E. LES RESSOURCES PROPRES DU SECTEUR PUBLIC EN 1995-1996

1. Une approbation parlementaire « formelle » en 1995

L'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que, chaque année, le Parlement « approuve le produit attendu des recettes provenant de la publicité de marques ».

On peut donc s'interroger sur le caractère normatif d'une telle disposition lorsque l'on étudie la réalisation effective des dotations de ressources publicitaires des sociétés du secteur public de l'audiovisuel.

L'article 58 de la loi de finances pour 1995 disposait in fine :

« Est approuvé, pour l'exercice 1995, le produit attendu des recettes des sociétés du secteur public de la communication audiovisuelle provenant de la publicité, pour un montant de 2 932,6 millions de francs hors taxes ».

Une première approche permet cependant de découvrir que les réalisations ont nettement dépassé les prévisions, avec 3760 millions de francs environ ainsi répartis :

(En millions de francs)

Prévisions de la LF1

1995

Réalisations

1995

Écart en %

France 2

1 865,4

2 133,7

+ 14,4

France 3

880

1 446,6

+ 64,4

RFO

87

74,3

- 14,6

Radio France

70,7

97,2

+ 37,7

RFI

4,5

0,8

- 82,2

La Cinquième

25

6,4

- 74,4

Toutefois les chiffres des réalisations pour 1995 sont surévalués, dans la mesure où le chiffre d'affaires de la régie est diminué d'un premier prélèvement au titre des frais de « commission de régie », puis d'un second au profit du Compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels.

Par chaîne, la comparaison entre les objectifs assignés par le législateur (Loi de finances) et les réalisations (en net reçu par l'antenne -hors accords chaînes), validées par le conseil d'administration du 6 mai l996, a été la suivante :

(En millions de francs)

France 2

1993

1994

1995

Objectif publicité

1 760

1 810

1865

Résultats publicité

1 653

1 883

2 015

Objectif parrainage

80

92

112

Résultats parrainage

102

134

123

Taux de réalisation globale

95,4 %

106,0 %

108,1 %

En conclusion, France 2 a dépassé de 8 % l'objectif de publicité retenu par la loi de finances pour 1995.

(En millions de francs)

France 3

1993

1994

1995

Objectif publicité

760

880

880

Résultats publicité

802

923

1 357

Objectif parrainage

65

51

60

Résultats parrainage

63

76

90

Taux de réalisation globale

104,8 %

107,3 %

153,9 %

En conclusion, France 3 a dépassé de 477 millions de francs, soit près de 54 %, l'objectif publicitaire qui lui était assigné par la loi de finances.

Cette situation pose deux questions au Parlement :

1/ l'évolution des ressources publicitaires de France 3 en 1995 était-elle prévisible lorsque la loi de finances a été présentée au Parlement ?

2/ l'approbation parlementaire du produit attendu des recettes de Publicité a-t-elle un sens ?

REPRENONS :

1/ Il est très difficile de répondre à la première question.

Toutefois, les pouvoirs publics auraient dû être d'autant plus prudents qu'en 1994 déjà, les recettes collectées par France Télévision sur le marché publicitaire avaient fortement progressé par rapport à l'exercice précédent (de plus de 400 millions de francs).

De surcroît, pour France 3, on doit constater que l'objectif de recettes publicitaires réalisé en 1994, qui s'élevait à 923 millions de francs, était d'ores et déjà supérieur à l'objectif fixé par la tutelle pour 1995, soit 880 millions de francs (chiffre présenté comme légèrement surévalué par rapport à la réalité du marché en raison des « campagnes publiques en en faveur des privatisations » ( ( * )7) ).

Une évaluation plus précise de l'évolution du marché publicitaire aurait pu conduire la tutelle à fixer des objectifs plus réalistes. En effet, le montant total des ressources collectées au profit des chaînes (en chiffre d'affaires net antenne) a. de 1993 à 1995, évolué comme suit :

Ensemble des recettes collectées

net antenne y compris accords chaînes

(En millions de francs hors taxe)

France Télévision

1993

1994

1995

Montant des ressources collectées

2 661

3 062

3 628

Progression

+ 183

+ 401

+ 566

Progression en %

+ 7

+ 15

+ 18

La progression de 47 % des ressources publicitaires effectivement collectées par France 3 en 1995, par rapport à 1994 - soit près d'un demi milliard de francs - est toutefois surprenante. Votre rapporteur ne comprend pas comment les services compétents aient pu aussi mal apprécier la situation.

