Rapport n° 347 (1995-1996) de M. Philippe RICHERT , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 7 mai 1996

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N ° 34 7

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996


Annexe au procès-verbal de la séance du 7 mai 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelle (1) sur : la proposition de loi de MM. Claude HURIET, Yves GUÉNA, Marcel DAUNAY, Jean MADELAIN, Daniel MILLAUD, Jacques BAUDOT, Jacques GENTON, Mme Annick BOCANDE, MM. Jean-Jacques HYEST, André EGU, Kléber MALECOT, Xavier de VILLEPIN, Jean-Louis LORRAIN, Serge FRANCHIS, Jean FAURE, Francis GRIGNON, Daniel BERNARDET, Philippe RICHERT, Rémi HERMENT, Louis MOINARD, Jean BERNADAUX, André DULAIT, Marcel LESBROS, Edouard LE JEUNE, Jean POURCHET, Marcel DENEUX, André DILIGENT, Maurice BLIN, Jacques MACHET, Bernard BARRAUX, Guy ROBERT, Jean-Pierre CANTEGRIT, Georges DESSAIGNE, Albert VECTEN, Michel MERCIER, Alphonse ARZEL, Michel SOUPLET, Jean-Paul AMOUDRY, François MATHIEU, René BALLAYER, Michel BECOT, Pierre LAGOURGUE, François BLAIZOT, Jean HUCHON, Claude BELOT, Michel ALLONCLE, Louis ALTHAPE, Jean BERNARD, Roger BESSE, Paul BLANC, Yvon BOURGES, Jacques BRACONNIER, Gérard BRAUN, Dominique BRAYE, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Michel CALDAGUES, Robert CALMEJANE, Gérard CESAR, Jacques CHAUMONT, Jean CHERIOUX, Jean-Patrick COURTOIS, Charles de CUTTOLI, Désiré DEBAVELAERE, Luc DEJOIE, Jean-Paul DELEVOYE, Christian DEMUYNCK, Michel DOUBLET, Alain DUFAUT, Xavier DUGOIN, Daniel ECKENSPIELLER, Patrice GELARD, Alain GÉRARD, François GERBAUD, Daniel GOULET, Adrien GOUTEYRON, Georges GRUILLOT, Hubert HAENEL, Emmanuel HAMEL, Roger HUSSON, Edmond LAURET, René-Georges LAURIN, Jean-François LE GRAND, Pierre MARTIN, Paul MASSON, Mme Nelly OLIN, MM. Jacques OUDIN, Alain PLUCHET, Victor REUX, Roger RIGAUDIERE, Michel RUFIN, Jean-Pierre SCHOSTECK, Martial TAUGOURDEAU, Jacques VALADE, Alain VASSELLE et Serge VINÇON tendant à créer une possibilité de recours à l'égard des décisions des architectes des bâtiments de France,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron. président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Autain, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Charmant, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Pierre Lacour, Jean-Pierre Lafond, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Mathieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio, Michel Pelchat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé. Jacques Valade, Marcel Vidal, Henri Weber.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Sans déposséder l'État de sa compétence en matière de protection du patrimoine, la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État avait marqué la volonté du législateur de faire évoluer les procédures applicables à la protection du patrimoine architectural.

Cette volonté, exprimée en particulier par le rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles du Sénat, notre regretté collègue Paul Séramy, s'était traduite par la création des « zones de protection du patrimoine architectural et urbain » 1 ( * ) qui permettaient d'associer les communes à la défense et à la mise en valeur de leur patrimoine, substituant ainsi la logique du dialogue à celle de la contrainte.

Les progrès de la mise en place des ZPPAUP ayant malheureusement été, pour diverses raisons, beaucoup plus lents que prévu, la protection du patrimoine architectural, aux abords des édifices classés comme dans les secteurs sauvegardés, reste pour l'essentiel régie par des procédures relevant de la meilleure tradition de l'absolutisme étatique, et qui ignorent aussi bien l'évolution des attitudes et des habitudes née de la décentralisation que le très vif intérêt que suscite désormais, chez les élus comme dans l'ensemble du corps social, la conservation du patrimoine.

