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Rapport n° 263 (1996-1997) fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 mars 1997

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N° 263

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur :

1) la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Jacques OUDIN sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E 211)

2) la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Claude BILLARD, Félix LEYZOUR, Louis MINETTI, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mmes Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, Hélène LUC, MM. Paul LORIDANT, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Ivan RENAR sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E 211),

Par M. Henri REVOL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut , Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Sénat : 211 et 237 (1996-1997).

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames,

Messieurs,

En juin 1994, le Sénat avait adopté une Résolution sur deux propositions de directives du Conseil concernant, l'une, des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et, l'autre, des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211).

Ces textes ont, par la suite, fait l'objet de modifications notables. La directive sur l'électricité a été adoptée par le Conseil le 20 décembre 1996 et les discussions sur la proposition de directive sur le gaz naturel ont repris depuis le début de cette année.

Un certain nombre de points importants doivent encore faire l'objet de négociations approfondies et difficiles, compte tenu de la grande diversité des situations des Etats membres dans le secteur du gaz. En effet, deux pays de l'Union européenne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, sont des producteurs excédentaires ; d'autres Etats, dont la France, dépendent presque totalement de l'extérieur pour leur approvisionnement ; enfin, certains pays constituent des marchés émergents dans le secteur du gaz.

C'est dans ce contexte que votre Commission des Affaires économiques a été saisie de deux propositions de résolution sur cette proposition de directive concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : la proposition n° 211 de M. Jacques Oudin et la proposition n° 237 présentée par les membres du groupe communiste.

Votre commission vous proposera d'adopter la proposition de résolution n° 211, sous réserve de certaines modifications inspirées par les préoccupations suivantes :

- veiller à la sécurité des approvisionnements, de façon à garantir la programmation à long terme. Ceci recouvre notamment, mais pas exclusivement, le traitement des problèmes relatifs aux clauses « take-or-pay » des contrats d'approvisionnement à long terme, passés et futurs ;

- garantir que la transparence et la séparation comptable des activités gazières ne porteront réellement pas atteinte à la capacité de négociation des entreprises gazières ;

- veiller à la cohérence des règles applicables tout au long de la chaîne gazière.

Il s'agit de trouver un compromis entre les légitimes préoccupations des Etats membres en matière d'organisation et de développement du marché du gaz naturel et le souhait, tout aussi légitime, de permettre aux entreprises européennes de développer leur productivité.

A cet égard, il faut souligner que les prix du gaz naturel pour usages industriels en vigueur en France se situent en bonne position par rapport à ceux pratiqués dans les autres pays européens, comme le montre la dernière publication statistique d'Eurostat, dont une analyse figure en annexe au présent rapport. Gaz de France, opérateur mondial qui a vocation à se développer, sera donc amené à occuper toute sa place dans un marché européen en croissance.

I. LE CALENDRIER COMMUNAUTAIRE CONCERNANT LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LE MARCHÉ INTÉRIEUR DU GAZ NATUREL

Initialement, la Commission européenne avait présenté au Conseil en 1992, puis modifié en 1994, deux propositions de directives tendant à réaliser le marché intérieur du gaz et de l'électricité celles-ci prévoyaient :

- l'abolition des droits exclusifs de production d'électricité et de construction de lignes électriques et de gazoducs ;

- la séparation, pour les entreprises verticalement intégrées, de la gestion et de la comptabilité des activités de production, de transport et de distribution (concept « d'unbundling ») ;

- l'introduction des premiers éléments d'un accès des tiers au réseau (ATR) bénéficiant aux autoproducteurs pour la fourniture de leurs propres besoins, aux gros clients dont la consommation dépasse un certain seuil de consommation et aux compagnies de distribution sous certaines conditions.

La Commission, animée d'une philosophie ultra-libérale, avait ainsi souhaité déréglementer le système du gaz et de l'électricité en Europe.

Les autres institutions européennes se sont cependant opposées à une telle remise en cause de l'organisation électrique et gazière des Etats membres.

