N° 350

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 mai 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1)sur la proposition loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant la loi n°75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l' autisme,

Par M. Jacques MACHET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Michelle Demessine, MM. Claude Huriet, Charles Metzinger, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 9 mai 1996, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jacques Machet, sur la proposition de loi n° 249 (1995-1996), adoptée par l'Assemblée nationale et modifiant la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a précisé que la discussion de cette proposition de loi en séance publique aurait lieu le 13 juin 1996 et non le 21 mai comme cela était prévu initialement du fait de l'indisponibilité de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la santé et à la sécurité sociale.

À titre liminaire, M. Jacques Machet, rapporteur, a rappelé que la discussion à l'Assemblée nationale de la proposition de loi n° 249, qui résultait d'une proposition de loi déposée le 1er février 1995 et signée par 200 députés de la majorité dont M. Jean-François Chossy, avait coïncidé au procès dit « de Montpellier » où une mère avait été condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour le meurtre de sa fille de 23 ans, autiste. Soulignant que le retentissement de ce procès n'avait pas été sans influence sur les débats, il a remarqué que ce texte avait été adopté à l'unanimité.

M. Jacques Machet, rapporteur, a, ensuite, fait part de ses interrogations sur la nécessité, ou non, de légiférer, du fait de la difficulté d'intervenir sous le coup de l'émotion, de la très récente intervention de la circulaire du 27 avril 1995 relative au syndrome autistique et de l'absence d'une réflexion sur l'articulation entre les ordonnances et les dispositions relatives à l'autisme. Il a, toutefois, proposé d'examiner ce texte, sous réserve des amendements qu'il proposerait, compte tenu de l'espoir soulevé auprès des familles d'enfants autistes qui, selon lui, ne comprendraient pas un refus.

Avant de faire part de son analyse du texte à la commission, M. Jacques Machet, rapporteur, a souhaité exposer la situation de l'autisme en France. Il a remarqué qu'il était inexact de déclarer que très peu était fait pour la prise en charge de l'autisme, rappelant qu'une fédération de handicapés comme l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapés mentales (UNAPEI) accueillait, dans ses établissements, 15 à 20 % d'autistes. De plus, il a souhaité rendre hommage à l'action de Mme Simone Veil, alors ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville, qui avait diligenté trois rapports, respectivement, auprès de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) et de la Direction de l'action sociale du ministère concerné, afin de dresser un état des lieux destiné à servir de fondement à un texte réglementaire, en l'occurrence la circulaire du 27 avril 1995.

M. Jacques Machet, rapporteur, a, cependant, noté combien cette affection restait mal connue. Après avoir rappelé que c'était le psychiatre Léo Kanner qui, en 1943, en avait donné une première description, il a, conformément à la définition de l'ANDEM, qualifié l'autisme de « trouble global et précoce du développement apparaissant avant l'âge de trois ans », et souhaité faire, à son sujet, deux types de remarques. Tout d'abord, il a mentionné qu'il n'existait pas une seule forme d'autisme, mais des autismes, que cette affection pouvait évoluer avec l'âge et que la gravité de son atteinte était variable. Ensuite, il a souligné les inconvénients de la spécificité de la classification française, qui diffère de celle choisie par les États-Unis et par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

M. Jacques Machet, rapporteur, a, ensuite, rappelé que les causes de l'autisme, plus de cinquante ans après sa définition, n'étaient pas encore clairement déterminées, deux thèses sur le sujet coexistant : la théorie organique et celle des causes psychogénétiques. Il a tenu à remarquer qu'il n'appartenait pas à la représentation parlementaire de trancher le débat entre maladie mentale et handicap. Concernant les traitements, il a rappelé leur multiplicité et l'insuffisance de leur évaluation. De même, il a déploré les carences statistiques s'agissant de la population touchée par l'autisme, dans la mesure où son approximation se fonde sur les extrapolations de l'ANDEM à partir d'enquêtes parfois anciennes ou sur deux études datant l'une de 1988, et l'autre de 1991. Il a rappelé que, selon l'ANDEM, le taux de prévalence serait de 4 à 5,6 pour 10.000 s'agissant des moins de vingt ans. Compte tenu de ces chiffres, il a estimé la population autiste de moins de 20 ans de 6.200 à 8.000 personnes, et le nombre des moins de 55 ans, à un chiffre compris entre 17.400 et 23.700.

M. Jacques Machet, rapporteur, a considéré que la prise en charge de cette population s'avérait tout à fait insuffisante dans la mesure où le nombre total de places affectées aux autistes de moins de 20 ans avoisinait les 4.200, réparties entre 2.000 pour les établissements psychiatriques et 2.200 pour le secteur médico-social. Il a rappelé que, pour 10 à 15.000 personnes autistes adultes atteintes, il n'y en avait que 2.648 à être accueillies dans les établissements médico-sociaux et environ 3.000 en psychiatrie générale dont 1.600 hospitalisées à temps complet.

Face à une telle insatisfaction des besoins, M. Jacques Machet, rapporteur, a estimé que la circulaire du 27 avril 1995 relative au syndrome autistique constituait un progrès indéniable, notamment en ce qu'elle demandait aux préfets de région d'élaborer un plan d'action pour cinq ans, dans chaque région, afin de mieux répondre à l'attente des populations atteintes et à leurs familles. Il a rappelé que, pour sa mise en oeuvre, cette circulaire bénéficiait, pour 1995 et 1996, d'une enveloppe de crédits de 100 millions de francs financés par l'assurance maladie et destinés à la création de places en établissements. Il a dressé un premier bilan de l'application de cette circulaire en précisant que 45 projets avaient été sélectionnés, correspondant à la création de 623 places nouvelles, que 23 % des crédits prévus avaient été attribués à la région Ile-de-France afin de construire 145 places, puisque celle-ci s'avérait particulièrement sous-équipée. Constatant que les crédits correspondant aux projets avaient été notifiés et devaient faire l'objet d'une consommation progressive au cours de l'exercice 1996, il s'est demandé si l'enveloppe prévue serait suffisante, compte tenu des besoins et quels seraient les montants attribués en 1997 pour respecter les plans, eu égard aux contraintes budgétaires. Il a noté que seuls une dizaine de plans quinquennaux étaient parvenus aux services compétents alors que l'ensemble aurait dû être arrêté à la fin du premier trimestre 1996.

