Rapport n° 442 (1995-1996) de M. Philippe FRANÇOIS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 juin 1996

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442

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 juin 1996.

RAPPORT

FAIT

ou nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Philippe FRANÇOIS sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (n° E-569).

Par M. Philippe FRANÇOIS,

Sénateur.

1 Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia. François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Laurel, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jean Puech, Paul Raoult. Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet, Jean-Pierre Vial.

Voir le numéro :

Sénat : 275 (1995-1996).

Union européenne.

Mesdames,

Messieurs,

Votre commission est saisie d'une proposition de résolution présentée par votre rapporteur sur la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (n° E-569).

Cette proposition de décision du Conseil ne crée pas de droit positif puisque son objet est de régulariser le fonctionnement d'une ligne budgétaire en lui donnant une base juridique légale et en instituant des modalités de vote des crédits annuels conformes au droit budgétaire communautaire, avec un engagement de programme sur quatre ans. Il n'était donc pas à ce titre justifié de soumettre un tel projet de décision à l'avis de la représentation nationale, mais le Conseil d'Etat en a jugé autrement, faisant observer que si, en principe, les régimes d'aide relèvent du domaine réglementaire, en l'espèce le projet de décision comprenait également des mesures de contrôle sur place d'organismes privés relevant du domaine de la loi.

La décision du Premier ministre de transmettre au Parlement français cette proposition de décision du Conseil permet de s'interroger sur l'opportunité d'un tel programme de financement au regard du principe de la subsidiarité, du souci légitime d'une bonne gestion des fonds communautaires, et de la nécessaire transparence des financements apportés à des structures participant à la vie politique nationale et communautaire.

CHAPITRE I - LE CONTENU DE LA PROPOSITION DU CONSEIL

A. RAPPEL DES COMPÉTENCES DE LA COMMUNAUTÉ DANS LE DOMAINE DE L'ENVIRONNEMENT

Les compétences et les moyens de la Communauté européenne se sont progressivement affirmés en matière de protection de l'environnement.


• Initialement, le Traité de Rome n'intégrait pas la protection de 1'environnement dans ses objectifs. La combinaison de l'article 100 dudit Traité, qui fixait un principe d'harmonisation des dispositions nationales, afin d'éviter les distorsions de la concurrence et de l'article 235 qui permettait aux institutions d'intervenir, quand le Traité n'avait pas prévu d'attributions spécifiques, pour réaliser l'un des objectifs institutifs du Traité comme « l'amélioration constante des conditions de vie et de travail dans les États membres » avait permis d'adopter quelques mesures spécifiques en matière d'environnement, mais il ne s'agissait là que d'un palliatif.


• L'acte Unique, entré en vigueur le 1er juillet 1987, a introduit dans le Traité CEE un titre spécial consacré à l'environnement, dont les articles 130 R à 130 T définissent les objectifs particuliers et les moyens d'intervention. Les actions définies par la politique communautaire doivent « préserver, protéger, améliorer la qualité de l'environnement », « contribuer à la protection de la santé des personnes et « assurer une utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles ». Enfin, l'article 130 R, précise « que les exigences en matière de protection de l'environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté ».


• Au sommet de Dublin, les chefs d'État s'étaient engagés à garantir la mise en oeuvre, pour l'ensemble des citoyens européens, d'un « droit à un environnement sain » et le Traité de Maastricht introduit l'environnement dans le texte du Préambule et insère sa protection parmi les objectifs de l'Union en se référant à « une croissance durable respectant l'environnement ». Le nouveau titre XVI consacré à l'environnement énonce que « les exigences en matière de protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des autres politiques de la communauté ». Les institutions européennes devront donc viser un niveau de protection élevé, agir en respectant le principe pollueur-payeur et le principe de précaution en particulier par la réduction des pollutions à la source.

Enfin, les nouveaux articles 130 R et S prévoient que la procédure d'adoption des décisions en matière d'environnement sera en principe la majorité qualifiée, mais les exceptions à cette règle restent importantes. Sont, en effet, toujours soumises à la règle de l'unanimité l'adoption de décisions notamment de « nature essentiellement fiscale, concernant l'affectation des sols, à l'exclusion de la gestion des déchets ainsi que la gestion des ressources hydrauliques.