Et il semble paradoxal, au moment où le projet de création de la « Fondation du patrimoine » entend permettre aux élus, aux associations, aux citoyens, d'oeuvrer en commun avec l'État pour la défense du « petit » patrimoine, que l'on en soit resté, quand il s'agit de la sauvegarde des monuments et des ensembles architecturaux les plus prestigieux, à une conception de l'exercice des prérogatives étatiques qui paraît bien dépassée, et se situe en tout cas aux antipodes du partenariat.

La proposition de loi présentée par MM. Claude Huriet, Yves Guéna et de nombreux autres signataires a, à cet égard, le grand mérite de rappeler que les problèmes que le législateur de 1983 avait espéré résoudre demeurent posés.

Votre commission vous proposera, pour remédier à cette situation, de retenir un dispositif plus proche de la loi de 1983 que celui de la proposition de loi, mais qui procède du même constat, et d'une volonté identique d'offrir, quel que soit le régime de protection applicable, une possibilité de dialogue et de débat, au niveau régional, sur les mesures nécessaires à la préservation du patrimoine architectural.

I. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME DES PROCÉDURES DE PROTECTION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL

L'institution des ZPPAUP ne procédait nullement d'une critique des résultats de la législation protégeant le patrimoine architectural, dont on s'accorde à reconnaître que le bilan est « globalement positif », ni du travail accompli par les architectes des bâtiments de France (ABF). Comme le soulignait, à juste titre, le rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles du Sénat sur la loi de 1983, « on a cherché beaucoup de mauvaises querelles aux ABF, en ne voyant que leurs erreurs ou l'effet désastreux de leur abstention. En revanche, personne ne voit, parce que par définition on ne peut pas les voir, les innombrables gâchis qu'ils ont évités » 2 ( * ) .

Elle répondait uniquement à la nécessité d'associer à la politique nationale de protection du patrimoine les collectivités territoriales, qui n'admettent plus, à juste titre, de n'avoir pas « leur mot à dire » sur des sujets qui les concernent au plus haut point. En effet, même si la concertation entre les élus et les architectes des bâtiments de France s'organise le plus souvent sur le terrain, les lois de 1913 ou de 1962 ne l'imposent pas. Elles peuvent donc être génératrices de conflits, certes très rares, mais qui n'en sont pas moins très regrettables.

Malheureusement, les progrès trop lents des ZPPAUP n'ont pas permis de supprimer les causes de ces conflits.

1. Les problèmes posés par les procédures antérieures à la décentralisation

Si on laisse de côté les procédures relevant de la loi du 2 mai 1930, qui ne sont plus utilisées pour la protection des sites bâtis à laquelle elles se sont révélées peu adaptées - l'inscription étant peu efficace et le classement, trop rigide, ne pouvant convenir qu'à des sites très « ponctuels » - la police du patrimoine architectural s'exerce aujourd'hui selon trois régimes :

- la protection des abords des monuments historiques prévue par la loi modifiée du 31 décembre 1913 ;

- les « secteurs sauvegardés » créés par la loi « Malraux » du 4 août 1962 ;

- et enfin les ZPPAUP instituées par la loi du 7 janvier 1983.

L'emploi qui en est fait laisse encore un avantage certain aux procédures les plus « étatiques ».

a) La législation des abords

C'est de loin le régime le plus fréquemment appliqué. C'est aussi celui qui présente les plus graves inconvénients, dont le rapporteur pour avis de la commission sénatoriale des affaires culturelles sur la loi du 7 janvier 1983 avait effectué un impitoyable recensement 3 ( * ) :


• Son mécanisme
est « absurdement automatique » . Il trace en effet autour des quelque 37.000 monuments classés ou inscrits des « ronds bêtes et méchants » , souvent inopérants pour protéger l'environnement d'une cathédrale au centre d'une ville ancienne, ou celui d'un château menacé par le voisinage d'une autoroute, parfois excessivement contraignants lorsqu'ils encerclent une fontaine ou « un simple porche perdu dans la campagne » .


