II. L'ÉVOLUTION DES MOYENS JURIDIQUES

A. LES RAPPORTS ENTRE LE CSA ET LES NOUVELLES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

1. Le CSA et l'Agence nationale des fréquences hertziennes

L'article 14 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications a tout d'abord créé une Agence nationale des fréquences hertziennes , chargée d'un rôle de coordination interministérielle. Elle héritera donc des missions du Comité de coordination des télécommunications (CCT), ainsi que de certaines activités de la Direction générale des postes et télécommunications (coordination internationale, relations avec l'UIT et la CEPT).

La loi a précisé que chaque administration conservera ses prérogatives pour la gestion et le contrôle des fréquences qui lui sont affectées.

En effet, le CSA avait fait savoir à plusieurs reprises qu'il estimait indispensable de conserver l'intégralité de ses compétences en matière de planification, d'attribution et de contrôle des fréquences. Le CSA pourra, par un choix qui lui sera propre, confier certaines tâches à l'agence.

2. Le CSA et l'autorité de régulation des télécommunications

Par ailleurs, l'article 16 de la loi a confié à l'autorité de régulation des télécommunications (ART) l'attribution des fréquences de transmission actuellement gérées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et utilisées notamment pour l'alimentation des émetteurs des stations de radio et de télévision et les liaisons de reportage pour la couverture d'événements sportifs ou d'actualité. La conséquence de cet article est que le CSA ne gérera plus que les bandes de radiodiffusion et de transmission par satellite.

L'activité de transmission est inséparable de celle de radiodiffusion. Cette concentration des compétences, dévolue jusqu'à présent par la loi au CSA, était pourtant un outil efficace pour veiller au pluralisme du secteur audiovisuel.

La gestion par deux autorités différentes des moyens indispensables au développement d'un réseau va rendre beaucoup plus complexe à l'avenir la tâche des diffuseurs.

On peut citer à titre d'exemple la mise en place des réseaux terrestres de diffusion DAB pour lesquels le CSA vient de publier un appel aux candidatures pour la région parisienne. Un tel réseau monofréquence régional ne peut se concevoir sans transmission par voie terrestre de blocs de programmes entre émetteurs.

De même, des réseaux plus vastes nécessiteront aussi des liaisons terrestres car des transmissions exclusivement par voie satellitaire ne permettront pas d'intégrer les éléments de programmes ou des données complémentaires à caractère local ou régional, éléments que souhaitent inclure la plupart des radiodiffuseurs.

Si l'ART hésite ou même refuse d'affecter des bandes de fréquences pour ce nouveau type de transmissions, les autorisations du CSA seront sans effet : le DAB ne pourra pas se développer.

Un autre exemple est celui de liaisons studio-émetteur pour les radios privées. Le CSA mène depuis plusieurs années une politique visant à exclure les émetteurs des radio privées des centres-villes. Cette action, qui a pour but de supprimer les gênes de proximité occasionnées par l'implantation d'émetteurs de radiodiffusion dans des zones d'habitat dense, n'a pu être menée à bien que parce que le Conseil a pu attribuer aux radios privées des fréquences pour transmettre leur programme entre leurs studios, généralement installés en centre-ville, et leurs émetteurs. Là aussi, si l'ART limite les possibilités d'attribution de telles fréquences de transmission, la politique menée par le Conseil sera remise en cause.

On peut donc considérer que l'article 16 soumet de fait à des décisions de l'Autorité de régulation des télécommunications le développement de certains réseaux de communication audiovisuelle , ce qui confirme les craintes que votre rapporteur a exprimées à deux reprises.

Dans un article publié dans Le Monde, le 5 juin 1996, il craignait « la coexistence des deux instances, l'une pour la régulation, a posteriori, des contenus, - le CSA -, l'autre pour la réglementation des infrastructures, - l'ART -, ce qui serait en contradiction avec l'esprit de la loi de 1986 et même avec l'évolution technologique, caractérisée par un mouvement de convergence des télécommunications et de la communication audiovisuelle ».

Au cours de la discussion générale de la loi de réglementation des télécommunications, votre rapporteur est intervenu pour faire part de ses interrogations.

Intervention du sénateur Jean Cluzel lors de la discussion générale de la

loi de réglementation des télécommunications, le 4 juin 1996

(extraits)

La libéralisation du secteur des télécommunications s'inscrit (...) dans un mouvement international de déréglementation qui favorise la dérégulation. Si ce concept, d'origine anglo-saxonne, a bénéficié d'un terreau juridique favorable en Grande-Bretagne, il a aussi touché la France avec, dans les années 1985-1986, le passage du monopole d'État à l'économie de marché dans le secteur de la radiotélévision.

L'une des principales différences entre la régulation nord-américaine et la régulation européenne tient à la séparation organique et fonctionnelle qui existe en Europe entre la régulation du secteur des télécommunications et celle du secteur de l'audiovisuel.

La tentation pourrait être grande de créer une instance de régulation unique ; d'ailleurs, pour tout vous avouer, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un peu tenté par cette formule. Mais il est sans doute trop tard pour mettre en place une autorité comparable à l'autorité américaine. Notre histoire juridique du droit des télécommunications et de l'audiovisuel s'y oppose.

Par conséquent, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion (...) de mieux préciser la frontière entre audiovisuel et télécommunications, et, partant, entre le CSA et les nouvelles instances de régulation qui vont être créées.

Je voudrais essayer de mieux préciser la frontière existante entre audiovisuel et télécommunications.

Services et supports de communication audiovisuelle, d'une part, et de télécommunications, d'autre part, sont aujourd'hui soumis à deux régimes juridiques fondamentalement différents, sous l'égide d'une instance indépendante, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, d'un côté, et d'un service ministériel, la Direction Générale des Postes et Télécommunications, de l'autre. (...)

