N° 131

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 décembre 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan ( ( * )1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à la collecte et à l 'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural,

Par M. Roger RIGAUDIÈRE,

Sénateur.

Mesdames, Messieurs,

Notre époque est caractérisée, notamment, par les campagnes menées en faveur de la protection de la nature, de l'environnement, du cadre et de la qualité de la vie. L'actualité s'en est trouvée considérablement accrue par le développement de l'industrie, de l'urbanisation et de la consommation sous toutes ses formes dans notre société contemporaine. Cela est particulièrement vrai au niveau alimentaire : l'augmentation des différentes productions a entraîné une baisse des prix de certaines denrées, notamment de la viande.

La production nationale de viande est passée de 1970 à 1995 de 3,4 millions de tonnes à plus de 5,3 millions de tonnes, soit en consommation courante de 74,3 kg/habitant à 100 kg/habitant.

Naturellement, cette hausse de la consommation a entraîné une augmentation de la production d'animaux destinés à l'alimentation. Cela n'est pas sans causer quelques problèmes, notamment au regard de l'environnement.

C'est dans ce cadre qu'agissent les industriels de l'équarrissage ; ils assurent par leurs actions un service de salubrité et de santé publiques. Cette activité se subdivise en deux missions distinctes.

La collecte des cadavres d'animaux et leur destruction constituent, en premier lieu, un des moyens essentiels de lutte contre le développement des épizooties.

Peu confiant dans la capacité de chaque propriétaire à faire disparaître dans des conditions satisfaisantes le corps des bêtes mortes sur l'exploitation, le législateur a choisi d'instituer un monopole de ramassage des cadavres d'animaux et d'en réserver l'exploitation aux établissements d'équarrissage.

La seconde mission consiste dans le traitement des déchets d'abattoirs et viandes avariées.

L'ensemble de ces produits fait l'objet d'une transformation et d'une valorisation, en fonction des débouchés existant sur les marchés des cosmétiques et de l'alimentation animale.

Ces activités constituent les deux branches d'une même mission d'utilité publique définie par la loi n° 1336 du 31 décembre 1975 (articles 264 et suivants du code rural).

Rappelons que la loi du 31 décembre 1975 est issue d'une proposition de loi déposée le 13 avril 1973 par M. René Tomasini, député.

De 1945 à 1975, les pouvoirs publics avaient néanmoins adapté le dispositif prévu par la loi n° 247 du 2 février 1942 relative à l'équarrissage des animaux.

Depuis lors, cette activité d'équarrissage, peu connue du public, a été confrontée à une évolution économique souvent très défavorable en raison du bas niveau des produits finis obtenus (peaux, graisses, protéines) et des difficultés de son financement en période de crise.

Par ailleurs, des éléments apparus au début des années 90 ont contribué à accentuer les difficultés pesant sur l'organisation de l'équarrissage, telle qu'elle résulte de la loi du 31 décembre 1975.

Il s'agit, en premier lieu, de l'adoption de la directive européenne 64/433 qui étend le champ de l'activité d'équarrissage aux petits animaux et impose le traitement de produits qui étaient jusqu'à présent laissés en dehors du domaine couvert par la loi.

En deuxième lieu, l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse suppose que l'on se dote d'une capacité à réagir en cas de survenance d'un foyer qui pourrait nécessiter la destruction, en grand nombre, de cadavres d'animaux atteints d'une affection très contagieuse dont il faut éviter la dissémination.

Le développement récent de foyers de fièvre aphteuse en Europe centrale incite, par ailleurs, à une grande vigilance de ce phénomène.

Enfin, la sensibilité croissante à l'égard de la protection de l'environnement crée, au même titre que les impératifs techniques des industriels de l'abattage et de la transformation des viandes, de nouvelles contraintes.

C'est, cependant, la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui a été le véritable déclencheur du séisme qu'a connu l'équarrissage en 1996.

À la suite des événements survenus depuis le mois de mars 1996 ( ( * )2) , le Gouvernement français a été amené à prendre un certain nombre de mesures. Parmi celles-ci, un arrêté en date du 28 juin 1996 -pris conformément aux recommandations du Comité scientifique présidé par le professeur Dormont- a interdit aux équarrisseurs de transformer en farines animales les cadavres et les saisies d'abattoirs.

Dès lors, la loi de 1975 qui régit cette activité est devenue inapplicable.

En effet, il devient impossible de demander à des industriels, d'une part, d'assurer quasi gratuitement, une mission d'utilité publique, relativement coûteuse, qui ne permet plus de dégager, par la valorisation des produits, un minimum de bénéfices et, d'autre part, de les obliger à stocker, transporter et incinérer des farines dites « à risque ».

Après la mise en place de mesures conjoncturelles prises par le Gouvernement, et ce jusqu'au 31 décembre 1996, il était nécessaire de réformer l'organisation de l'activité de l'équarrissage.

C'est l'objectif de ce projet de loi qui vise à donner une nouvelle rédaction au chapitre IV du titre IV du livre II du code rural en définissant une nouvelle mission de service public de l'équarrissage et à en assurer le financement.

