3 - Conserver la garde pour défendre l'exception culturelle

Pour mériter l'exception culturelle, l'Europe doit, avant la renégociation de l'accord portant sur les secteurs exclus, construire une industrie forte de programmes audiovisuels. Mais il ne faut pas baisser la garde. Au Parlement européen au cours de la renégociation de la directive Télévision Sans Frontières, la perspective du renforcement des quotas européens semble bien s'éloigner à tout jamais... Raison de plus pour renforcer notre industrie de programmes audiovisuels avant que cette ligne Maginot, ainsi affaiblie, ne soit contournée par les satellites...


Le financement de la production audiovisuelle et cinématographique ne doit pas être perturbé, à la merci de mesures fiscales inspirées par une recherche d'économies apparentes. Si votre rapporteur partage le souci de ceux qui souhaitent plafonner certains avantages fiscaux manifestement excessifs, il estime que le maintien de l'outil de production audiovisuelle est prioritaire au nom de la défense des intérêts culturels de notre pays. Ainsi, la modification du régime fiscal des SOFICA ne doit-elle pas conduire à l'assèchement du marché. C'est pourquoi, votre rapporteur a proposé, avec M. le rapporteur général de votre Commission, un amendement aménageant le dispositif de l'article 2 bis adopté par l'Assemblée nationale.


De même, des projets de négociations de directives communautaires font apparaître que la Commission européenne est trop perméable à certaines idées favorables aux intérêts américains.

Votre rapporteur fait part de ses préoccupations face à plusieurs projets de textes en discussion au sein des instances européennes dans le domaine des nouveaux services de la communication audiovisuelle qui se développent dans le cadre des autoroutes de l'information.

Au travers des différents textes de droit positif ou en cours d'élaboration dans le secteur audiovisuel, dans le secteur des télécommunications ou la propriété intellectuelle, il est frappant de constater que les deux principes fondamentaux du droit français ne se retrouvent pas en droit communautaire : la distinction entre communication audiovisuelle et télécommunication n'a nulle part été précisée et le traitement juridique des services audiovisuels est lié à l'approche technique de leur prestation. Le traitement des nouveaux services qui en découle logiquement est donc inquiétant.

Ainsi dans les textes en cours d'élaboration, la Commission européenne tente-t-elle d'élaborer une différence de traitement entre « nouveaux services » et « services traditionnels ».

Pour la Commission, en effet, mais aussi pour la plupart des États membres, l'ensemble des services fournis sur appel individuel échapperaient ainsi à l'application de la réglementation audiovisuelle traditionnelle. Les conséquences de ce raisonnement peuvent être extrêmement préjudiciables. En effet, la frontière entre communication audiovisuelle et télécommunication n'étant pas précisée, de nombreux services de communication audiovisuelle pourraient de fait être assimilés à des services de télécommunications. Or, la réglementation audiovisuelle traditionnelle a par nature vocation à s'appliquer à l'ensemble des services de communication audiovisuelle. Tel est d'ailleurs le choix logiquement opéré dans le cadre de la loi du 10 avril 1996.

Par ailleurs, assimiler juridiquement la vidéo à la demande ou l'ensemble des services en ligne à Internet est tout à fait contestable. Les problèmes juridiques posés par Internet, qui se réduisent essentiellement à des questions d'une part de droit de la propriété intellectuelle et de droit pénal international d'autre part, sont sans commune mesure avec ceux d'un service de vidéo à la demande d'oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques.

Ces dérives pourraient avoir de graves conséquences et vider de sa substance l'exception culturelle qui protège, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, le secteur audiovisuel, et fonde la légitimité des obligations imposées aux opérateurs en protégeant les cultures européenne et nationales.

Si, en effet, les nouveaux services entraient dans le champ de compétence des télécommunications, ils échapperaient ainsi à toute préoccupation culturelle.

IV - Trois pièges à éviter

1 - Un risque de déficit artificiel pour France Télévision

Votre rapporteur s'inquiète des résultats financiers prévus pour France Télévision : les chaînes publiques pourraient connaître, en 1997, un déficit artificiel dû aux erreurs de prévision qui pourraient venir de ce projet de budget et fondées sur une double surestimation : des recettes publicitaires et du montant des économies projetées.

Il faut éviter que le secteur public fasse le remake d'un mauvais film, celui de l'année 1990 : « A la fin de l'année 1990 [le président de France Télévision et le directeur d'Antenne 2] s'aperçoivent d'un dérapage budgétaire d'environ 250 millions de francs qui, ajouté aux 400 millions de francs de manque à gagner publicitaire prévu, mène la chaîne droit à un déficit record ». (« La télévision, dix ans d'histoires secrètes », M.-E. Chamard et P. Kieffer, Flammarion, 1992). Une telle erreur sur la fixation administrative du montant de recettes publicitaires avait, à l'époque, été dénoncée par votre rapporteur 7 ( * ) , mais sans résultat...

Au terme de cette étude, la construction du budget pour 1997 de France Télévision suscite donc les plus vives réserves de votre rapporteur. Le risque d'étranglement budgétaire existe bel et bien.

Le déficit de France Télévision pourrait atteindre 350 à 390 millions de francs en 1997 (150 pour France 2 et 200 à 240 pour France 3).

