C. UN DROIT EUROPÉEN EN MUTATION

Outre les clauses de révision prévues par certaines directives, ces dernières doivent prochainement faire l'objet de modifications, comme l'exige l'application de l'accord sur les marchés publics passé dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), dit accord AMP.

1. L'état des négociations et le calendrier prévisionnel de la révision des directives


• La clause de révision de la directive n° 93/38 en 1998

Il convient tout d'abord de préciser que la directive n° 93/38 (opérateurs de réseaux) comporte une clause de révision, qui doit intervenir au 1er juillet 1998.

Les négociations sur ce point n'en sont qu'à leurs balbutiements.

Il faut souligner que cette révision risque de se « télescoper » avec celle que nécessite la transposition de l'accord AMP en droit communautaire. Ceci ne sera pas sans poser de problèmes, notamment pour le secteur des télécommunications, dont la libéralisation sera totale à compter du 1er janvier 1998 et dont la soumission éventuelle aux nouvelles procédures issues de l'AMP constitue l'un des points majeurs de divergence et de négociation.


• L'accord AMP

Le cycle de l'Uruguay Round, qui s'est conclu par l'accord sur l'OMC, signé à Marrakech le 15 avril 1994, a constitué une nouvelle étape importante vers la libéralisation des échanges mondiaux de biens, mais aussi de services. Il couvre plus largement les marchés publics que les accords précédents.

Le nouveau code sur les marchés publics, dit accord AMP, annexé à l'accord OMC et applicable à compter du 1er janvier 1996, a pour triple objet :

- d'étendre la portée de l'accord initial aux travaux et services, et non plus seulement aux fournitures ;

- d'élargir le champ d'application de cet accord en y incorporant les départements et agences relevant des autorités gouvernementales, régionales et locales, ainsi qu'à des entités qui, dans les secteurs des transports, de l'eau et de l'énergie, opèrent dans un environnement concurrentiel limité ;

- d'améliorer le texte de cet accord et de faire appliquer ses principes de manière plus efficace et systématique.

La négociation a donc porté non seulement sur l'extension du champ d'application de ce code, mais aussi sur l'amélioration des conditions de transparence de l'ouverture des marchés publics (procédure d'ouverture, publicité, obligation d'une large diffusion des cahiers des charges dans les diverses langues accessibles au plus grand nombre d'opérateurs, définition des normes).

Cet accord nécessite une adaptation des directives « marchés publics », qui fait l'objet de négociations difficiles au sein des institutions communautaires.


L'état des négociations

Rappelons que dans la décision par laquelle il a approuvé l'accord AMP, le Conseil des ministres de l'Union européenne a expressément indiqué que cet accord nécessitait une adaptation des directives « marchés publics ». La Commission européenne, quant à elle, avait estimé que cet accord était d'application directe, sans qu'une modification des directives soit juridiquement nécessaire. Toutefois, pour éviter aux opérateurs d'avoir à se référer à deux textes différents et pour éviter des discriminations à rebours, au détriment des industriels européens, elle a estimé utile en définitive d'apporter un certain nombre d'aménagements aux directives. À cet effet, elle a adressé en juin 1995 au Conseil et au Parlement européen deux propositions de directives tendant à modifier d'une part, les directives n° 92-50 (services), n° 93-36 (fournitures) et n° 93-37 (travaux), d'autre part, la directive n° 93-38 (opérateurs de réseaux).S'agissant de cette dernière, la Commission européenne a proposé de nombreuses modifications. Outre de nécessaires adaptations mineures, concernant notamment les seuils 7 ( * ) au-delà desquels les procédures s'appliquent ainsi que les délais 8 ( * ) , elle propose des modifications substantielles concernant :

- les spécifications techniques ;

- la publicité et le système de qualification des fournisseurs ;

- les cas de dérogation à la procédure de mise en concurrence (travaux complémentaires) ;

- les informations à fournir aux candidats et soumissionnaires qui n'ont pas été retenus ;

- des obligations statistiques.

S'il n'a apporté que quelques retouches à la rédaction du premier texte, le Conseil a demandé à la Commission de profondément remanier la proposition de texte modifiant la directive n° 93-38, pour tenir compte notamment des demandes formulées par la France. Pour l'essentiel, ces modifications visent à ne pas soumettre les marchés des opérateurs de télécommunications aux règles issues de l'AMP, à maintenir l'égalité de traitement des opérateurs publics et privés d'un même secteur et à préserver la possibilité pour les opérateurs d'entretenir un dialogue technique précontractuel avec les fournisseurs d'équipements.