2/ L'importance d'un tel écart conduit à s'interroger sur la portée réelle de l'approbation parlementaire demandée chaque année, en application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986.

En étant aussi éloigné de la réalité, que peut bien signifier le vote du Parlement ? Et quel est alors le rôle du pouvoir législatif ?

2. Les objectifs pour 1996 sont-ils également sous-estimés ?

Telle est la question que votre rapporteur doit maintenant poser.

Les objectifs fixés par la loi de finances pour 1996 étaient globalement en progression de 9,1 % par rapport à ceux fixés par la loi de finances pour 1995 mais restent inférieurs aux réalisations 1995 (ces objectifs s'entendent en ressources nettes, déduction faite de la commission de régie et du versement au Compte de soutien des industries de programmes). Il semble à l'évidence que les leçons de l'année 1995 n'aient pas été tirées.

Publicité

(En millions Je francs hors taxes)

1995

1996

Évolution en %

Loi de

Finances

Réalisation

Loi de

Finances

LDF 95

Réalisation

95

France 2

1 865

2 015

1 995

+ 6,5

- 1,0

France 3

880

1 357

1 025

+ 14,1

- 32,4

Total France Télévision

2 745

3 372

3 020

- 9,1

- 11,6

Il est surprenant, une fois encore, de constater un écart important, de près d'un tiers, entre les recettes publicitaires attendues en 1996 pour France 3 et les recettes réalisées en 1995. Les recettes publicitaires attendues pour France 2 en 1996 diminueraient également très légèrement par rapport aux réalisations de 1995.

Tout cela est-il réaliste ?

La progression des recettes publicitaires de la télévision semble, en effet, inscrite dans la durée. En 1995, les investissements publicitaires sur les grands médias ont progressé globalement de + 8,7 % par rapport à l'année précédente. Les investissements « télévision » (en chiffre d'affaires brut Secodip) ont augmenté de 11,8 % par rapport à 1994.

Le montant total des achats d'espace publicitaire télévisé a atteint 21 milliards en 1995 (en données brutes relevées par Secodip) contre 18,8 milliards en 1994, correspondant à une progression de 11,8 %.

TF1 a recueilli 51,7 % des investissements publicitaires télévisés en 1995 : sa progression étant inférieure à celle de l'ensemble des chaînes, TF1 perd 1,8 point de part de marché par rapport à 1994 (53,5 %).

M6 continue à bénéficier d'une croissance élevée avec une hausse des investissements publicitaires de + 14,4%, ce qui lui permet d'atteindre 15,9 % de part de marché (contre 15,5 % en 94).

France Télévision a bénéficié en 1995 d'une progression de 18,6 % du total des investissements publicitaires bruts qui lui sont affectés. Sa part de marché publicitaire totale passe de 26,3 % en 1993 à 27,2% en 1994 et à 28,8 % en 1995. Hors espaces commercialisés sur « accords chaînes », le chiffre d'affaires publicitaire réalisé en 1995 a été le suivant :

(En millions de francs hors taxes)

France 2

France 3

8)

3 550

2 375

9)

2 015

1 357

Le début de l'année 1996 permet d'espérer de nouveau une « bonne année » publicitaire de la télévision, malgré l'arrêt des investissements au second semestre.

Le premier semestre 1996 a connu une évolution des investissements « télévision » de + 10,6 % : les achats d'espaces sur France 2 et sur France 3 augmentent de 18 % avec un gain de part de marché de 1,9 point par rapport au premier semestre de l'année précédente, la progression ayant été particulièrement forte en janvier-février.

Pour réaliser les objectifs adoptés par les conseils d'administration des chaînes (en chiffre d'affaires net antenne), l'espace publicitaire commercialisé en 1996 devra représenter en chiffre d'affaires brut les montants ci-après :

(En millions de francs hors taxes)

France 2

France 3

Chiffre d'affaires brut corrigé

3 645

1 910

Chiffre d'affaires net antenne

2 015

1 050

Les recettes publicitaires pourraient être légèrement supérieures en 1996 à celles approuvées par le Parlement en raison des bonnes performances d'audience du secteur public.