En outre, il a été décidé de dissocier les deux discussions et de procéder, dans un premier temps, à l'adoption de la directive sur l'électricité . Rappelons qu'une position commune sur cette directive fut adoptée, sur la base d'une proposition modifiée, le 20 décembre 1996 .

Depuis cette date, les discussions sur la proposition de directive sur le gaz naturel ont repris. Si le Parlement reste officiellement saisi de la proposition initiale (n° E-211), qui avait fait l'objet d'une Résolution du Sénat le 8 juin 1994, cette proposition a été largement modifiée depuis lors, notamment dans le cadre du texte de compromis proposé par la présidence irlandaise au Conseil des ministres de l'énergie de l'Union européenne et examiné par ce dernier le 3 décembre 1996. C'est donc au vu de ces nouvelles propositions qu'il convient d'actualiser la position adoptée par le Sénat en ce domaine.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, la présidence hollandaise devrait élaborer un nouveau texte, qui devrait être examiné par le Conseil des Ministres de l'énergie, le 26 mai 1997 .

Certains points majeurs restant en discussion et nécessitant encore une analyse approfondie, il ne paraît cependant pas évident qu'un compromis puisse être trouvé à cette date.

Rappelons, par ailleurs, qu'en application de la procédure de la co-décision, le Parlement européen sera saisi du texte, après que le Conseil aura arrêté sa position.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR L'ÉTAT DES NÉGOCIATIONS CONCERNANT LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LE MARCHÉ INTÉRIEUR DU GAZ NATUREL

Les principaux points en discussion dans le cadre de la proposition de compromis examinée par le Conseil Énergie en décembre dernier, portent sur :

- les obligations de service public ;

- les contrats d'approvisionnement à long terme assortis de clauses « take-or-pay » ;

- l'ouverture à la concurrence et l'accès des tiers au réseau ;

- la séparation comptable des activités et la transparence des comptes .

A. LES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

En vertu des conclusions du Conseil Énergie, un « degré important de convergence de vues » a porté sur ce point et « il est généralement estimé que les États membres qui le souhaitaient pouvaient imposer aux entreprises de gaz naturel des obligations de service public dans l'intérêt économique général. La concurrence entre les entreprises de gaz naturel ne devrait pas être entravée indûment ».

Il s'agit là d'une avancée significative par rapport aux textes initiaux de 1992 et 1994.

La France est particulièrement attachée au maintien des missions de service public qu'elle a confiées à ses opérateurs publics et qui correspondent au niveau de qualité exigé par ses citoyens.

Concernant le secteur du gaz, il s'agit, notamment, de l'exigence de continuité de la fourniture, qui implique la sécurité de l'approvisionnement. Celle-ci repose sur le partage du risque avec les fournisseurs dans les contrats dits « take-or-pay » et sur la force de négociation face à ces producteurs. Il importe, qu'en vertu du principe de subsidiarité, les États membres puissent donc imposer aux opérateurs des missions de service public.

B. L'EXISTENCE ET LE DEVENIR DES CONTRATS DITS « TAKE-OR-PAY »

Le Conseil s'est engagé à étudier les problèmes posés par l'existence des contrats dits « take-or-pay ».

Rappelons que ces contrats d'approvisionnement à long terme, couvrant une période de 20 à 25 ans, ont pour but de garantir aux producteurs de gaz que les investissements très lourds auxquels ils procéderont pourront être amortis, et de sécuriser les approvisionnements des acheteurs. Ces contrats sont assez contraignants pour les deux parties : engagement de vendre pour les premiers, engagement d'acheter pour les seconds et de payer même s'ils ne peuvent acheter et enlever le gaz (d'où l'expression : « prendre ou payer »).

