EXAMEN EN COMMISSION

1. Audition de M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes

Réunie le mardi 4 juin 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'audition de MM. Pierre Joxe, premier président de la Cour des Comptes, Jacques Bonnet, président de la première chambre, et Bernard Zuber, conseiller maître, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1994.

M. Christian Poncelet, président, s'est félicité de la collaboration établie entre la Cour des Comptes et la commission des finances, qu'il a souhaité voir encore s'amplifier ; il a par ailleurs souligné les progrès accomplis par la Cour en matière de délais de dépôt du rapport sur la loi de règlement, et a insisté sur l'intérêt de travaux nouveaux tels que la partie du rapport consacrée aux relations financières entre l'État et la sécurité sociale ou la contribution de la Cour au débat d'orientation budgétaire.

M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des Comptes, a estimé que l'accélération du délai de dépôt du rapport sur la loi de règlement était due aux progrès techniques réalisés par le ministère de l'économie et des finances, mais aussi à la prise de conscience par les membres de la Cour de l'intérêt de fournir au Parlement ce document dans des délais plus courts afin qu'il puisse être utilisé dans le cadre de la discussion budgétaire de l'automne.

M. Pierre Joxe a ensuite insisté sur la nécessité d'adopter des règles de présentation des comptes de l'État aussi stables que possible, et dans tous les cas, transparentes. Ainsi, un décalage très important est apparu en 1994 entre le déficit budgétaire et le résultat comptable, en raison de la reprise de la dette de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale sous forme d'opération de trésorerie. Par ailleurs, la notion de déficit public au sens européen ne recouvre pas le concept national de déficit. Ces écarts doivent être suffisamment expliqués et ne pas se renouveler trop souvent, sous peine de compromettre la crédibilité des comptes de l'État.

M. Pierre Joxe a également rappelé qu'un transfert important de recettes non fiscales avait été opéré du budget de 1993 à celui de 1994, avec l'encaissement, en 1994. d' 1,3 milliard de francs d'avances aéronautiques, d'un dividende de 3 milliards de francs de la Banque de France, et d'un prélèvement de 4,8 milliards de francs sur le fonds de réserve et de financement du logement.

Il a enfin souligné la perturbation introduite dans la présentation sur plusieurs années des résultats budgétaires par le changement de rattachement des recettes de privatisation opéré par la loi de finances rectificative du 4 août 1995.

M. Pierre Joxe est ensuite revenu sur les analyses faites par la Cour des Comptes de la régulation effectuée au cours des derniers exercices budgétaires ; la régulation a tout particulièrement affecté l'exécution du budget 1995, expliquant pour une large part des reports de paiement sur les crédits d'investissement de la défense évalués à 11.9 milliards de francs.

Une nouvelle régulation a été mise en place en janvier 1996, avec un gel de crédits de 20 milliards de francs.

M. Pierre Joxe a estimé que la régulation budgétaire, si elle devait être maintenue, devrait s'exercer dans un cadre permettant de respecter les droits du Parlement et de limiter les inconvénients causés aux administrations ; ce cadre pourrait être celui d'une dotation de réserve, alimentée par des crédits exclusivement limitatifs, prélevés sur des chapitres précis.

Enfin, M. Pierre Joxe s'est félicité des nombreuses réflexions sur les missions de l'État contenues dans les travaux de la Cour des Comptes, et a souhaité voir s'approfondir encore la collaboration de la Cour avec la commission des finances du Sénat, la mise en place d'un office parlementaire d'évaluation des politiques publiques devant, selon lui, inciter à renforcer la coordination dans l'établissement des priorités.

À l'issue de cet exposé, M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est interrogé sur l'association de la Cour des Comptes à la définition des agrégats correspondants aux critères de convergence, ainsi qu'à la procédure dite des déficits excessifs".

M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est également interrogé sur l'évolution de la situation dans le domaine de la gestion de fait, et sur le rôle des corps d'inspection dans l'assainissement de cette situation.