M. Jacques Machet, rapporteur, a ensuite brièvement exposé le contenu des deux propositions de loi examinées par le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, soit respectivement, celle de M. Jean-François Chossy, tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme et qui modifie la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, et celle de M. Laurent Fabius, tendant à améliorer la prise en charge de l'autisme et qui reprend en partie le contenu de la circulaire du 27 avril 1995, précitée. Après avoir explicité les raisons pour lesquelles la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale n'avait pas retenu la proposition de loi de M. Laurent Fabius, et les problèmes que soulevait le contenu de la proposition de loi de M. Jean-François Chossy, il a noté qu'une partie de ces derniers avaient été résolus par la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale mais que cette dernière en suscitait d'autres, comme l'institution d'une priorité en faveur des autistes et la mention, dans la loi, d'un plan d'action régional, ce qui tendrait à faire croire que certains handicaps étaient plus dignes d'intérêt que d'autres et encouragerait, à son sens, les autres catégories d'handicapés à demander un plan particulier en leur faveur. Il a déploré, à cet égard, une remise en cause de la politique globale du handicap telle que mise en oeuvre en France depuis la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des handicapés. De plus, il a souligné le fait qu'aucune articulation n'était prévue entre ce plan, dont on ne connaissait pas les modalités d'établissement ou de révision, et le schéma départemental mentionné à l'article premier de la proposition de loi.

Compte tenu de ces remarques, M. Jacques Machet, rapporteur, a exposé son analyse et ses propositions. Souhaitant avoir oeuvré avec réalisme et humanité, il a dégagé cinq principes. Il a voulu, tout d'abord, conserver les apports essentiels de la proposition de loi, comme la reconnaissance des conséquences de l'autisme comme un handicap, afin de permettre à chaque autiste de bénéficier des prestations ouvertes aux handicapés, et le caractère pluridisciplinaire de la prise en charge. Mais il a également souhaité ne pas remettre en cause la politique globale du handicap telle qu'elle a été définie et mise en oeuvre depuis vingt ans en instituant une priorité et un plan d'action régional pérenne pour une catégorie particulière de handicapés. De plus, il ne lui a pas semblé acceptable de remettre en cause l'un des principes de la décentralisation, à l'occasion d'un texte particulier, en permettant, notamment, aux départements d'obliger d'autres collectivités à collaborer, non seulement pour la prise en charge des handicapés mais aussi pour celles de toutes les populations concernées dans le cadre du schéma départemental prévu par la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. Il a souhaité également ne pas réduire le contenu de ces schémas en levant l'ambiguïté de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui semblait limiter la création d'établissements aux handicapés. Par ailleurs, s'agissant de la possibilité de collaboration qui, actuellement, concerne uniquement les collectivités, il a voulu également l'étendre aux organismes de sécurité sociale dans la mesure où l'assurance maladie, en particulier, était un partenaire important. Enfin, il a mis en lumière la nécessité de disposer, à terme, d'un outil statistique fiable et d'une évaluation des dispositifs mis en oeuvre depuis 1995 ainsi que l'opportunité de montrer aux parents d'enfants autistes que l'intérêt de la représentation nationale pour leurs problèmes était constant, sur les moyen et long termes.

Puis un large débat s'est engagé.

M. Charles Descours a souligné combien le problème était complexe et combien lui-même avait été sollicité tant par les parents d'enfants autistes que par les professionnels. Tout en comprenant le drame des parents, il s'est interrogé sur l'intérêt récent porté à l'autisme. Il a rappelé qu'il n'appartenait pas au Parlement de trancher sur la nature de l'autisme : maladie mentale ou handicap. Il a remercié M. Jacques Machet, rapporteur, pour la qualité de son rapport. Il a remarqué la marge étroite du législateur dans la mesure où ne pas légiférer serait mal perçu.

M. Roland Huguet a souhaité également féliciter M. Jacques Machet, rapporteur, de son rapport. Jugeant aussi le problème très complexe, il a pris l'exemple de sa commune où avait été créé un institut médico-pédagogique (IMP) dans lequel l'accueil d'un enfant autiste avait provoqué un débat dans la mesure où les gestionnaires de la structure considéraient que sa place n'était pas au milieu de polyhandicapés, tandis que les parents avaient un avis différent. Il a rappelé que le nombre d'enfants ou adolescents autistes placés était de 304 dans le Pas-de-Calais et de 312 dans le Nord, alors que ceux qui attendaient d'être accueillis étaient respectivement de 20 et 54, et que le nombre d'adultes placés s'élevait à 55 dans le Pas-de-Calais et à 105 dans le Nord, pour respectivement 58 et 68 en attente de places. Mais il a souligné qu'il ne s'agissait que des autistes qui avaient réclamé un accueil en établissement et que pour les autres, les statistiques, comme l'avait rappelé M. Jacques Machet, rapporteur, étaient lacunaires. Il a, ensuite, souhaité qu'un dépistage systématique puisse avoir lieu très précocement dès la naissance, tout en s'interrogeant si cela devait être effectué dans le cadre de la protection maternelle et infantile ou non. Il a attiré l'attention de la commission sur les effets bénéfiques d'une prise en charge précoce, même si les résultats disponibles souffraient d'une insuffisance de recul. Il a insisté sur le rôle de la prévention, du dépistage périnatal, la nécessité d'un suivi médical et, pour la mère, d'un suivi psychologique. Parallèlement, il a précisé qu'un rapport devait être élaboré, au niveau de sa région, sur le placement des enfants et adultes autistes en Belgique.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a remercié le rapporteur de son état des lieux. Elle a estimé que, quelles que soient les questions que posait cette affection, ses conséquences engendraient un handicap. Elle a rappelé que les autistes n'étaient pas inclus dans la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des handicapés d'où l'intérêt, pour elle, de ce texte et que la prise en charge pour les adultes ne pouvait pas être uniquement d'ordre psychiatrique. Elle s'est, enfin, interrogée sur le montant global des crédits affectés à la mise en oeuvre de la circulaire du 27 avril 1995 sur cinq ans, souhaitant savoir si la somme de 300 millions qui avait été annoncée avait fait l'objet d'une confirmation.

M. Charles Metzinger s'est déclaré en accord avec les propos de Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il a estimé que le rapport de M. Jacques Machet était non seulement prudent mais sage. Il a souligné l'intérêt d'une réponse immédiate au problème de l'autisme et a rappelé que, lors du vote de la loi du 30 juin 1975, ce problème apparaissait moins crucial que maintenant. Il a expliqué que sa seule réticence venait du fait que dans la mesure où les schémas étaient établis par les départements, ceci risquait d'engendrer des inégalités sur l'ensemble du territoire.