• On peut enfin rappeler très brièvement que la mise en oeuvre de la politique européenne en matière d'environnement passe par plusieurs types d'interventions financières :

- les plus coordonnées ont d'abord été initiées en 1984 à travers les Actions communautaires pour l'Environnement (ACE) regroupées depuis 1992 dans l'Instrument Financier pour l'Environnement (LIFE) pour permettre une meilleure intégration de l'approche environnementale telle que souhaitée par le Ve Programme d'Action Communautaire en matière d'environnement. Il s'agit de rassembler les programmes spécifiques à l'environnement, de nature non structurelle, destinés à intervenir en faveur de mesures concrètes et pour des actions de terrain ;

- l'environnement est également un des domaines importants d'intervention des fonds structurels ou de certains autres instruments financiers (recherche, coopération avec les pays tiers, instruments de prêts). Il existe désormais un Fonds de cohésion qui, sur la période 1994-1999, peut prendre en charge, dans les pays membres les moins prospères, une grande partie des dépenses publiques en matière d'infrastructures de transport et de protection de l'environnement.

En résumé, on peut noter un effort de rationalisation et de clarification dans la répartition des crédits communautaires alloués à l'environnement au terme duquel les actions de caractère structurel doivent s'inscrire dans les financements alloués aux fonds structurels et au fonds de cohésion tandis que toutes les autres actions, notamment celles de démonstration, de promotion, de diffusion de l'information doivent être regroupées dans un cadre budgétaire unique, dénommé LIFE-instrument financier pour l'environnement. Ces deux cadres comportent des modes d'octroi des fonds conformes aux compétences respectives du Conseil et de la commission.

En pérennisant un circuit de financement parallèle à la discrétion de la commission, le dispositif inclus dans la proposition de décision du Conseil et soumis à notre examen renforce l'opacité des crédits communautaires. On peut, dès lors, craindre qu'il contrevienne à l'effort de clarification rappelé ci-dessus.

B. LE DISPOSITIF D'ACTION COMMUNAUTAIRE POUR LA PROMOTION DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES AYANT POUR BUT PRINCIPAL LA DÉFENSE DE L'ENVIRONNEMENT

1. Les objectifs du programme d'intervention communautaire

La proposition de décision du Conseil tend à donner une base légale aux activités financées au titre de la ligne budgétaire B4-306 « sensibilisation et subventions » conformément aux termes de la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la commission du 28 juin 1982 sur les mesures permettant d'assurer un meilleur déroulement de la procédure budgétaire.

Sur cette ligne budgétaire, la commission alloue au cas par cas des concours financiers à des associations de droit privé, militant en faveur de l'environnement.

L'article premier de la proposition de décision se propose de développer et de favoriser la mise en oeuvre de la politique et de la législation communautaires en matière d'environnement en encourageant les activités de protection de l'environnement menées par des organisations non gouvernementales de dimension européenne.

En annexe sont détaillées les activités fonctionnelles éligibles à ce programme qui pourront mobiliser 70 % des fonds alloués à cette ligne budgétaire, les 30 % restant étant utilisés à des actions de soutien administratif.


Information sur l'environnement

- Faciliter le dialogue et les échanges d'information entre les organisations de défense de l'environnement actives au niveau européen et les institutions de la Communauté.

- Développer les infrastructures d'information et de documentation sur la protection de l'environnement à l'usage des professionnels et des décideurs politiques, et pour la diffusion des connaissances au sein de groupes ciblés prédéterminés.

40 % du total des activités fonctionnelles.


• Analyse des actions en faveur de l'environnement

- Encourager et coordonner des projets écologiques en renforçant les effets démultiplicateurs de leurs résultats.

- Élaborer des rapports concernant le niveau, l'étendue et la nature des problèmes écologiques solubles à l'échelon communautaire et auxquels la Communauté pourrait s'attaquer plus activement.

- Entreprendre des analyses sur la pénétration de la dimension environnementale dans les autres domaines couverts par les politiques communautaires.

