B. LA PROPOSITION DE LOI : LA PRÉSERVATION DE LA COMMUNAUTÉ DE VIE DES FRATRIES

Le texte adopté par l'Assemblée nationale dépasse le cadre initial de l'assistance éducative pour s'appliquer à toutes les situations de séparation entre parents et enfants.

1. La proposition de loi initiale : le principe de la communauté de vie des fratries dans le cadre de l'assistance éducative

Le dispositif initial modifiait l'article 375 du code civil, qui introduit la section II du titre neuvième de ce code relatif à l'autorité parentale, pour faire obligation au juge qui prend des mesures éducatives à l'égard de tout ou partie des membres d'une même fratrie de préserver, sauf motifs graves, la communauté de vie existant entre les intéressés à la date de sa décision. Il prévoyait en outre que si la préservation de cette communauté de vie était impossible, le juge devait fixer les modalités des relations personnelles entre les membres de la fratrie.

a) L'assistance éducative : un dispositif de protection de l'enfant

Insérées en 1970 par la loi du 4 juin sur l'autorité parentale, les dispositions du code civil relatives à l'assistance éducative ont été complétées à plusieurs reprises, notamment en 1987 dans le cadre de la loi dite Malhuret qui a introduit l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

Les mesures d'assistance éducative sont justifiées par les dangers que courent « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé » . Elles sont prononcées par le juge des enfants 9 ( * ) . Elles peuvent prendre des formes diverses, le principe étant, ainsi qu'on l'a rappelé plus haut, que « chaque fois que cela est possible le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel » .

Il n'en reste pas moins que la situation peut justifier que l'un des enfants soit séparé de sa famille ou encore que l'ensemble des enfants soient soustraits à l'autorité de leurs parents. Dans ce dernier cas, la fratrie peut se trouver séparée, le code civil ne contenant, ainsi qu'on l'a rappelé, aucune disposition expresse prescrivant le maintien ensemble des frères et soeurs. On a d ailleurs vu plus haut les difficultés pratiques auxquelles un tel maintien est susceptible de se heurter.

b) La proposition de loi initiale : le principe de la préservation de la communauté de vie des fratries et à défaut du maintien de relations personnelles

La proposition de loi initiale énonce expressément le principe de la communauté de vie des fratries en prévoyant qu'il ne peut y être dérogé que pour « motifs graves » . Autrement dit, le juge devra motiver spécifiquement sa décision sur ce point. Les motifs graves auxquels on songe sont bien entendu liés aux dangers qu'une telle cohabitation est susceptible de faire courir à l'un des enfants.

Le texte initial prévoyait en outre qu'en l'absence de cohabitation ou si 1'un des frères et soeurs est majeur, le juge devait fixer les modalités des « relations personnelles » entre les membres de la fratrie. Cette notion de relations personnelles est reprise de l'article 371-4 du code civil évoqué plus haut et qui traite des relations entre l'enfant et ses grands-parents.

L'explicitation de ces principes est destinée à attirer l'attention du juge sur 1'importance qu'ils revêtent pour les intéressés, tout en lui laissant bien entendu le soin d'apprécier l'intérêt de chacun des enfants.

2. La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale : la généralisation du principe

Partant de la constatation qu'il peut exister « d'autres cas où des séparations d'enfants peuvent intervenir », notamment lorsque l'autorité parentale se divise, l'Assemblée nationale a estimé nécessaire d'apporter deux modifications à la proposition de loi :

- sur la forme, pour l'insérer, dans un article 371-5 nouveau, au début du titre neuvième du code civil relatif à l'autorité parentale afin de lui conférer une portée générale excédant le cadre des mesures d'assistance éducatives ;

- sur le fond, pour fixer une règle générale d'inséparabilité des fratries « sauf motif grave » et pour inviter le juge à fixer, à défaut d'application de ce principe ou pour le cas où un ou plusieurs frères et soeurs sont majeurs, les modalités des relations personnelles entre les membres de la fratrie.

3. Les conclusions de votre commission : un principe adapté au cadre de l'assistance éducative

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale lui paraissant avoir le mérite de sensibiliser plus encore qu'aujourd'hui le juge et les services sociaux à l'importance du lien de fratrie pour des enfants dont l'environnement familial est désorganisé, rompu ou même reconstitué sous de nouveaux modes, votre rapporteur a invité, dans un premier temps, la commission à adopter sans modification le texte de l'Assemblée nationale. Le maintien de liens entre frères et soeurs, lorsque bien entendu il n'est pas contraire à l'intérêt des intéressés ou de l'un d'entre eux, constitue en effet un facteur important de stabilité pour des enfants qui trop souvent manquent de repères.

Il est toutefois apparu au cours du débat que la généralisation du principe de non séparation des fratries soulevait un grand nombre de difficultés. En effet, dès lors qu'il ne peut y être dérogé que pour motif grave, les dispositions du code civil qui, comme l'article 252-2, invitent les parents à régler entre eux les conséquences de leur divorce ou de leur séparation, y compris à l'égard des enfants, pourraient se trouver limitées dans leur portée dès lors que le juge serait tenu de veiller au maintien de la communauté de vie des fratries alors même que parents et enfants se seraient accordés sur une autre solution.