• La procédure
relève totalement de l'État, et, en l'absence de toute règle de protection, repose pour l'essentiel sur l'exercice solitaire du pouvoir que la loi confère à l'architecte des bâtiments de France. Celui-ci est en effet investi de la mission redoutable de donner au nom de l'État sur les travaux projetés un avis qui, lorsqu'il est négatif, s'impose au pétitionnaire comme à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation.

Ce « droit de veto » « exorbitant du droit commun (et exceptionnel dans notre législation) » , qui s'exerce dans les conditions les mieux faites pour faire peser sur les architectes des bâtiments de France les pires soupçons d'arbitraire, les cantonne en outre dans un rôle ingrat qui ne peut que nuire à la mission de conseil et à la fonction pédagogique qui sont inséparables d'une politique de protection architecturale. Mais s'étonnera-t-on, la procédure étant ce qu'elle est, que les pétitionnaires - et souvent ceux d'entre eux qui auraient le plus besoin de conseils éclairés - soient davantage portés à considérer l'architecte des bâtiments de France comme un censeur que comme un homme de l'art ?

Pour tenter de désarmer les critiques suscitées par le « droit de veto » de l'architecte des bâtiments de France, le décret n° 95-667 du 9 mai 1995 a institué une procédure permettant à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation de faire « appel », devant le ministre, des « avis conformes » rendus par les architectes des bâtiments de France : l'autorisation ne peut en ce cas être délivrée qu'avec l'accord du ministre, dont le silence vaut, au bout de deux mois, confirmation de la position de l'architecte.

Cette procédure nouvelle - et demeurée confidentielle, sa publication ayant été éclipsée par l'annonce de la réintégration de l'architecture dans le giron du ministère de la culture - ne paraît malheureusement pas devoir supprimer les motifs d'insatisfaction qu'engendre « l'avis conforme ». Même si elle reste suffisamment exceptionnelle pour ne pas se solder trop fréquemment par des décisions tacites de rejet, elle risque fort, en effet, de n'apparaître que comme la manifestation réitérée d'un pouvoir d'État lointain et fermé au dialogue, et semble mal faite pour remédier au déficit d'explication, à l'absence de concertation, à l'imprévisibilité des critères de jugement qui sont les principales causes de dysfonctionnement de la procédure prévue par la loi de 1913.

b) La protection au titre des secteurs sauvegardés

L'application de la « loi Malraux », qui s'est traduite par l'élaboration de quelque 86 « plans de sauvegarde et de mise en valeur » protégeant d'importants ensembles architecturaux et urbains, nécessite une procédure extrêmement lourde, coûteuse, et totalement centralisée.

La procédure d'élaboration du plan de sauvegarde permet cependant de consulter la commune ou l'établissement intercommunal concerné (qui peuvent même prendre l'initiative de proposer la création du secteur sauvegardé), de recueillir l'avis d'une « commission locale du secteur sauvegardé », nommée par arrêté du préfet mais qui comporte des représentants de la commune, associe à ses travaux des personnalités qualifiées et des représentants des chambres de commerce et des métiers, et peut enfin entendre des associations agréées.

Mais on retrouve dans toute sa rigueur, au niveau de l'application des règles de protection prévues par le plan de sauvegarde, la procédure « d'avis conforme » de l'architecte des bâtiments de France :

- dès la délimitation du plan de sauvegarde et de mise en valeur, l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France entraîne un sursis à statuer sur les demandes d'autorisation de travaux modifiant l'état des immeubles ;

- après la publication du plan, les autorisations sont subordonnées à un avis de l'architecte des bâtiments de France constatant leur conformité aux prescriptions du plan.