S'agissant des contrats existants, les entreprises gazières ne doivent pas être pénalisées par les engagements souscrits. Il est donc souhaitable que l'Union européenne adopte une démarche progressive, une période transitoire s'avérant nécessaire avant de passer à un nouveau mode d'organisation du secteur. L'ouverture des marchés doit être progressive pour éviter que, dans un contexte gazier temporairement excédentaire, l'apparition de consommateurs éligibles et de nouveaux opérateurs ne perturbe en profondeur l'organisation de l'industrie gazière.

La signature d'accords « take-or-pay » par un acheteur suppose qu'il dispose de certaines garanties quant à l'évolution de son marché.

Or, une forte libéralisation de ce dernier entraînerait sa volatilité et rendrait trop risqués de tels engagements par les acheteurs. Elle pourrait par là même handicaper les investissements lourds et de long terme que nécessite la production gazière.

Il convient donc de faire en sorte que ces contrats puissent continuer à être souscrits, ceci dans un souci de sécurité et de diversification de nos approvisionnements en gaz.

La nouvelle organisation du marché , qui entraînera le développement de contrats à court terme et de ventes « spots », doit également permettre la conclusion de nouveaux contrats à long terme assorti de clauses « take-or-pay ». Votre commission souhaite que la future directive prévoit explicitement cette faculté.

En l'état actuel des négociations, la majorité des Etats membres acceptent ce type de contrat en tant qu'élément caractéristique du marché européen du gaz, mais certains d'entre eux, dont le Royaume-Uni, font valoir qu'ils ne devraient pas servir d'alibi pour éviter la libéralisation du marché. Le texte de compromis de la présidence irlandaise (article 23) indique que ces contrats ne doivent certes pas servir à refuser l'accès au marché, mais il prévoit un régime transitoire pour les Etats membres qui éprouvent des difficultés d'ordre économique lorsque le niveau des ventes est inférieur à la quantité de gaz que le contrat leur impose d'acheter.

Cette solution reviendrait à traiter le problème lorsqu'il se posera, alors qu'il serait préférable d'anticiper afin de le prévenir.

C. L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE ET L'ACCÈS DES TIERS AU RÉSEAU

On l'a dit, l'ouverture du marché doit être progressive. En outre, les marchés gaziers présentent de telles différences d'un Etat membre à l'autre que l'application du principe de subsidiarité s'impose en ce domaine. La directive devrait ainsi fixer le principe d'un certain accès des tiers au réseau, tandis que ses modalités devraient relever de la décision des Etats, en particulier la définition des clients éligibles, la France souhaitant que soient seuls concernés les consommateurs finaux.

La proposition irlandaise ne comporte pas de données chiffrées quant au degré d'ouverture. Il appartiendra au Conseil d'en décider, ce qui nécessitera des négociations approfondies. Le Gouvernement français considère, à juste titre, que ce degré d'ouverture devrait dépendre de critères qualitatifs et non faire l'objet d'un taux unique pour l'ensemble des pays. En effet, si l'on fixait, par exemple, un seuil d'ouverture à partir d'une consommation de 25 millions de m 3 par an, ceci correspondrait à 90 % de la consommation finlandaise et à 18 % de la consommation française.

S'agissant du mode d'accès au réseau, la proposition irlandaise prévoit la faculté pour les Etats membres de choisir entre un accès « négocié » , sur la base d'accords commerciaux volontaires, et un accès « régulé » ou « réglementé » , sur la base de tarifs publiés pour le transport et la distribution.

En vertu des articles 15 et 16 de la proposition, dans le cadre :

- d'un accès négocié au réseau , les Etats membres devraient prendre les mesures nécessaires pour que les entreprises de gaz naturel, d'une part, et les clients éligibles, d'autre part, puissent négocier librement un accès au réseau pour conclure des contrats de fourniture entre eux sur la base d'accords commerciaux volontaires ;

- d'un accès réglementé , les producteurs et les entreprises de fourniture de gaz naturel ainsi que les clients éligibles disposeraient d'un droit d'accès aux réseaux de transport et de distribution, sur la base de tarifs publiés.