40 % du total des activités fonctionnelles.


Coopération entre les intervenants dans le domaine de l'environnement et les ONG opérant au niveau européen

- Promouvoir la coopération entre les partenaires désignés par le 5e programme d'action.

- Conformément au principe de subsidiarité, assurer la complémentarité entre les programmes communautaires et les actions nationales, régionales et locales en faveur de l'environnement qui relèvent du secteur bénévole.

20 % du total des activités fonctionnelles.

2. Définition des bénéficiaires du programme d'intervention communautaire

Le texte de la proposition reste très imprécis sur les candidats éligibles à ce programme et les critères de sélection envisagés . Seul, l'article premier de la proposition de décision se réfère aux organisations non gouvernementales de dimension européenne menant des activités de protection de l'environnement.

L'exposé des motifs ne donne pas plus de précision sur la définition des bénéficiaires mais avance plusieurs arguments pour justifier des soutiens communautaires aux organisations non gouvernementales de défense de l'environnement.

Ainsi, toujours selon l'exposé des motifs, ces associations européennes, du fait de leur grande indépendance et de leur forte motivation, ont une vision constructive des problèmes écologiques actuels. Elles ont la capacité de coopérer avec un vaste éventail d'acteurs, et peuvent relayer la communication vers leurs homologues nationales, régionales ou locales, aidant ainsi la commission à diffuser l'information sur les questions politiques relevant de l'environnement. D'un point de vue économique, il apparaît judicieux d'utiliser ces structures qui fonctionnent efficacement avec, souvent, un minimum de frais, plutôt que de créer et de maintenir en fonctionnement de nouvelles infrastructures.

Les concours communautaires devraient avoir un effet démultiplicateur, amplifier les mesures nationales ou locales de défense de l'environnement entreprises par ces associations et permettre de mettre l'accent sur la dimension européenne des problèmes soulevés.

Enfin, il est à plusieurs reprises affirmé dans les considérants de la proposition de décision que la participation, voire la coopération avec les organisations non gouvernementales européennes de défense de l'environnement, sont indispensables pour mettre en oeuvre le Ve Programme d'action pour l'environnement, afin d'atteindre l'objectif du développement durable.

Tout laisse à penser que la commission se réserve la définition des critères d'éligibilité au programme, sans y associer les États membres.

3. Procédure de sélection et de contrôle des activités éligibles au programme


• Les articles 3 et 7 de la proposition de décision du Conseil donnent tout pouvoir à la commission pour sélectionner les projets à financer. Elle devra publier au Journal Officiel des Communautés Européennes un avis décrivant les types d'activités pouvant être financés, précisant les critères de sélection et d'attribution ainsi que les procédures de sélection et d'approbation. Cet avis devra être publié avant le 30 septembre de l'année qui précède l'année d'attribution des crédits.

Les demandes de subventions sont à adresser à la commission, et les décisions d'approbation seront approuvées pour le 30 avril de chaque année et feront l'objet d'un accord formel fixant les droits et obligations des bénéficiaires.

Les subventions accordées seront versées directement, sans passer par des intermédiaires, aux bénéficiaires finals. L'aide communautaire devra porter sur des activités ayant lieu dans le courant de l'année de versement de la subvention et de l'année suivante. Sur ce dernier point, le Conseil économique et social des communautés européennes, dans l'avis rendu le 24 avril 1996, émet des doutes, compte tenu des retards chroniques dans la procédure d'octroi d'aides, sur la possibilité de mener à bien l'activité prévue au cours de l'année de versement de la subvention.


• Les articles 8, 9 et 10 font obligation à la commission de prendre toutes dispositions utiles pour « vérifier que les actions subventionnées par la Communauté ont été effectuées correctement, prévenir et combattre les irrégularités et, enfin, récupérer les sommes indûment perçues par abus ou par négligence ». L'article 8 institue notamment un droit de contrôle sur place pour les fonctionnaires et agents de la commission, qui s'exerce sans préjudice du contrôle exercé par la Cour des comptes. Le bénéficiaire est tenu de conserver tous les justificatifs liés à une action ayant donné lieu à subvention pendant cinq ans et il doit remettre un rapport à la commission pour chaque action subventionnée dans un délai de trois mois à compter de sa réalisation.