L'avis de l'architecte des bâtiments de France ne peut en outre faire l'objet d'aucune procédure d'appel.

c) Les ZPPAUP

Par comparaison avec les procédures résultant des lois de 1913 et de 1962, et en particulier avec la « police des abords », les ZPPAUP « n'ont que des avantages » (Paul Séramy).

Sans remettre en cause les compétences de l'État, (le ministre ayant notamment le pouvoir d'évoquer tout projet de zone et tout dossier d'autorisation de travaux dans les zones existantes), elles permettent en effet :

- de donner aux communes un pouvoir de codécision sur la création des zones et de les associer très étroitement, ainsi que la population, consultée par voie d'enquête publique, à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine local ;

- d'adapter le périmètre et les mesures de protection à la diversité de situations, en supprimant, pour les immeubles situés à l'intérieur de la zone et au profit des règles qu'elles prévoient, les servitudes résultant des lois de 1913 et de 1930 ;

- de fixer à l'avance les règles imposées par le régime protecteur. Dès lors, si l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France reste exigé pour l'autorisation des travaux, au moins se fonde-t-il sur des bases objectives et connues d'avance ;

- de retirer au « droit de veto » de l'architecte des bâtiments de France son caractère absolu. La loi de 1983 ouvre en effet la possibilité au maire ou à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation le droit de faire appel de l'avis devant le préfet de région, qui statue après consultation du collège régional du patrimoine et des sites.

On pouvait donc penser que les ZPPAUP allaient rapidement se substituer aux régimes de protection des lois de 1913 et de 1930 et offrir de nouvelles possibilités de protection des sites urbains anciens comme du patrimoine contemporain.

Le bilan des créations de ZPPAUP est à cet égard décevant puisque 192 zones seulement, tant « urbaines » que « paysagères », ont été créées depuis 1983.

Ce résultat médiocre a de multiples causes :

- bien que les études préalables à la création de la zone soient relativement peu coûteuses, leur financement, réparti par moitié entre l'État et les communes, n'en présente pas moins des difficultés pour bien des collectivités. Quant à la participation de l'État, elle est également limitée tant par la conjoncture budgétaire que par la charge de travail que représente la mise en oeuvre des ZPPAUP pour les services départementaux de l'architecture, dont les moyens sont des plus limités ;

- la longueur des procédures -régies par des textes réglementaires qui mériteraient certainement d'être revus et simplifiés - peut aussi décourager les maires de s'engager dans des projets dont ils ne sont pas assurés de voir l'aboutissement ;

- la « période de rodage » inséparable de la mise en place d'une procédure nouvelle a pesé, dans les premières années d'application de la loi de 1983, sur le rythme de création des ZPPAUP, qui s'est nettement accéléré depuis 1990 : cette accélération reste cependant bridée par le manque de moyens, qui pourrait conduire à limiter à une zone par an et par département le nombre des mises en oeuvre de nouvelles ZPPAUP ;

- enfin, même si l'extension aux ZPPAUP du dispositif fiscal de la loi « Malraux », réalisée par la loi de finances pour 1995, peut avoir une influence positive sur le développement des ZPPAUP, la faiblesse et le caractère aléatoire des subventions pour travaux dont elles bénéficient ne contribuent pas non plus à renforcer leurs attraits.

2. La solution proposée par la proposition de loi

Les faits -invariablement têtus- tendant à démontrer que la ZPPAUP, quels que soient ses mérites, ne supplantera par de sitôt les procédures anciennes, les auteurs de la proposition de loi ne se résignent pas à ce que les collectivités territoriales -et les citoyens- soient contraints de rester à l'écart de la politique de sauvegarde de leur patrimoine par la survivance de procédures remontant à l'époque où la défense des « monuments historiques » n'intéressait guère qu'une poignée d'originaux, et aux temps révolus où les collectivités territoriales étaient placées sous l'autorité tutélaire de l'État.