Les conclusions du Conseil énergie de décembre dernier précisent que « les questions liées à l'accès nécessiteront encore un travail considérable ».

D. LA SÉPARATION COMPTABLE ET LA TRANSPARENCE DES COMPTES

Le chapitre V de la proposition irlandaise prévoit une certaine transparence de la comptabilité des entreprises gazières, afin de contrôler le caractère équitable de la concurrence « dans le respect de la confidentialité des informations commercialement sensibles ».

Il prévoit que les entreprises de gaz naturel intégrées devront tenir des comptes séparés par leurs activités de production, de transport, de stockage et de distribution.

La France, la Belgique et la Grèce ont, à juste titre, fait observer au Conseil la difficulté de dissocier le transport et la distribution.

Une telle séparation ne s'avère, en outre, pas souhaitable pour des raisons de nécessaire confidentialité, dans un contexte de cartellisation du marché gazier .

Votre commission, dans son rapport d'information 1 ( * ) sur « le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel et ses conséquences pour la France » de juin 1994, avait déjà souligné qu'une séparation comptable aussi poussée ne tenait pas compte des spécificités du secteur du gaz naturel :

« Il faut [...] rappeler que le gaz étant une énergie substituable, il se trouve en concurrence avec les autres énergies. Son prix de vente est fixé par le marché et il appartient à l'industrie gazière de faire en sorte que ses coûts d'approvisionnement, de stockage et de distribution lui permettent d'être compétitif. Il lui importe donc d'être dans une position de négociation commerciale forte face à des producteurs eux-mêmes puissants et peu nombreux.

Il est évident que la publication des comptes, telle que souhaitée par la Commission, entraîne une transparence des coûts préjudiciable aux opérateurs gaziers, dans la mesure où elle risque d'affaiblir leur position de négociation à l'égard des producteurs. »

Sur ce point, les conclusions du Conseil relèvent que : « Bien que l'on soit généralement d'accord sur le principe d'un certain degré de dissociation comptable, il faudra encore s'efforcer de déterminer les limites des activités à dissocier, ainsi que le bon équilibre à obtenir entre les exigences de la transparence et la confidentialité des informations commerciales sensibles, sans créer de procédures administratives inutiles ».

III. LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

Deux propositions de directives ont été présentées, en application de l'article 73 bis du Règlement du Sénat, sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : l'une par M. Jacques Oudin, l'autre par MM. Claude Billard, Félix Leyzour, Louis Minetti et les autres membres du groupe communiste.

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 211 PRÉSENTÉE PAR M. JACQUES OUDIN

La proposition de résolution élaborée par M. Jacques Oudin soumet l'acceptation de la proposition de directive par la France au respect d'un certain nombre de principes. Il s'agit de :

- la préservation des missions de service public aujourd'hui assurées dans le secteur du gaz ;

- la possibilité pour les Etats membres de continuer à maîtriser la sécurité de leur approvisionnement et à garantir la programmation à long terme par le biais d'une part, du contrôle de leurs importations et, d'autre part, de la conclusion des contrats d'approvisionnement « take-or-pay » ;

- l'assurance que la transparence et la séparation comptable ne porteront pas atteinte à la capacité de négociation des entreprises gazières européennes ;

- l'application du principe de subsidiarité, que justifie la grande diversité des situations des Etats membres. Ce principe devrait, en particulier, permettre à chaque pays de définir les clients éligibles pouvant s'approvisionner directement auprès d'un producteur ;

- le maintien de l'organisation française de la distribution de gaz naturel.

Enfin, la proposition demande au Gouvernement de s'opposer à tout mécanisme automatique d'ouverture progressive du marché du gaz.

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 237 PRÉSENTÉE PAR LES MEMBRES DU GROUPE COMMUNISTE

Après avoir souligné, dans son exposé des motifs, les risques que la directive concernant le marché intérieur de l'électricité feraient peser sur le service public, la proposition de résolution présentée par MM. Claude Billard, Félix Leyzour, Louis Minetti et les autres membres du groupe communiste, invite le Gouvernement à demander la renégociation de cette directive.