Avant d'examiner les articles de ce texte, votre rapporteur vous proposera d'analyser la situation de l'industrie de l'équarrissage et les difficultés auxquelles elle est confrontée afin de bien mesurer les enjeux du projet de loi.

PREMIÈRE PARTIE - EXPOSÉ GÉNÉRAL

I- L'ÉQUARRISSAGE : UNE ACTIVITÉ SPÉCIFIQUE

L'origine de ce métier se perd dans la nuit des temps. Ainsi, des traces en ont été retrouvées dans des textes du XVème siècle. Au début du siècle, chaque village, ou presque, avait son atelier d'équarrissage. Cette activité faisait partie des petits métiers et permettait à un grand nombre de personnes de vivre. Progressivement, avec la disparition des abattoirs locaux, les équarrisseurs se sont effacés au profit de structures plus importantes qui répondaient mieux aux impératifs du traitement. Les contraintes d'hygiène apparaissant et entraînant, par conséquent, la définition d'exigences techniques plus précises, la concentration du secteur s'est effectuée très rapidement au profit d'entreprises importantes ayant les moyens d'investir dans du matériel coûteux.

L'équarrisseur est un dépollueur notoire et sa principale mission est une mission de salubrité et de santé publiques. Ainsi, le ramassage des cadavres d'animaux de plus de 40 kilogrammes est devenu obligatoire, afin d'éviter tout danger de contamination ou de prolifération de maladies chez les animaux.

Par ailleurs, sur le plan économique, vouloir éliminer les matières organiques sans chercher à les valoriser aboutirait à laisser une lourde charge aux contribuables et aggraverait le solde négatif de notre commerce extérieur.

L'importance de cette activité révèle, en elle-même, ses particularités tant sur le plan juridique, économique qu'industriel.

A. UN CADRE JURIDIQUE RIGOUREUX

1. La loi du 31 décembre 1975 : un subtil équilibre

La loi du 31 décembre 1975 constitue un incontestable progrès en matière de protection sanitaire.

Sur le plan écologique, il était nécessaire de supprimer les déversements des cadavres d'animaux ou de sous-produits dans les cours d'eau, pratique qui limitent considérablement l'efficacité des stations d'épuration.

Sur le plan économique, il était urgent de rendre obligatoire le ramassage de petits animaux et de créer des périmètres autour des établissements, et cela même si cette disposition donnait naissance à une situation de monopole.

Au prix d'investissements souvent élevés et d'une concentration progressive rendue nécessaire, les entreprises les plus performantes sont arrivées à présenter un rapport d'activité globale bénéficiaire. Cela ne doit pas faire oublier des situations locales très hétérogènes soumises à deux impératifs difficilement conciliables :

- assumer une activité de collecte obligatoire ;

- se soumettre à la loi du marché pour les produits finis.

La loi de 1975 a eu pour rôle d'encadrer l'activité d'équarrissage plus étroitement ainsi que d'en proposer une définition juridique.

L'apport le plus important a été l'introduction de la notion de service d'utilité publique (article 266) qui :

- fixait des obligations aux équarrisseurs ;

- impliquait la création d'une zone de collecte autour de chaque établissement, cette zone permettant à l'équarrisseur de se réserver un secteur d'intervention dans lequel il est seul habilité à intervenir. Il s'agit, en fait, d'un monopole territorial fixé par arrêté préfectoral.

Par ailleurs, l'article 274 énonce le principe d'une intervention financière éventuelle en ce qui concerne la collecte.

2. L'équarrissage, un service d'utilité publique

L'activité d'équarrissage est un service d'utilité publique défini par le code rural (article 266) comme étant la collecte et le traitement de trois types de produits -article 3 de la loi du 31 décembre 1975- :

- les cadavres d'animaux pesant au total plus de 40 kilos ;

- les denrées animales ou d'origine animale impropres à la consommation saisies par les services d'inspection vétérinaire ;

- les sous-produits d'abattage non récupérés par les autres industries transformatrices.

C'est au préfet qu'il appartient de délimiter les périmètres à l'intérieur desquels chaque équarrisseur détiendra un monopole d'intervention, de telle sorte que tout le territoire du département soit couvert et qu'en chacun de ses points une seule entreprise ait la responsabilité de l'enlèvement des produits.

Cette disposition (article 266 Code rural) n'empêche pas le préfet de remettre en cause l'attribution de ces périmètres s'il s'aperçoit que l'appel à la concurrence permettrait d'obtenir durablement de meilleurs résultats, tant au plan de la compétitivité que de la qualité du service rendu. Les circulaires successives du ministère de l'Agriculture et de la Forêt en ce domaine le lui demandent d'ailleurs expressément ( ( * )3) .