En cas d'irrégularités constatées, la commission peut décider de réduire ou de suspendre le versement de l'aide. Tout versement indu doit être remboursé, éventuellement majoré d'intérêts moratoires.

4. Définition des engagements financiers à travers le programme d'intervention communautaire


• L'article 4 de la proposition de décision du Conseil précise que « l'aide financière consistera à cofinancer des actions ou à subventionner les organisations non gouvernementales ».

Pour ce qui est des mesures de soutien administratif, la durée de versement de la subvention ne devrait pas excéder trois ans et, en principe, le taux de l'aide communautaire ne devrait pas dépasser « 40 % des dépenses de fonctionnement » des associations subventionnées.


• Mais dans son avis déjà cité, le comité économique et social des Communautés européennes critique la faiblesse du dispositif tant sur la durée d'attribution de la subvention que sur son montant, invoquant la faiblesse des moyens propres des associations. Il préconise ainsi de fixer un cadre plus souple pour la promotion des associations en s'inspirant de la réglementation adoptée pour les organisations non gouvernementales d'aide au développement qui est beaucoup plus généreuse tant sur les modalités de l'aide que pour la durée du financement des activités administratives. Le Comité économique et social souhaite voir appliquer un même traitement à des activités méritant d'être soutenues dans la même mesure.


• Or, on peut craindre que l'octroi de subventions pour prendre en charge des dépenses de fonctionnement ne donne lieu à beaucoup d'abus. En effet, compte tenu de l'extrême souplesse des règles de fonctionnement des « ONG », qui sont des associations de droit privé, (certains États membres connaissent des statuts encore plus souples que ceux de la loi de 1901 en France) et, en particulier, de leurs règles financières (absence de certification extérieure des comptes, totalisation des ressources, auto-évaluation des dépenses...), il est extrêmement difficile d'apprécier objectivement le montant total de leurs « frais de fonctionnement ». Dans son rapport spécial n 3/92 sur l'environnement, la Cour des comptes avait souligné l'ambiguïté des subventions forfaitaires de fonctionnement et souhaité, qu'à tout le moins, elles soient attribuées selon des procédures budgétaires rigoureuses, afin d'en renforcer le caractère sélectif et assurer une meilleure surveillance de leur utilisation. Il est permis d'émettre des doutes sur la mise en oeuvre effective de ces recommandations à la lecture du dispositif proposé par la présente proposition de décision du Conseil.

CHAPITRE II - LES RÉSERVES DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA LÉGITIMITÉ INSTITUTIONNELLE DU DISPOSITIF, SES LACUNES ET SES DÉRIVES POTENTIELLES

L'étude du dispositif prévu par la proposition d'acte communautaire E-569 soulève beaucoup d'interrogations, et votre commission n'ayant pas reçu les apaisements nécessaires émet les plus graves réserves quant à l'adoption de ce texte.

A. DES INTERROGATIONS SUR LA LÉGITIMITÉ INSTITUTIONNELLE DU DISPOSITIF PROPOSÉ


• Si la compétence communautaire en matière de préservation de l'environnement n'est pas contestable, on peut toutefois s'interroger sur l'opportunité de voir les services de la commission redistribuer des fonds communautaires à des organisations, non en vue d'une action dont l'objectif a été défini, mais pour contribuer à leur fonctionnement même. Il semble à priori que les États membres soient mieux à même, par leur connaissance plus directe du travail de ces organisations, de soutenir par des subventions l'une ou l'autre de celles-ci. De plus, en ce qui concerne la France, si le ministère de l'Environnement accorde des subventions à un certain nombre d'associations, il le fait toujours en liaison avec des programmes et des actions, et jamais, semble-t-il, au regard du seul fonctionnement de l'association. Le dispositif de la présente proposition risque de mettre ainsi en porte-à-faux les autorités administratives françaises vis-à-vis des associations intervenant dans le domaine de l'environnement.


• Comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du règlement, en se contentant d'affirmer qu'il faut retenir une « interprétation politique » du principe de subsidiarité, la commission n'apporte nullement la démonstration de la nécessité d'une intervention communautaire en faveur du fonctionnement des ONG de défense de l'environnement, alors que la compétence communautaire en matière d'environnement est tout entière dominée par le principe de subsidiarité.

Ainsi que le rappelle l'exposé des motifs, il est même expressément prévu par le Traité que « sans préjudice de certaines mesures ayant un caractère communautaire, les États membres assurent le financement et l'exécution de la politique en matière d'environnement » (article 130 S). Il convient de noter, surtout, que les subventions au fonctionnement des associations ayant pour but la protection de l'environnement n'entrent pas dans le champ des compétences communautaires résultant des traités. Or, conformément au principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article 3 B du traité instituant la Communauté européenne, ces compétences doivent faire l'objet d'une interprétation stricte.

À tout le moins, la reconnaissance du principe de subsidiarité devrait permettre d'associer des représentants des autorités nationales à la prise de décision et à la sélection des projets subventionnés. Or, le projet de décision du conseil ne prévoit à aucun moment de la procédure d'associer les États membres, ni même de les consulter ou de les informer, alors même qu'à l'heure actuelle cette consultation se pratique.

B. DES INQUIÉTUDES EN RAISON DES LACUNES DU TEXTE


• Votre commission s'inquiète du dispositif proposé qui habilite la commission européenne à choisir discrétionnairement les associations, qu'elle pourrait subventionner à hauteur de 40 % de leur frais de fonctionnement.

L'examen de la liste des organisations non gouvernementales ayant reçu des subventions communautaires au titre du budget 1995 apporte peu d'éléments sur le caractère réellement européen des associations subventionnées.

La liste publiée au Journal Officiel des Communautés européennes en date du 19 avril 1996 recense 79 projets subventionnés, parmi lesquels 3 ont leur siège en France, 15 aux Pays-Bas, 15 en Belgique et 11 en Allemagne. Le contenu des informations est extrêmement réduit puisque seuls sont mentionnés le nom de l'organisation non gouvernementale, le pays siège et le montant de la subvention versée. Il n'y a aucun élément permettant de vérifier le caractère effectivement européen de l'organisation ou du projet aidé.

Il est ainsi permis de s'interroger sur les critères qui ont donné lieu à l'attribution de subventions à des associations comme :

- le musée d'histoire naturelle de Goulandris en Grèce qui a reçu deux subventions de 33.112 écus et de 67.169 écus ;

- la ville de Rotterdam pour un montant de 85.408 écus, la commune de Rome pour 90432 écus ou encore la ville de Lisbonne pour 147.436 écus ;

- les trois organisations dont le siège est en France ayant reçu des subventions communautaires en 1995 sont :

. la Fédération française d'économie montagnarde (subvention = 30.620 écus,

. la Fédération mondiale des cités unies et villes jumelées (subvention = 149.086 écus),

. l'Association Poitou-Charentes qui est une antenne locale de l'association France Nature Environnement (subvention : 325.495 écus).


• Dans ces conditions, étant donné le pouvoir discrétionnaire laissé à la commission pour l'attribution de ces subventions, il est à craindre :

- d'une part que l'attribution de crédits communautaires à certaines organisations contribue à fausser les débats sur des sujets sensibles en matière d'environnement, car la commission européenne aura tendance à favoriser les organisations qui soutiennent ses vues puisque « par leur potentiel démultiplicateur au niveau de la Communauté, ces structures aident la commission à promouvoir et à mettre en oeuvre la politique communautaire de l'environnement » .

- d'autre part, et sur ce point également, votre commission reprend à son compte les arguments développés dans la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du règlement, assimilant les subventions versées par la commission européenne à une forme d'intervention dans les débats politiques nationaux et locaux.

« En effet, les associations de défense de l'environnement participent au débat politique à tous les échelons, pour soutenir ou dénoncer des décisions gouvernementales, départementales, locales, voire pour présenter des candidats aux élections ou tout le moins, leur accorder un patronage... Si, ces associations, et elles seules, recevaient des subventions communautaires, au motif qu'elles ont par ailleurs, une envergure européenne, on pourrait considérer qu'il y a là une certaine atteinte aux principes d'égalité et de transparence ».