Le rapporteur général a ensuite soulevé la question de la présentation traditionnelle du budget, qui ne retient que certaines dépenses définitives de l'État et les opérations des comptes spéciaux du trésor, et ne rend pas compte ni des prélèvements sur recettes, ni des budgets annexes présentés en équilibre, ni des opérations temporaires des comptes spéciaux du trésor, ni encore des fonds de concours.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite posé trois questions inspirées par le récent débat d'orientation budgétaire : la réduction souvent évoquée des effectifs de la fonction publique sera-t-elle suffisante pour compenser le gonflement à venir des dépenses de pension des agents publics ? Comment prévoir des réductions de subventions de fonctionnement à des établissements publics dont la gestion reste largement autonome ? Peut-on envisager d'élaborer des indicateurs d'évaluation simples pour apprécier des interventions telles que les aides publiques à l'emploi ?

Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est interrogé sur évaluation par la Cour des Comptes du prélèvement sur la caisse de garantie du logement social opéré par la dernière loi de finances rectificative, et sur appréciation faite par la Cour du prélèvement annoncé sur France Télécom.

En réponse. M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des Comptes, a tout d'abord précisé que les juridictions des comptes des pays de l'Union Européenne étaient très inégalement associées à l'appréciation des critères de convergence budgétaires, et que la Cour des Comptes se tenait à cet égard à la disposition des institutions tout en estimant ne pas devoir prendre d'initiative particulière.

M. Pierre Joxe a ensuite estimé que le principe de la gestion de fait avait longtemps été ignoré des élus, et que les chambres régionales des comptes considéraient jouer en ce domaine un rôle pédagogique, de manière vraisemblablement assez hétérogène. Selon le premier président, les autres corps de contrôle ne devraient pas manquer de coopérer à cette entreprise d'assainissement, souvent ressentie à tort de manière négative par les élus.

S'agissant de la réduction de la dépense publique, M. Pierre Joxe a appelé que la Cour menait une enquête approfondie sur la fonction publique, dont les effectifs et les modes de rémunération restaient mal connus. Le président a par ailleurs indiqué que la Cour des Comptes menait une enquête sur les aides publiques à l'emploi dont l'efficacité se révélait très inégale.

M. Jacques Bonnet, président de la première chambre a ensuite souligné la diversification croissante des notions usitées en droit budgétaire, qui menait à ce que l'on pouvait qualifier de "confusion comptable" : ainsi, le rapport de la Cour sur l'exécution du budget de 1994 ne contient pas moins de trois définitions des dépenses de l'État. Cette hétérogénéité des présentations peut aussi aboutir à rendre difficile les comparaisons dans le temps, comme c'est le cas pour l'évolution du déficit budgétaire entre 1994 et 1995 selon que l'on rattache ou non au budget général les recettes de privatisation.

Selon M. Jacques Bonnet la comptabilité "de caisse" devrait évoluer vers une comptabilité de "droits constatés" ce qui permettrait d'éliminer la séparation des opérations budgétaires et des opérations de trésorerie ; de même, devrait être mise en place une comptabilité publique insérant des éléments de type patrimonial.

Toutefois. M. Jacques Bonnet, a estimé que l'amélioration des règles comptables ne devrait pas aboutir à un trop grand perfectionnisme, l'information comptable se révélant d'un coût élevé.

M. Bernard Zuber, conseiller maître, a ensuite fait part des travaux effectués par la Cour des Comptes sur le prélèvement opéré par l'État au début de l'année 1996 sur la caisse de garantie du logement social, qui révélait une très grande complexité des opérations comptables au sein de la caisse des dépôts et consignations.

M. Bernard Zuber a par ailleurs rappelé que les charges de retraite de France Télécom étaient estimées à 250 milliards de francs, et que les contributions forfaitaires de l'entreprise devraient s'élever à 100 milliards de francs : sur les 100 milliards de francs restant, une soulte serait prélevée sur France Télécom dont le montant s'établirait entre 20 et 50 milliards.

M. François Trucy s'est ensuite interrogé sur les efforts compares de la France et de l'Allemagne pour réduire le déficit budgétaire et sur les causes de l'érosion des recettes fiscales de l'État constatée depuis 1990.

M. Joël Bourdin a estimé que la Cour des Comptes avait fait publiquement montre d'une certaine sévérité vis-à-vis des collectivités locales en soulignant l'importance des concours que leur versait l'État, et ce alors que les recettes transférées se révélaient inférieures aux dépenses nouvelles.