M. Jean Madelain s'est déclaré « mal à l'aise » et réticent à l'idée que ce texte soit présenté dans un domaine où existaient autant d'inconnues. Il s'est demandé si l'on pourrait véritablement disposer, à terme, de statistiques fiables dans la mesure où, comme le rapporteur l'avait indiqué, il n'existait pas un autisme mais des autismes. Par ailleurs, il s'est interrogé sur la pertinence de créer des établissements spécifiques pour les personnes atteintes de cette affection.

Mme Joëlle Dusseau s'est déclarée très sensible à la culpabilisation des mères opérée par les tenants de la thèse psychanalytique, alors même que, selon elle, ceux-ci ont échoué dans leur tentative de la compréhension de l'autisme. Elle s'est prononcée en faveur de la reconnaissance de l'autisme comme handicap. S'agissant de la politique à mener dans ce domaine, elle a souhaité adopter une position prudente d'expérimentation. Enfin, elle a estimé que l'article 2, tel que le rédigeait le rapporteur, voyait sa force considérablement réduite du fait de la mention visant à tenir compte des moyens disponibles.

Mme Michelle Demessine a précisé que sa prise de parole était empreinte de beaucoup d'humilité. Elle a estimé que ce problème avait mûri à partir de l'adoption du texte à l'Assemblée nationale et que le niveau de passion s'était élevé. Elle a constaté qu'il y avait parfois quelques difficultés à suivre la démarche des parents. Elle a approuvé l'approche pluridisciplinaire et a mentionné de légères avancées. Elle a souligné combien, pour les parents d'enfants autistes, cette querelle de mots entre maladie mentale et handicap apparaissait vaine. Elle s'est également interrogée sur les moyens devant être affectés à l'autisme.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a souhaité mentionner qu'il avait reçu en audition l'ancienne présidente de France-Autisme qui lui avait déclaré que cette proposition de loi pouvait apparaître nécessaire à un double titre, d'une part, pour que les commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES) ou les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ne puissent plus refuser la prise en charge d'un autiste, au motif qu'il s'agissait d'un malade mental et non d'un handicapé et, d'autre part, pour éviter un recours systématique à l'hôpital psychiatrique.

M. Bernard Seillier a estimé que M. Jean-Pierre Fourcade, président, clarifiait bien le débat, et remercié M. Jacques Machet, rapporteur, pour la qualité de son rapport. Il a conclu que le rapporteur, en ne tranchant pas sur la nature de l'autisme, proposait plusieurs clefs sans en choisir une seule.

En réponse à Mme Michelle Demessine, M. Jacques Machet, rapporteur, a déclaré que lui aussi était emprunt d'humilité, humilité d'écoute, de respect et d'amour.

En réponse à MM. Roland Huguet et Charles Descours, M. Jacques Machet, rapporteur, s'est déclaré en accord avec leurs propos relatifs à la complexité de la maladie. Il a approuvé l'idée d'un dépistage précoce et de ne pas construire de « ghettos ». Il a remercié M. Jean Madelain pour son approbation et lui a confirmé la nécessité de poursuivre les recherches dans ce domaine. Il a, ensuite, évoqué les diagnostics extrêmement précoces mentionnés lors de l'émission « la marche du siècle » du 8 mai 1996, retransmise sur France 3.

En réponse à Mme Marie-Madeleine Dieulangard, il a mentionné la difficulté d'articuler plan d'action régional et schéma départemental et l'absence de réponse définitive quant aux montants accordés pour le financement de l'ensemble des plans sur les cinq ans.

En réponse à M. Charles Metzinger sur l'inégalité des places concernant les autistes sur l'ensemble du territoire, M. Jean-Pierre Fourcade, président, a déclaré que l'on ne pouvait avoir approuvé la décentralisation et ensuite en déplorer les conséquences.

M. Jacques Machet, rapporteur, s'est déclaré en accord avec Mme Joëlle Dusseau sur les effets néfastes de la thèse psychanalytique qui avait culpabilisé les mères d'enfants autistes.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a, ensuite, conclu à la nécessité de légiférer, resituant cette question à la lumière des dispositions de la révision constitutionnelle.

À l'article premier (contenu du schéma départemental), la commission a adopté deux amendements, l'un visant à ne pas exclure du contenu du schéma départemental les populations incluses dans le secteur social et médico-social autres que les handicapés et l'autre, après intervention de M. Jean-Pierre Fourcade, président, tendant à prévoir une simple possibilité de collaboration et de coordination, dans le cadre de ce schéma, mais en étendant le champ des partenaires concernés à l'État et aux organismes de sécurité sociale.

À l'article 2 ( prise en charge des personnes atteintes du syndrome autistique), la commission, après intervention de Mmes Joëlle Dusseau, Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Pierre Fourcade, président, Jacques Machet, rapporteur, Bernard Seillier et Jean Madelain, a adopté un amendement visant à adopter une nouvelle rédaction supprimant la référence à une priorité et à un plan d'action régional en faveur des autistes et conservant la reconnaissance des conséquences de l'autisme comme un handicap et celle d'une prise en charge pluridisciplinaire.

Après l'article 2 . la commission a adopté un article additionnel visant à demander un rapport au Gouvernement, avant le 31 décembre 1999, afin d'évaluer les dispositifs mis en oeuvre depuis 1995 et le nombre des personnes atteintes du syndrome autistique.

La commission a alors adopté la proposition de loi ainsi modifiée à l'unanimité des présents.

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi, qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, le 22 février 1996, et qui est soumise à l'examen de la Haute Assemblée, traite d'un sujet particulièrement douloureux pour les familles concernées et sensible. La discussion de ce texte, qui résulte, à l'origine, d'une proposition de loi déposée le 1 er février 1995, soit un an auparavant, et signée par 200 députés de la majorité, dont M. Jean-François Chossy, a coïncidé d'une manière tout à fait fortuite au procès dit « de Montpellier » où une mère a été condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour le meurtre de sa fille de 23 ans, autiste.

Le retentissement de ce procès n'a pas été sans influence sur les débats de l'Assemblée nationale qui a adopté le présent texte à l'unanimité.

Compte tenu de ce contexte, votre commission des Affaires sociales, qui a pu oeuvrer dans un climat plus serein, a souhaité conjuguer humanité et réalisme, et ainsi que l'a remarqué M. Bernard Seillier, au cours de la réunion du jeudi 9 mai 1996, proposer plusieurs clefs sans en privilégier une seule.