Le Conseil a pris une position à l'unanimité en faveur de ces orientations lors du Conseil « marché intérieur » du 23 novembre 1995.

Pour sa part, le Parlement européen a approuvé, avec quelques amendements, la première proposition de directive, relative aux marchés de services, de fournitures et de travaux. En revanche, réuni en séance plénière le 16 juillet 1996, il a rejeté le texte initial de la Commission européenne concernant la directive n° 93-38, au motif qu'il introduisait des procédures plus contraignantes que celles que prévoit l'AMP et qu'il étendait ces contraintes à l'ensemble des opérateurs publics et privés de tous les secteurs couverts par la directive, alors que l'AMP ne couvrait que les opérateurs publics de certains secteurs d'activité, à l'exclusion notamment du secteur des télécommunications.

Le Parlement n'a toutefois pas adopté de résolution législative. De ce fait, le vote intervenu le 16 juillet ne constitue pas un avis du Parlement européen au sens de l'article 189 C-a du traité, permettant au Conseil d'arrêter une position commune. Le texte proposé par la Commission européenne devrait faire l'objet d'un nouvel examen par la Commission économique et monétaire et par le Parlement réuni en séance plénière.


Le calendrier prévisionnel

Ainsi, un processus de modification des directives « services », « fournitures », « travaux » et « opérateurs de réseaux » a été engagé, mais ce processus n'est pas encore parvenu à son terme. Il n'y parviendra, selon toute vraisemblance, que dans un délai de quelques mois. Il ne semble pas que le Conseil soit en mesure d'adopter une « position commune » avant novembre 1996, en admettant que cette dernière soit conforme à l'accord politique de novembre 1995. Lorsqu'elle aura été adoptée, le Parlement européen sera à nouveau saisi. Son examen nécessitera probablement un délai de plusieurs semaines, au terme duquel le Parlement proposera des amendements sur lesquels la Commission ou le Conseil devront se prononcer.

Dans ces conditions, une adoption définitive des directives, adaptant les directives actuelles pour tenir compte de l'AMP, apparaît envisageable au cours du premier semestre 1997, pour autant que le Parlement européen accepte les éléments essentiels de la position commune.

Ces délais seraient vraisemblablement beaucoup plus longs si l'équilibre de l'accord politique de 1995 était remis en cause à l'initiative soit d'un État-membre, soit du Parlement européen.

2. Votre Commission des Affaires économiques réaffirme la position du Sénat sur ces projets de révision

Le 12 octobre 1995, le Sénat a adopté, sur la proposition de votre Commission des Affaires économiques, une résolution sur les propositions de directives modifiant les directives marchées publics.

Rappelons que votre rapporteur 9 ( * ) avait alors souligné que si les propositions concernant les services, fournitures et travaux ne semblaient pas soulever de problème majeur, dans la mesure où les procédures de l'AMP sont tout à fait adaptées à la passation des marchés publics stricto sensu, il n'en était pas de même de celles concernant les industries de réseaux.

En effet, les achats des entreprises industrielles se satisfont mal d'une transposition rigide -et, parfois, à la lettre- de dispositions avant tout destinées aux marchés publics classiques.

Le rapport précité relevait que des modifications proposées par la Commission entraîneraient des inconvénients sérieux pour les industries de réseaux si elles étaient adoptées en l'état.

Rappelons les termes mêmes de la Résolution qu'avait alors adoptée le Sénat :

Résolution adoptée par le Sénat le 12 octobre 1995

Le Sénat,

Invite le Gouvernement à demander au Conseil :

- qu'une transposition communautaire de l'accord plurilatéral sur les marchés publics soit assurée de manière à ce qu'au sein de l'Union européenne soit garantie, sans aucune discrimination relative au statut juridique des entreprises concernées, l'application d'un régime unique de passation des marchés publics quelle que soit l'origine géographique des fournisseurs, entrepreneurs ou prestataires de services pouvant y répondre,

- que l'interprétation de l'AMP devant présider à sa transposition en droit communautaire s'inspire, en vertu du principe de réciprocité, de l'interprétation qui en a été donnée par les États-Unis dans la « Déclaration d'action de l'administration » adoptée par le Congrès américain le 1er décembre 1994,

- que, par voie de conséquence, les modifications à apporter aux directives précitées ne portent que sur les seuils de déclenchement des procédures et les délais impartis à ces dernières et, en aucun cas, sur des aspects majeurs tels que les justifications à apporter aux fournisseurs non retenus, les modalités de publicité, le dialogue technique, le système de qualification des fournisseurs et les marchés de travaux complémentaires,

- qu'à défaut du strict respect de la position définie précédemment, soient exclus du champ d'application des nouvelles directives les secteurs non couverts par l'AMP, et, en particulier, le secteur des télécommunications eu égard à son caractère stratégique.