C. DES CRAINTES QUANT À UNE DÉRIVE FINANCIÈRE DU DISPOSITIF


• Des incohérences inexpliquées entre les crédits inscrits au budget de la commission et les éléments de la « fiche financière » jointe à la proposition de décision du Conseil.

La comparaison entre les crédits inscrits sur la ligne budgétaire B4-306, créée sur la base d'une résolution du Conseil du 1er février 1993 et les prévisions inclues dans la « fiche financière » jointe à la proposition de décision du Conseil souligne les incohérences et les contradictions entre le vote du budget d'une part et le lancement de programmes pluriannuels d'autre part.

Le tableau ci-dessous résume les éléments financiers inscrits à la ligne B4-306 dans le projet de budget pour 1996.

On peut indiquer qu'en 1993, le crédit inscrit sur la ligne B4-306, soit 8 millions d'écus, avait accusé une très nette sous-consommation qui s'était réduite les années suivantes mais avait entraîné une réduction du montant des crédits inscrits en 1994.

Pour 1996, et compte tenu des modalités d'exécution de cette ligne budgétaire, la tranche 1995 des crédits de paiements est fixée à 6,75 millions d'écus, et celles de 1997 et 1998 sont respectivement de 5,7 et 2,36 millions d'écus.

Le total des engagements de crédits d'ores et déjà inscrits au budget de 1996 s'élève à 23,013 millions d'écus.

Or, les montants budgétaires annoncés dans la fiche financière jointe au projet de décision du Conseil sont beaucoup plus modestes, comme l'indique le tableau ci-dessous :

Les perspectives financières (indicatives) contenues dans la fiche financière font état au total d'une dépense de 10,6 millions d'écus répartis en quatre ans.


• Il convient de rappeler, à cette occasion, que les éléments de cette fiche financière n'ont qu'une valeur indicative et que tout permet de penser que les montants annoncés seront très probablement dépasses.

En effet cette présentation par tranches annuelles des programmes est conforme aux conclusions de l'accord intervenu entre la commission, le Parlement européen et le Conseil au sujet des programmes pluriannuels financés dans un tel cadre, et qui met un terme à de longues négociations opposant le Parlement et la commission au Conseil ; ce dernier, dans un souci de maîtrise des dépenses communautaires, entendait réserver son accord aux programmes pluriannuels présentés par la commission s'ils étaient accompagnés d'un échéancier des crédits prévisionnels. S'opposant à ce qu'ils dénonçaient comme un empiétement sur leur compétence budgétaire, le Parlement et la commission ont finalement conclu un accord avec le Conseil, arrêté par la Déclaration commune des trois institutions du 6 mars 1995 aux termes de laquelle une procédure distincte s'applique selon qu'il s'agit :

- d'actes législatifs concernant les programmes pluriannuels adoptés en codécision par le Conseil et le Parlement européen : la définition d'une enveloppe financière peut y être inscrite, ne constituant cependant qu'une « référence privilégiée pour l'autorité budgétaire dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle » ;

- de programmes pluriannuels non soumis à codécision : l'acte lui-même ne comporte alors aucun « montant estimé nécessaire » ; le Conseil peut seulement introduire une « référence financière » qui, toutefois, ne revêt qu'un « caractère illustratif de la volonté du législateur et n'affecte pas les compétences de l'autorité budgétaire définies par le Traité » .

Selon l'article 130 S du Traité, qui prévoit qu'en matière d'environnement le Conseil statue selon la procédure de l'article 189 C, la proposition E 569 appartient à la catégorie des actes législatifs non soumis à codécision, et ne comportant pas de « montant estimé nécessaire » . Elle n'inclut donc qu'une « fiche financière » sans portée normative.