Son attitude a été empreinte d'humanisme dans la mesure où elle a considéré qu'il fallait légiférer afin d'apporter un signal fort aux familles dont l'un des membres est atteint par le syndrome autistique, en reconnaissant que les conséquences de cette affection sont un handicap et que la prise en charge des personnes qui en sont atteintes doit être pluridisciplinaire. Elle a estimé, à cet égard, que l'espoir soulevé par cette proposition de loi ne devait pas être déçu et que l'action en faveur de cette population, encore insuffisamment prise en charge, devait être poursuivie de manière continue, pendant plusieurs années, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre de la circulaire du 27 avril 1995. Elle a souhaité que soit mise en oeuvre, à la veille du troisième millénaire, une évaluation des actions menées dans ce domaine dont le Parlement, dans le cadre de son action de contrôle, serait le destinataire, afin qu'il puisse constater que sa volonté a bien été respectée.

Mais votre commission a voulu souligner également qu'il serait inexact de prétendre que très peu a été entrepris jusqu'à présent en faveur de la prise en charge des personnes autistes, même si cela est encore insuffisant. Elle rappelle l'action d'une association comme l'UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales) qui accueille une proportion non négligeable d'autistes dans les établissements qu'elle gère. Elle tient aussi à remarquer que la représentation nationale, notamment par ses questions écrites ou orales, n'a nullement démérité. Elle désire, enfin, rendre hommage à l'action personnelle de Mme Simone Veil, alors ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville, qui, trois ans après la remise d'un rapport à M. Michel Gillibert, secrétaire d'État aux handicapés et aux grands accidentés de la vie sur le sujet, a commandé trois rapports visant à améliorer la connaissance de l'autisme et des problèmes qu'il pose et sur lesquels s'est appuyée la rédaction de la circulaire fondatrice du 27 avril 1995.

A cet égard, la commission des Affaires sociales a souhaité adopter une attitude réaliste dans la mesure où, si la souffrance des familles est un élément important, d'autres facteurs sont également à prendre en compte, comme la nécessité de ne pas privilégier un handicap par rapport à un autre, tous étant également dignes d'intérêt. Elle a été constamment guidée par le souci de ne pas faire « voler en éclat » vingt années de politique globale en faveur des handicapés, quelle que soit la source de leur handicap, et ne pas préjuger du contenu du texte futur sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, par le biais d'une loi particulière. Elle a, enfin, conclu qu'il n'appartient pas au Parlement de définir la nature d'une affection.

Le souci de conjuguer réalisme et humanité a donc guidé votre commission des Affaires sociales dans son analyse de la présente proposition de loi qu'elle a significativement amendée.

Toutefois, avant de présenter le contenu de ce texte et ses propres propositions, votre commission des Affaires sociales a souhaité, dans un premier temps, présenter la situation de l'autisme en France, qui reste une affection mal connue, touche une population dont le nombre est évalué d'une manière trop imprécise, à la prise en charge encore insuffisante, même si la mise en oeuvre de la circulaire du 27 avril 1995 constitue un progrès indéniable.

I. L'AUTISME EN FRANCE : UNE AFFECTION ENCORE MAL CONNUE, QUI TOUCHE UNE POPULATION EVALUÉE D'UNE MANIÈRE IMPRECISÉ, À LA PRISE EN CHARGE ENCORE INSUFFISANTE MÊME SI LA MISE EN OEUVRE DE LA CIRCULAIRE DU 27 AVRIL 1995 CONSTITUE UN PROGRÈS INDÉNIABLE

L'état des lieux sur l'autisme en France a été accompli récemment sous l'impulsion, il convient de le rappeler, de Mme Simone Veil, alors ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville.

En effet, après le rapport remis en 1991 à M. Michel Gillibert, secrétaire d'État aux handicapés et aux accidentés de la vie, relatif aux améliorations à apporter en matière de prise en charge de cette affection, trois rapports ont été publiés, améliorant la connaissance de la situation dans ce domaine et soulignant les insuffisances, notamment en matière d'évaluation des thérapies et d'accueil des adultes atteints. Il s'agit, chronologiquement, de celui de l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), d'octobre 1994, sur la prise en charge des enfants et adolescents autistes, de celui du service des études de l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) intitulé tout simplement « l'autisme », de novembre 1994, et, enfin, de celui de la Direction de l'action sociale du Ministère des Affaires sociales, de la santé et de la ville de janvier 1995 faisant des propositions pour l'accueil des adultes autistes.

À ces trois documents, il convient d'ajouter le récent -il date du 10 janvier 1996- avis du Conseil consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), qui avait été saisi par la présidente d'Autisme France, sur la prise en charge des personnes autistes en France 1 ( * ) .

A. UNE AFFECTION ENCORE MAL CONNUE, QUI TOUCHE UNE POPULATION EVALUEE D'UNE MANIERE IMPRECISE, À LA PRISE EN CHARGE ENCORE INSUFFISANTE...

1. Une affection encore mal connue...

Si le cas de certaines personnes atteintes a pu être mentionné dès avant le XX ème siècle, et si le terme d'autisme a déjà été utilisé, en 1911, par Bleuler et, en 1929, par Freud, ce n'est qu'en 1943 qu'une description clinique de cette affection a pu être opérée par le psychiatre allemand réfugié aux États-Unis, Léo Kanner, description qui fait encore référence aujourd'hui. Celui-ci a défini l'autisme comme une « inaptitude des enfants à établir des relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations depuis le début de la vie ». Selon lui, cette anomalie impliquait « un déficit inné à établir le contact affectif habituel avec les personnes, biologiquement prévu, exactement comme d'autres enfants viennent au monde avec des handicaps physiques ou intellectuels ». C'est donc Léo Kanner qui a, le premier, distingué l'autisme infantile précoce des arriérations mentales sévères avec lesquelles il était souvent confondu.

Il faut souligner, à cet égard, qu'il est très difficile, de l'extérieur, de comprendre ce qu'éprouve un autiste. Nous disposons, toutefois, grâce, notamment, aux apports des technologies nouvelles comme les micro-ordinateurs, de témoignages de quelques personnes autistes au quotient intellectuel assez élevé. Ainsi, selon la publication de la Fédération des malades et handicapés, « Vers la vie » (n° 68 de février 1996), même si les souvenirs de ces personnes s'avèrent parfois flous, leurs notations sont tout à fait intéressantes. Ainsi, déclarent-elles avoir eu l'impression de vivre dans un monde à part, le monde dit « normal » leur semblant incompréhensible. Leurs sensations, notamment auditives et visuelles, étaient alors tellement déformées ou amplifiées qu'elles ne parvenaient pas à les intégrer de manière pertinente dans un processus mental afin de leur donner une signification.