Alors que la part d'audience des programmes a crû de + 1,9 point entre 1993 et 1996 (1er semestre) pour les téléspectateurs de 4 ans et plus et qu'elle est restée presque stable sur la cible des ménagères de moins de 50 ans, la part de marché publicitaire de France Télévision a augmenté de 3,7 points, atteignant 30 % à la fin du premier semestre 1996.

Au 31 juillet 1996, on pouvait considérer, sous réserve du dernier trimestre 1996, que les objectifs publicitaires fixés par la loi de finances 1996 devraient de nouveau être dépassés pour les deux chaînes, mais de façon plus marquée pour France 3 que pour France 2, malgré le retournement du marché publicitaire au second semestre 1996.

En effet, au 30 juin 1996 :

- les recettes publicitaires de France 2 atteignaient 1 114 millions de, francs, pour un montant prévu de 2 015,4 millions, soit 55,2 % des recettes de l'année,

- celles de France 3 atteignaient déjà 759 millions de francs, contre 1050 millions de francs attendus, soit 72,3 % !

Si les recettes publicitaires progressent au même rythme jusqu'en décembre 1996, les résultats pourraient atteindre 2 220 millions de francs pour France 2 et 1 520 millions de francs pour France 3, soit un dépassement de, respectivement, 10 % et 45 % !

Une nouvelle fois, l'approbation parlementaire pourrait donc être dépassée.

3. L'augmentation des ressources publicitaires prévue pour 1997

La baisse des ressources publiques de près de 500 millions de francs sera - selon le projet de loi de finances pour 1997 - compensée par une progression des ressources propres de près de 700 millions de francs. Une fois de plus - et pour un niveau jamais atteint jusqu'à ce jour - la tutelle utilise les ressources publicitaires comme variable d'ajustement du budget du secteur public de l'audiovisuel, selon le principe des vases communicants. Mais la tutelle n'a aucune prise sur le montant de cette variable, sinon la responsabilité de mettre un chiffre sur le papier ; précisément le chiffre qui permet de présenter un budget en équilibre...

a) Une augmentation prévisionnelle qui a pour objectif de compenser la baisse des concours publics à l'audiovisuel

Dans le projet de loi de finances pour 1997, les ressources publiques du secteur de la communication audiovisuelle diminuent fortement (- 496,6 millions de francs) et les chaînes devront faire appel, de façon plus importante (+ 19 %), à la publicité.

Équilibre du budget 1997 de l'audiovisuel public en volume

(En millions de francs)

1996

1997

Variation

Ressources publiques

12 529,5

12 038

- 3,92 %

Ressources propres

4 226,4

4 934,8

+ 14,35 %

Dont publicité

3 235.6

4 000

+ 19,11 %

Équilibre du budget 1997 de l'audiovisuel public en valeur

1995

1996

1997

Ressources publiques

75,5

74,6

70,8

Publicité et parrainage

19,3

20,5

25

Autres ressources propres

5,2

4,9

4,2


• Les recettes de publicité et de parrainage s'élèveraient à 4 248 millions de francs en 1997, soit un accroissement de 802,1 millions de francs par rapport au projet de loi de finances pour 1996.

Cette progression est entièrement due aux prévisions de rentrées publicitaires. Elles s'établissent à 4 milliards de francs pour 1997. Le parrainage enregistrerait, pour sa part, un léger tassement de 26,1 millions de francs par rapport à 1996.

On peut cependant noter pour le présent projet de loi de finances un effort d'ajustement entre les prévisions de recettes publicitaires, manifestement sous-évaluées en 1995 et en 1996, et celles de 1997.

Mais nul ne sait vraiment ce qu'il en sera en 1997...


• Les autres ressources propres, y compris les services rendus aux administrations, s'élèvent à 714 millions de francs, en diminution de 46 millions par rapport au projet de loi de finances pour 1996 et de 24,5 millions par rapport aux budgets votés en conseil d'administration.

b) L'augmentation est encore plus nette si l'on raisonne sur les recettes publicitaires brutes de France Télévision

La présentation des budgets d'exploitation prévisionnels des sociétés du secteur public de l'audiovisuel dans le jaune budgétaire est traditionnellement biaisée par deux corrections qui n'en facilitent pas la lecture, ni la comparaison d'une année sur l'autre.

Tout d'abord, le montant indiqué de la redevance inclut les versements au COSIP. Or, les ressources réelles des sociétés devraient être évaluées, déduction faite de ce versement.