M. Maurice Schumann a souligné la rigueur fiscale dont les collectivités territoriales avaient fait preuve ; il a par ailleurs félicité le premier président de la Cour des Comptes pour sa dénonciation de la régulation budgétaire, sans doute inévitable dans son principe, mais portant atteinte aux priorités définies dans le cadre des discussions parlementaires.

M. Henri Collard s'est interrogé sur le bien fondé de l'appréciation technique par une chambre régionale des comptes d'un projet de construction d'ouvrage public.

Mme Marie-Claude Beaudeau a souligné le caractère confidentiel des aides publiques versées aux entreprises, interdisant tout contrôle sur le respect du principe du "donnant-donnant".

En réponse à M. Maurice Schumann, M. Pierre Joxe s'est félicité de l'émergence des réflexions sur la pratique de la régulation budgétaire.

Répondant à M. François Trucy, M. Pierre Joxe a souligné la très forte spécificité de la situation allemande, l'ampleur des dépenses de la réunification ayant porté l'endettement à 52 % du produit intérieur brut et ne permettant pas de dessiner avec précision les perspectives d'évolution des finances publiques.

M. Pierre Joxe a également insisté sur la très grande sensibilité du produit de la taxe sur la valeur ajoutée à la conjoncture économique française, qui avait pu justifier certaines opérations de régulation des dépenses.

En réponse à M. Joël Bourdin, M. Pierre Joxe a estimé que la Cour des Comptes ne s'était pas prononcée sur le bien-fondé des dotations aux collectivités locales, mais sur la compatibilité de l'évolution des impôts locaux avec les prescriptions de la loi quinquennale de maîtrise des finances publiques.

M. Christian Poncelet, président, a alors souligné l'importance des dépenses "à guichet ouvert", souvent imposées aux collectivités locales.

En réponse à M. Henri Collard, le premier président de la Cour des Comptes a estimé que l'appréciation portée par une chambre régionale des comptes sur la construction d'un ouvrage public devrait être située dans le contexte d'ensemble de l'opération.

Répondant à Mme Marie-Claude Beaudeau, il a rappelé que la Cour des Comptes était habilitée à examiner l'ensemble des aides publiques aux entreprises, et que l'analyse des aides à l'emploi révélait la nécessité d'une évaluation préalable à toute réforme.

Enfin, en réponse à M. Alain Lambert, rapporteur général, le premier président de la Cour des Comptes a estimé que les subventions de fonctionnement aux établissements publics recouvraient souvent de véritables dépenses d'intervention, qui amenaient les corps d'inspection et de contrôle à apprécier le bien-fondé des crédits alloués, non seulement au regard de l'efficacité de la gestion, mais aussi des objectifs globaux poursuivis par ces organismes.

2. Examen du projet de loi

Réunie le mercredi 12 juin 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'examen du projet de loi 404 (1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1994, sur le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur général.

M. Alain Lambert, rapporteur général a estimé que l'exercice 1994 pouvait être considéré comme le début de l'entreprise difficile de maîtrise de la dépense publique, en rappelant qu'au plan conjoncturel, l'année 1994 avait marqué une inflexion sensible par rapport à 1993 -à une récession de 1,4 % avait succédé une croissance du PIB de 2,8 %-, mais que l'analyse détaillée des composantes de cette croissance ne délivrait pas que des enseignements réconfortants.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a également rappelé que la croissance avait déjoué les prévisions officielles, qui s'établissaient à 1,4 % et confirmé ainsi le caractère de plus en plus imprévisible et cyclique de l'économie française, que, par ailleurs, cette croissance avait été essentiellement technique, car après un déstockage massif de 2 points de PIB en 1993, les entreprises avaient "restocké" à hauteur de 1,7 point de PIB en 1994, et qu'enfin, elle a été relativement heurtée, le second semestre étant moins dynamique que le premier.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a souligné l'émergence, depuis 1988, d'un écart croissant entre prévisions et réalisations : en effet, les modèles macroéconomiques, qui font pourtant l'objet de recalages permanents, peinent à rendre compte des modifications de comportement des agents économiques et des conséquences de la mondialisation de l'économie.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a insisté sur la difficulté croissante de construire des budgets reposant sur des bases macroéconomiques assurées : en 1994, les prévisions de recettes ont été bonnes, mais elles ont résulté en fait de deux erreurs de sens contraire, car la croissance a été plus forte que prévu, mais la composition de cette croissance moins porteuse en recettes qu'il n'avait été escompté, en raison notamment des fortes variations de stocks.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a rappelé que les recettes fiscales nettes s'étaient accrues de 3,7 %, alors que le PIB en valeur avait augmenté de 4,3 % et que l'élasticité des recettes à la croissance était donc demeurée faible et, par conséquent, préoccupante.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite précisé qu'une analyse plus détaillée de l'exercice 1994 faisait apparaître trois éléments principaux : le basculement du prélèvement France Télécom des recettes non fiscales sur les recettes fiscales à hauteur de 15 milliards de francs, la prise en compte des modifications de perception de la taxe sur la valeur ajoutée (suppression de la règle du décalage d'un mois et TVA intracommunautaire) qui expliquait pour près de 17 milliards de francs la progression des recettes totales de 1994 par rapport à 1993, et enfin la mise en oeuvre de la réforme du barème de l'impôt sur le revenu qui avait représenté un allégement net de près de 21 milliards de francs.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite rappelé que l'analyse des dépenses se heurtait traditionnellement au choix d'un indicateur pertinent et que l'indicateur "dépenses nettes du budget général" pouvait être considéré comme le plus fiable, cet indicateur faisant apparaître une hausse de 3,3 %, après une progression de 5.5 % en 1993 et de 6,7 % en 1992.

