EXAMEN DES ARTICLES

Article premier - Critères du placement en détention provisoire

Cet article a pour objet de modifier l'article 145 du code de procédure pénale relatif aux critères autorisant le placement en détention provisoire.

Dans sa rédaction actuelle, cet article 144 distingue deux séries de critères, faisant chacun l'objet d'un paragraphe.


• Le 1° énumère des critères liés à la recherche de la vérité. Il autorise en effet la détention provisoire de la personne mise en examen lorsque cette mesure est « l'unique moyen » :

- de conserver les preuves ou les indices matériels :

- d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ;

- d'empêcher une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices.


• Le 2° de l'article 144 du code de procédure pénale énumère des critères liés à la sécurité puisqu'il autorise la détention provisoire lorsqu'elle est « nécessaire » :

- pour protéger la personne concernée ;

- pour mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;

- pour garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

- pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction.

L'article premier du présent projet de loi a pour objet de préciser les contours de ce dernier critère, qui a parfois été considéré comme imprécis et donc source d'abus. À cette fin, il propose de scinder le 2° de l'article 144 du code de procédure pénale en deux paragraphes : l'un (qui conserverait la référence 2°) reprendrait les critères autres que la préservation de l'ordre public (à savoir la nécessité de la détention provisoire pour protéger la personne mise en examen, garantir son maintien à la disposition de la justice ou mettre fin à l'infraction) ; l'autre (qui constituerait le 3° de l'article 144) serait exclusivement consacré à la préservation de l'ordre public du trouble causé par l'infraction.

Il serait cependant précisé que ce trouble doit être exceptionnel , en raison de la gravité de l'infraction, des circonstances de sa commission ou de l'importance du préjudice qu'elle a causé.

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Comme l'ensemble des dispositions du présent projet de loi, l'article premier a été dans son principe approuvé par toutes les personnes entendues par votre rapporteur.

L'exigence d'un trouble « exceptionnel » à l'ordre public imposera au juge d'instruction, s'il envisage de placer une personne en détention provisoire en se fondant sur ce seul critère, à motiver sa décision d'autant plus précisément qu'il devra se référer à la gravité de l'infraction, aux circonstances de sa commission ou au préjudice causé.

On observera par ailleurs que la détention devra être « l'unique moyen de mettre fin » au trouble à l'ordre public (et non plus « nécessaire (...) pour préserver l'ordre public »). Cette nouvelle formulation est révélatrice du souci des rédacteurs du projet de loi de considérer la détention provisoire comme l'ultime recours, souci auquel votre commission ne peut que se rallier. Elle met en outre l'accent sur le fait que le trouble à l'ordre public doit être actuel : en aucune manière un trouble potentiel à l'ordre public -même exceptionnel- ne saurait justifier à lui seul un placement en détention provisoire.

Si l'unanimité s'est faite pour considérer que le présent article premier allait dans la bonne direction, certaines personnes entendues par votre rapporteur ont suggéré de poursuivre dans cette voie en supprimant purement et simplement l'ordre public comme critère de placement en détention provisoire. Cette position a également été défendue par le Président Michel Dreyfus-Schmidt lors de l'examen du projet de loi par votre commission.

Force est en effet de constater, en dépit de l'absence de statistiques sur ce point, que la nécessité de préserver l'ordre public n'est en pratique quasiment jamais le seul motif d'un placement en détention provisoire. Il est presque toujours accompagné de la référence à un autre critère (risque de fuite, de pression sur les témoins ou les victimes...), ainsi que le fait observer l'exposé des motifs du projet de loi.

Mais cette utilisation pour le moins parcimonieuse de ce critère n'est-elle pas précisément de nature à justifier son maintien, et ce d'autant plus que dans des hypothèses certes rarissimes mais pouvant se réaliser (telles que les crimes passionnels), il se présente comme la seule justification d'un placement en détention dont le principe n'est pas contesté ?

C'est parce que la préservation de l'ordre public n'est utilisée qu'exceptionnellement comme seul critère d'incarcération et que sa suppression pourrait, à la marge, poser certaines difficultés que votre commission a retenu la solution du projet de loi, consistant à en préciser les contours plutôt qu'à la supprimer.

