IV LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Comme en 1994, votre commission des Lois juge nécessaire de trouver une solution à l'asphyxie qui menace la juridiction suprême de notre ordre judiciaire.

Ainsi qu'ont pu le constater, outre votre rapporteur et le président Jacques Larché, nos excellents collègues Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Robert Pagès et François Giacobbi, lors d'une rencontre avec M. le premier président, M. le procureur général et les présidents de chambre, le dispositif retenu par l'Assemblée nationale apparaît comme une solution consensuelle. Il a en effet reçu l'approbation du Bureau de la Cour de cassation et de l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation.

Certes, ses effets, tout au moins à court terme, seront sensiblement limités par le fait que ce dispositif ne fait que consacrer une pratique déjà largement développée. Mais la proposition de loi présente l'avantage d'assurer la pérennité d'une méthode d'examen des pourvois qui a fait la preuve de son efficacité.

Votre commission des Lois approuve donc, dans son principe, le dispositif adopté par nos collègues députés. Elle vous propose cependant d'en modifier quelque peu la rédaction afin, d'une part, de prendre en considération les spécificités de la chambre criminelle (A) et, d'autre part, de préciser les cas dans lesquels les formations restreintes seront compétentes pour statuer sur le fond de l'affaire (B).

Par ailleurs, votre commission vous propose de compléter le texte soumis à notre examen en modifiant les règles relatives à la composition de l'assemblée plénière (C).

A. LA PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DE LA CHAMBRE CRIMINELLE

Aux termes de l'article L. 121-3 du code de l'organisation judiciaire, « la Cour de cassation comprend des chambres civiles et au moins une chambre criminelle » . Le législateur a donc expressément reconnu le particularisme du contentieux soumis à la chambre criminelle, appelée à connaître des affaires touchant directement à la liberté individuelle.

Cette spécificité s'est traduite sur le plan de la procédure, l'article L. 111-3 du même code précisant que « la compétence de la chambre criminelle est déterminée par les articles 567 et suivants du code de procédure pénale et par les lois spéciales qui la prévoient ou l'impliquent » . Parmi ces règles particulières de procédure, on peut citer, sans prétendre à l'exhaustivité :

- l'article 567-2 du code de procédure pénale, qui impose à la chambre criminelle de statuer dans les trois mois lorsqu'elle est saisie d'un pourvoi contre un arrêt de la chambre d'accusation rendu en matière de détention provisoire -faute de quoi la personne détenue est mise d'office en liberté- ;

- l'article 568, qui limite en principe à cinq jours francs à compter de la décision -contre deux mois en matière civile- le délai pour se pourvoir en cassation ;

- l'article 574-1, imposant à la chambre criminelle saisie d'un pourvoi contre un arrêt portant mise en accusation de statuer dans les trois mois.

Ces règles spécifiques entraînent notamment deux séries de conséquences :

- d'une part, elles placent la chambre criminelle dans une situation atypique pour ce qui concerne la durée de traitement des affaires : de 1989 à 1996, les pourvois non soumis à un délai légal ont, en moyenne, été jugés selon les années, entre 5,5 et 7 mois à compter de leur enregistrement au service pénal de la Cour de cassation ; les pourvois soumis à délai légal ont quant à eux été jugés entre 2 et 2,5 mois, en moyenne, à compter de leur enregistrement. Ces délais sont à rapprocher du délai moyen de 17 mois évalué pour les chambres civiles ;

- d'autre part, s'agissant tout au moins des affaires soumises à un délai légal d'examen, le dispositif de la proposition de loi pourrait se révéler problématique pour celles dont la solution ne paraîtrait pas s'imposer. En effet, dans une telle hypothèse, le temps pourrait manquer pour, après un premier examen par une formation restreinte, renvoyer l'affaire à l'audience.

Certes, le premier président ou le président de la chambre pourrait utiliser son pouvoir d'évocation et renvoyer directement l'affaire à l'audience. Mais il n'est guère de bonne technique législative de poser un principe dont on sait qu'il deviendra en pratique l'exception.