Ils proposent donc de bousculer l'évolution prévue et d'instaurer, dans tous les cas où l'architecte des bâtiments de France est investi d'un pouvoir d'avis conforme, une procédure de recours permettant un réexamen collégial de cet avis soit au niveau régional (pour la police des abords et les ZPPAUP), soit au niveau local (dans le cas des autorisations dans les secteurs sauvegardés), ce droit de recours étant ouvert au pétitionnaire, à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation, et au maire s'il n'est pas cette autorité.

II. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Les conclusions de votre commission s'ordonnent autour de trois orientations principales :

* Votre commission vous propose de retenir le principe qui est au centre de la proposition de loi : la garantie, dans tous les cas, d'une possibilité d'appel des avis conformes faisant intervenir une instance régionale où l'État ne soit pas le seul à faire entendre sa voix.

Ce principe présente en effet deux avantages décisifs :

- il contribuera, même dans le cadre de la police des abords, où ne s'appliquent aucunes prescriptions particulières, à éclaircir les motifs des décisions contestées, qu'elles soient ou non confirmées, voire à dégager une « jurisprudence » : il tendra, en somme, à dissiper le mystère pour beaucoup impénétrable qui entoure les décisions des architectes des bâtiments de France, et par conséquent le soupçon d'arbitraire qui empoisonne, particulièrement dans le cas de la police des abords, la procédure de l'avis conforme ;

- il incitera, en tant que de besoin, les architectes des bâtiments de France à s'attacher à convaincre plutôt que de céder à la tentation d'imposer, ce qui replacera la procédure dans une perspective plus pédagogique et réduira les risques d'incompréhension et de conflit.

* Afin de renforcer ces avantages, votre commission vous propose de créer une unique « commission régionale du patrimoine et des sites », qui exercera l'ensemble des compétences actuellement dévolues à la COREPHAE et au collège régional du patrimoine et des sites créé par la loi de 1983, et sera également consultée en cas d'appel des avis conformes rendus dans le cadre des procédures instituées par les lois de 1913 et de 1962.

* Enfin, votre commission vous propose de ne pas modifier - sous réserve de l'intervention de la nouvelle commission régionale du patrimoine et des sites - la procédure prévue par la loi de 1983 pour le réexamen des avis conformes sur les demandes de travaux dans les ZPPAU, et de compléter par un dispositif identique les textes applicables aux abords et aux secteurs sauvegardés.

Ce choix la conduit :

- à laisser au préfet de région compétence pour émettre, éventuellement, un nouvel avis : l'attribution à la commission régionale de compétences à la fois consultatives et décisionnelles paraît peu indiquée, et le souci d'ouvrir un débat « régional » sur la politique de protection du patrimoine ne doit pas non plus conduire à substituer à la politique nationale du patrimoine 23 politiques régionales ;

- à ne pas ouvrir « l'appel » au pétitionnaire. Trois raisons conduisent en effet à écarter cette solution : la première est qu'elle contraindrait à allonger la procédure d'autorisation en ouvrant un nouveau délai de recours entre la transmission de l'avis et la décision de l'autorité compétente ; la deuxième est que l'éventuelle transformation, sur appel du pétitionnaire, d'un avis négatif en avis positif risquerait de retirer au maire, en fait, tout pouvoir d'appréciation sur l'opportunité d'accorder ou de refuser le permis ; la troisième, et la plus importante, est qu'il paraît préférable de ne pas créer d'exception au principe qui veut que seule une décision faisant grief ouvre droit à recours.

- à donner au ministre un pouvoir d'évocation qu'il paraît en tout état de cause difficile de lui dénier.

En fonction de ces orientations, le texte adopté par la commission comporte cinq articles :


• L'article premier
propose la création, auprès du préfet de région, d'une unique commission consultative compétente en matière de patrimoine et de sites.