Votre commission juge cette demande à la fois irréaliste et non souhaitable.

En revanche, les deuxième et quatrième points de cette proposition recouvrent les mêmes préoccupations que la proposition de M. Jacques Oudin et tendent, pour le deuxième, à garantir l'exercice des missions de service public assurées à l'heure actuelle et, pour le quatrième, à s'assurer du respect du principe de subsidiarité.

Le troisième point concerne une préoccupation également évoquée par la proposition n° 211, relative à la maîtrise de la sécurité des approvisionnements. Il invite, en outre, le Gouvernement à agir pour le développement des coopérations entre les Etats membres et avec les pays tiers dans ce but.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

Votre commission vous propose d'adopter l'essentiel du dispositif proposé par M. Jacques Oudin, sous réserve de le modifier sur deux points et le compléter sur deux autres.

On l'a vu, votre commission est attachée aux principes dont le respect est demandé par la proposition de résolution n° 211, en matière de préservation des missions de service public, de maîtrise de la sécurité des approvisionnements et de garantie de la programmation de long terme, de sauvegarde de la capacité de négociation des opérateurs gaziers, d'application du principe de subsidiarité.

Votre commission vous proposera cependant de compléter le dispositif proposé par un troisième considérant.

Relevant que la directive « électricité » est « conforme aux préoccupations françaises de maintien d'un service public de haut niveau et d'une planification à long terme des investissements », la proposition n° 211 souhaite, dans ses considérants, que ces préoccupations soient également prises en compte dans les négociations concernant la proposition de directive « gaz naturel ».

En effet, les deux secteurs présentent des similitudes. Mais, ils présentent également des différences importantes et il ne serait pas souhaitable d'appliquer intégralement au gaz naturel les règles instituées pour l'électricité.

Les spécificités du secteur gazier tiennent en particulier au caractère oligopolistique de l'offre. La France, qui importe la quasi-totalité du gaz qu'elle consomme, doit donc veiller à ce que la libéralisation partielle du secteur ne fragilise pas les acheteurs de gaz.

C'est pourquoi, votre commission vous propose de spécifier, dans un troisième considérant, que « le gaz naturel présente des caractéristiques propres pouvant justifier l'établissement de règles spécifiques ».

S'agissant du dispositif de la proposition de résolution, votre commission vous propose de remplacer le deuxième point par deux alinéas, de façon à différencier les notions de programmation à long terme et de contrats d'approvisionnement à long terme avec clauses de « take-or-pay ».

En effet, ces notions ne se recouvrent pas totalement. La programmation à long terme doit fixer un cadre permettant la conclusion de contrats dits « take-or-pay », mais elle doit également déterminer certaines règles générales. Elle peut ainsi, par exemple, imposer une diversification minimale des approvisionnements ou imposer aux intermédiaires de conclure une partie de leurs contrats à long terme afin de garantir la sécurité des approvisionnements dans le temps.

La rédaction proposée souligne, par ailleurs, explicitement que la question des contrats dits « take-or-pay » ne se pose pas seulement pour les contrats déjà conclus, mais également pour les contrats futurs.

Votre commission vous propose, en outre, de renforcer la rédaction du point 3 du dispositif de la proposition de résolution concernant la transparence et la séparation comptable . Afin d'éviter que les institutions européennes se contentent d'une simple déclaration de principe affirmant le maintien de la capacité de négociation des entreprises gazières, votre commission demande que la démonstration en soit faite avant que les règles en la matière ne soient fixées. L'expérience prouve, en effet, que certains dispositifs européens sont parfois appliqués sans qu'une étude sérieuse de leur impact ait été réalisée au préalable.