D'après ces témoignages, ces personnes seraient submergées par toutes sortes de sensations qu'elles ne pourraient maîtriser et filtrer, d'où une situation d'angoisse provoquant chez certaines des réactions violentes d'agressivité à l'égard des autres et d'automutilation.

La définition donnée par le rapport de l'ANDEM précité et qui conjugue les définitions élaborées par l'OMS, les États-Unis et la France, peut être rappelée en substance 2 ( * ) : « Le syndrome d'autisme infantile est un trouble global et précoce du développement, apparaissant avant l'âge de trois ans, caractérisé par un fonctionnement déviant et/ou retardé dans chacun des domaines suivants : interactions sociales, communication verbale et non verbale, comportement. Les interactions sociales sont perturbées en quantité et en qualité. Il existe un retrait social (retrait autistique), caractéristique du syndrome (...). La communication verbale et non verbale est perturbée en quantité et en qualité (...). Les comportements sont restreints, répétitifs, ritualisés, stéréotypés (...). En plus, les autistes présentent souvent des peurs, troubles du sommeil ou de l'alimentation, des crises de colère et des comportements agressifs ».

À cet égard, votre commission souhaite faire deux remarques complémentaires. Tout d'abord, il n'existe pas une seule forme d'autisme mais des autismes ; ensuite, la classification française insère l'autisme dans les psychoses infantiles, ce que ne font pas les classifications internationales et américaines, ce qui n'est pas sans inconvénients sur le plan de la recherche.

En effet, à côté de l'autisme infantile décrit par Kanner, existent des formes moins typiques. Le syndrome est alors marqué par des troubles du développement débutant après trois ans ou dont le tableau clinique est incomplet. Aussi, l'ANDEM distingue-t-elle trois catégories, l'autisme typique, l'autisme « atypique » et les psychoses infantiles. De plus, les troubles inhérents au syndrome autistique évoluent avec l'âge et, vraisemblablement, avec les événements propres de la vie de chaque enfant atteint. Enfin, la gravité de l'atteinte de ce syndrome est très variable. Le cas limite du film « Rain man » où Dustin Hoffman interprète le rôle du héros éponyme qui possède des dons et, notamment, une mémoire exceptionnelle est très rare pour une affection heureusement déjà peu fréquente.

Par ailleurs, ainsi que le note l'avis du 10 janvier 1996 précité du CCNE, « contrairement à la classification américaine et à celle de l'OMS qui n'utilisent plus le terme de psychose, celle utilisée par la France situe l'autisme dans la catégorie des psychoses infantiles et les critères retenus sont plus étroits. Selon nombre de chercheurs, les concepts que l'on trouve dans les classifications américaines et de l'OMS font défaut à la classification française. Le rapport précité de l'IGAS estime également que la définition retenue par la France apparaît trop restrictive, si l'on prend en compte les progrès réalisés dans la connaissance des facteurs de risque associés à l'autisme et qui sont effectivement analysés dans la classification américaine. L'IGAS met en exergue deux types d'inconvénients inhérents à cet état de choses : pour le suivi de l'enfant, tout d'abord, dans la mesure où les critères retenus par les anglo-saxons ont le mérite de permettre une approche plus précise de l'état de celui-ci, ce qui facilite le choix d'une prise en charge adaptée et permet, ensuite, de mieux évaluer les progrès obtenus dans le cadre de celle-ci ; ensuite, pour les psychiatres français, dans la mesure où ces derniers éprouvent quelques difficultés à présenter, sur le plan international, des résultats qui ne peuvent être comparés à l'aune communément admise.

Aujourd'hui encore, plus de 50 ans après la définition donnée par Kanner, l'origine de l'autisme n'est pas véritablement déterminée. On considère l'autisme comme un trouble du développement du système nerveux central dont les causes s'avèrent multiples. Deux thèses coexistent globalement en France sur l'origine de l'autisme, celle des causes psychogénétiques, et la théorie organique.

S'agissant de l'hypothèse psychogénétique, il convient de préciser que son expression la plus ancienne, puisqu'elle date des années 50, la théorie psychanalytique, qui attribue à une « dysharmonie » entre la mère et l'enfant la cause de l'autisme, et qui a été fortement médiatisée à la suite des travaux de Bruno Bettelheim 3 ( * ) n'est pratiquement plus invoquée par les psychiatres. Non étayée par des évaluations rigoureuses, cette théorie a culpabilisé nombre de familles et notamment les mères. Ont été avancés également des facteurs psychogénétiques, environnementaux comme la dépression de la mère. Toutefois, les études qui ont été entreprises depuis 1970, en particulier anglo-saxonnes, n'ont pu conclure à l'établissement d'un tel lien.

Bien au contraire, une atteinte particulière du syndrome autistique n'a pas été constatée chez les enfants dont les mères souffraient de dépressions sévères. On n'a pas remarqué non plus une représentation particulièrement forte, dans les populations autistes, des enfants élevés en institution -qui peuvent présenter des pathologies différentes comme l'hospitalisme- et des enfants battus ou en situation de carence affective.

La thèse organique de l'autisme comporte de multiples aspects. Si l'influence des facteurs infectieux n'est pas démontrée, dans la mesure où les symptômes ressemblant à l'autisme dans des cas de rubéole s'atténuent au fil du temps, contrairement à ce qui existe pour l'autisme typique, en revanche, même si l'interprétation en est malaisée, on a pu constater que les personnes atteintes de cette dernière affection connaissent deux fois plus de problèmes que la moyenne pendant les périodes pré et périnatale.

Des études génétiques ont, par ailleurs, mis en évidence un risque de récurrence de 3 % dans la fratrie quand un enfant est atteint, soit un taux 60 % plus élevé que la moyenne. De plus, il existe une incidence élevée chez les apparentés au premier degré d'anomalies du développement du langage ou des relations sociales proches de celles observées dans l'autisme, mais de faible intensité. Parallèlement, l'étude de nombre de jumeaux, montre que la probabilité pour que les deux soient autistes est plus fréquente chez les homozygotes (vrais jumeaux) que chez les hétérozygotes (faux jumeaux). D'autres éléments sont à noter comme le fait que la population autiste comprend trois fois plus de garçons que de filles, que 10 % des autistes sont également victimes d'une maladie génétique comme « l'x fragile », la sclérose tubéreuse de Bourneville ou la phénylcétonurie.

Sur le plan neurobiologique, certaines études -réalisées chez des populations âgées entre 2 et 12 ans- ont montré que les taux sanguins de sérotonine chez les enfants atteints d'autisme sont supérieurs à la moyenne.

