II. LES PROPOSITIONS DE LOI INITIALES, LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET L'ANALYSE DE VOTRE COMMISSION

A. LES PROPOSITIONS DE LOI INITIALES ET LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. Les propositions de loi initiales

Cette proposition de loi a pu être discutée à l'Assemblée nationale grâce aux dispositions nouvelles concernant l'ordre du jour réservé aux membres du Parlement. Votre commission ne peut donc que se féliciter de cette occurrence.

Toutefois, il convient de rappeler que le rapport de M. Christian Kert, rapporteur à l'Assemblée nationale, portait sur deux propositions de loi, celle (n°1924) de M. Jean-François Chossy tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme et celle (n°2102) de M. Laurent Fabius tendant à améliorer la prise en charge de l'autisme.

Cependant, la proposition de loi n°2102, qui proposait d'intervenir dans le code de la santé publique, en y instituant un plan régional d'action en faveur des personnes atteintes du syndrome autistique, arrêté par le préfet de région après avis du CROSS (Comité régional de l'organisation sanitaire et sociale), en prévoyant des expérimentations dans ce domaine à titre transitoire, et un Comité national, semble-t-il pérenne, présidé par le ministre chargé de la santé et comprenant des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales et des associations de parents d'enfants autistes, chargé d'évaluer lesdites expérimentations, présentait « indubitablement », selon la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, « des problèmes de recevabilité tant financière que législative ». En effet, il apparaissait, mais cette proposition de loi n'était certes pas la seule à encourir ce type de reproche, qu'elle tendait à légaliser des dispositions contenues dans un acte réglementaire et donc aurait pu se voir opposer, par le Gouvernement, l'article 41 de la Constitution. Un autre reproche, également fondé, à cette proposition de loi, était qu'elle aboutissait à codifier des dispositions transitoires, ce qui n'apparaissait pas opportun. À ceux-ci, on pouvait également ajouter qu'il n'était guère logique de codifier un organe créé juste pour évaluer le résultat de dispositions expérimentales, destinées à précéder l'élaboration des plans régionaux.

Par ailleurs, s'agissant du gage, la commission compétente de l'Assemblée nationale a jugé « qu'une jurisprudence constante et suivie du bureau de la commission des Finances de cette Assemblée comme du Conseil constitutionnel tendait à écarter, au titre de l'article 40 de la Constitution, toute disposition inscrite dans une proposition de loi ou un amendement tendant à créer un organisme réellement coûteux ». S'appuyant sur cette jurisprudence, la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales s'est interrogée sur les conséquences financières de l'instauration d'un Comité national d'évaluation et des expérimentations que celui-ci serait chargé d'évaluer et a, donc, finalement choisi d'écarter cette proposition de loi.

La proposition n°1924 signée par 200 parlementaires dont M. Jean-François Chossy proposait, elle, dans un article unique, de modifier l'article 2-2 de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. En fait, elle projetait d'intervenir sur le contenu du schéma départemental introduit par la loi n°86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé. Ainsi, dans un premier paragraphe, elle faisait explicitement référence à l'autisme, mais aussi aux polyhandicaps, parmi les handicaps pris en charge par les établissements mentionnés dans le schéma départemental. Ce paragraphe justifiait donc, à lui seul, le titre de la proposition de loi.