En contrepartie des contraintes qui leur sont imposées dans le cadre du service d'utilité publique qui leur est confié, les établissements d'équarrissage jouissent d'un monopole de ramassage et du traitement des cadavres qui leur a été reconnu, d'origine légale, par le Conseil d'État ( ( * )4) , la Haute Assemblée ayant admis qu'il était la conséquence directe de l'article 266 du code rural. Tout récemment, le Conseil d'État a réaffirmé l'existence du monopole d'activité conféré par le législateur aux établissements d'équarrissage en retenant « qu'en matière d'équarrissage, le ministre chargé de l'agriculture ne saurait conférer un monopole de collecte à des entreprises autres que celles qui pratiquent l'enlèvement et la destruction des cadavres et déchets d'origine animale » ( ( * )5) .

L'équarrisseur sélectionné est évidemment tenu de remplir certaines obligations qui procèdent de la mission de service d'utilité publique qui lui est confiée par la loi et à laquelle il ne peut se dérober sans sanction. Ainsi, la Cour de cassation vient-elle de rappeler, récemment, que dans la mesure « où l'enlèvement et la destruction de cadavres et déchets d'origine animale constituent un service d'utilité publique, l'entreprise investie de cette mission ne saurait s'en affranchir unilatéralement, fût-ce pour des raisons économiques sérieuses, sans s'exposer à des sanctions pénales » ( ( * )6) . Ainsi, quelle que soit leur situation financière, les établissements spécialisés dans l'équarrissage n'ont pas la possibilité de délaisser les activités non rentables ( ( * )7) .

Les équarrisseurs sont tenus de procéder à l'enlèvement des cadavres dans un délai de 24 heures. La collecte des marchandises saisies et des déchets d'abattoir doit, pour sa part, intervenir dans les 48 heures mais ce délai peut être porté à cinq jours, lorsque ces marchandises sont entreposées à une température inférieure à 2° C (article 270 du code rural).

Les établissements d'équarrissage sont donc là pour répondre à toute demande d'un exploitant de procéder à l'enlèvement des bêtes mortes, dans la mesure où en vertu des dispositions de l'article 264 du code rural, il lui est interdit d'enfouir, de jeter en quelque lieu que ce soit ou d'incinérer les cadavres d'animaux, ou un lot de cadavres d'animaux pesant, au total, plus de 40 kilogrammes. Les propriétaires ou le détenteur de tels animaux doivent les mettre en entier, non dépouillés, à la disposition de l'équarrisseur établi dans le périmètre ( ( * )8) .

Si dans le délai requis -qui est de 24 heures- l'équarrisseur n'a pas procédé à l'enlèvement, le propriétaire ou détenteur est tenu d'en aviser la mairie de la commune où se trouvent les cadavres, qui fera procéder par un autre équarrisseur à leur enlèvement (article 264 in fine) : il s'agit d'une sorte de réquisition justifiée par la nécessité de préserver la salubrité publique.

S'agissant toutefois des animaux morts dont la livraison à un équarrisseur n'est pas rendue obligatoire (notamment en raison de leur poids), ils ne peuvent être jetés en tous lieux. Leur destruction doit être assurée par enfouissement, incinération ou procédé chimique autorisé et dans des conditions déterminées par voie réglementaire (article 265, alinéa 2).

Pour traiter de l'ensemble de ces questions, le Préfet est assisté d'une commission consultative, la commission départementale d'équarrissage.

Cette dernière doit comprendre un conseiller général, un maire, le directeur des services vétérinaires du département, le directeur départemental de l'agriculture, le directeur du service des prix, deux agriculteurs-éleveurs, un représentant du commerce en gros des viandes et un représentant de l'industrie de l'équarrissage.

Chaque équarrisseur est tenu de présenter devant cette commission tous les documents comptables relatifs à l'activité du ou des établissements où sont traités les matières premières collectées à l'intérieur de son périmètre.

* (1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cléach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Émorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, André Vallet, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 3118, 3148 et T.A. 600.

Sénat : 109 (1996-1997).

Agriculture.

* (2) Avis n° 88 (1996-1997) Tome I Agriculture présenté par M. Alain Pluchet, au nom de la commission des Affaires économiques, sur le projet de loi de finances pour 1997.

* (3) Cf. notamment circulaire du 14 mai 1991 : DGAL/SOP/C 91 n JO n° 8002.

* (4) CE, 6 février 1987, ministre de l'Agriculture c/Soc. Caillaud et SARL Équarrissage Dekeyser- Dezandre.

* (5) CE 26 mai 1995, ministre de l'Agriculture et de la Pêche c/Soc. industrielle de matières organiques de Franche-Comté.

* (6) Cass. crim. 17 janvier 1995.

* (7) Sauf dans les zones de pâturage estival de montagne et en cas de force majeure ou de nécessité d'ordre sanitaire, constatés par le directeur des services vétérinaires du département : en pareilles hypothèses, il est procédé à la destruction par incinération ou procédé chimique autorisé et à l'enfouissement des cadavres sur place, ou dans un enclos communal, dans des conditions définies à l'article 275 du code rural.

* (8) Article de M. B. Peignot, Revue de droit rural n° 242, avril 1996, p. 158 et suivantes.

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