I. LA SITUATION INTÉRIEURE DE LA SUISSE ET LES RELATIONS BILATÉRALES FRANCO-SUISSES

A. UNE SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE EN MUTATION

1. Une économie prospère, mais nécessitant des réformes structurelles

Après la récession de 1990-1993, la Suisse a conservé une croissance faible en 1994 (+ 1,2 %) et 1995 (0,75 %). en dépit de l'assouplissement de la politique monétaire. Mais la croissance a été de nouveau négative en 1996, avec une baisse du PIB de 0.7 %, et les experts prévoyaient une croissance modeste de 0,5 % en 1997.

La Confédération n'en demeure pas moins l'un des pays les plus riches du monde, qui se situe au premier rang mondial en termes de PNB par habitant.

Les "fondamentaux" restent bons. Les finances publiques sont maîtrisées (déficit budgétaire de 2,4 % du PIB) ; l'inflation est faible (0.8 % en 1996) ; la balance des paiements courants est excédentaire (6,9 % du PIB). La hausse du chômage, passé de 1 % en 1991 à près de 5 % en 1996 et 1997, est cependant un phénomène nouveau et inquiétant.

La Suisse est partagée entre un secteur ouvert dynamique, avec des groupes bien placés dans l'économie et la finance mondiales, et un secteur protégé. Cet ensemble économique hétérogène connaît des problèmes d'adaptations structurelles.

Les réformes engagées par les pouvoirs publics avec le "programme de revitalisation" entré en vigueur en 1996 visent à renforcer la concurrence (loi sur les cartels, loi sur le marché intérieur), tout comme la libéralisation partielle des secteurs des télécommunications et de l'énergie. Ces mesures devraient permettre d'améliorer la compétitivité de l'économie helvétique, et le gouvernement a également proposé, en avril 1997, un plan de soutien à l'activité centré sur le secteur du bâtiment et des travaux publics.

A court terme, cependant, ces mesures devraient susciter une concurrence accrue et conduire à des restructurations difficiles. Celles-ci sont déjà engagées dans certaines branches, y compris la banque, comme en témoigne la fusion des deux plus grandes banques suisses, UBS et SBS. qui a abouti à la création en décembre dernier de la deuxième plus grande banque mondiale, qui sera le plus grand gérant de patrimoine au monde. Mais, cette fusion se traduira par la suppression de plusieurs milliers d'emplois.

2. Des institutions politiques stables, mais en crise de légitimité

A cours des dernières années, des fissures sont apparues dans le contrat social helvétique : interrogations sur l'armée ; propositions de réforme du pouvoir fédéral ; fracture entre Suisse romande et Suisse alémanique ; entre Suisse urbaine et Suisse rurale ; et surtout entre la classe dirigeante et la population. L'affaire des "fonds juifs" a également suscité un débat douloureux en remettant en cause l'image du pays, bien que les critiques visant son attitude pendant la guerre aient souvent été perçues comme une agression étrangère.

La recherche de consensus par la démocratie semi-directe, qui conduit souvent à l'adoption de positions minimalistes, et le maintien des différences au sein d'un fédéralisme fondé sur la garantie stricte des droits et compétences des cantons, qui sont protégés par le principe de subsidiarité du droit fédéral, réduisent considérablement l'efficacité d'un gouvernement peu étoffé de sept ministres au sein duquel le Président n'a aucun pouvoir spécifique.

Des sondages montrent que les Suisses se reconnaissent de moins en moins dans leur système politique et, au cours des dernières années, le Conseil fédéral a enregistré, lors des votations, une série d'échecs qui traduit une baisse de confiance. Les dernières élections générales d'octobre 1995 ont été marquées par un taux record d'abstention (taux de participation de 42 %) qui laisse à penser que, dans un régime de démocratie semi-directe, le peuple suisse n'accorde qu'un intérêt réduit au rôle du Parlement.

Enfin, la polarisation droite-gauche se traduit par la progression du Parti socialiste et de l'Union démocratique du Centre. Ces deux partis vainqueurs des dernières élections sont franchement engagés sur la question de l'adhésion à l'Union européenne, que ce soit pour (PSD) ou contre (fraction de l'UDC conduite par M. Christophe Blucher).

Dans ce contexte, les projets de réforme de la Constitution visant à réserver les recours au référendum d'initiative populaire aux "sujets politiques importants" semblent trop modestes pour dynamiser véritablement le fonctionnement du système politique helvétique.