C'est ainsi qu'après avoir estimé que la proposition de loi ne traduisait pas seulement une bonne intention mais touchait à un sujet très sensible pour nombre d'enfants, M. Jacques Mahéas s'est inquiété de la rédaction de l'article unique, estimant qu'elle était susceptible de mettre en cause un accord conclu entre les parents dès lors qu'il n'y aurait pas de motif grave pour séparer les frères et soeurs.

Pour sa part, le Président Jacques Larché a rappelé que le code civil favorisait l'accord entre les parents en cas de divorce, y compris sur l'exercice de l'autorité parentale et la fixation de la résidence habituelle des enfants. Il a par ailleurs considéré que les situations de divorce par consentement mutuel ne pouvaient pas être comparées aux mesures d'assistance éducative dans lesquelles le juge a toute liberté pour décider du maintien ou non de l'enfant dans sa famille, même si le code civil disposait expressément qu'il devait s'efforcer de recueillir l'assentiment de celle-ci.

Il a en outre rappelé qu'en dépit des efforts considérables des conseils généraux, il était souvent difficile de trouver des structures d'accueil pour recevoir des enfants d'âges très différents alors même que la proposition de loi posait le principe du maintien de la communauté de vie entre eux.

M. Daniel Hoeffel a rappelé que l'intérêt de l'enfant pouvait commander une autre solution que le maintien de la communauté de vie entre frères et soeurs.

M. Robert Badinter a également fait valoir qu'en cas d'accord entre les parents sur la résidence habituelle des enfants, le juge n'intervenait pas sur ce point et qu'en « judiciarisant » cette matière, le texte adopté par l'Assemblée nationale constituait une novation dont la portée méritait d'être appréciée.

Il a par ailleurs estimé que la diversité des situations était telle qu'il paraissait difficile de poser un principe aussi général que celui formulé par l'Assemblée nationale. Il a notamment évoqué la succession d'unions et la cohabitation de demi-frères et de demi-soeurs. Enfin, plus généralement, il s'est interrogé sur le bien-fondé de l'exigence que des frères et soeurs ne dussent pas être séparés.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a considéré que la proposition de loi ne pouvait pas être adoptée en l'état car sa rédaction subordonnait la séparation des membres d'une fratrie à l'exigence d'un motif grave alors même qu'il pouvait simplement être de l'intérêt de l'un des enfants d'être séparé de ses frères et soeurs. Il a donc proposé de prévoir que l'enfant ne devrait pas être, en principe, séparé de ses frères et soeurs ; et que si son intérêt commandait une autre solution, le juge, s'il y avait lieu, veillerait à ce que des relations personnelles fussent maintenues entre frères et soeurs.

M. Michel Rufin a fait valoir que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale était mieux adapté à la situation des enfants en danger qu'au cas général de séparation des parents. Après avoir rappelé les dispositions du code civil encourageant les intéressés à fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale, il a considéré que le juge n'avait pas à intervenir systématiquement dans leurs arrangements sauf si ceux-ci méconnaissaient l'intérêt de l'un ou l'autre des enfants.

M. Robert Badinter a alors estimé que la commission n'était pas en état de statuer sur le bien-fondé du dispositif proposé et suggéré en conséquence qu'elle procède à des auditions avant de se prononcer.

Après avoir évoqué la possibilité d'entendre un juge des enfants, un juge aux affaires familiales, un spécialiste du droit de la famille et un pédopsychiatre, le Président Jacques Larché a fait valoir que la Conférence des présidents avait inscrit l'examen de la proposition de loi à l'ordre du jour du 12 décembre et comptait donc que la commission fût en état de rapporter à cette date, conformément au souhait du Président du Sénat.

Il a ensuite fait observer que c'était en définitive la généralisation de la portée du texte initial qui était à l'origine des objections présentées par les membres de la commission. Il a donc suggéré que la meilleure solution serait d'en revenir au cadre initial des mesures d'assistance éducative.

En conséquence, la commission a finalement adopté un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article unique posant le principe de la préservation, par le juge qui prend des mesures d'assistance éducative, de la communauté de vie entre frères et soeurs existant à la date de sa décision. Dans le cas où cette préservation serait impossible ou contraire à l'intérêt de l'un ou plusieurs d'entre eux, le juge statuerait sur les relations personnelles entre les frères et soeurs.

Un amendement de conséquence modifie l'intitulé de la proposition de loi pour préciser que celle-ci traite du maintien des liens entre frères et soeurs dans le cadre des mesures d'assistance éducative.

La commission a approuvé la proposition de loi ainsi modifiée.

Elle a en outre souhaité, à la suite de son rapporteur, que des dispositions matérielles d'accompagnement fussent encouragées qui permettent la pleine effectivité du principe ainsi posé, notamment le développement des accueils en villages et, dans les cas de séparation nécessaire, une proximité géographique des lieux de placement propre à faciliter des rencontres fréquentes entre frères et soeurs.

* 9 Ils sont 294 répartis entre 135 tribunaux pour enfants. Ils s'appuient sur les services départementaux d'aide à l'enfance et, le cas échéant, sur les services de la protection judiciaire de la jeunesse

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