Elle ne vous propose cependant pas d'adopter le présent article premier sans modification.

Conformément à une suggestion de notre excellent collègue M. Maurice Ulrich, elle a estimé souhaitable, dans un souci d'expressivité, de rappeler le caractère exceptionnel de la détention provisoire au sein de l'article 144 du code de procédure pénale.

Elle vous soumet donc un amendement à cette fin et vous propose d'adopter le présent article ainsi modifié

Article 2 - Durée raisonnable de la détention provisoire

Cet article a pour objet d'insérer dans le code de procédure pénale un article 144-1 afin de poser le principe de la durée raisonnable de toute détention provisoire.

L'exposé de motifs du projet de loi fait expressément référence aux articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquels prévoient respectivement :

- le droit pour toute personne arrêtée avant jugement « d'être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure » ;

- le droit pour toute personne « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».

- C'est pour traduire ces impératifs en droit interne que l'article 2 du projet de loi propose de prévoir expressément que la détention provisoire ne pourra excéder une durée raisonnable. Il est précisé que cette durée s'appréciera au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la recherche de la vérité.

Il est par ailleurs exigé que le juge d'instruction ordonne la mise en liberté immédiate de la personne détenue dès lors que les conditions du recours à la détention provisoire ne sont plus remplies.

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La consécration au sein de notre droit interne de la notion de durée raisonnable doit bien entendu être approuvée.

Votre commission s'est cependant interrogée sur la possibilité d'aller au-delà et de fixer de manière précise des durées limites de détention. À cet égard, on rappellera que notre collègue le Président Guy Cabanel proposait dans son rapport de mission des limites variant en fonction de la peine encourue :

- six mois pour une peine encourue inférieure à cinq ans ;

- un an pour une peine encourue comprise entre cinq et dix ans ;

- deux ans pour une peine encourue supérieure ou égale à dix ans (voire, à titre exceptionnel, trois ans en matière criminelle).

Une telle solution lui est apparu éminemment souhaitable en son principe.

Il convient cependant de tenir compte du fait que la durée de l'instruction et celle de la détention ne dépendent pas de la seule diligence du magistrat instructeur lequel peut notamment se heurter à des commissions rogatoires ou à des expertises nécessitant une certaine durée et demandées par les parties elles-mêmes.

Pour tenir compte de ces considérations, votre commission vous proposera de modifier l'article 3 du projet de loi afin de poser certaines limites à la détention provisoire pour la seule matière correctionnelle.

Elle vous propose d'adopter le présent article 2 sans modification.

Article additionnel après l'article 2 - Motivation de l'ordonnance de placement en détention provisoire

Après l'article 2, votre commission vous propose un amendement tendant à insérer un article additionnel afin de modifier l'article 145 du code de procédure pénale, relatif à la procédure de placement en détention provisoire.

Comme l'a fait observer M. le Président Michel Dreyfus-Schmidt, la jurisprudence n'exige pas que l'ordonnance de placement en détention provisoire indique en quoi le contrôle judiciaire serait insuffisant. C'est ce qu'a notamment précisé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 24 novembre 1976 :

« Attendu qu `aucune disposition de la loi n'exige que, lorsque la détention provisoire est ordonnée ou maintenue, le juge constate auparavant en termes exprès l'insuffisance dans le cas qui lui est soumis des obligations du contrôle judiciaire au regard des fonctions définies à l'article 137 du code de procédure pénale ; que le seul fait que la Chambre d'accusation infirme, comme en l'espèce, sur appel du Ministère public, l'ordonnance entreprise et ordonne la détention provisoire des inculpés établit nécessairement qu `elle a estimé insuffisantes, dans le cas particulier, les obligations du contrôle judiciaire ».

L'amendement que vous propose votre commission reprend donc une suggestion de M. Michel Dreyfus-Schmidt tendant à exiger que l'ordonnance de placement en détention provisoire précise les raisons pour lesquelles le contrôle judiciaire serait insuffisant.

