III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : COMPLÉTER DANS TOUTE LA MESURE DU POSSIBLE UN PROJET DE LOI QUI VA DANS LA BONNE DIRECTION

Les nombreuses auditions auxquelles a procédé votre rapporteur -dont la liste figure en annexe du présent rapport- ont permis de dégager un large consensus sur le projet de loi : pour la totalité des personnes entendues, il traduit un louable souci de réduire la détention provisoire (même si, pour plusieurs, la réalisation de cet objectif dépend avant tout de la responsabilité personnelle du juge) ; mais la plupart se sont montrées sceptiques sur ses effets réels, jugeant trop timoré le texte soumis à notre examen. Certaines ont notamment regretté que ne soit pas abordé le problème de la séparation des pouvoirs d'investigation et de la décision de mise en détention. Ce regret a été partagé par plusieurs de nos collègues, et notamment par MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Badinter, lors de l'examen de ce texte par votre commission. M. Michel Dreyfus-Schmidt a également évoqué le problème de la responsabilité de l'État et des magistrats en cas de détention provisoire injustifiée, estimant inadmissible que seul « un préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité » (article 149 du code de procédure pénale) puisse donner lieu à indemnisation.

Il convient cependant de considérer le présent projet de loi comme une pierre d'attente, comme une réforme touchant au fond et qui pourrait être complété dans le cadre d'une réforme globale de la procédure pénale, élaboré à partir des réflexions d'ensemble menées par Mme le professeur Michèle-Laure Rassat ainsi que par la mission d'information de votre commission sur la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction dont le rapporteur fut notre excellent collègue M. Charles Jolibois.

Votre commission n'a cependant pas considéré ce projet de loi comme intangible. À ses yeux, il va indéniablement dans la bonne direction. Sans négliger les effets positifs qu'il pourrait avoir (notamment en raison du référé-liberté), elle estime nécessaire de le compléter pour limiter dans toute la mesure du possible la détention provisoire.

A. LA CONSÉCRATION D'UN NOUVEAU SUBSTITUT À LA DÉTENTION PROVISOIRE : LE PLACEMENT SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE

Dans son rapport établi au nom de votre commission des Lois sur le projet de loi relatif à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, notre excellent collègue Pierre Fauchon écrivait : « le progrès des techniques de télé-information permet d'envisager des modes de contrôles automatiques, surprenants pour nos habitudes mais qui n'en méritent pas moins une réflexion approfondie ». Il faisait ainsi allusion à la surveillance électronique qui consiste à proposer à une personne, au lieu et place de l'incarcération, le port d'un bracelet (le plus souvent à la cheville) permettant de contrôler à distance sa présence sur certains lieux à certaines périodes.

Quelques semaines auparavant, une délégation de votre commission -présidée par M. Jacques Larché et comprenant, outre M. Pierre Fauchon, nos collègues, MM. Germain Authié, Christian Bonnet, Guy Cabanel, Lucien Lanier, René-Georges Laurin et Robert Pagès- avait constaté l'existence dans plusieurs provinces du Canada de ce « substitut original à l'emprisonnement » que constitue la « prison à domicile ». Son rapport de mission (Sénat - 1994-1995, n° 203) appelait également de ses voeux « une étude approfondie de la part de la Chancellerie, car la crise de notre système carcéral et là pour nous dissuader de négliger a priori la moindre piste de réflexion ».

Cette étude a été conduite par notre collègue le Président Cabanel à l'occasion de sa mission pour le Garde des Sceaux. Son rapport « Pour une meilleure prévention de la récidive » souligne les bons résultats obtenus par les États qui ont décidé de recourir à la surveillance électronique.

1. Le recours à la surveillance électronique : une solution acceptable dans son principe

Avant même d'envisager la faculté de consacrer la surveillance électronique comme substitut à la détention provisoire, votre rapporteur s'est longuement interrogé sur le principe même de ce dispositif dont il reconnaît, avec M. Fauchon, le caractère « surprenant pour nos habitudes ». Il a ainsi acquis la conviction, renforcée par les auditions auxquelles il a procédé, que cette solution représentait de nombreux avantages pour des inconvénients aisément surmontables. C'est ce qu'a parfaitement démontré notre collège Guy Cabanel.

a) Une solution respectueuse de la dignité de la personne

Le port d'un bracelet électronique, permettant de surveiller un individu à distance, serait pour certains attentatoire à la dignité humaine. C'est ce que l'on pourrait appeler, pour reprendre l'expression de M. Cabanel, « le syndrome Big Brother ».