2 - Une trop grande dépendance à l'égard de la variable d'ajustement publicitaire

On a tiré des conséquences inverses de la crise que France Télévision a connue au printemps 1996. La vérité était que le montant élevé des contrats des animateurs-producteurs résulte d'une trop grande dépendance de France 2 à l'égard du marché publicitaire. Il aurait donc fallu, en conséquence, augmenter le montant des ressources publiques et diminuer la part des ressources publicitaires. Le Gouvernement a, au contraire, augmenté cette part, au motif que l'argent des contribuables ne devait pas financer de tels contrats. Il s'agit d'un grave contresens puisqu'on a fait le contraire de ce qu'il aurait fallu faire.

Une fois de plus - et pour un niveau jamais atteint jusqu'à ce jour -la tutelle utilise les ressources publicitaires comme variable d'ajustement du budget du secteur public de l'audiovisuel, selon le principe des vases communicants. Mais la tutelle n'a aucune prise sur le montant de cette variable, sinon la responsabilité de mettre un chiffre sur le papier ; précisément le chiffre qui permet de présenter un budget en équilibre...

Pour savoir si les budgets des chaînes publiques sont en équilibre, il faut désormais consulter les résultats du marché publicitaire.

Pour ce budget, la tutelle aurait dû se montrer plus prudente, en consultant le rapport de la mission d'audit qui estimait que rien n'assurait « que le gisement de recettes publicitaires disponibles pour l'audiovisuel traditionnel (...) continue de croître au rythme de 10 % par an, ni même qu'il demeure stable ». Mais - dans la masse des rapports demandés en 95-96 par le Gouvernement - ce rapport d'audit a-t-il été lu ?

L'erreur de prévision est particulièrement inquiétante pour France 3. En effet, alors que les prévisions de recettes publicitaires pour 1996 ont été estimées à 1500 millions de francs, elles n'atteindront vraisemblablement que 1 385 millions de francs compte tenu du retournement du marché publicitaire intervenu cet été. Or, la tutelle a calculé une progression de 5,5 % sur une base erronée, et le chiffre de 1 585 millions de francs semble inaccessible : il supposerait une progression de 14 % des ressources publicitaires en 1997. Si France 3 réalise 1450 millions de francs de recettes publicitaires, le déficit de ressources pourrait être l'an prochain de 135 millions de francs. Si le chiffre d'affaires publicitaire atteint 1 400 millions de francs, le déficit sera mécaniquement porté à 185 millions de francs etc... etc...

3 - Restructurer l'action audiovisuelle extérieure sans la rationaliser

Le rapport Balle eut pour mérite de poser les jalons d'une stratégie audiovisuelle extérieure. La restructuration de cette politique autour de priorités nettement définies clarifierait une action jusque là brouillonne. Les réformes de structure proposées, comme le holding TéléFi, s'inspirant des propositions de votre rapporteur, relatives à l'agence mondiale de l'audiovisuel français, celui-ci ne peut que les approuver.

Mais rationaliser cette action n'a pas encore été fait.

A quoi a servi le Conseil de l'Audiovisuel Extérieur de la France de décembre 1995 qui a réaffirmé l'ambitieux plan de développement quinquennal 1994-1998, puisque sa mise en oeuvre a été reportée de 1997 à plus tard ?...

Pourquoi avoir travaillé du mois de décembre 1995 au mois de septembre 1996 sur un schéma de rapprochement par métier ? Pourquoi, après avoir prévu que les opérateurs de télévision extérieure, TV5 et CFI, devraient être adossés à France Télévision, comme l'annonçait à Hourtin le ministre de la Culture chargé de la communication, au mois d'août 1996, et procéder ensuite à une volte-face aussi subite que mystérieuse ?

On parle, en effet, maintenant d'un rapprochement par action, TV5 et CFI devant être pris en charge par RFI, par l'interposition d'un holding. Le rapprochement avec France Télévision aurait toutefois permis d'insuffler le vent du large dans les programmes trop franco-français de nos opérateurs nationaux et d'envisager la création de modules de programmes d'informations télévisées destinées spécifiquement à l'international.

Enfin, qui veut rationaliser doit d'abord raisonner. Le rapprochement entre LCI et CFI paraît de prime abord séduisant pour créer une chaîne internationale d'information en continu. Mais il ne faut pas oublier que les images dont dispose LCI ne sont mises à sa disposition qu'à la condition expresse qu'elles soient diffusées uniquement en France. On ne comprend pas ensuite pourquoi le secteur public devrait rechercher dans le secteur privé ce dont il dispose déjà ! En effet, Euronews et l'Agence internationale d'images de télévision, respectivement diffuseur d'informations européen et prestataire de service, sont alimentées par des fonds publics qu'il serait sans doute plus judicieux de rentabiliser plutôt que de créer une nouvelle structure. Au demeurant, la création d'une chaîne spécifique, le troisième opérateur avec LCI et TV5, ne s'impose pas. Il vaudrait mieux créer des modules d'information destinés à la diffusion internationale au sein des structures existantes, pour atteindre le même objectif, et à un moindre coût.

* 7 Projet de loi de finances pour 1991, rapport général, tome III, annexe 10, du 19 novembre 1991, p. 154 notamment.

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