Article 3 - Prolongation de la détention provisoire en matière correctionnelle

Cet article a pour objet de modifier l'article 145-1 du code de procédure pénale relatif à la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle et notamment aux conditions de la prolongation de cette mesure.

Ainsi qu'il a été indiqué dans l'exposé général du présent rapport, une distinction est actuellement faite par cet article 145-1 selon la gravité de l'infraction et le passé judiciaire de la personne mise en examen :

- si la personne mise en examen n'encourt pas une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans et si elle n'a pas déjà été condamnée pour crime ou délit de droit commun à une peine criminelle ou à une peine d'emprisonnement ferme supérieure à un an, la durée totale de la détention provisoire en matière correctionnelle ne peut excéder six mois (quatre mois de détention initiale plus deux mois de prolongation) ;

- dans les autres cas la durée maximale de la détention est en principe d'un an. Elle peut cependant être exceptionnellement prolongée pour une durée maximale de quatre mois par ordonnance motivée rendue après un débat contradictoire. Cette décision peut être renouvelée selon la même procédure (sous réserve de ne pas dépasser deux ans lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans).

Le présent article 3 a pour simple objet de préciser que le renouvellement de cette décision (c'est-à-dire de la décision de prolonger la détention provisoire au-delà d'un an) devra respecter les dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale (que propose d'insérer l'article 5 du présent projet de loi) lequel prévoit que, lorsque la durée de la détention provisoire excède un an, les décisions ordonnant sa prolongation doivent notamment comporter les indications qui justifient la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure.

L'article 3 se présente donc comme une disposition de coordination avec l'article 5.

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Afin de réduire autant que faire se peut la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle, votre commission vous propose un amendement visant à une nouvelle rédaction de l'article 3. Celui-ci comprendrait trois paragraphes :

ï Le paragraphe I ramène d'un an à huit mois la durée maximale de principe de la détention provisoire en matière correctionnelle (soit quatre mois de durée initiale plus une prolongation de quatre mois). Le juge d'instruction pourra toujours prolonger la détention provisoire au-delà de ces huit mois mais il devra le faire sous de strictes conditions (et notamment après un débat contradictoire) compte tenu du caractère exceptionnel d'une telle décision.

ï Le paragraphe II reprend en substance le dispositif de coordination proposé par l'article 3 du projet de loi. Il l'intègre cependant dans la deuxième phrase -et non la quatrième- du troisième alinéa de l'article 145-1 du code de procédure pénale.

ï
Le paragraphe III limite à une durée unique de quatre mois la faculté de prolonger la détention provisoire en matière correctionnelle, quelle que soit la peine encourue .

Ce faisant, la durée totale de détention provisoire ne saurait excéder une année (huit mois pour la décision initiale plus une prolongation de quatre mois).


• La paragraphe IV supprime, par coordination, les deux dernières phrases du troisième alinéa de l'article 145-1, qui n'ont plus lieu d'être.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

Article 4 - Prolongation de la détention provisoire en matière criminelle

Cet article a pour objet de modifier l'article 145-2 du code de procédure pénale relatif à la durée de la détention provisoire en matière criminelle et notamment aux conditions de prolongation de cette mesure.

Dans sa rédaction actuelle, cet article 145-2 pose le principe d'une durée maximale d'un an de la détention provisoire en matière criminelle.

Il autorise cependant la prolongation de cette mesure, pour une durée qui ne saurait excéder un an, par décision motivée du juge d'instruction rendue après un débat contradictoire. Cette décision peut être renouvelée selon la même procédure sans durée limite.

Le présent article 4 apporte deux modifications à ce dispositif :

- en premier lieu, et conformément à une proposition du rapport de mission du Président Cabanel, il réduit de un an à six mois la durée maximale d'une décision de prolongation (mais celle-ci peut toujours être renouvelée sans limite de temps) ;

- en second lieu, et comme l'article 3, il opère une coordination avec l'article 5 du projet de loi en précisant que le renouvellement de la décision prolongeant la détention au-delà d'un an devra respecter les dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale.