Une telle argumentation ne saurait cependant emporter la conviction dans la mesure tout d'abord où, par hypothèse, la surveillance électronique permet à l'intéressé d'éviter l'incarcération, mesure on ne peut plus contraignante pour l'individu.

Par ailleurs, le placement sous surveillance électronique suppose bien évidemment le consentement de l'intéressé. Comment celui-ci pourrait-il accepter une mesure qu'il jugerait contraire à sa dignité ?

Il ne s'agit en outre aucunement de « marquer au fer rouge » la personne surveillée. Le bracelet électronique ne saurait être comparé à une forme modernisée du pilori, à une nouvelle « lettre écarlate » marquant son porteur du sceau de l'infamie. Les procédés modernes permettent en effet de garantir la discrétion de ce dispositif, lui assurant une confidentialité bien supérieure à l'incarcération. C'est une considération qu'il convient de souligner dans la perspective d'une meilleure protection de la présomption d'innocence, droit fondamental de la personne auquel votre commission est particulièrement attachée.

b) Des avantages incontestables

Le principal avantage attendu de la surveillance électronique consiste à éviter l'effet traumatisant, « désocialisant », de l'incarcération, surtout lorsque celle-ci est appelée à être de courte durée. Les données statistiques contenues dans le rapport de M. Cabanel démontrent que, dans les pays pour lesquels on dispose de telles informations (États-Unis, Canada et Suède), le placement sous surveillance électronique est une réussite pour plus de 90 % des bénéficiaires.

Ce procédé peut également constituer un instrument efficace de lutte contre la surpopulation carcérale. Ainsi, en Colombie Britannique, 2.450 personnes, soit 13 % de la population pénale, en ont bénéficié sur la période 1992-1993.

Enfin, même si cette considération est accessoire eu égard aux autres avantages du procédé, le coût de la surveillance électronique est sensiblement inférieur -tant au niveau de l'investissement que du fonctionnement- à celui de l'incarcération. S'agissant de la France, il pourrait se situer entre 80 et 120 F par personne et par jour, soit quatre fois moins que le coût d'une place de prison.

2. La surveillance électronique comme substitut à la détention provisoire : une solution à explorer

Dans son rapport « pour une meilleure prévention de la récidive », le président Cabanel réservait en priorité la surveillance électronique aux personnes condamnées (soit à une courte peine d'emprisonnement, soit n'ayant plus qu'un certain reliquat de peine à accomplir). C'est également cette solution que préconisait M. Gilbert Bonnemaison, dans un rapport de 1989 sur la modernisation du service public pénitentiaire : « la création d'un système de surveillance électronique (...), tout en imposant à certains délinquants des restrictions importantes de liberté, facilitera leur insertion sociale et les placera en situation d'indemniser réellement leurs victimes ».

La plupart des personnes entendues par votre rapporteur ont également considéré que la surveillance électronique offrait le plus d'utilité pour les personnes condamnées.

Mais ces réserves traduisaient moins des objections qu'un certain scepticisme quant à l'efficacité réelle de la détention électronique en tant que substitut à la détention provisoire. Il s'expliquait par les objectifs du recours au mandat de dépôt (éviter les pressions sur les victimes ou les témoins, les concertations entre coauteurs...), objectif que la surveillance électronique ne serait pas à même d'atteindre. Ces réserves ont été reprises par notre excellent collègue, M. Jean-Jacques Hyest, lors de l'examen du projet de loi.

Votre commission ne partage cependant pas ce scepticisme pour deux raisons essentielles :

ï La surveillance électronique lui paraît tout d'abord susceptible de s'appliquer à des hypothèses pouvant justifier le placement en détention provisoire et notamment pour garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ou pour prévenir le renouvellement de l'infraction ;

ï en second lieu, les modifications du référé-liberté prévues par le projet de loi changeront sensiblement les données du problème.

Les réserves sur l'efficacité de la surveillance électronique reposaient en effet dans une large mesure, comme l'ont confirmé la majorité des personnes entendues par votre rapporteur, sur le postulat qu'elle ne pourrait être prononcée que par le juge d'instruction. Dans ces conditions, il était effectivement probable que ce magistrat n'aurait guère utilisé ce procédé, le recours à la détention provisoire étant un moyen simple, radical et connu de répondre aux nécessités liées au bon déroulement de son information.