Par ailleurs, s'agissant de problèmes touchant directement à la liberté individuelle, le fait de confier en principe la décision sur la cassation à une formation restreinte pourrait nuire à l'autorité de la chambre criminelle et ce inutilement puisque, en pratique, les affaires ne soulevant aucune difficulté -telles que celles dans lesquelles le pourvoi n'est pas soutenu- sont en pratique jugées fort rapidement en début d'audience.

Ces considérations ont conduit votre commission à estimer que la présente proposition de loi ne devait pas être applicable en l'état à la chambre criminelle. Cela ne signifie pas que celle-ci ne doit pas pouvoir statuer en formation restreinte. Bien au contraire, l'expérience montre que cette formation peut se révéler utile dans certaines circonstances -notamment pour constater l'amnistie des centaines de contraventions soumises à la Cour à la veille d'une élection présidentielle-. Mais, à la différence des chambres civiles, la chambre criminelle doit continuer à y recourir de manière exceptionnelle.

C'est pourquoi votre commission vous propose de conserver le dispositif actuel pour ce qui concerne la chambre criminelle. Une formation restreinte n'interviendrait donc que sur. l'initiative du premier président ou du président de la chambre lorsque la solution du pourvoi lui paraîtrait s'imposer.

B. LE DOMAINE DE COMPÉTENCE DES FORMATIONS RESTREINTES

Le domaine de compétence des formations restreintes tel que défini par la proposition de loi suscite une interrogation. C'est en effet « lorsque la solution du pourvoi lui parait s'imposer » que la formation restreinte est appelée à statuer, et ce « immédiatement ». Doit-on en conclure que la Cour de cassation pourrait rendre des arrêts sur la base d'une apparence ?

Il va sans dire que tel ne saurait être le cas et que la formation restreinte statuera non pas lorsque la solution lui paraîtra s'imposer mais lorsqu'elle s'imposera.

Certes, votre commission constate que, sur ce point, la proposition de loi ne fait que reprendre le texte de l'actuel article L. 131-6 du code de l'organisation judiciaire. Celui-ci. rappelons-le, permet au premier président ou au président de la chambre de renvoyer une affaire à une formation restreinte « lorsque la solution du pourvoi lui parait s'imposer ». Mais il s'agit de prendre une décision d'administration judiciaire et non une décision de fond.

Votre commission vous propose donc de définir ainsi le domaine de compétence de la formation restreinte « cette formation statue lorsque la solution du pourvoi s'impose » .

C. LA COMPOSITION DE L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Les personnes entendues par votre rapporteur ont jugé trop lourde la composition actuelle de l'assemblée plénière.

Celle-ci comprend en effet vingt-cinq magistrats (premier président, présidents et doyens des chambres ainsi que deux conseillers par chambre) et donne lieu à de longues réunions.

En 1995, quinze affaires ont été soumises à l'assemblée plénière.

Votre commission vous propose de réduire les effectifs de cette formation à dix-neuf membres, en ramenant de deux à un le nombre de conseillers de chaque chambre.

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Au-delà de ces propositions d'amendements, votre commission a émis le voeu d'une modification du Nouveau Code de Procédure Civile afin d'exiger que le mémoire du demandeur en matière civile soit soumis à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Il ne s'agirait aucunement de généraliser la représentation obligatoire une fois le pourvoi déposé mais simplement d'exiger que tout pourvoi soit, préalablement à son dépôt, examiné par un avocat au Conseil. Celui-ci pourrait alors jouer un rôle de « filtre » en attirant l'attention du demandeur sur l'absence de tout moyen sérieux de cassation et sur le risque d'être condamné pour recours abusif à l'amende de 20 000 F.

Une telle modification réglementaire remédierait à la situation atypique dans laquelle se trouve actuellement la France, avec l'Irlande, au sein de l'Union européenne. Elle devrait constituer un facteur appréciable de limitation du nombre de pourvois dépourvus de tout moyen sérieux, voire abusifs. Elle est d'ailleurs souhaitée non seulement par les magistrats du Bureau de la Cour de cassation, mais également par une organisation syndicale, la CFDT, qui a officiellement estimé possible -sous réserve de réformer le droit à l'aide juridictionnelle en conséquence- d'envisager de rendre obligatoire le recours à un avocat au Conseil pour le demandeur.

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter la présente proposition de loi.

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