Votre commission approuve ces modifications. Elle vous soumet cependant un amendement tendant à insérer la coordination proposée avec l'article 5 au sein de la deuxième phrase de l'article 145-2 du code de procédure pénale -et non au sein de la troisième-.

Elle vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

Article 5 - Prolongation de la détention provisoire au-delà d'un an

Cet article a pour objet d'insérer au sein du code de procédure pénale un nouvel article 145-3 (l'actuel 145-3 devenant l'article 145-4) afin d'exiger une motivation particulière des décisions défavorables à la personne mise en examen lorsque la durée de la détention excède un an. Il s'agit :

- des décisions ordonnant la prolongation de la détention provisoire pour lesquelles le droit actuel (articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale) exige une ordonnance motivée et un débat contradictoire ;

- des décisions rejetant une demande de mise en liberté pour lesquelles il est actuellement exigé (article 148 du code de procédure pénale) une ordonnance motivée.

Le présent article 5 prévoit que, outre ces considérations, les décisions précitées devront comporter « les indications qui justifient la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure » dès lors que la durée de la détention provisoire excédera un an.

Toutes les indications justifiant la poursuite de l'information ne devront cependant pas être mentionnées. En effet, le second alinéa du texte proposé pour l'article 145-3 dispense le juge d'instruction d'indiquer « la nature des investigations auxquelles il a l'intention de procéder, notamment lorsque cette indication risquerait d'entraver l'accomplissement de ces investigations ».

L'exposé des motifs du projet de loi justifie cette exception par le souci de ne pas « empêcher le déroulement de certaines informations, notamment en matière de criminalité organisée ou de terrorisme, parce que le juge devrait faire connaître à l'avance le détail des actes qu'il va accomplir ».

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Sur le plan des principes, votre commission approuve ce dispositif qui conduira le juge d'instruction à expliquer plus fréquemment les raisons d'un maintien en détention provisoire. Plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont d'ailleurs fait observer que, ce faisant, l'article 5 consacrait une pratique déjà largement répandue.

Elle vous propose néanmoins, outre un amendement rédactionnel et un amendement tendant à supprimer une redondance, deux amendements ayant respectivement pour objet de :


Ramener de un an à huit mois en matière correctionnelle la durée de détention à compter de laquelle le juge d'instruction devra donner des indications sur la suite de la procédure.

Cette modification s'imposait dès lors que, comme vous l'a proposé votre commission à l'article 3, la détention provisoire en matière correctionnelle ne pourrait plus, par hypothèse, excéder un an.


Limiter la faculté reconnue au juge d'instruction de ne pas indiquer la nature des investigations auxquelles il entend procéder à la seule hypothèse où cette indication risquerait d'entraver l'accomplissement de ces investigations .

Votre commission vous propose d'adopter le présent article 5 ainsi modifié.

Article 6 - Maintien de la détention provisoire après renvoi devant le tribunal correctionnel

Cet article a pour objet de modifier le troisième alinéa de l'article 179 du code de procédure pénale, relatif aux conditions dans lesquelles le juge d'instruction peut, après avoir ordonné le renvoi, maintenir le prévenu en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel.

En cas de maintien en détention provisoire, cet alinéa exige que la décision soit justifiée par la nécessité d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, de prévenir le renouvellement de l'infraction, de protéger le prévenu, de garantir son maintien à la disposition de la justice ou de préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction.

Le présent article 6 opère en fait une simple coordination avec l'article premier en isolant la préservation de l'ordre public des autres critères et en précisant que le trouble provoqué par l'infraction doit être exceptionnel « en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission ou des l'importance du préjudice qu'elle a causé ».

Votre commission vous propose cependant de réécrire cet article, par simple coordination avec sa position sur le placement sous surveillance électronique.

Article 7 - Référé-liberté

Cet article a pour objet de modifier substantiellement l'article 187-1 du code de procédure pénale, relatif aux modalités du « référé-liberté ».

La rédaction de cet article 187-1 résulte de la loi du 24 août 1993, votée à l'initiative du Président Jacques Larché.