Enfin, votre commission vous propose de compléter la proposition par un dernier alinéa invitant le Gouvernement à « veiller à ce que la cohérence soit assurée entre les règles déjà instituées pour certaines activités de la chaîne gazière par la directive européenne 94/22 du 30 mai 1994 et les règles qu'instituera la proposition de directive . »

En effet, si la directive électricité couvre l'ensemble de la filière électrique, de l'amont à l'aval, la directive gaz ne concernera quant à elle que les activités aval de la chaîne gazière, les autres étant déjà visées par la directive 94/22 du 30 mai 1994 sur les conditions d'octroi et d'exercice des autorisations de prospecter, d'exploiter et d'extraire les hydrocarbures. Cette dernière réglemente les activités d'exploration et de production. Elle accorde des droits importants aux Etats et applique aux entreprises des règles très souples (ni transparence, ni séparation comptable, ni accès des tiers aux infrastructures).

Votre commission estime qu'il convient d'éviter que la future directive ne fixe des règles discriminatoires. Ceci concerne en particulier certaines activités situées à cheval sur l'amont et l'aval de la filière, tel que le stockage , qui doivent être soumises à la même réglementation. Afin d'ajuster l'offre à la demande de gaz, l'industrie gazière peut soit moduler la production, soit jouer sur le stockage. Aussi, paraîtrait-il logique que les gisements, les stockages des producteurs et ceux des transporteurs soient soumis à des règles similaires.

Or, la proposition de directive concerne le stockage et risque de soumettre à des obligations d'accès des tiers et de séparation comptable les seuls stockages appartenant aux transporteurs de gaz.

Cette question n'a pas été tranchée au sein des institutions européennes. Mais, la préoccupation soulevée n'apparaît pas sans fondement si l'on relève, par exemple, que l'intitulé du chapitre 6 de la proposition de directive comporte une ambiguïté : il se traduit par « accès au réseau »  en français, mais « access to system » en anglais.

Aussi, convient-il d'attirer la vigilance du Gouvernement sur ce point.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre Commission des Affaires économiques a adopté la proposition de résolution ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition d'acte communautaire E 211,

Considérant que le Conseil de l'Union européenne et le Parlement ont adopté une directive relative au marché intérieur de l'électricité conforme aux préoccupations françaises de maintien d'un service public de haut niveau et d'une planification à long terme des investissements ;

Considérant que ces préoccupations doivent également être prises en compte dans les négociations sur le marché intérieur du gaz naturel ;

Considérant cependant que le gaz naturel présente des caractéristiques propres pouvant justifier l'établissement de règles spécifiques ;

demande au Gouvernement :

- de n'accepter l'adoption de la proposition de directive que si elle permet explicitement la préservation des missions de service public qui existent aujourd'hui dans le secteur du gaz ;

- de veiller à ce que les Etats membres qui le souhaitent puissent continuer à maîtriser la sécurité de leur approvisionnement en contrôlant leurs importations, de façon à garantir la programmation à long terme ;

- de veiller à ce que les entreprises gazières puissent honorer les contrats d'approvisionnement à long terme avec clauses de « take-or-pay » déjà conclus et continuer à en souscrire à l'avenir ;

- de n'accepter la transparence et la séparation comptable que pour autant qu'il soit au préalable démontré qu'elles ne portent pas atteinte à la capacité de négociation des entreprises gazières européennes ;

- de veiller à ce que, compte tenu de la diversité des situations de chacun des marchés des Etats membres dans le domaine du gaz naturel, la directive laisse une large place au principe de subsidiarité, en particulier pour la définition des clients éligibles qui pourront s'approvisionner directement auprès d'un producteur ;

- de s'assurer que le texte adopté permette le maintien de l'organisation française de la distribution ;

- de n'accepter aucun mécanisme automatique d'ouverture progressive du marché ;

- de veiller à ce que la cohérence soit assurée entre les règles déjà instituées pour certaines activités de la chaîne gazière par la directive européenne 94/22 du 30 mai 1994 et les règles qu'instituera la proposition de directive.

