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Rapport n° 357 (1997-1998) de M. François LESEIN , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 25 mars 1998

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N° 357

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 mars 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Michel BARNIER sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE concernant le Système général de reconnaissance des qualifications professionnelles et complétant les directives concernant les professions d'infirmier responsable de soins généraux, de praticien de l'art dentaire, de vétérinaire, de sage-femme, d'architecte, de pharmacien et de médecin (n° E-994),

Par M. François LESEIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean-Paul Bataille, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Gérard Fayolle, Bernard Fournier, Alain Gérard, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Philippe Nachbar, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal.

Voir le numéro :

Sénat : 317 (1997-1998).

Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

La discussion de la loi « relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives » (1 ( * )) , dont l'article 3 avait pour objet de donner une base légale à la réglementation nationale relative à la libre prestation de services d'éducateur sportif, a tout récemment attiré l'attention du Parlement sur les problèmes que peut poser l'application du système général de reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles mis en place par la Communauté européenne pour assurer la réalisation du marché unique et de la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union européenne.

La proposition de résolution qui nous est soumise porte sur une proposition de modification des directives relatives au système général de reconnaissance des diplômes, dont on peut craindre qu'elle aggrave ces problèmes, et qui pourrait notamment réduire considérablement la portée des dispositions que le Parlement vient d'adopter pour améliorer le contrôle de la qualification des éducateurs sportifs exerçant en France au titre de la liberté de circulation.

*

* *

I. LE SYSTÈME GÉNÉRAL DE RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES ET LES MODIFICATIONS PROPOSÉES PAR LE DOCUMENT E 994

Ce qu'il est convenu d'appeler le « système général de reconnaissance des diplômes » correspond à une démarche qui était certainement nécessaire pour parvenir à une réalisation effective de la libre circulation des travailleurs. Cependant, comme elle n'impose pas l'harmonisation des formations, sa mise en oeuvre peut poser dans certains cas, des problèmes dont la solution n'est pas facile à trouver.

Les modifications des directives « système général » proposées par le document E 994 (proposition Com (97) 638 final) pourraient aggraver ces difficultés en restreignant le champ d'application des « mesures compensatoires » des différences de contenu ou de niveau des formations nationales.

A. LA JUSTIFICATION DU « SYSTÈME GÉNÉRAL DE RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES ET DES FORMATIONS »

Pour les professions réglementées, c'est-à-dire celles dont l'accès ou l'exercice est subordonné à la possession de diplômes ou de titres spécifiques, la réalisation de la libre circulation des travailleurs salariés ou indépendants suppose que soient mis en place des mécanismes de reconnaissance des qualifications requises dans les différents Etats membres.

Dans ce but, deux approches ont successivement été explorées :

La première a été l'approche « sectorielle », par profession, qui a été mise en oeuvre à partir des années 60. Elle s'est traduite en premier lieu par de nombreuses directives dites « mesures transitoires », qui avaient pour objet de faciliter l'accès à un certain nombre de fonctions ou de professions en garantissant la reconnaissance, sous certaines conditions, de l'expérience acquise dans l'exercice de ces professions dans l'Etat membre d'origine : ces directives ont concerné notamment des professions et des secteurs d'activité relevant du commerce, de l'industrie et de l'artisanat.

L'approche sectorielle a ensuite été appliquée aux professions de santé, à partir de 1975 : elle a consisté à coordonner les formations nationales pour permettre la reconnaissance automatique des diplômes répondant aux critères qualitatifs et quantitatifs (contenu et durée des formations) définis dans le cadre de la coordination des formations. La même approche a été retenue pour la profession d'architecte.

De l'aveu même de la Commission européenne, l'approche sectorielle s'est révélée « lente et laborieuse » : la négociation des directives a été souvent très longue, et leur transposition n'a pas pour autant été toujours rapide ni facile...

• C'est pourquoi la Commission s'est tournée, dans la perspective de la réalisation du marché unique, vers l' « approche horizontale » que représente le système général de reconnaissance des diplômes et autres titres de formation , dont le principe est que toute personne pleinement qualifiée pour exercer une activité donnée doit pouvoir obtenir la reconnaissance de ses qualifications aux fins d'exercer une activité équivalente dans un autre Etat membre.

Ce système se fonde actuellement sur deux directives, la directive 89/48/CEE du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, complétée par la directive 92/51/CEE qui s'applique aux formations supérieures courtes.

Une proposition de troisième directive (2 ( * )) , en cours d'élaboration, doit compléter le « système général » et instituer un mécanisme de reconnaissance des diplômes pour les activités professionnelles actuellement couvertes par les directives « mesures transitoires ».

Au niveau de l'adoption des directives, l'approche horizontale s'est révélée plus rapide et plus facile que l'approche « sectorielle ». Cependant, étant donné que ces directives s'appliquent à une grande variété de professions, que tous les Etats membres ne réglementent pas les mêmes professions (3 ( * )) , que la définition des professions et les exigences de formation correspondantes peuvent varier assez sensiblement d'un Etat membre à l'autre, leur application n'est pas exempte de difficultés dont, pour la France, les professions d'éducateur sportif offrent un bon exemple.

B. L'ÉCONOMIE ET LES DIFFICULTÉS D'APPLICATION DU « SYSTÈME GÉNÉRAL »

L'économie du « système général »

Le « système général » est fondé non sur l'harmonisation des formations, mais sur la « confiance mutuelle », ce qui signifie notamment qu'un Etat membre ne peut refuser l'accès à une profession réglementée ou son exercice à une personne possédant les titres exigés par un autre Etat membre pour accéder à la même profession ou l'exercer sur son territoire.