Le référé-liberté, que l'exposé des motifs du présent projet de loi considère à juste titre comme « une garantie essentielle contre les détentions abusives », permet à la personne mise en examen ou au procureur de la République, en cas d'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, de demander au Président de la chambre d'accusation -ou à son remplaçant- de déclarer cet appel suspensif.

Le recours à cette procédure est subordonné à deux conditions qui s'expliquent par l'objectif même du référé-liberté, à savoir réduire autant que possible -voire éviter- le traumatisme des premières heures de l'incarcération :

- d'une part, que l'appel soit interjeté au plus tard le jour suivant la décision de placement en détention (alors que la personne mise en examen dispose pour faire appel d'un délai de dix jours, et le procureur de la République d'un délai de cinq jours) ;

- d'autre part, que la demande tendant à déclarer l'appel suspensif soit formée en même temps que l'appel.

Le Président de la chambre d'accusation doit statuer au plus tard le troisième jour ouvrable suivant la demande, par une ordonnance non motivée insusceptible de recours. Il ordonne la suspension des effets du mandat de dépôt jusqu'à la décision de la chambre d'accusation s'il estime « qu'il n'est manifestement pas nécessaire que la personne mise en examen soit détenue jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel ». Dans ce cas, la personne est remise en liberté (et ne pourra être incarcérée que si la chambre d'accusation confirme l'ordonnance de placement en détention provisoire).

Ainsi qu'indiqué dans l'exposé des motifs du présent rapport, le dispositif du référé-liberté demeure peu utilisé. Trois considérations sont fréquemment avancées pour expliquer ce constat :

- la décision du Président de la chambre ne porte pas sur le fond mais seulement sur le caractère manifestement infondé de la détention, ce qui réduirait pas trop son pouvoir d'appréciation ;

- bien que concernant par hypothèse les abus les plus flagrants, la décision du magistrat de déclarer l'appel suspensif n'opère pas dessaisissement de la chambre d'accusation ; le risque de voir celle-ci désavouer son président -quoique largement théorique- aurait alors un effet psychologique défavorable pour la personne mise en examen ;

- enfin, placé devant l'alternative maintien en détention -remise en liberté, le Président de la chambre d'accusation d'un pouvoir de décision trop limité : l'impossibilité de décider d'un placement sous contrôle judiciaire le conduirait inéluctablement, dans les hypothèses où la détention serait trop sévère mais où la remise en liberté pure et simple ne pourrait être ordonnée, à maintenir la personne en détention.

À ces considérations s'ajoute le fait que le nombre de demandes de référé-liberté demeure modeste pour trois raisons essentielles :

- le nombre d'appels des décisions de placement en détention provisoire est lui-même limité ;

- l'enjeu du référé-liberté (le caractère suspensif de l'appel) n'est pas toujours bien perçu par le justiciable ;

- compte tenu du nombre limité de chances d'obtenir une mise en liberté sur ce fondement, certains avocats dissuaderaient leurs clients de recourir à cette procédure, une décision négative du Président de la chambre d'accusation ne pouvant que rendre plus difficile l'infirmation par la chambre d'accusation elle-même.

*

Pour remédier à ces inconvénients, le présent article 7 propose trois modifications essentielles au dispositif du référé-liberté :


• donner un plein pouvoir d'appréciation au Président de la chambre d'accusation
: celui-ci ne se limiterait plus à examiner le caractère manifestement infondé de la détention. Il examinerait l'appel immédiatement et infirmerait l'ordonnance du juge d'instruction dès lors que les conditions prévues par l'article 144 ne seraient pas remplis. Le Président de la chambre d'accusation ou son remplaçant statuerait donc véritablement sur le fond ;


prévoir le dessaisissement de la chambre d'accusation si le président infirme la décision du juge d'instruction : le Président de la chambre d'accusation ne rendrait plus une décision de suspension des effets du mandat de dépôt ; il pourrait infirmer la décision du juge d'instruction et la chambre d'accusation serait alors dessaisie. Comme le fait observer l'exposé des motifs du projet de loi, le référé-liberté deviendrait « une sorte d'appel en deux phases » : la détention ordonnée par le juge d'instruction pourrait être infirmée par un magistrat statuant en juge unique, alors qu'elle ne pourrait être confirmée que par une formation collégiale ;


permettre au Président de la chambre d'accusation d'ordonner le placement sous contrôle judiciaire : cette innovation, qui avait été préconisée par le rapport de mission du Président Cabanel, serait la conséquence logique du plein pouvoir d'appréciation conféré au Président de la chambre d'accusation. Elle lui permettrait de sortir de l'alternative maintien en détention-remise en liberté.