Le rattachement de l'architecture au ministère de la culture rend en effet inutile la dualité d'instances consultatives qui répondait au partage antérieur des compétences entre le ministère chargé de la culture et celui chargé de l'équipement.

Les commissions régionales du patrimoine et des sites auraient donc vocation à se substituer :

- aux commissions régionales du patrimoine historique, archéologique et ethnographique (COREPHAE). Créées par le décret n° 84-1007 du 15 novembre 1984 pour correspondre, au niveau régional, aux quatre instances de conseil scientifique placées auprès du ministre de la culture en matière de patrimoine (la commission supérieure des sites, le conseil supérieur de la recherche archéologique, la commission nationale de l'inventaire et le conseil du patrimoine ethnologique), les COREPHAE sont notamment chargées de donner un avis sur les propositions de classement et d'inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques et, plus généralement, « sur toute question intéressant l'étude, la protection et la conservation du patrimoine » .

Elles sont composées de 30 membres, dont dix fonctionnaires de l'État, seize personnalités qualifiées (dont 8 élus nationaux ou locaux) et quatre représentants d'associations.

- aux collèges régionaux du patrimoine et des sites (CRPS), créés auprès du préfet de région par l'article 69 de la loi 83-8 du 7 janvier 1983, pour exercer les compétences consultatives prévues aux articles 70 et 71 de la même loi, c'est-à-dire pour rendre des avis sur les créations de ZPPAUP et sur les « recours » contre les avis conformes des architectes des bâtiments de France. Le collège est composé de 12 à 18 membres, et comprend en nombre égal des personnalités qualifiées, des professionnels de la construction, de l'architecture et de l'urbanisme et des représentants d'associations.

Ce regroupement permettra de confier à une seule instance l'ensemble des compétences consultatives relatives à la définition et à l'application dans la région des politiques de protection du patrimoine : à cet effet, votre commission vous proposera, aux articles 2 et 3, de prévoir que la nouvelle commission régionale sera consultée sur les recours contre les avis des architectes des bâtiments de France rendus dans le cadre des procédures prévues par la loi de 1913 et celle de 1962.

Il est précisé que la commission régionale du patrimoine et des sites devra comporter des représentants de l'État, des élus nationaux et locaux et des personnalités qualifiées : sa composition devrait en effet, dans l'esprit de votre rapporteur, être plus proche de celle de la COREPHAE que de celle du CRPS.

L'article renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser la composition et le mode de fonctionnement de la commission, qui devra notamment lui permettre de rendre les avis qui lui seraient demandés dans le cadre des procédures « d'appel » contre les avis conformes des architectes des bâtiments de France dans des délais suffisamment brefs pour ne pas allonger les procédures d'octroi des autorisations.


• L'article 2
complète l'article 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 par deux alinéas nouveaux permettant d'introduire dans la procédure d'octroi des autorisations de travaux dans le champ de visibilité des édifices classés ou inscrits une possibilité d'appel des avis des architectes des bâtiments de France symétrique de celle prévue, pour les ZPPAUP, par l'article 71 de la loi du 7 janvier 1983.


• L'article 3
modifie l'article L. 313-2 du code de l'urbanisme pour introduire la même possibilité dans la procédure d'instruction des autorisations de travaux effectués dans les secteurs sauvegardés.


• L'article 4
prévoit l'intervention de décrets en Conseil d'État pour fixer les conditions d'application des articles 2 et 3, notamment les délais « d'appel », et ceux au terme desquels les appels seront considérés comme ayant été tacitement rejetés.


• L'article 5
prévoit les mesures de coordination rendues nécessaires par la substitution de la commission régionale du patrimoine et des sites au collège régional du patrimoine et des sites.

Enfin, votre commission vous propose de préciser l'intitulé de la proposition de loi.