On peut se féliciter que la position adoptée par le Conseil, le 23 novembre 1995, ait largement pris en compte les préoccupations de notre Haute Assemblée.

Sur certains points, ce compromis reste cependant insatisfaisant.

Ainsi, le Sénat s'était inquiété d'une disposition qui aurait de facto interdit le dialogue technique approfondi indispensable qui doit s'instaurer entre un opérateur et ses fournisseurs.

Si cette disposition ne figure plus dans le texte même du projet de directive, il est cependant regrettable qu'elle soit l'objet d'un « considérant », dont rien ne prouve qu'il sera interprété par les juges dans un sens favorable aux industries concernées.

En outre, il faut souligner les difficultés d'application ou d'interprétation rencontrées dans l'application des directives concernées, notamment s'agissant de la passation de certains marchés de services.

On citera deux exemples qui illustrent ces dernières :

- les services financiers, qui recouvrent les services d'assurance, d'une part ; les services bancaires et d'investissement, d'autre part. Pour ce qui concerne les contrats d'assurance, la directive impose un formalisme de passation des contrats, ainsi que des délais, qui ne sont pas toujours adaptés à ce type de marché (problème de la confidentialité des risques couverts, constitution de pools d'assureurs pour les risques importants...).

Les mêmes critiques valent pour les services bancaires et d'investissement pour lesquels l'intuitu personae, la relation de long terme ou, au contraire, l'instantanéité sont importants ;

- les services de recherche et développement : ces marchés sont couverts par les directives si l'entité adjudicatrice les finance à 100 % et est l'unique propriétaire des résultats. En pareil cas, les obligations d'information et de mise en concurrence qu'elles comportent posent des problèmes de confidentialité des actes de recherche. Elles entraînent également des difficultés d'application lorsque la recherche porte sur des systèmes complexes et intégrés.

Certes, les directives prévoient que, sous deux conditions, ces marchés peuvent bénéficier d'une procédure sans mise en concurrence. Le problème est que ces conditions sont délicates à justifier : il faut que l'entité adjudicatrice ne cherche pas à assurer une rentabilité ou à récupérer les coûts de la recherche et que la passation du marché ne porte pas préjudice à la mise en concurrence des marchés subséquents.

Or, comment peut-on présumer à l'avance des résultats de la recherche et donc prévoir les éventuels marchés subséquents ?

Dans ces conditions, cette disposition ne risque-t-elle pas de revenir purement et simplement à interdire toute exploitation commerciale des résultats ?

Votre commission souhaite que le Gouvernement continue à défendre avec fermeté la position du Sénat sur les différents points évoqués et fasse valoir ces arguments pour obtenir leur prise en compte dans le cadre de la révision des directives.

À l'occasion de l'examen des articles du titre II du présent projet de loi, on précisera les difficultés d'application de la directive n° 93/38 dans tel ou tel secteur. On relèvera par là même les points nécessitant une révision de la directive.

C'est donc la transposition d'un droit communautaire en quelque sorte déjà « dépassé » que nous sommes amenés à examiner dans le cadre du présent projet de loi. Ce caractère évolutif des directives communautaires nous incite à la vigilance, tant en amont, au stade de leur révision, qu'en aval, au stade de leur transposition en droit national.

* 7 S'agissant des seuils, la proposition de modification maintient les seuils existants pour le secteur des télécommunications et elle introduit de nouveaux seuils pour tous les autres secteurs d'activité, basés sur les droits de tirages spéciaux prévus dans l'AMP, à savoir 400.000 DTS pour les marchés de fournitures et de services, 5 milliards de DTS pour les marchés de travaux. Ces nouveaux seuils ne sont que très légèrement supérieurs à ceux existant.

* 8 Les délais sont légèrement réduits .

* 9 Voir rapport n° 355, présenté par de M. Henri Revol, au nom de la Commission des Affaires économiques et du Plan, Sénat (1994-1995).

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