Enfin, s'agissant de dysfonctionnements possibles du cerveau, les travaux en imagerie médicale n'ont pu, jusqu'à présent, aboutir à des conclusions certaines. Toutefois, plusieurs résultats mettraient en évidence un retard de la maturation métabolique des lobes frontaux chez les enfants autistes. Ils pourraient également suggérer « qu'il y aurait dans l'autisme une période critique du développement de l'enfant, une dysfonction du traitement de l'information qui affecterait le processus central de la pensée permettant d'assurer une cohérence à l'interprétation d'informations disparates 4 ( * ) ».

Il est bien évident que la nature de la prise en charge et celle du traitement ne sont pas sans liens avec l'origine attribuée au syndrome autistique.

S'agissant des traitements, ils sont multiples, et insuffisamment évalués, ce qui ne peut surprendre pour une affection aussi mal connue. Ils peuvent être pharmacologiques, psychologiques, de nature comportementale ou psychanalytique, éducatifs (programme dit TEACCH, soit treatment and education of autistic and related communication handicapped children), rééducatifs (concernant le langage ou la psychomotricité) de niveau institutionnel, ou autre.

L'hypothèse de dysfonctionnements cérébraux dans le cadre de l'autisme infantile a tout à fait naturellement, stimulé les recherches en pharmacologie mais, selon l'analyse de l'ANDEM, aucun médicament ne peut prétendre à une efficacité certaine et généralisable.

S'agissant de psychothérapies d'inspiration psychanalytique, quelles que soient leurs modalités, l'ANDEM regrette, à juste titre, l'absence d'une méthodologie évaluative et l'insuffisance de l'étude des effets du traitement psychanalytique lui-même.

Le traitement comportemental vise, lui, à réduire des comportements indésirables (balancement, automutilation) et à en promouvoir d'autres (apprentissage de compétences élémentaires comme s'asseoir ou plus complexes comme soutenir une conversation). Une évaluation des comportements est généralement réalisée pour chaque enfant et, à la fin du traitement, les effets du traitement sont mesurés. Toutefois, une fois encore, l'évaluation de ces méthodes semble insuffisante et on peut regretter, avec l'ANDEM, que le suivi de l'enfant soit interrompu. Cette dernière souligne d'ailleurs, d'une manière générale, la carence de l'évaluation des traitements psychologiques d'inspiration psychanalytique et, à un moindre degré, des traitements comportementaux.

S'agissant des méthodes éducatives spécifiques, il apparaît impossible de passer sous silence le programme TEACCH qui, conçu par Schopfler, a été développé en Caroline du Nord depuis 1964. Il est financé par l'État concerné depuis 1972 et a essaimé dans d'autres États des États-Unis, comme la Virginie, la Floride, la Géorgie et l'Illinois.

Selon cette méthode, qui fait l'objet d'un rapport annuel, l'autisme est considéré comme une déficience organique des fonctions cognitives. L'accent est mis sur l'incompétence sociale comme caractéristique du handicap. À la différence des psychiatres qui attendent que le désir de l'enfant se manifeste, les tenants de cette méthode construisent, dès le départ, un projet éducatif individualisé. Cela permet de fixer des objectifs initiaux qui peuvent être régulièrement réévalués par l'équipe pour réajuster la prise en charge de l'enfant. Les outils qui sont utilisés font, en grande partie, appel à la visualisation. Parallèlement, ce programme insiste sur la collaboration entre professionnels et parents, d'où une grande faveur auprès de ceux-ci et sur la nécessité de structurer le temps et l'espace de l'enfant. Le programme assure également la formation des professionnels. L'enfant est aidé dans tous les domaines de sa vie quotidienne, ville, maison et école où des classes dites TEACCH de 5 à 8 enfants avec un enseignant et un assistant sont intégrées dans les écoles locales « ordinaires » près du domicile des familles concernées.

La mise en oeuvre de ce programme est accompagnée d'une évaluation. Toutefois, ainsi que le précise le CCNE dans son avis, il n'existe pas d'études comparant les résultats obtenus par cette méthode avec d'autres ayant le même but.

En France, les expériences ayant recours à la méthode TEACCH sont encore trop peu nombreuses pour qu'on puise les évaluer. Pourtant, son extension est fortement souhaitée par nombre de parents 5 ( * ) qui souhaitent être associés à la prise en charge de leur enfant, ce qui est tout à fait compréhensible. La formation des professionnels peut être assurée, pour la mise en oeuvre de cette méthode, dans le cadre d'un programme européen intitulé « Educautisme ». Il faut, cependant, noter que ce programme compte également des détracteurs du côté des tenants de la thèse psychanalytique qui le considèrent comme comportementaliste, c'est-à-dire visant à transformer les enfants en automates, sans que soient pris en compte leurs désirs.

A côté du programme TEACCH, assez connu désormais, existent des méthodes de rééducation du langage, que l'enfant soit ou non privé de la parole, et de la psychomotricité. Toutefois, dans la mesure où elles ne portent que sur une fonction à la fois, ces méthodes ne sont pas employées seules dans la prise en charge des enfants autistes.

L'approche institutionnelle sera mentionnée dans le cadre de l'étude de la prise en charge et de ses insuffisances.

Parmi les autres méthodes, il convient de mentionner la communication facilitée, découverte en 1970 par Rosemary Crossley et expérimentée, actuellement, en Australie, aux USA, au Canada, en Angleterre, en Allemagne, en Inde et en Israël. Celle-ci soulève un très grand espoir dans la mesure où elle pourrait permettre aux autistes de communiquer par écrit par l'intermédiaire d'images, de lettres de l'alphabet, de machines à écrire ou d'ordinateurs ; toutefois, sa validité n'a pas encore été véritablement attestée.

Quant à l'enseignement assisté par ordinateur, utilisé depuis le début des années 1980, il a été fort décrié dans la mesure où, selon certains, il pouvait favoriser le renforcement des troubles autistiques. Mais une véritable évaluation sérieusement effectuée dans ce domaine fait encore défaut.

De ce panorama sur les différents traitements de l'autisme, un constat s'impose, souligné par l'ANDEM dans son rapport de novembre 1994 : les lacunes de l'évaluation. Votre commission ne peut donc qu'adhérer au souhait de l'ANDEM qui précise, page 59 du rapport précité : « Des efforts dans l'évaluation à court, moyen et long terme des résultats des différentes thérapeutiques et méthodes éducatives, rééducatives et comportementales, doivent être inscrites au rang des priorités des équipes soignantes, ainsi que de toutes les personnes s'occupant d'enfants et adolescents autistes... Cette évaluation, pour être aussi objective et reproductible que possible, nécessitera une meilleure définition et/ou harmonisation des critères diagnostiques et des outils d'évaluation clinique et thérapeutique entre les différentes équipes soignantes, ainsi qu'une meilleure diffusion de l'information auprès des familles et de tous les professionnels de la petite enfance. Cet effort d'harmonisation devrait permettre de dépasser quelques clivages idéologiques persistants qui alimentent encore la confusion et le doute de certains parents et professionnels. ».