Toutefois, il posait nombre de problèmes. Tout d'abord, il reconnaissait explicitement le syndrome autistique comme un handicap. Le Parlement se substituait ainsi à la recherche, notamment dans le domaine médical et génétique, car on ne connaît toujours pas la nature réelle de l'autisme. Il n'appartient pas, en tout état de cause, selon votre commission, au Parlement d'intervenir dans le débat sur la nature de cette affection, maladie mentale ou handicap. De plus, la notion de polyhandicap n'est pas encore précisément définie. Ensuite, la formulation adoptée n'apparaissait guère heureuse dans la mesure où l'on n'intervient pas sous forme d'établissements. Enfin, et surtout, cette rédaction, en pointant l'attention sur deux handicaps particuliers, l'autisme et le polyhandicap, risquait d'attirer de semblables demandes de la part de personnes atteintes d'un autre handicap tout aussi digne d'intérêt, comme celui dont sont victimes les traumatisés crâniens. De plus, cette rédaction aurait également eu pour conséquence de limiter considérablement le contenu des schémas départementaux dans la mesure où elle donnait l'impression que les établissements ou les services sociaux et médico-sociaux étaient uniquement dédiés aux handicapés alors qu'actuellement, les schémas départementaux concernent toutes les populations visées à l'article premier de la loi du 30 juin 1975, c'est-à-dire les mineurs ou les adultes qui requièrent une protection particulière, les jeunes travailleurs, les personnes âgées, les personnes handicapées ou inadaptées, quel que soit leur âge.

Le deuxième paragraphe de cet article unique posait, d'ailleurs, tout autant de problèmes dans la mesure où, toujours dans le cadre du schéma départemental, arrêté par le Conseil général, il visait à imposer aux collectivités concernées un véritable devoir de collaboration et de coordination de leurs actions. Ceci contrevenait aux principes de la décentralisation dans la mesure où cela établissait une hiérarchie entre les collectivités puisque, par exemple, le Conseil général aurait pu obliger les communes du département à collaborer avec lui.

Votre commission se doit, par ailleurs, de préciser que les schémas départementaux n'existent pas dans tous les départements -seuls deux tiers d'entre eux en possèdent-, qu'ils concernent partiellement ou totalement le champ social et que dix ans après la loi qui a institué ce document, 31 départementaux n'en ont encore produit aucun, selon la Cour des Comptes 10 ( * ) . Ceci s'explique par le fait que l'absence d'élaboration de ce texte n'est pas sanctionnée et que ce dernier n'est pas opposable 11 ( * ) . Ce constat limite forcément la portée de toute disposition concernant le contenu de ce schéma départemental. De plus, la combinaison de cette non généralisation des schémas avec un contenu plus encadré pour ceux-ci risque d'engendrer des effets pervers dans la mesure où certains départements pourraient préférer ne pas faire de schémas ou ne plus les réviser puisqu'ils seraient bridés dans leurs compétences. Il faut également noter, comme l'a fait l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) dans son rapport n° 95-155 de décembre 1995, consacré aux vingt ans de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, que le contenu de ces schémas est extrêmement divers, tout comme leurs ambitions, selon les départements (cf. annexe 3).

2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Tenant compte d'un certain nombre des remarques précédentes relatives à la proposition de loi de M. Jean-François Chossy, le texte adopté par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales puis par l'Assemblée nationale, se compose désormais de deux articles.

Le premier de ces articles modifie quelque peu le contenu de l'article unique de la proposition de loi initiale tant concernant le paragraphe premier que le paragraphe II.

S'agissant du paragraphe premier, outre une correction rédactionnelle, la référence au syndrome autistique et aux polyhandicaps disparaît. Les autres remarques concernant ce paragraphe restent donc valables.

Quant au paragraphe II, outre la substitution du verbe « doivent être » par « sont » dans la mesure où le présent de l'indicatif a une valeur obligatoire, il ne mentionne plus l'ensemble des besoins recensés. En effet, cette mention pourrait avoir un effet pervers par rapport à la rédaction antérieure qui était « tout ou partie », dans la mesure où elle pouvait exclure l'obligation de collaboration en cas de négociations partielles, ce qui, évidemment, n'était pas souhaitable. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, pour éviter ce problème, a donc inscrit simplement les termes de besoins recensés. Toutefois, le problème de compétence et d'autorité d'une collectivité sur une autre dans le cadre du schéma départemental n'a pas été abordé.

Enfin, pour justifier le titre de cette proposition de loi, qui porte sur l'autisme, un article additionnel a été introduit -qui pose lui aussi nombre de problèmes à votre commission- en mentionnant explicitement cette affection.

