, à l'examen de la proposition de loi n° 138 (1995-1996) dont le premier signataire est M. Serge Vinçon, tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux.

M. Jean-Paul Delevoye a tout d'abord indiqué que cette proposition de loi avait pour objet d'assouplir le régime de la prise illégale d'intérêts, incriminée par l'article 432-12 du code pénal, afin d'assurer une meilleure adéquation de la législation aux réalités sociologiques propres aux communes rurales.

Présentant l'économie générale de cette disposition, il a rappelé que le nouveau code pénal prenait d'ores et déjà en compte la spécificité des communes de 3.500 habitants au plus en permettant au maire, aux adjoints et aux conseillers municipaux agissant en remplacement du maire :

- de traiter avec leur commune pour le transfert de biens ou la fourniture de services dans la limite de 100.000 francs par an ;

- sur autorisation du conseil municipal, d'acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement ;

- sur autorisation du conseil municipal, d'acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle, moyennant un prix qui ne saurait être inférieur à l'évaluation du service des domaines.

Le rapporteur a précisé que, dans tous ces cas, l'intéressé devait s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à l'approbation du contrat.

Il a fait observer que la conclusion d'un bail rural ne relevait pas de ces hypothèses, l'article 432-12 du code pénal considérant ainsi comme coupables de prise illégale d'intérêts, et donc passibles de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 francs d'amende, les élus locaux ayant conclu un bail rural avec leur collectivité.

Il a déploré cette situation qui imposait à l'exploitant agricole élu local de renoncer à son mandat ou au développement de son activité professionnelle.

M. Jean-Paul Delevoye a mis en avant le caractère quelque peu paradoxal du droit actuel dans la mesure où l'élu d'une commune de 3.500 habitants au plus pouvait acquérir mais non louer un terrain appartenant à la collectivité locale. Rappelant l'adage en vertu duquel « qui peut le plus peut le moins », il a estimé souhaitable de remédier à cette situation.

Il a en conséquence appelé de ses voeux la recherche d'un dispositif permettant aux élus des communes rurales de contracter un bail rural avec leur collectivité tout en prévoyant des dispositions de nature à assurer un loyer correspondant à la valeur des biens loués, à garantir l'égalité des citoyens en évitant que l'élu local ne tire profit des informations privilégiées dont il peut disposer, et à conférer à la commune la faculté de mettre fin à tout moment à un contrat de bail ainsi conclu.

Puis la commission a, sur la proposition de son rapporteur, adopté un texte comprenant deux articles prévoyant respectivement :

- d'autoriser les élus locaux à conclure certains baux ruraux avec leur collectivité. Le rapporteur a fait observer que le Code rural reconnaissait à la commune un droit de résiliation unilatérale pour des raisons d'intérêt public et prévoyait que le prix devrait se situer entre un minimum et un maximum fixés par l'autorité préfectorale.

- d'assurer la transparence de la procédure en exigeant la publication de l'estimation effectuée par le service des domaines et en fixant un délai de deux mois entre cette publication et l'autorisation de contracter donnée par le conseil municipal, le même article limitant à neuf ans la durée des baux ruraux conclus entre un élu local et sa commune.

Mesdames, Messieurs,

Avec le dépôt d'une proposition de loi tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux, M. Serge Vinçon et plusieurs de nos collègues ont voulu remédier à une insuffisante adéquation de la législation aux réalités sociologiques propres aux communes rurales.

Sociologiquement, les exploitants agricoles constituent fréquemment le poumon de ces communes, non seulement par l'importance qu'ils représentent pour celles-ci sur le plan économique, mais également par le fait que nombre d'entre eux siègent au sein des conseils municipaux.

Or, la législation, et plus précisément l'article 432-12 du code pénal, considère comme coupables de prise illégale d'intérêts -et donc passibles de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende- les élus locaux qui concluent des baux ruraux avec leur collectivité.

