II. LE CONTENU DU PROJET DE LOI

L'exposé des motifs du projet de loi distingue trois séries de dispositions : les premières tendent à restreindre les critères du placement en détention provisoire par une meilleure définition de la notion d'ordre public ; d'autres visent à limiter la durée de cette mesure ; la dernière a pour objet d'améliorer le « référé-liberté ».

A. UNE RESTRICTION DES CONDITIONS DE FOND DU PLACEMENT EN DÉTENTION PROVISOIRE (ARTICLES 1 ET 6)

Pour ce faire, le projet de loi propose de mieux définir l'un des critères permettant le placement en détention provisoire : la préservation de l'ordre public du trouble causé par l'infraction.

Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, ce dernier critère a suscité des critiques « en raison de (son) imprécision et des abus qu'il autoriserait ». Sa suppression a d'ailleurs été demandée à plusieurs reprises, mais n'a pas été retenue par le législateur.

Le refus d'une telle suppression s'explique tout d'abord par le caractère rarissime des placements en détention justifiés par ce seul motif. Quoique la Chancellerie ne dispose pas de statistiques sur ce point, l'exposé des motifs fait observer que, « le plus souvent (...), d'autres critères (risque de fuite, de pression, de concertation, de disparition des preuves ou de réitération de l'infraction) justifient également la détention. La suppression du critère de l'ordre public n'aurait dès lors qu'un effet réduit sur le nombre de placements en détention provisoire ».

En revanche, comme l'avait déjà souligné le rapport de mission de notre collègue le président Cabanel, l'exposé des motifs estime que sa suppression pourrait -dans des cas certes tout à fait exceptionnels mais plausibles- poser certaines difficultés : crime passionnel, profanation de sépulture à caractère raciste.

Telles sont les raisons qui ont conduit les rédacteurs du projet de loi à conserver le critère de l'ordre public mais à « en préciser les contours, afin de mettre en évidence qu'il s'agit d'un motif de mise en détention provisoire qui ne peut être placé sur le même plan que les autres critères de détention prévus par l'article 144. »

Selon l'article premier, ce critère ne pourrait servir de fondement à l'incarcération que si l'infraction (en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission et de l'importance du préjudice qu'elle a causé) « a provoqué un trouble exceptionnel à l'ordre public, auquel la détention est l'unique moyen de mettre fin ».

Cette rédaction a pour objet d'imposer une motivation précise des ordonnances se fondant sur ce critère qui permettra un meilleur contrôle de la chambre d'accusation. Il appartiendra en effet au juge d'instruction d'indiquer :

- en quoi le trouble à l'ordre public est véritablement « exceptionnel » ;

- par référence à des considérations précises, à savoir soit la gravité de l'infraction, soit les circonstances de sa commission, soit l'importance du préjudice qu'elle a causé ;

- en quoi la détention est l'unique moyen de mettre fin au trouble à l'ordre public (et non plus seulement en quoi elle est « nécessaire pour préserver l'ordre public »), ce qui suppose de démontrer non seulement que les obligations résultant d'une autre mesure (et notamment du contrôle judiciaire) sont insuffisantes, mais également (conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation) que le trouble à l'ordre public est actuel et non passé ou potentiel.

B. DES DISPOSITIONS TENDANT À LIMITER LA DURÉE DE LA DÉTENTION PROVISOIRE

1. La consécration de la notion de « durée raisonnable » (article 2)

S'inspirant de la notion de « délai raisonnable » des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, le projet de loi pose le principe de la « durée raisonnable » que ne peut excéder la détention provisoire, « au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ».

Selon l'exposé des motifs, cette consécration permettra un meilleur contrôle de la Cour de cassation en cas de maintien abusif en détention.

Dans le même esprit, il est expressément exigé que le juge ordonne la mise en liberté immédiate de la personne dès lors que les conditions du recours à la détention provisoire ne sont plus remplies.

En revanche, contrairement à ce que proposait notamment notre collègue Guy Cabanel, le Gouvernement s'est refusé à « instituer de nouveaux délais "butoirs" à la durée totale de la détention provisoire, car des solutions trop drastiques risqueraient d'entraver la répression de la délinquance ou de la criminalité organisée ».

2. Une limitation de la durée de prolongation de la détention provisoire en matière criminelle (article 4)

Reprenant une proposition de M. Cabanel, le projet de loi propose de réduire de un an à six mois la durée de chaque prolongation de la détention provisoire en matière criminelle. Serait ainsi assuré un réexamen plus fréquent par le magistrat instructeur de la nécessité de la détention provisoire.

3. L'exigence d'une motivation particulière des décisions de prolongation de la détention provisoire lorsque celle-ci excède un an (article 5)

Le projet de loi pose en principe l'exigence d'une motivation particulière pour les décisions ordonnant la prolongation -ou rejetant les demandes de mise en liberté- d'une détention dont la durée excède un an : le magistrat instructeur devrait ainsi fournir « les indications qui justifient la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure » (art. 5 alinéa 1).

Mais le juge d'instruction ne serait pas tenu « d'indiquer la nature des investigations auxquelles il a l'intention de procéder, notamment lorsque cette indication risquerait d'entraver l'accomplissement de ces investigations » (art. 5 alinéa 2).

Une distinction est donc faite entre les indications qui justifient la poursuite de l'information (qui doivent être fournies) et l'indication de la nature des investigations envisagées (qui peuvent ne pas l'être). Selon l'exposé des motifs, il s'agit des difficultés qui pourraient se poser « notamment en matière de criminalité organisée ou de terrorisme, le juge devant obligatoirement faire connaître à l'avance le détail des actes qu'il va accomplir ».

C. L'AMÉLIORATION DU « RÉFÉRÉ-LIBERTÉ » (ARTICLE 7)

Deux modifications essentielles sont prévues :

1. Une modification du rôle du Président de la chambre d'accusation

Le projet de loi confère au Président de la chambre d'accusation le soin « d'examiner immédiatement (l')appel sans attendre l'audience de la chambre d'accusation » (et non plus seulement de déclarer l'appel suspensif).

Par ailleurs, et surtout, le président ou la chambre d'accusation exercerait désormais un contrôle au fond , portant sur le respect des conditions prévues par l'article 144 du code de procédure pénale et non plus seulement sur leur méconnaissance manifeste.

Il s'agit donc d'une véritable modification du référé-liberté qui devient, selon l'expression de l'exposé des motifs, « une sorte d'appel en deux phases ».


Si le Président de la chambre d'accusation infirme l'ordonnance du juge d'instruction, il ordonne la remise en liberté (ou le placement sous contrôle judiciaire) et la chambre d'accusation est dessaisie. L'objectif est de répondre à la critique selon laquelle les remises en liberté consécutives à un référé-liberté sont rares en raison de la crainte du Président de la chambre d'être désavoué par sa juridiction.


Si le président la chambre confirme l'ordonnance, il renvoie l'examen de l'appel à la de chambre d'accusation.

2. Permettre au Président de la chambre d'accusation de prononcer une mesure de placement sous contrôle judiciaire

Cette modification, préconisée par le rapport de M. Cabanel, est la conséquence logique du plein pouvoir d'appréciation et de décision confié au Président de la chambre d'accusation saisi par la voie du référé-liberté.

Elle lui permet de sortir de l'alternative mise en liberté-maintien en détention en l'autorisant à prononcer une mesure intermédiaire.

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