Ensuite, le montant indiqué des recettes commerciales ne comprend ni les frais de régie, ni les sommes correspondant au prélèvement pour le COSIP qu'il convient d'ajouter, pour apprécier correctement la ressource publicitaire réellement collectée par les sociétés.

En conclusion, la présentation traditionnelle faite par la tutelle minore les recettes publicitaires et majore la redevance.

Il conviendrait à l'avenir de mettre fin à cette anomalie de présentation afin d'en améliorer la transparence.

Si l'on établit le budget d'exploitation prévisionnel de France 2 et de France 3 pour les années 1996 et 1997 en « supprimant » ces corrections, et si l'on tient compte du fait que la totalité de la part de remboursement des exonérations de redevance destinée à ces deux chaînes ne sera vraisemblablement pas versée en 1996, on aboutit aux résultats suivants :

France 2

1996

%

1997

%

Redevance (1)

2 446,4

} 51

2 250

} 46,5

Subventions

0(4)

21,5

Publicité (2)

2 111,5

} 47

2 417.2

} 52

Parrainage

142.1

125

Autres recettes (3)

90

2

70

1,5

Total

4 790

100

4 883,7

(1) Hors versement fait au COSIP par les chaînes. Il s'agit donc des dotations que les chaînes ont reçues ou recevront réellement.

(2)Y compris le versement fait au COSIP par les chaînes.

(3) Recettes commerciales, recettes diverses et produits financiers.

(4) Aucun remboursement d'exonérations de redevance ne sera versé à France 2 en 1996.

France 3

1996

%

1997

%

Redevance (1) Subventions

3 356,5

0(4)

} 67,3

3 137,1

21,8

} 59,3

Publicité (2) Parrainage

1 084,7

101,5

} 23,8

1 676,9

87

} 33,1

Autres recettes (3)

435,9

8,7

400,4

7,5

Total

4 987,6

100

5 323,2

100

Autrement dit, les ressources publicitaires et le parrainage vont représenter 52 % des ressources de France 2 en 1997 contre 47 % en 1996, et 33 % des ressources de France 3 en 1997 contre 23,8 % en 1996.

Pour la première fois depuis 1990, la part des ressources propres de France 2 repasse la barre symbolique des 50 % : les ressources publiques (redevance et subvention) qui s'élevaient, en 1996, à 51 %, ne seront plus, en 1997, que de 46,5 %.

La part de la publicité dans les ressources propres de France 2 progresse donc de 5 points.

La part de la publicité dans les ressources propres de France 3 progresse, pour sa part, de près de dix points.

Dans ces conditions, on peut s'interroger sur les risques de changement de la ligne éditoriale en 1997. Les leçons de la crise du printemps 1996 ont-elles vraiment été tirées ?

c) Les prévisions de ressources publicitaires pour 1997 paraissent trop optimistes

Les perspectives de ressources publicitaires pour 1997 semblent (délibérément ?) trop optimistes.

Rappelons qu'elles pourraient progresser de près de 290 millions de francs pour France 2 (+ 14,5 %) et de près de 560 millions de francs pour France 3 (+ 54,6 %).

Les calculs de la tutelle ont pris en compte une stabilisation par rapport aux prévisions de recettes réelles des chaînes, mais non l'évolution de la conjoncture économique générale.

Or, dans un contexte économique morose, les budgets publicitaires seront en baisse pour 1997 : les budgets de communication, les plus flexibles, sont les premiers touchés lors d'un ralentissement économique.

Si le premier semestre a vu une progression de 11 %, les trois premiers mois du second semestre (août, septembre, octobre) ont connu une nette diminution de cette progression. Ainsi. France Espace a-t-il communiqué un tarif moyen en baisse de 15 % pour mars 1997 par rapport à octobre 1996.

Dans ce contexte, on pourrait craindre que les annonceurs ne sacrifient, au sein de leurs « plans médias », les supports qui ont le plus faible GRP ( ( * )10) , comme France 3, laquelle bénéficie d'une audience plus faible que France 2 ou TF1. En outre, France 3 subit une érosion sensible de son audience depuis l'été 1996 (- 1,5 point) et a paru rétrospectivement trop chère. Elle pourrait perdre en conséquence des parts importantes de marché publicitaire en 1997.

* (7) page 90 du "jaune" budgétaire pour 1995.

* (8) Chiffre d'affaires brut tel qu il résulte des tarifs après modulations tarifaires.

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