Le dispositif d'appel en deux phases proposé par le présent article 7 paraît pour le moins novateur. Il érige en quelque sorte le Président de la chambre d'accusation en juge d'appel du juge d'instruction.

Il n'en a pas moins été approuvé par l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, qui y voient le principal apport du projet de loi. Il paraît en effet de nature à relancer efficacement l'utilisation d'une procédure dont le principe est en soi une garantie essentielle pour la préservation des droits de la personne mise en examen.

Aussi votre commission vous propose-t-elle d'adopter cet article modifié par un simple amendement de coordination.

Article 8 - Placement en détention provisoire dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate

Cet article a pour simple objet d'opérer une coordination au sein du troisième alinéa de l'article 396 du code de procédure pénale, relatif aux conditions dans lesquelles le président du tribunal ou son délégué peut placer un prévenu en détention provisoire dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate.

Cet alinéa exigeant que l'ordonnance de placement en détention soit motivée « par référence aux dispositions des 1° et 2° de l'article 144 », le présent article 8 y ajoute la référence au 3°, créé par l'article premier du projet de loi.

Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification .

Articles additionnels après l'article 8 - Placement sous surveillance électronique

Après l'article 8, votre commission vous propose d'adopter six amendements tendant à insérer des articles additionnels afin de consacrer le placement sous surveillance électronique (PSE) comme substitut à la détention provisoire.

Le premier de ces amendements crée au sein du code de procédure pénale une sous-section consacrée au PSE et comprenant six articles, portant les références 150-1 à 150-6.


• L'article 150-1 autorise le juge d'instruction à substituer le PSE à la détention provisoire.

Cette notion de substitution est essentielle : elle signifie que le PSE ne peut être proposé qu'à des personnes placées ou sur le point d'être placées en détention provisoire . Elle ne saurait en aucune manière être considérée comme une forme moderne de contrôle judiciaire qu'elle viendrait en quelque sorte remplacer ou compléter : substitut à la détention provisoire, le PSE ne peut être proposé que si les conditions du recours à celle-ci sont remplies. Reprenant une suggestion de M. le Président Robert Badinter, votre commission vous propose de préciser, pour éviter toute ambiguïté, que le PSE suppose que le juge d'instruction ait préalablement décidé de recourir à la détention provisoire.

Sans être hostiles au principe même de ce nouveau procédé, la plupart des personnes entendues par votre rapporteur se sont montrées quelque peu sceptiques quant à l'efficacité réelle du PSE comme substitut à la détention provisoire, estimant qu'il ne pourrait qu'exceptionnellement répondre aux nécessités qui justifient l'incarcération d'un prévenu. À leur yeux, c'est en l'appliquant aux personnes condamnées (et notamment en fin de peine) que le PSE donnerait les meilleurs résultats.

Votre commission considère pour sa part le PSE pourrait, dans certaines hypothèses telles que le risque de fuite ou de renouvellement de l'infraction, éviter le placement en détention (ou permettre la mise en liberté). Il pourrait également présenter une utilité dans le cas - souvent oublié lorsque l'on évoque les conditions de placement en détention provisoire - où la personne mise en examen se soustrairait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. Dans cette hypothèse en effet, le juge d'instruction ne peut actuellement qu'ordonner l'incarcération. Le PSE lui offrirait une solution moins contraignante pour la personne mise en examen.

Bien entendu cette mesure ne pourrait être prononcée qu'avec le consentement de la personne mise en examen (qui pourrait d'ailleurs demander à en bénéficier) donné en présence de son avocat. Afin de lui permettre de donner son accord en toute connaissance de cause, le juge d'instruction devrait lui faire préalablement part des conséquences du PSE.