Au bénéfice des observations qui précèdent, votre commission vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions, et qui figure ci-après.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mardi 7 mai 1996 sous la présidence de M. Adrien Gouteyron, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Richert, la proposition de loi n° 209 (1995-1996) tendant à créer une possibilité de recours à l'égard des décisions des architectes des bâtiments de France.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Rendant hommage au travail accompli par le rapporteur, M. Claude Huriet, premier signataire de la proposition de loi, a exprimé l'espoir que son examen prochain par le Sénat permette d'aboutir rapidement à l'amélioration des procédures de protection du patrimoine souhaitée par ses nombreux signataires.

Il a souligné que les analyses du rapporteur rejoignaient totalement les réflexions qui avaient été à l'origine de la proposition de loi, comme de celles ayant même objet qui avaient été antérieurement déposées. L'intention de leurs auteurs, en effet, n'était évidemment pas de remettre en cause la législation protégeant le patrimoine et les sites, ni la mission des architectes des bâtiments de France, dont il y a au contraire tout lieu de regretter qu'ils ne disposent pas de moyens correspondant à l'ampleur de leur tâche.

Cependant, tous les élus ont pu constater que les avis des architectes des bâtiments de France suscitent souvent des réactions négatives des maires et des pétitionnaires, à qui ils apparaissent insuffisamment motivés et teintés de subjectivité : il paraît donc indispensable d'aménager les procédures en vigueur pour éviter les risques d'incompréhension et de conflit en permettant de confronter les différents points de vue, et d'expliciter les solutions retenues.

Commentant le dispositif proposé par le rapporteur, M. Claude Huriet s'est déclaré très favorable à la fusion des commissions régionales compétentes en matière de protection du patrimoine et des sites, en soulignant que cette proposition tranchait heureusement avec la tendance à la multiplication d'instances nouvelles, écueil que les auteurs de la proposition de loi avaient également eu le souci d'éviter. Il a également exprimé son accord personnel avec les procédures d'appel prévues, notant qu'elles permettaient de définir clairement les rôles sans allonger les délais de décision.

M. Adrien Gouteyron, président, a témoigné du souci du rapporteur de recueillir l'avis de toutes les parties intéressées, et a estimé qu'il proposait une solution équilibrée et qui devrait faire l'objet d'un large accord.

M. Albert Vecten, rejoignant les observations formulées par M. Claude Huriet, a jugé très regrettable que les procédures en vigueur favorisent blocages et incompréhension entre les demandeurs d'autorisation, les maires et les services de l'État, alors que le souci de la défense du patrimoine était très largement partagé. Exprimant son total accord avec les propositions du rapporteur, il a en particulier jugé que l'idée de fusionner la COREPHAE et les collèges régionaux du patrimoine et des sites mériterait d'être reprise dans bien des secteurs de l'action administrative.

M. Jean-Pierre Camoin a également dit approuver les propositions du rapporteur. Soulignant que les lois relatives à la protection du patrimoine et l'autorité technique donnée aux architectes des bâtiments de France avaient, comme l'avait rappelé le rapporteur, évité bien des saccages et des destructions, il a estimé très souhaitable que le rôle d'expertise technique des ABF continue de s'exercer, dans un climat de concertation avec les élus. Rappelant les compétences de l'État en matière de protection du patrimoine, il a également jugé indispensable que les procédures d'appel au niveau régional laissent au ministre la possibilité d'intervenir sur les dossiers les plus importants.

Remerciant les différents intervenants, M. Philippe Richert, rapporteur, a souligné que le rattachement de l'architecture au ministère de la culture devrait rendre possible le regroupement des instances consultatives régionales compétentes en matière de patrimoine.

Il a indiqué que les contacts qu'il avait pris avec les représentants des architectes des bâtiments de France et avec le ministère de la culture avaient contribué utilement à sa réflexion, en particulier sur les modalités à retenir pour aménager la procédure applicable dans les secteurs sauvegardés. Notant que les architectes des bâtiments de France étaient les premiers à regretter que la mise en place des ZPPAUP n'ait pas été plus rapide, il a exprimé l'espoir que la proposition de créer un « lieu de dialogue » au niveau régional puisse faire l'objet d'un consensus.