Mais ces réserves n'ont plus lieu d'être dès lors que la surveillance électronique peut également être prononcée par une autre personne que celle chargée de la conduite de l'instruction, à savoir le Président de la chambre d'accusation saisi par la voie du référé-liberté. Celui-ci est en effet mieux à même, dans les hypothèses où il apparaîtrait que la surveillance électronique pourrait fournir pratiquement autant de garanties que la détention, de concilier le principe de la liberté de la personne mise en examen et les impératifs liés au bon fonctionnement de l'instruction.

Dans ces conditions, votre commission estime que la surveillance électronique pourra se révéler dans certaines hypothèses un substitut utile à la détention provisoire. La consécration de ce procédé en ce domaine ne saurait d'ailleurs exclure de le consacrer en tant que substitut à de courtes peines d'emprisonnement ou en tant que modalité d'exécution d'une fin de peine. Comme l'a notamment fait observer M. le Président Jacques Larché c'est dans son application a des personnes condamnées que le PSE présenterait le plus de perspectives.

3. Le dispositif proposé par votre commission

Votre commission vous propose de consacrer le placement sous surveillance électronique (PSE) comme substitut à la détention provisoire.

a) Conjurer le risque d'un « super contrôle judiciaire »

Le PSE ne saurait devenir un « super-contrôle judiciaire ». Il doit être un substitut à la détention provisoire pour permettre à des personnes qui auraient été incarcérées, et seulement à de telles personnes d'éviter le traumatisme de l'incarcération. S'il en allait autrement, le PSE, loin d'alléger les contraintes pesant sur la personne mise en examen, les renforcerait.

C'est pour conjurer ce risque de la voir devenir un « super contrôle judiciaire » que votre commission vous propose de consacrer le PSE en précisant qu'il peut être « substitué à la détention provisoire »et ce lorsque la décision de recourir à cette mesure a été prise.

Une telle rédaction marque bien que le PSE ne peut être proposée qu'à une personne qui, si elle la refuse, sera ou demeurera incarcérée. Comme l'a fait observer notre excellent collègue M. Charles Jolibois, le PSE sera une modalité d'exécution de la détention provisoire.

Le recours à ce procédé supposera donc rempli l'un au moins des critères permettant le placement en détention provisoire.

Dans ces conditions, le PSE pourra être prononcé :

- soit ab initio : au moment où le juge d'instruction sera sur le point de décerner un mandat de dépôt, le traumatisme de l'incarcération pourra être évité ;

- soit après une certaine durée d'incarcération (qui pourra d'ailleurs être brève si le PSE est prononcé à la suite d'un référé-liberté). La personne mise en examen pourra notamment demander sa mise en liberté sous le régime du PSE.

b) Le respect des droits fondamentaux de la personne

Votre commission vous propose de subordonner le recours au PSE à l'accord de l'intéressé, donné en présence de son avocat.

Le procédé technique devra avoir été homologué par le ministre de la justice dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Sa mise en oeuvre devra garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne. Un examen médical sera d'ailleurs de droit à la demande de l'intéressé.

Bien entendu, l'application du PSE ne sera ni générale, ni absolue :

- elle sera limitée à certaines périodes fixées par le juge d'instruction en tenant compte des nécessités liées à l'organisation de la défense de la personne mise en examen, à sa vie familiale ou professionnelle ou au suivi d'un traitement médical ou d'une formation ;

- elle ne fera pas obstacle, même pendant les périodes fixées, à tout déplacement de l'intéressé, le juge d'instruction pouvant fixer plusieurs lieux d'assignation (et accorder des dispenses ponctuelles).

B. RÉDUIRE AUTANT QUE POSSIBLE LA DURÉE MAXIMALE DE LA DÉTENTION PROVISOIRE

1. Fixer à douze mois la durée maximale de la détention provisoire en matière correctionnelle

L'article 145-1 fixe à six mois la durée maximale de la détention provisoire lorsque la personne mise en examen n'encourt pas plus de cinq ans d'emprisonnement et n'a pas été auparavant condamnée à au moins un ans d'emprisonnement ferme.

Dans les autres cas, la durée de la détention provisoire est limitée à deux ans si et seulement si la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement. Votre commission considère cette durée de deux ans comme trop importante s'agissant d'une personne présumée innocente.

Plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont appelé de leurs voeux la fixation de « délais-butoirs » à la détention provisoire, ainsi que l'avait d ailleurs préconisé le Président Guy Cabanel.