Par ailleurs, le PSE ne saurait consister en une forme modernisée de la « lettre écarlate », en un pilori de l'ère technologique qui marquerait la personne mise en examen du sceau de l'infamie. Il est en conséquence prévu que le procédé permettant de la surveiller devra être homologué par le ministre chargé de la justice dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État et que sa mise en oeuvre devra garantir le respect de la dignité -notamment sa discrétion -, de l'intégrité et de la vie privée de la personne.

Enfin, l'application de la surveillance électronique ne saurait être ni générale ni absolue. Elle ne fera donc pas obstacle à des déplacements en dehors des lieux désignés par le juge d'instruction puisqu'il appartiendra à celui-ci de fixer des périodes d'assignation. À cette fin, il lui faudra concilier les nécessités de l'information et les nécessités liées à l'organisation de la défense de la personne mise en examen, à sa vie familiale et professionnelle et, le cas échéant, au suivi d'une formation ou d'un traitement médical.


• L'article 150-2 précise les modalités du contrôle à distance de l'exécution du PSE. Il relèvera d'un service de l'État désigné par décret en Conseil d'État. Votre commission considère que cette mission de surveillance devrait relever en priorité des comités de probation et d'assistance aux libérés (CPAL).

Parmi les services ainsi habilités, le juge d'instruction désignera celui qui sera effectivement chargé de contrôler sur place la présence de la personne mise en examen et de l'informer en cas d'absence irrégulière. Par ailleurs, indépendamment d'un désignation expresse, les services de police ou de gendarmerie pourront toujours constater une absence irrégulière et en faire rapport au juge d'instruction.


• L'article 150-3 envisage les éventuelles modifications concernant les modalités d'exécution du PSE. Dans la mesure où la personne mise en examen n'aura donné son consentement à cette mesure qu'après avoir été informée des lieux et des périodes d'assignation, ceux-ci ne pourront être modifiés qu'après avoir recueilli son consentement.

ï Afin d'éviter toute contre-indication, et conformément aux conclusions du Président CABANEL , l'article 150-4 prévoit la désignation d'un médecin. Elle peut intervenir à tout moment, soit à l'initiative du seul juge d'instruction, soit à la demande de la personne mise en examen.

ï L'article 150-5 envisage l'hypothèse où la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations résultant du PSE. Le juge d'instruction peut alors recourir au placement en détention provisoire à la condition qu'un agent du service chargé du contrôle de la mesure ait préalablement constaté sur les lieux l'absence de l'intéressé.

ï L'article 150-6 tire les conséquences du fait que le PSE repose toujours sur le consentement de la personne mise en examen en permettant à celle-ci d'en demander à tout moment la mainlevée.

ï Les cinq autres amendements opèrent de simples coordinations avec le dispositif ci-dessus présenté. Quatre modifient chacun un article du code de procédure pénale, à savoir :


• L'article 137, afin de préciser que le juge d'instruction pourra désormais soumettre la personne mise en examen non seulement au contrôle judiciaire ou à la détention provisoire, mais également au PSE.


• L'article 141-2, qui permet actuellement au juge d'instruction de décerner un mandat d'arrêt ou de dépôt en vue de la détention provisoire de la personne mise en examen qui se soustrait volontairement aux obligations de contrôle judiciaire. La modification proposée consiste à autoriser également le juge d'instruction, dans la même hypothèse, à décerner un tel mandat en vue de notifier à la personne mise en examen son PSE (PSE qui ne pourra bien entendu être décidé que si les conditions prévues par l'article 150-1 et suivants, et notamment l'accord de l'intéressé, sont remplies) ;


• L'article 179, relatif aux conséquences d'un renvoi devant le tribunal correctionnel. Actuellement, une telle décision met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire sauf si le juge d'instruction en décide autrement. La modification proposée consiste à prévoir le même dispositif en cas du PSE. Il convient de souligner que, comme pour la détention provisoire, le maintien sous surveillance électronique prendra fin à l'expiration d'un délai de deux mois ;


• L'article 186, relatif aux décisions du juge d'instruction susceptibles d'être frappées d'appel à l'initiative des parties. La modification proposée consiste à conférer le droit d'appel pour la personne mise en examen contre les ordonnances et décisions relatives au PSE.