3. Une diplomatie tournée vers l'Europe, mais encore hésitante

La Suisse s'est longtemps cantonnée dans une diplomatie palliative. Attachée à "l'esprit de Genève" et à la politique des "bons offices", la Confédération coopère activement à !a Banque Mondiale et au FMI. Elle a accueilli avec satisfaction, en 1994, le choix de Genève comme siège de l'OMC, qui y succède au GATT installé là depuis 1974, et aurait souhaité voir s'y fixer les secrétariats de l'ensemble des Conventions relatives au climat et à l'environnement établies au Sommet de Rio.

Conformément à ses engagements en faveur d'une solidarité internationale plus forte, le Conseil fédéral conduit une réflexion sur le sens de sa neutralité : historiquement, ce concept a été un instrument de cohésion entre Suisses romands et Suisses alémaniques, de sécurité en période de guerre froide et d'indépendance par l'universalité des relations extérieures suisses. Sur ces trois plans, la neutralité a largement perdu de son intérêt.

M. Villiger, chef du département militaire fédéral jusqu'à l'automne 1995, avait repris la formule de "neutralité différenciée" lancée en 1991 qui, sans remettre en cause l'intangibilité du principe, l'oriente vers une conception plus active. Ceci se manifeste notamment par l'application volontaire des sanctions économiques décidées par l'ONU et la participation à des opérations de maintien de la paix dans un périmètre géostratégique limité, (après le rejet du projet de création d'un corps de casques bleus par votation populaire du 12 juin 1994, le Conseil fédéral a décidé l'envoi en Bosnie de 75 militaires non armés pour apporter une aide logistique aux opérations de paix de l'OSCE).

Ayant assumé la présidence de l'OSCE en 1996, la Suisse a joué un rôle important dans la mise en oeuvre du plan de paix en ex-Yougoslavie. La Suisse a également décidé, en octobre 1996, de participer au "Partenariat pour la Paix" et a mis en place un programme de partenariat individuel avec l'OTAN en juin 1997.

Dans le cadre de cette nouvelle ouverture sur !e monde, la Suisse a engagé une politique européenne d'autant plus active que ses intérêts vitaux sont enjeu.

Ainsi, le Conseil fédéral n'a pas retiré sa candidature d'adhésion depuis le rejet de l'EEE, en décembre 1992, et souhaite une concertation étroite avec ses voisins immédiats. Il a rappelé que l'adhésion reste "l'objectif stratégique" et défini les étapes : dans un premier temps, des négociations sectorielles entre la Commission et Berne qui constituent une "voie pragmatique" de rapprochement ; ensuite, l'adhésion à l'Espace Economique Européen ou à l'Union européenne.

Estimant que les réformes engagées sur le plan économique et la poursuite de la tâche d'harmonisation de la législation helvétique avec celle de la Communauté ("Swisslex") témoignaient de la volonté suisse de se rapprocher du modèle européen, les autorités fédérales n'ont peut-être pas perçu l'ampleur des demandes qui allaient leur être présentées au cours des négociations sectorielles ouvertes en décembre 1994, sur sept dossiers.

Les domaines des marchés publics, de la levée des obstacles techniques aux échanges et de la recherche paraissent à présent faire l'objet d'accord. Enfin, des difficultés persistent sur le volet agricole.

Si le dossier sensible de la libre circulation des personnes, sur lequel les discussions ont longtemps achoppé, a progressé, la question des transports terrestres reste l'obstacle principal à la conclusion d'un accord. Conformément au souhait de l'électoral lors du vote sur "l'initiative des Alpes" en 1994, qui programmait l'interdiction du transit des poids lourds à travers la Suisse. Berne souhaite instituer une fiscalité dissuasive entraînant des risques de détournement de trafic vers les pays voisins, notamment la vallée du Rhône.

En outre, les demandes suisses en matière de transports aériens ne sont pas acceptables pour l'Union, et ne font pas partie du mandat de négociation.

La Suisse a déclaré qu'elle voulait conclure les négociations : le Conseil fédéral a écrit en ce sens au Commissaire van den Broek en novembre 1997. Le dossier des transports terrestres a en particulier fait l'objet d'une nouvelle proposition suisse. Mais, la commission européenne a estimé que celle-ci était insuffisante, et ne justifiait pas la réunion d'un Conseil "transport" spécial.

Pour le moment, les négociations sectorielles sont bloquées. Seules de nouvelles concessions suisses pourraient faire évoluer la situation. Si les négociateurs de la Confédération semblent à présent examiner de nouvelles propositions, la durée des négociations semble avoir émoussé la volonté de conclure des deux parties.

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