Il a enfin précisé, en réponse à M. Jean-Pierre Camoin, que les propositions qu'il soumettait à la commission prévoyaient expressément un pouvoir d'évocation du ministre, déjà mentionné par la loi de 1983 pour ce qui concerne les ZPPAUP.

La commission a ensuite procédé à l'examen du dispositif proposé par le rapporteur.

À l'issue de cet examen, elle a adopté à l'unanimité les conclusions proposées par son rapporteur.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi relative
à l'instruction des autorisations de travaux dans le champ de visibilité
des édifices classés ou inscrits et dans les secteurs sauvegardés

Article premier

Il est institué dans chaque région, auprès du représentant de l'État, une commission du patrimoine et des sites qui exerce les compétences dévolues à la commission régionale du patrimoine historique, archéologique et ethnologique et au collège régional du patrimoine et des sites.

Elle comprend des personnalités titulaires d'un mandat électif national ou local, des représentants de l'État et des personnalités qualifiées.

Sa composition, ses attributions et son mode de fonctionnement sont précisés par décret en Conseil d'État.

Art. 2

L'article 13 bis de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas de désaccord du maire ou de l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation ou le permis de construire avec l'avis émis par l'architecte des bâtiments de France, le représentant de l'État dans la région émet, après consultation de la commission régionale du patrimoine et des sites, un avis qui se substitue à celui de l'architecte des bâtiments de France.

« Le ministre chargé de la culture peut évoquer tout dossier dont l'architecte des bâtiments de France ou le représentant de l'État dans la région est saisi en application du présent article. L'autorisation ou le permis de construire ne peuvent dès lors être délivrés qu'avec son accord. »

Art. 3

L'article L. 313-2 du code de l'urbanisme est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas de désaccord entre l'architecte des bâtiments de France et le maire ou l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation sur la compatibilité des travaux avec le plan de sauvegarde et de mise en valeur ou sur les prescriptions imposées au propriétaire, le représentant de l'État dans la région émet, après consultation de la commission régionale du patrimoine et des sites, un avis qui se substitue à celui de l'architecte des bâtiments de France.

« Le ministre chargé de la culture peut évoquer tout dossier dont l'architecte des bâtiments de France ou le représentant de l'État dans la région est saisi en application du présent article. L'autorisation ne peut alors être délivrée qu'avec son accord. »

Art. 4

Les conditions d'application des articles 2 et 3 de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d'État.

Art. 5

I.- La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État est ainsi modifiée :

- l'article 69 est abrogé ;

- au troisième alinéa de l'article 70 et au deuxième alinéa de l'article 71, les mots : « du collège régional du patrimoine et des sites » sont remplacés par les mots : « de la commission régionale du patrimoine et des sites mise en place par la loi n°...du... ».

II.- Au troisième alinéa de l'article L. 4433-27 du code général des collectivités territoriales, les mots : « des collèges régionaux du patrimoine et des sites mis en place par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, » sont remplacés par les mots : « des commissions régionales du patrimoine et des sites mises en place par la loi n°... du..., ».

III. - Au premier alinéa de l'article L. 144-6 du code de l'urbanisme, les mots : « au collège régional du patrimoine et des sites prévu à l'article 69 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 précitée, » sont remplacés par les mots : « à la commission régionale du patrimoine et des sites prévue à l'article premier de la loi n°.... du...., ».

* 1 les « ZPPAU », transformées en « ZPPAUP » (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) par la loi n° 93-24 du 8 janvier 1993.

* 2 Rapport pour avis de M. Paul Séramy au nom de la commission des Affaires culturelles, n° 16 (1982-1983).

* 3 Rapport précité de M. Séramy, n° 16 (1982-1983) p. 50 et s.

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