Le code pénal impose ainsi à l'exploitant agricole élu local de renoncer à son mandat ou au développement de son activité professionnelle, comme si le rôle économique joué par l'agriculteur, essentiel lorsqu'il est un simple particulier, devenait nuisible dès lors qu'il est investi par ses concitoyens d'un mandat électif.

Certes, en séparant la fonction économique et la fonction administrative, le législateur a poursuivi un objectif de moralisation de la vie publique qu'il ne saurait être question de remettre en cause.

Mais il est parfois souhaitable que cette séparation soit définie d'une manière suffisamment souple pour permettre la conciliation -plutôt que l'opposition- de deux fonctions utiles à la réalisation de l'intérêt général.

Aussi, votre commission a-t-elle examiné la proposition de loi précitée dans le double souci d'assurer au mieux cette conciliation sans porter atteinte en aucune manière à l'objectif du délit de prise illégale d'intérêts qui est et doit demeurer la moralisation de la vie publique.

I. L'ARTICLE 432-12 DU CODE PÉNAL : UN DISPOSITIF CONTRAIGNANT QUI S'EFFORCE DE PRENDRE EN CONSIDÉRATION LES SPÉCIFICITÉS DES COMMUNES RURALES

A. UN DISPOSITIF CONTRAIGNANT

La prise illégale d'intérêts, héritière du délit d'ingérence incriminé par l'article 175 de l'ancien code pénal, est définie par le premier alinéa de l'article 432-12 du nouveau code comme « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». Pour sa part, l'article 1596 du code civil considère comme nulles les adjudications effectuées par certaines personnes, et notamment par les administrateurs des communes.

La définition de l'article 432-12 du code pénal apparaît comme particulièrement large puisque les personnes visées -et notamment les élus locaux- pourront être condamnées sur le fondement de cette disposition, quand bien même elles n'auraient retiré aucun bénéfice de l'opération prohibée, quand bien même celle-ci aurait été profitable à la commune.

En outre, est punissable non seulement le fait de prendre ou de recevoir un intérêt mais également de le conserver, ce qui fait de la prise illégale d'intérêts un délit continu. En conséquence, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du jour où le dépositaire de l'autorité publique cesse de conserver un intérêt.

Certes, la mise en oeuvre de l'article 432-12 suppose que le prévenu ait, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement de l'opération. Mais, s'agissant des élus locaux, les maires ont toujours la surveillance et l'administration des affaires communales. Il en va de même, s'agissant des adjoints, pour les affaires relevant de leur compétence.

Par son champ d'application fort large, la prise illégale d'intérêts constitue un véritable « délit obstacle » traduisant le souci du législateur d'éviter tout risque d'amalgame entre les affaires de la collectivité et les affaires privées de l'élu.

Mais il est apparu que ce dispositif pouvait admettre certains assouplissements et se concilier avec ce que la circulaire d'interprétation du nouveau code pénal appelle « le respect des préoccupations légitimes de certains élus » et que votre commission des Lois considère plutôt comme la nécessaire prise en compte des spécificités des communes rurales.

B. LA PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DES COMMUNES RURALES

Dès 1967, le législateur avait prévu des dérogations au délit d'ingérence destinées à tenir compte du fait qu'un élu local est parfois la seule personne avec laquelle peut contracter une petite commune.

Aujourd'hui, l'article 432-12 du code pénal prévoit trois séries d'assouplissements au régime de la prise illégale d'intérêts-et à l'interdiction posée par l'article 1596 du code civil- lorsque la commune a au plus 3 500 habitants. Dans ce cas, les maires, les adjoints et les conseillers municipaux ou délégués agissant en remplacement du maire peuvent :

- traiter avec leur commune pour le transfert de biens ou la fourniture de services dans la limite de 100 000 F par an ;

- sur autorisation du conseil municipal, acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement ;

- sur autorisation du conseil municipal, acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle, pour un prix qui ne peut être inférieur à l'évaluation du service des domaines.

Dans tous les cas, l'élu intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat.

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