Le cinquième amendement modifie, toujours par coordination, l'intitulé de la section du code de procédure pénale relative au contrôle judiciaire et à la détention provisoire afin d'y ajouter le PSE.

Article additionnel après l'article 8 - Renvoi devant la Cour d'assises

Après l'article 8, votre commission vous propose d'adopter un amendement tendant à insérer un article additionnel afin de compléter l'article 215 du code de procédure pénale.

En sa rédaction actuelle, cette disposition prévoit que l'arrêt d'accusation décerne ordonnance de prise de corps contre l'accusé.

Toutefois, et contrairement au dispositif prévu en matière correctionnelle - où le maintien en détention après une ordonnance de renvoi ne saurait excéder deux mois - aucune limite n'est fixée quant à la durée de validité de l'ordonnance de prise de corps. Cette situation ne va pas sans soulever certaines difficultés, des personnes pouvant rester dix-huit mois, voire deux ans, en détention provisoire dans l'attente de leur comparution.

L'amendement de votre commission vise à mettre fin à ces extrêmes, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à la procédure criminelle et notamment à l'organisation des sessions des cours d'assises - en principe trimestrielles.

Il fixe à six mois la durée de validité de l'ordonnance de prise de corps, le président de la cour d'assises pouvant cependant, par ordonnance motivée, prolonger les effets pour une durée qui ne saurait excéder trois mois.

Article additionnel après l'article 8 - Saisine de la chambre d'accusation pour défaut d'investigation

Après l'article 8, votre commission vous propose d'adopter un amendement tendant à insérer un article additionnel afin d'insérer au sein du code de procédure pénale un article 221-2 autorisant les parties à saisir directement la chambre d'accusation en cas de défaut d'investigation pendant un délai de quatre mois.

En l'état actuel du droit, cette saisine est laissée à l'initiative du Président de la chambre d'accusation (article 221-1) qui n'y recourt qu'exceptionnellement. La chambre d'accusation ainsi saisie peut alors, « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice », soit évoquer elle-même l'affaire, soit renvoyer le dossier au juge d'instruction ou à un autre.

Votre commission vous propose de conférer un droit de saisine directe de cette juridiction au profit des parties, à l'issue du même délai, celui-ci étant ramené à deux mois au profit de la personne placée en détention provisoire.

On pourrait s'interroger sur l'utilité de l'amendement que vous présente votre commission dans la mesure où il serait plus simple pour la personne mise en examen de présenter au juge d'instruction une demande de mise en liberté, quitte à en saisir la chambre d'accusation en cas de refus.

Mais une telle demande est vouée à l'échec si, bien que l'instruction traîne en longueur, la détention provisoire est justifiée. Dans cette hypothèse, seule une instruction rapidement achevée permettra à la personne mise en examen de recouvrer la liberté à brefs délais. L'amendement de votre commission lui donnerait un moyen supplémentaire d'accélérer le cours de l'information dans les cas où le juge d'instruction, notamment en raison d'une surcharge de travail, ne procéderait pas régulièrement à des investigations permettant de découvrir la vérité.

Article 9 - Application dans les territoires d'outre-mer t la collectivité territoriale de Mayotte

Cet article a pour objet de rendre applicable la loi soumise à notre examen dans les territoires d'outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte.

Répondant à une interrogation de notre excellent collègue M. Daniel Millaud, votre rapporteur a indiqué que, selon ses informations, les assemblées territoriales n'auraient été consultées qu'officieusement sur cette extension. M. Millaud a alors annoncé son intention de proposer un amendement tendant à disjoindre cet article 9 si leur avis n'était pas transmis au Parlement avant le passage en séance publique. Comme l'a indiqué le Président Jacques Larché, votre commission pourra réserver le meilleur accueil à un tel amendement.

Article 10 - Entrée en vigueur

Cet article fixe au 1er octobre 1996 la date d'entrée en vigueur de la loi soumise à notre examen.

Votre commission vous propose de l'adopter sans modification .

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