ANNEXE -

PRIX DU GAZ NATUREL POUR USAGES INDUSTRIELS DANS L'UNION EUROPÉENNE

Selon la dernière publication statistique d'Eurostat, par rapport au prix moyen européen, le consommateur britannique de catégories I1 2 ( * ) n'en paie que 49 % (pourcentage qui était de 55 % au 1er janvier 1996). Pour les autres catégories, cette part va de 52 % à 55 %, alors qu'elle était de 63 % à 69 % six mois auparavant. Parmi les autres pays pratiquant des prix inférieurs à la moyenne, on citera la Finlande (sauf pour I3-2) ; le Danemark et la France (sauf pour I2) ; la Belgique (sauf pour I1 et I3-1). Parmi les pays pratiquant les prix les plus élevés, on retrouve l'Allemagne, avec des écarts de 4 % de 35 % au-dessus de la moyenne européenne ; l'Espagne pour la catégorie (I1) et l'Italie, avec des écarts de 10 % à 38 % (ils étaient de 4 % à 33 % six mois auparavant).

Contrairement à une idée souvent développée, ce ne sont pas les pays les plus riches en ressources qui pratiquent les prix les plus bas. Certes le Royaume-Uni est quasiment autosuffisant en gaz naturel. Mais l'Allemagne, qui produit plus de 20 % de ses besoins, et l'Italie, près de 40 %, pratiquent les prix les plus élevés.

PRIX DU GAZ NATUREL POUR USAGES INDUSTRIELS EN VIGUEUR AU 1ER JUILLET 1996 DANS L'UNION EUROPÉENNE

(prix hors TVA en Ecus/GJ)

I1

I2

I3-1

I3-2

I4-1

I4-2

Belgique

6,30

4,63

3,96

3,16

3,16

2,89

Allemagne (1)

6,48

5,56

5,19

4,89

4,54

4,35

Espagne

8,20

4,80

3,47

3,33

3,28

3,14

France (2)

6,13

5,20

3,67

3,44

3,04

2,95

Italie (3)

8,58

5,82

4,38

4,22

3,80

3,62

Luxembourg

5,60

5,12

5,02

4,31

4,29

4,29

Pays-Bas

6,31

6,24

4,02

4,02

3,24

3,24

Royaume-Uni (4)

3,03

2,66

2,18

2,00

1,87

1,84

Danemark

6,88

5,66

3,68

3,68

3,09

3,09

Finlande

5,70

5,44

4,21

4,63

3,40

3,00

Moyenne

1/1/96

6,08

4,93

3,80

3,58

3,21

3,23

1/7/96

6,22

5,10

3,98

3,77

3,37

3,24

(1) Moyenne de 10 localités ; des prix élevés à Berlin portent les écarts de prix à l'intérieur de l'Allemagne jusqu'à près de 50 %, quelle que soit la catégorie de consommateur.

(2) Moyenne de 6 localités.

(3) Moyenne de 5 localités.

(4) Moyenne de 3 localités.

Source : Pétrostratégies, à partir d'Eurostat.

DÉFINITIONS DES CONSOMMATEURS-TYPE INDUSTRIELS DE GAZ RETENUS PAR EUROSTAT

Consommation annuelle

Modulation

I1

418,60 GJ

(soit 116.300 KWh)

non décrite

I2

4.186 GJ

(soit 1.163.300 KWh)

200 j

I3-1

41.860 GJ

(soit 11,63 KWh)

220 j

1.600 h

I3-2

41.860 GJ

(soit 11,63 KWh)

250 j

4.000 h

I4-1

418.600 GJ

(soit 116,3 KWh)

250 j

4.000 h

I4-2

418.600 GJ

(soit 116,3 KWh)

330 j

8.000 n

I5

4.186.000 GJ

(soit 1.163 KWh)

330 j

8.000 h

* 1 Rapport n° 491 - Sénat (Seconde session ordinaire de 1993-1994).

* 2 Voir le deuxième tableau de la page 22 pour la définition des consommateurs par catégories.

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