Selon votre commission, il est, toutefois, regrettable d'en être encore à ce stade.

2. ...qui touche une population évaluée d'une manière imprécise

Compte tenu des difficultés de définition de l'autisme, et de l'insuffisance de données statistiques en matière de handicap en général, le flou de l'évaluation du nombre des personnes, mineures ou adultes, touchées par cette affection ne peut guère surprendre, même s'il doit être déploré.

L'évaluation, reprise tant par l'ANDEM, la Direction de l'action sociale du ministère compétent que par le CCNE, repose sur une extrapolation des résultats de l'ensemble des publications indiquant les taux de prévalence dans nombre de pays industrialisés, bien que, parmi l'ensemble des études analysées, seules quatre soient relatives à notre pays, ainsi que le note l'ANDEM (p. 15 du rapport) et que certaines soient relativement anciennes. Une telle lacune en matière statistique n'apparaît pas acceptable à votre commission qui souhaite qu'une évaluation véritablement rigoureuse de la population touchée soit menée en même temps qu'un bilan des dispositifs mis en oeuvre depuis 1995.

Quoi qu'il en soit, selon l'ANDEM, si l'on tient compte de l'ensemble des formes cliniques du syndrome autistique, le taux de prévalence serait compris entre 4 et 5,6 pour 10.000, s'agissant des populations âgées de 0 à 19 ans. Mais, deux études, l'une de 1988, l'autre de 1991, estiment ce taux à 10 pour 10.000.

Si ce taux de prévalence est appliqué à la population française dans la classe d'âge comprenant les 0 à 20 ans -soit 15,4 millions de personnes en 1993 selon l'INSEE-, cela donne de 6.200 à 8.000 enfants ou adolescents souffrant de troubles autistiques. Si le taux de 10 pour 10.000, retenu par les deux études précitées de 1988 et 1991, était appliqué, cela donnerait, bien évidemment, un nombre de 15.400 enfants ou adolescents.

Si l'on suppose que les personnes atteintes ont la même espérance de vie que celles qui ne le sont pas, et si l'on considère les personnes dont l'âge est compris entre 0 et 55 ans 6 ( * ) , le nombre de celles qui sont autistes avoisine les 43.400 pour un taux de prévalence de 10 pour 10.000 et est compris entre 17.400 et 23.700 pour un taux de 4 à 5,6 pour 10.000.

3. ...à la prise en charge encore insuffisante

Votre commission, comme l'opinion publique, n'a pu qu'être sensible au drame que vivent ces parents d'enfants autistes qui ne trouvent pas de structures pour accueillir ceux-ci dans leur région, et qui n'ont d'autre choix que de les envoyer à plusieurs centaines de kilomètres de leur domicile avec les difficultés de visite que cela entraîne, ou même en Belgique, ou de les garder chez eux avec les conséquences pour l'équilibre de la famille que cela implique. De plus, s'il est déjà difficile de trouver une place pour un enfant autiste, -et à cet égard, on ne peut que rappeler que les autistes subissent également les effets pervers de l'amendement Creton-, la situation pour les adultes puis les adultes vieillissants est encore plus préoccupante. Les parents n'ont alors souvent d'autre ressource que de garder leur enfant autiste à la maison.

Or, comme on l'a vu, l'autisme peut être caractérisé par des accès d'agressivité contre autrui ou des moments d'automutilation. Si des parents jeunes peuvent tenter de maîtriser un mineur dans ce type d'accès, ils ne le peuvent plus quand ils vieillissent et que leur enfant est un adulte en pleine force de l'âge. Et la seule perspective de l'hôpital psychiatrique, non pas comme une structure de soins, mais comme un placement permanent, n'est pas acceptable pour la plupart des parents, qui y voient souvent régresser très rapidement leurs enfants, et perdre des connaissances très difficilement acquises ; le cas de Jeanne-Marie Préfaut 7 ( * ) est là pour nous le rappeler. Par ailleurs, la répartition des places sur l'ensemble du territoire est loin d'être homogène. Une région comme l'Ile-de-France reste, à cet égard, insuffisamment pourvue.

Par ailleurs, les CDES n'orientent pas toujours les enfants autistes de manière pertinente et leur refusent parfois la qualification d'handicapé, qui permet l'accès aux prestations qui sont octroyées à ce type de population.

La prise en charge des personnes atteintes du syndrome autistique est variable selon l'âge des individus. Le rapport de l'ANDEM distingue trois classes d'âge, selon les modalités de cette prise en charge.

S'agissant des très jeunes enfants de 0 à 3 ans, puisque l'autisme « pur » type Kanner apparaît avant trois ans, se pose, tout d'abord, le problème du dépistage. Votre commission se doit, à cette occasion, de rappeler la nécessité de former les professionnels de la petite enfance dans la mesure où plus le diagnostic est précoce, plus le traitement peut être entrepris rapidement.

Les lieux de prise en charge des enfants sont les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), les centres médico-psychologiques (CMP) ou les services de pédopsychiatrie. Parallèlement, des interventions à domicile peuvent être proposées aux familles. Ces interventions peuvent être soit d'inspiration psychanalytique, soit de nature éducative et comportementale, soit mixtes.

À partir de 3 ans et jusqu'à 12 ans, les enfants autistes sont pris en charge, soit dans le cadre de la psychiatrie infanto-juvénile, soit dans le secteur médico-éducatif.

Certes, et c'est heureux, l'hospitalisation à temps plein est de moins en moins fréquente tandis que la prise en charge à temps partiel s'est développée grâce à l'hospitalisation de jour, aux séances de centres médico-psychologiques et au centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). Dans ces différents cadres, un travail avec les parents est également proposé, soit de façon informelle, soit de façon plus dirigée, notamment avec des entretiens familiaux. De plus, les enfants étant souvent suivis par ailleurs, est assuré un travail de coordination avec les autres personnes qui s'occupent d'eux.

Il faut noter également le développement, depuis les années 80, des classes thérapeutiques intégrées dans les écoles maternelles ou primaires et qui travaillent en lien avec les personnels hospitaliers. De même, même si c'est encore insuffisant, on peut mentionner l'existence d'une vingtaine de classes fonctionnant selon la méthode TEACCH en France, selon diverses modalités -écoles « ordinaires » publiques ou privées, ou au sein d'instituts médico-éducatifs (IME).