Tout d'abord, il convient de noter que la première phrase de cet article qui en comporte deux, reprend pratiquement, à l'exception d'une inversion très intéressante, la première phrase du résumé de la circulaire du 27 avril 1995, inscrite en première page de cette dernière. En effet, la première phrase de cet article dispose que « la prise en charge des populations atteintes du handicap résultant du syndrome autistique et troubles apparentés constitue une priorité éducative, pédagogique, thérapeutique et sociale » tandis que la première phrase du résumé précité est ainsi conçue : « une meilleure prise en charge des populations autistes constitue une priorité à la fois thérapeutique, pédagogique, éducative et sociale ». Quant à l'inversion, elle porte sur la place de l'adjectif thérapeutique qui en tête dans le résumé n'est plus qu'en troisième position dans la proposition de loi ce qui donne une indication sur ce qui est considéré comme fondamental dans les deux textes.

Par ailleurs, votre commission s'est interrogée sur la pertinence d'instituer une priorité en faveur d'une catégorie de personnes handicapées, si digne d'intérêt soit-elle. Si la portée juridique d'un résumé de circulaire apparaît faible, il en va tout autrement d'un article de loi, même s'il ne modifie pas un texte existant. En revanche, votre commission ne peut qu'approuver la reconnaissance comme handicap des conséquences de l'autisme, ce qui ne préjuge pas de la nature même de ce syndrome. Ceci permettra aux personnes atteintes de bénéficier des prestations destinées aux handicapés et pour les enfants et adolescents d'être reconnus par les CDES comme handicapés et orientés comme tels. En effet, certaines CDES ne considèrent pas les autistes comme des handicapés et ne leur laissent d'autre choix, pour une prise en charge, que les hôpitaux psychiatriques, ce qui ne semble pas acceptable à votre commission.

Ensuite, la seconde phrase, si elle reconnaît la nécessité d'une prise en charge pluridisciplinaire, ce qui est assurément positif, met, dans la loi, le plan d'action régional. Dans le texte adopté par la commission concernée, il s'agissait « du plan d'action régional » ; on pouvait ainsi comprendre qu'il s'agissait du plan mentionné par la circulaire du 27 avril 1995. Cependant, en séance plénière, le rapporteur du texte a fait adopter un amendement transformant le « du » en « d'un » ce qui accroît l'ambiguïté sur la nature de ce plan pour lequel l'article 2 n'apporte aucune précision.

Tout d'abord, aucune articulation n'est prévue entre ce plan et le schéma départemental prévu à l'article premier. Ensuite, il n'apparaît pas pertinent de rendre pérenne ce plan spécifique à une catégorie particulière de handicapés et de le mettre dans la loi. Ceci apparaît tout à fait dangereux pour une politique globale du handicap mise en oeuvre en France depuis l'adoption de la loi du 30 juin 1975. Chaque catégorie de handicapés se trouverait ainsi fondée à demander un plan spécifique. Par ailleurs, le plan de cinq ans prévu par la circulaire est destiné à rattraper le retard dans la prise en charge de l'autisme. Il n'a pas vocation à être pérennisé. Enfin, la seconde phrase de l'article additionnel ne précise ni par qui il est arrêté et quelles sont ses modalités de révision, ni son contenu.

L'ensemble des considérations qui précèdent ont donc guidé l'analyse de votre commission.

* 10 Rapport au Président de la République - Décembre 1995 - La décentralisation de l'aide sociale. Seuls trente départements ont publié un schéma complet.

* 11 Ainsi que l'indique la Cour des Comptes, dans le rapport précité, une circulaire en date du 6 février 1986 a introduit un doute sur l'intérêt de la mise en oeuvre de ces schémas en précisant qu `ils n `avaient qu `une valeur indicative et qu `ils ne pouvaient, en conséquence, être opposables à l'État, aux départements, aux organismes de sécurité sociale, aux gestionnaires d'établissements et services et aux usagers.

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