Le fondement de l'action du CSA réside dans la mise en oeuvre et la sauvegarde de tels principes. Certains (...) sont de valeur constitutionnelle, tel le pluralisme des courants d'expression socioculturels et politiques. Le CSA est indépendant du pouvoir politique, alors que le juge administratif le contrôle. Cette logique s'oppose à celle de la DGPT, c'est-à-dire à un mode de fonctionnement lié au Gouvernement.

Mais la déréglementation des supports de télécommunications, postérieure à celle des supports de communication audiovisuelle, se caractérise par sa très grande rapidité et sa plus grande ampleur.

La différence est tout aussi remarquable pour les services. En effet, les services de communication audiovisuelle restent fortement réglementés, cependant que ceux de télécommunications ne sont soumis à aucune règle de contenu. (...)

Dès lors, on comprend qu'il est primordial de définir avec précision les critères permettant de rattacher un service donné soit à la communication audiovisuelle, soit aux télécommunications.

À cet égard, les réglementations relatives à la communication audiovisuelle et aux télécommunications reposent traditionnellement, d'une part. sur le caractère de la correspondance privée ou non et, d'autre part, sur la communication vers le public de l'émission.

Au surplus, en droit français, le support de diffusion utilisé ne présuppose pas le régime applicable au service diffusé. En revanche, la nature audiovisuelle du service entraîne l'application de la loi du 30 septembre 1986. Elle légitime l'intervention du CSA, alors que le caractère de correspondance privée du service le soumet à la compétence de la DGPT.

Partout dans le monde, cette frontière s'estompe sous l'effet conjugué de deux évolutions : l'apparition de services d'une nature nouvelle et l'utilisation indifférenciée de l'ensemble des supports de communication existants.

Ces nouveaux services, tels que le paiement à la séance, la vidéo à la demande, les services interactifs sur sites ou sur réseaux, entrent difficilement dans seulement l'un ou l'autre de ces deux régimes. En bref, ils jouissent d'une double nature. Ils ont un aspect de correspondance privée indéniable en ce qui concerne l'échange de données personnalisées (acte d'achat, etc.) ; en revanche, dans la plupart des cas, la présentation des produits est bien destinée à un large public, ce qui les fait ainsi relever de la communication audiovisuelle.

En matière de support ensuite, la compression numérique fait progressivement disparaître la logique législative de gestion de la rareté des ressources, sur tous les supports. Or, l'architecture de la loi du 30 septembre 1986 est aujourd'hui fondée sur le triptyque : « un programme/une fréquence/un service ». Elle devra donc être révisée afin de mettre en place un régime où la régulation des services primera sur la gestion des supports. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un point essentiel de notre débat.

On doit également s'attendre, sous l'effet de la compression numérique, à une utilisation de plus en plus indifférenciée des supports existants de diffusion.

Si, depuis longtemps, les satellites de télécommunications sont utilisés à des fins de communication audiovisuelle, on va bientôt assister à une montée en puissance des services de télécommunications sur les réseaux câblés autorisés par le CSA.

Il en sera ainsi de la téléphonie vocale entre points fixes qui pourra être offerte par les câblo-opérateurs en Europe après 1998. Il en sera de même de l'utilisation des réseaux de télécommunications par des services de communication audiovisuelle, comme la vidéo à la demande sur les réseaux autorisés par la DGPT.

Ce rapprochement des services et des supports, prévisible à court terme, plaide incontestablement en faveur d'une actualisation des pouvoirs du CSA (...).

À moyen terme, certaines des compétences actuelles du Conseil vont se trouver atténuées par l'évolution de la technique. Premièrement : les quotas de diffusion et obligations de production semblent menacés, en particulier dans leur application aux nouveaux services. Deuxièmement : le régime d'autorisation devra prendre en compte la multiplication des capacités de diffusion (...). Enfin, plus généralement, la logique de la loi - pour l'action même du CSA - fondée sur la gestion de la rareté des ressources de diffusion s'en trouvera modifiée.

Une classification opératoire entre services de communication audiovisuelle et services de télécommunications doit donc être affirmée.

Pourtant, aucune classification opératoire n'a été à ce jour définie et cette question semble abordée sans cohérence apparente au niveau international. (...) Pour ne prendre qu'un exemple, le téléachat est soumis aux dispositions de la directive télécommunications du 28 juin 1990. Or, la législation française, comme les autres législations européennes, régit l'activité de téléachat comme dépendant de la communication audiovisuelle, tout en y appliquant des règles particulières relatives à la protection du consommateur.

Quelle approche alors envisager ?

Tout d'abord, il faut savoir que certains de ces « nouveaux services », nécessiteront un micro-ordinateur (tels les services accessibles sur Internet), d'autres un simple téléviseur (...).

La nature du terminal de réception n'influe donc pas sur la nature du service véhiculé ou sur la nature du contrôle auquel le service est soumis. Ainsi, le programme TF1 devenant accessible sur micro-ordinateur demeure un programme de communication audiovisuelle, et, à ce titre, continue à relever de la compétence du CSA.

Deux critères primordiaux pourraient être retenus pour définir clairement la frontière entre les services qui devront relever du régime de la communication audiovisuelle et ceux qui ne seront soumis qu'aux règles relatives aux télécommunications : le caractère de destination du message au public en général ou à une catégorie de public, le contenu des messages transmis qui ne doit pas avoir le caractère de correspondance privée.

Une approche à partir du seul contenu du programme ne peut donc être retenue dans la mesure où elle permet toutes les interprétations possibles.

Cette approche semble être la seule opératoire, les critères objectifs ainsi posés permettant de couvrir l'ensemble des cas de figure.

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