Cette évolution est due notamment à la régression de 4,7 % des dépenses civiles en capital -c'est la première fois depuis 1987 que ces dépenses ont diminué d'un exercice sur l'autre-, et à la forte décélération de la hausse des dépenses militaires, essentiellement en matière d'investissement, qui se sont établies à + 1,6 %.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a rappelé que les dépenses civiles ordinaires nettes pour leur part s'étaient accrues de 4 %, après des hausses beaucoup plus importantes, de 6,4 % en 1993 et de 7,8 % en 1992. et que cette décélération apparaissait plus significative encore si l'on prenait en compte la très forte croissance des charges nettes de la dette publique : + 16,4 % .

M. Alain Lambert, rapporteur général, a également indiqué qu'avec une augmentation de 4 %, les charges directes de personnel étaient en ralentissement par rapport aux 5.8 % de 1993. de même que les autres dépenses civiles de fonctionnement, et que les dépenses d'intervention avaient progressé de 22 milliards, soit de 5,2 % en raison surtout de l'augmentation des dépenses actives en faveur de l'emploi.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a précisé que le rapprochement des évolutions des recettes et des dépenses de 1994 conduisait à un déficit de près de 349 milliards de francs, dans une présentation excluant les ressources tirées des opérations de privatisation et affectées au financement de dépenses d'intervention -soit 50 milliards de francs- ce déficit ne représentant plus que 4,72 % du PIB en 1994 contre 4,89 % en 1993.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite rappelé deux propositions de méthode avancées par la commission des finances, telles que la tenue au printemps du débat d'orientation budgétaire, dont l'inauguration en mai dernier avait permis de disposer d'un document remarquable établi par la Cour des Comptes sur l'exécution de 1995 ; il a regretté que ce débat, l'examen de la loi de règlement et la désormais traditionnelle résolution sur les déficits excessifs, n'ait pu être mieux synchronisé.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a également évoqué la création d'une dotation de réserve conjoncturelle, proposition dont le ministre délégué au budget avait officiellement pris acte le 22 mai dernier lors du débat d'orientation budgétaire, mais dont la mise en oeuvre pourrait se révéler techniquement délicate.

À l'issue de cet exposé, M. Michel Charasse a exprimé ses réserves sur la création d'une dotation de réserve conjoncturelle, selon lui peu compatible avec la notion de "crédits devenus sans objet" désignés par l'article 13 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

M. Michel Charasse a souligné que, dans tous les cas, une telle dotation ne pourrait empêcher le Gouvernement d'opérer des annulations de crédits sur d'autres chapitres, et a estimé que les arrêtés d'annulation importants devraient être précédés d'une audition du ministre chargé du budget par les commissions des finances des assemblées.

La commission a ensuite adopté un amendement à l'article 16 tendant à rectifier le montant de dépenses qualifiées d'utilité publique dans le cadre d'une gestion de fait.

La commission a ensuite approuvé le projet de loi ainsi modifié.

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