M. le Président Robert Badinter a pour sa part estimé que le principal problème lié à la détention provisoire était celui de sa durée et a suggéré de la limiter à un an, quitte à prévoir des exceptions pour les affaires les plus graves.

Cette suggestion a été retenue par votre commission qui vous propose de fixer à huit mois la durée maximale de principe de la détention provisoire en matière correctionnelle et de n'autoriser qu'un seul renouvellement pour une durée n'excédant pas quatre mois. Ainsi, en matière correctionnelle une personne mise en examen ne pourra être maintenue en détention au-delà de douze mois.

Cette durée, qui correspond à plus du triple de la durée moyenne de la détention provisoire, paraît réaliser un juste équilibre entre le respect des droits d'une personne présumée innocente et les nécessités liées au bon déroulement de l'instruction. En matière correctionnelle, environ 5 % des personnes placées en détention provisoire par le juge d'instruction le sont pour une durée supérieure à un an.

2. Réduire les délais entre l'acte d'accusation et la comparution devant une cour d'assises

Aux termes de l'article 179 du code de procédure pénale, en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel, l'ordonnance du juge d'instruction prescrivant le maintien en détention provisoire cesse de produire effet à l'expiration d'un délai de deux mois.

Une telle disposition n'existe pas en matière criminelle. Ainsi, des personnes ayant fait l'objet d'un acte d'accusation peuvent rester fort longtemps en attente de comparution devant la cour d'assises (parfois plus de dix-huit mois d après les informations fournies à votre rapporteur lors des auditions auxquelles il a procédé).

Pour remédier à cette situation, le rapport de notre collègue Cabanel proposait de fixer un délai entre la clôture de l'instruction et l'audience devant la cour d'assises.

Votre commission a approuvé cette suggestion. Elle s'est efforcée d'y donner suite en tenant compte des contraintes inhérentes à la procédure criminelle liées notamment aux régimes des sessions.

Aussi vous propose-t-elle de fixer à six mois la durée d'exécution de l'ordonnance de prise de corps, celle-ci pouvant cependant exceptionnellement être prolongée une fois pour une durée de trois mois par le président de la cour d'assises.

3. Accroître les droits du prévenu incarcéré

a) La faculté de saisir la chambre d'accusation pour défaut d'investigation

L'article 221-1 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour la chambre d'accusation, « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice », d'évoquer elle-même une affaire ou de la renvoyer à un autre juge d'instruction lorsqu'elle est saisie à cette fin par son président.

Votre commission vous propose de conférer aux parties la faculté de saisir directement cette juridiction en ramenant même le délai de deux mois lorsque la personne mise en examen est en détention provisoire.

Il appartiendra au président de décider s'il fait ou non droit à cette demande en vérifiant notamment si le défaut d'investigation résulte d'une abstention fautive du magistrat ou s'il est indépendant de sa volonté (commission rogatoire plus longue que prévue, attente de résultats d'expertise...).

Certes, la personne détenue peut déjà, dans une telle hypothèse, présenter une demande de mise en liberté et, en cas de refus, en saisir la chambre d'accusation. Mais plusieurs raisons peuvent la conduire à ne pas recourir à cette procédure, soit parce qu'elle considère sa détention pendant l'instruction comme nécessaire à sa protection soit parce qu'elle estime que sa détention est justifiée (exemple parce que le juge d'instruction peut légitimement craindre un risque de fuite ou une concertation entre complices).

Dans ces hypothèses où la détention est justifiée mais où la procédure risque de prendre du retard, l'amendement de votre commission conférera à la personne détenue la faculté d'accélérer le cours de l'instruction, ce qui demeure pour elle la seule solution pour hâter sa mise en liberté.

b) L'information de la personne détenue sur la suite de la procédure

Ainsi qu'il a été indiqué, la portée de l'obligation pour le juge d'instruction d'indiquer les éléments justifiant la poursuite de l'information (article 5 du projet de loi) est sensiblement atténuée par la faculté reconnue audit magistrat de ne pas indiquer « la nature des investigations auxquelles il a l'intention de procéder ».

Votre commission comprend les raisons qui ont conduit les rédacteurs du projet de loi à prévoir une telle exception. Elle vous propose cependant d'en limiter strictement le champ en indiquant que le risque d'entrave à l'accomplissement des investigations prévues sera le seul motif (et non un motif parmi d'autres) permettant de dispenser le juge d'instruction de renseigner la personne mise en examen.

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi ainsi modifié.

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