II. LES MESURES LÉGISLATIVES TRANSPOSANT CERTAINES STIPULATIONS DE L'ACCORD INTERPROFESSIONNEL DU 31 OCTOBRE 1995 SUR LA POLITIQUE CONTRACTUELLE

Cet article résulte de la lettre rectificative adoptée par le Conseil des ministres du 13 mai 1996. Il vise à prendre les dispositions législatives nécessaires à l'application des orientations définies en matière de négociation collective d'entreprise par l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur la politique contractuelle. Les mécanismes retenus par les partenaires sociaux 3 ( * ) se situent en effet, bien qu'avec d'infinies précautions, en marge de la loi 4 ( * ) qui confie le monopole de la négociation aux délégués syndicaux. Il fallait donc que la loi elle-même ouvre de nouvelles possibilités légales.

L'accord du 31 octobre 1995 sur la politique contractuelle s'inscrit dans la perspective tracée par le relevé de conclusions du 28 février 1995 visant à relancer le dialogue social interprofessionnel. Plusieurs accords ont été conclus sur ces bases, dont l'accord du 6 septembre 1995 « préretraite contre emploi » et celui sur l'emploi, également du 31 octobre 1995, destiné à relancer la négociation sur l'aménagement du temps de travail au niveau des branches.

L'accord sur la politique contractuelle vise à favoriser le dialogue social dans les petites entreprises ne disposant pas de représentation syndicale -les plus nombreuses. Cette absence de dialogue les contraint en effet à rester à l'écart des grandes évolutions sociales visant à adapter les conditions d'emploi et de travail des salariés ainsi que la gestion des entreprises aux mutations économiques et technologiques en cours. Or ces évolutions se font désormais au plus près de l'emploi, au sein même des entreprises.

Plusieurs tentatives ont déjà été faites pour relancer ce dialogue social : on citera la loi quinquennale du 20 décembre 1993 qui a fusionné certaines instances représentatives du personnel afin d'alléger les contraintes pesant sur les entreprises et les salariés, mais sans succès, ou encore la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini relative à la négociation collective et instituant un contrat collectif d'entreprise, non examinée, sans doute en raison de la crainte qu'elle peut susciter de voir toute une partie du droit du travail délocalisée au niveau de l'entreprise.

Cette fois, cependant, l'initiative vient des partenaires sociaux eux-mêmes. L'accord propose de relancer le dialogue social sur la base de trois thèmes de négociation :


• la reconnaissance réciproque des interlocuteurs syndicaux et patronaux, notamment par la formulation de garanties sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales ;


• la recherche des conditions d'une amélioration de la représentation du personnel dans les entreprises pour tenter de pallier les carences en ce domaine : 30 % des établissement de plus de dix salariés n'ont pas de délégués du personnel et près de 20 % des établissements de plus de cinquante salariés n'ont pas de comité d'entreprise ;


• enfin, le développement de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, soit plus de la moitié des entreprises comptant au moins cinquante salariés. Deux dispositifs sont proposés : une négociation menée par des représentants élus du personnel (délégués du personnel, membres élus du comité d'entreprise), ou une négociation menée par des salariés mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales.

Toutefois, les négociations portant sur les deux derniers thèmes sont étroitement encadrées : les dispositifs resteront expérimentaux, ils devront être négociés et conclus avant le 31 octobre 1998 et leur durée de validité est fixée à trois ans ; l'expérimentation devra être autorisée par un accord de branche, qui fixera en outre les thèmes pouvant être négociés dans ce nouveau cadre juridique ; les accords ainsi conclus resteront sous le contrôle des organisations syndicales qui les valideront au sein d'une commission paritaire de branche. Un droit d'opposition est en outre institué au niveau de la branche pour les organisations non signataires, si elles sont majoritaires.

Par ailleurs, une évaluation de ces dispositifs sera faite par les partenaires sociaux eux-mêmes.

Le projet de loi reprend intégralement ces dispositions. Il prévoit en outre une information régulière du Parlement sur les négociations relatives à l'amélioration de la représentation du personnel, dans la mesure où celles-ci pourraient nécessiter une intervention législative.

Une question de procédure s'est posée à l'Assemblée nationale qui a observé que le projet de loi autorisait des dérogations au code du travail, sans préciser les dispositions dérogatoires ; il se contentait de renvoyer à l'accord. Il a semblé à l'Assemblée nationale, à juste raison selon votre commission, qu'il y avait là une atteinte aux pouvoirs du législateur, celui-ci abdiquant une partie de ses compétences au profit des partenaires sociaux. La question pouvait en effet se poser de savoir quelle était la valeur juridique d'un accord dérogatoire non repris par la loi, connu certes, mais susceptible d'être ensuite modifié par avenant. L'Assemblée a donc préféré incorporer à la loi les dispositifs dérogatoires qui de ce fait ne le sont plus, et viennent enrichir les modes de négociation. Cette initiative évite un débat sur la constitutionnalité de ce qui pourrait s'apparenter à une délégation du pouvoir législatif.

Sous cette réserve, l'Assemblée n'a pas modifié les termes de l'accord des partenaires sociaux.

Votre commission approuve également ce qu'elle considère comme une avancée en faveur du dialogue social et de l'adaptation des entreprises au contexte économique actuel, tout en souhaitant que l'expérimentation soit suivie avec la plus grande attention par les partenaires sociaux et par le Gouvernement. En conséquence, elle vous proposera d'adopter sans modification l'article 6 du projet de loi, examiné plus en détail ci-dessous.

* 3 L' accord a été signé par le CNPF, la CGPM, la CFDT, la CFTC et la CGC.

* 4 L'accord et sa transposition dans la loi ne semblent pas devoir poser de problèmes constitutionnels sur ce point, puisque le préambule de la Constitution du 7 octobre 1946 confie la détermination collective des conditions de travail aux travailleurs eux-mêmes qui s'expriment par l'intermédiaire de leurs délégués. Il n'y a donc pas, sur la base de ce texte, de monopole syndical ; il ne semble pas non plus que l'on puisse le justifier par un principe fondamental puisque la loi déroge déjà, en plusieurs occasions (participation et intéressement, prévoyance) à ce « monopole » en matière de négociation collective. Le monopole syndical s'explique par la volonté du législateur de préserver, sur le fondement de la représentativité syndicale, la cohérence et l'homogénéité du droit social ; en dérogeant à ce monopole dans le cas précis des petites entreprises sans représentation syndicale, l'accord et le projet de loi ne remettent pas en cause ce souci d'homogénéité puisque ces dérogations sont étroitement encadrées par l'accord de branche. Le projet de loi va donc plus loin que le droit positif actuel tel qu'il résulte de la récente jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 25 janvier 1995, Comité français contre la faim) puisque le recours à un mandataire doit être autorisé par l'accord de branche, alors que la Cour de cassation ne l'exige pas.

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