Ce programme pluriannuel, une fois adopté, est ainsi susceptible de faire l'objet d'une discussion annuelle, dans le cadre de la délibération budgétaire entre le Conseil et le Parlement européen, la ligne B 4-3060 « sensibilisation et subvention » ressortissant aux dépenses non obligatoires pour lesquelles le Parlement européen dispose du « dernier mot ».

Tout laisse à penser que les montants, relativement modestes, qui sont mentionnés dans la « fiche financière » annexée à la proposition E 569 seront substantiellement augmentés au fil des discussions budgétaires, compte tenu de l'attitude traditionnellement favorable du Parlement européen vis-à-vis de ce type de dépenses. La teneur de l'avis déjà cité du comité économique et social qui préconise un système d'aides plus généreux tant sur les montants que sur les durées d'attribution des subventions ne fait que conforter les craintes de votre commission à ce sujet.

CHAPITRE III - POSITION DE VOTRE COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 275

Votre commission a souscrit pleinement aux graves réserves émises par la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur la proposition de décision du Conseil E-569. Aussi a-t-elle approuvé le dispositif de la proposition de résolution n° 275.

Votre rapporteur avait envisagé de compléter sa proposition de résolution initiale par deux recommandations afin d'aider le Gouvernement à défendre une position ferme au Conseil des ministres européen et à obtenir des garanties qui soient intégrées dans le projet de décision. Cependant, la première position adoptée à l'unanimité par la délégation du Sénat pour l'Union européenne est apparue à votre commission comme la seule susceptible d'empêcher les dérives de nature financière et politique impliquées par la proposition d'acte communautaire susvisée.

En effet, au cours de sa séance du 19 juin 1996, après l'exposé général de votre rapporteur, le débat qui s'est instauré a fait ressortir les réticences nombreuses suscitées par la proposition de décision du Conseil.

Répondant à MM. Jean François-Poncet, président, Jean-François Legrand, Fernand Tardy et Louis Minetti, le rapporteur a indiqué que les deux recommandations faites au Gouvernement devait permettre d'encadrer l'action de la commission européenne et de limiter les dérives tant politiques que budgétaires qu'il avait dénoncé, et qu'à l'heure actuelle l'association Greenpeace ne sollicitait pas de subvention communautaire afin de préserver son indépendance.

M. Jean François-Poncet, président, est intervenu pour souligner tout le danger d'un processus de financement au bénéfice d'organisations, qui au-delà de leur vocation environnementale ont des sensibilités politiques diverses et affirmées, et dont certaines se verraient, selon des critères de choix mal définis, favorisées par des subventions communautaires.

Tout en partageant l'avis des commissaires, le rapporteur a souligné sa volonté d'aider le Gouvernement à obtenir du Conseil des ministres européen des garanties sérieuses permettant d'encadrer l'action de la commission sur ce programme.

À l'issue de la discussion au cours de laquelle MM. Jean François-Poncet, président, Jean-François Le Grand, Louis Moinard, Fernand Tardy et Louis Minetti ont dénoncé le peu de chances d'obtenir de telles garanties et la faible efficacité juridique de ces mesures, votre commission a choisi d'adopter à l'unanimité une proposition de résolution demandant au Gouvernement de s'opposer en l'état à l'adoption du projet de décision du Conseil n° E-569.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission vous demande d'adopter la proposition de résolution ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil concernant un programme d'action communautaire pour la promotion des organisations non gouvernementales ayant pour but principal la défense de l'environnement (n° E-569),

Considérant que l'octroi de subventions de fonctionnement aux associations ayant pour but la défense de l'environnement n'entre pas dans les compétences de la Communauté européenne telles qu'elles sont définies par le traité instituant celle-ci et n'est pas conforme à l'application du principe de subsidiarité,

Considérant au surplus que la commission européenne n'apporte pas, dans sa proposition, des précisions suffisantes quant aux critères de sélection des associations ou organisations bénéficiaires, ni de garanties suffisantes d'utilisation efficace des crédits demandés ;

Considérant enfin que les subventions envisagées pourraient, indirectement, avoir des conséquences sur le financement de la vie politique à l'échelon national ou local ;

Demande, en conséquence, au Gouvernement de s'opposer, en l'état, à l'adoption de cette proposition de décision.

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