Après l'âge de douze ans, comme votre commission l'indiquait précédemment, la prise en charge spécifique de l'autisme est beaucoup plus rare. Ainsi, les adolescents peuvent demander à se faire admettre en IME mais les prises en charge n'y sont pas véritablement pluridisciplinaires. En effet, et c'est normalement leur rôle, les IME proposent surtout des activités éducatives et préprofessionnelles et moins de phases psychothérapiques. Toutefois, il existe quelques structures où le passage en IME est associé à un suivi psychologique par les équipes de psychiatrie infanto-juvénile. Après le passage en IME, certains, peu nombreux, IMPRO (instituts médico-professionnels) accueillent des autistes. La formule de l'hôpital de jour et celle du CATTP existent également pour adolescents. Certains jeunes sont également suivis en médecine libérale.

Enfin, les adultes et autistes vieillissants doivent chercher à s'intégrer, selon le cas, ou malheureusement la place disponible, dans le cadre du secteur social et médico-social, c'est-à-dire dans les foyers, lieux de vie, CAT, ateliers protégés ou maisons d'accueil spécialisées. En effet, comme votre rapporteur le remarque chaque année dans le cadre de son avis budgétaire, le nombre de places y est insuffisant et l'amendement Creton n'a pas terminé de faire sentir ses effets pervers.

Quant à l'hospitalisation « au long cours » en hôpital psychiatrique, elle ne peut être présentée comme une véritable solution. De plus, ainsi que le remarque l'ANDEM, se pose le cas, particulièrement douloureux, des autistes admis en hôpital psychiatrique dès la petite enfance et qui demeurent dans ce cadre pendant toute leur vie, faute de solution alternative. Ceci semble tout à fait inacceptable à votre commission. De même, existe le problème des autistes vieillissants, qui ne peuvent être accueillis en MAS et qui n'ont plus de famille : là encore, l'hôpital psychiatrique semble le dernier recours alors qu'il ne constitue pas une réponse adaptée.

Si l'on considère le nombre total des places affectées aux autistes de moins de 20 ans, on l'évalue à environ 4.200, réparties entre 2.000 places dans les institutions psychiatriques et 2.200 places en médico-social. Or, selon les taux de prévalence cités précédemment, il y aurait entre 6.200 et 15.400 enfants et adolescents autistes. C'est peu dire donc que de constater que les besoins sont loin d'être satisfaits.

Si l'on s'attache uniquement au secteur médico-social, on constate que, si l'on se fie à la dernière enquête dans ce domaine qui date de 1991, il y aurait dans les établissements d'éducation spéciale 1.989 enfants autistes dont 802 enfants de plus de 16 ans et 206 maintenus au-delà de l'âge de 20 ans. Quant aux enfants ou adolescents pris en charge en services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), ils étaient 71 autistes dont 3 de plus de 16 ans.

Par ailleurs, 1.663 adultes autistes étaient accueillis dans des établissements médico-sociaux. Les établissements de travail protégé ou de réinsertion professionnelle comptaient 894 adultes autistes et des structures expérimentales suivaient 91 personnes.

2.170 adultes autistes étaient pris en charge uniquement dans un établissement médico-social en 1991 et 59,1 % d'entre eux étaient sévèrement atteints puisqu'ils avaient une activité occupationnelle ou étaient dans l'incapacité totale d'exercer toute activité. Enfin, 478 adultes faisaient l'objet d'une double prise en charge. Au total, dans les établissements médico-sociaux, il y avait 2.648 adultes autistes.

Répartition des adultes autistes par structures d'accueil

CAT

886

Atelier protégé

4

Centre de rééducation et de réinsertion professionnelle

4

Foyer d'hébergement

474

Foyer occupationnel

738

MAS

451

Établissement expérimental

91

TOTAL

2.648

Sur le plan sanitaire, l'enquête de référence que cite la Direction de l'Action sociale, dans son rapport de janvier 1995, est encore plus ancienne que celle relative au secteur médico-social, puisqu'elle date de 1988. Les modes de prise en charge des enfants et adolescents autistes, dans les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, se répartissent de la manière suivante :

Ambulatoire

Hospitalisation partielle

Hospitalisation plein temps

Autisme type Kanner

146

339

162

Autres formes de l'autisme

371

625

228

Total

517

964

390

S'agissant des adultes, les données sont encore plus incertaines. Selon une enquête de la Direction générale de la santé effectuée en 1993 sur la moitié des secteurs de psychiatrie générale, on aurait dénombré 1042 autistes et 491 personnes atteintes de psychoses déficitaires. L'estimation sur l'ensemble du secteur est donc d'à peu près 3.000 personnes. Environ 1.600 des personnes mentionnées étaient hospitalisées à temps complet, ce qui ne semble pas, vu l'importance du nombre, correspondre aux besoins réels de l'ensemble de celles-ci. Ainsi que le note explicitement le rapport de la Direction de l'Action sociale de janvier 1995 dont sont extraits ces chiffres, « il faut reconnaître que les enquêtes disponibles sont parcellaires, les chiffres probablement sous-évalués et qu'elles dénotent une balkanisation des prises en charge et, qu'en tout état de cause, il existe un écart important entre les personnes actuellement prises en charge en institutions pour adultes et la prévalence de l'autisme à l'âge adulte ».

La prise en charge de l'autisme s'avérait donc tout à fait insatisfaisante lorsqu'est intervenue la circulaire du 27 avril 1995 relative au syndrome autistique qui s'est appuyée sur les différents rapports commandés par le ministre alors en charge du dossier, Mme Simone Veil.

* 1 Au cours des auditions auxquelles il a procédé, votre rapporteur a pu constater combien cet avis avait été mal ressenti par la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent qui s'est interrogée sur la compétence du CCNE sur ce point.

* 2 Pour la définition complète, votre commission des Affaires sociales vous prie de vous reporter à l'annexe n° 1.

* 3 Cf. « La forteresse vide ».

* 4 Cf. : U. Frith, L'énigme de l'autisme, 1992, cité par l'avis du CCNE.

* 5 Dans nombre de questions écrites, certains parlementaires se sont fait l'écho de ces souhaits.

* 6 En 1993, le nombre de Français, âgés de 20 à 55 ans, était de 28 millions, selon l'INSEE.

* 7 C'est le nom de la mère qui a tué sa fille autiste et dont le procès à Montpellier en février 1996 a eu un grand retentissement.

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