Cependant, le système général n'assurant pas l'harmonisation des conditions minimales de formation, il n'établit pas de reconnaissance automatique des diplômes : en cas de différences entre la formation acquise par le migrant et celle requise par l'Etat membre d'accueil, le principe de la reconnaissance mutuelle est donc tempéré par la possibilité d'imposer au migrant des mesures de compensation du « déficit » de formation qu'il accuse.

Ces mesures de compensation sont de nature différente selon que ce déficit porte sur la durée ou sur le contenu de la formation :

* lorsque la différence constatée porte sur la durée de la formation, l'Etat membre d'accueil peut imposer que le migrant apporte la preuve d'une expérience professionnelle dont la durée compense cette différence, qui doit être au moins d'un an. La durée d'expérience professionnelle exigée peut être plus longue que la durée de formation manquante, mais elle ne peut excéder quatre années ;

* lorsque il existe une « différence substantielle » dans le contenu de la formation, ou dans les champs d'activité auxquels correspond la profession en cause, l'Etat membre d'accueil peut imposer au migrant soit d'effectuer un stage d'adaptation de trois ans au plus, soit de passer une épreuve d'aptitude.

Le choix entre ces mesures appartient en principe au migrant. Toutefois, il peut être laissé à l'Etat membre d'accueil -ce qui lui permet en pratique d'imposer une épreuve d'aptitude- dans trois cas :

- celui des professions juridiques (dont l'exercice impose une bonne connaissance du droit national -ainsi, naturellement, qu'une parfaite maîtrise de la langue) ;

- celui des professions pour lesquelles l'Etat membre a demandé et obtenu une dérogation ;

- celui des professions pour lesquelles l'Etat membre d'accueil impose une formation post-secondaire de plus de trois ans (relevant de la directive 89/48/CEE), alors que le migrant possède un titre relevant de la directive 92/51/CEE.

Les problèmes pratiques d'application du système général de reconnaissance des diplômes : l'exemple de l'accueil en France des éducateurs sportifs européens.

Les professions d'éducateur sportif relèvent de la directive 92/51/CEE, qui régit à la fois le libre établissement et la libre prestation de services des professions auxquelles elle s'applique.

Comme l'a souligné votre rapporteur lors de l'examen de la proposition de loi relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives, le régime de la reconnaissance mutuelle des formations professionnelles est, dans le cas des professions d'éducateur sportif, particulièrement défavorable à la France pour trois raisons :

- la France est l'Etat européen où le niveau de formation exigé pour l'accès aux professions de l'enseignement, de l'encadrement et de la pratique sportive est le plus élevé ;

- la France est aussi l'Etat européen qui bénéficie des conditions climatiques et géographiques les plus propices à la pratique d'une très grande variété de disciplines sportives : c'est donc un pays très attractif pour un grand nombre d'éducateurs sportifs qui ne trouvent pas, dans leur pays d'origine, des conditions équivalentes pour pratiquer et enseigner, par exemple, le ski alpin ou la plongée sous-marine ;

- une qualification insuffisante des éducateurs sportifs peut avoir des conséquences dramatiques pour les pratiquants qu'ils encadrent.

Dans ces conditions, il était indispensable, pour sauvegarder la sécurité des personnes et pour préserver la qualité de l'encadrement sportif, de pouvoir contrôler la compétence technique et la connaissance du milieu naturel des éducateurs sportifs se réclamant de la liberté de circulation en leur imposant le passage d'une épreuve technique lorsque leur formation paraissait insuffisante. Or, il a été très difficile d'obtenir de la Commission européenne les dérogations nécessaires. Encore ces dérogations n'ont-elles été obtenues que pour cinq catégories de professions, et, en ce qui concerne le droit à l'établissement, pour une période limitée.

C. LES MODIFICATIONS DES DIRECTIVES « SYSTÈME GÉNÉRAL » PRÉVUES PAR LE DOCUMENT E 994

La proposition communautaire E 994 prévoit de modifier sur trois points les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE :

- Elle propose d'introduire dans la directive 89/48/CEE la notion de « formation réglementée » prévue par la directive 92/51/CEE, c'est-à-dire de formation centrée sur l'exercice d'une profession, même si cette profession n'est pas réglementée (article premier-1 et premier-2).

- Elle prévoit d'imposer à l'Etat membre d'accueil de tenir compte de l'expérience professionnelle acquise par le migrant après l'obtention des titres dont il fait état et, avant de lui imposer des mesures compensatoires, d'examiner si cette expérience professionnelle couvre les « différences substantielles » entre sa formation initiale et celle correspondant au diplôme exigé (articles premier-3 et 2-1) : ce sont ces dispositions qui font l'objet de la proposition de résolution qui nous est soumise .

- Enfin, la proposition de directive prévoit que le « groupe de coordination » chargé de suivre l'application des directives « système général » pourra adopter et publier des avis sur des questions qui lui seront soumises par la Commission afin de faciliter une application et une interprétation plus uniformes de ces directives (articles premier-4 et 2-3).

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ET LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La proposition de résolution déposée par notre collègue Michel Barnier porte sur les dispositions de la proposition de directive Com (97) 638 final qui modifient les articles 4-1-b des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE pour obliger l'Etat membre d'accueil, avant d'imposer à un migrant un stage d'adaptation ou un test de capacité, à tenir compte de l'expérience professionnelle acquise par l'intéressé après l'obtention des titres dont il fait état (articles premier-3 et 2-1 de la proposition de directive).

La proposition de résolution met l'accent sur les conséquences de ces dispositions.

Elle souligne qu'elles pourront faire obstacle, en cas de différence substantielle des formations requises dans l'Etat membre d'origine et l'Etat membre d'accueil, « à la mise en oeuvre d'exigences nationales supplémentaires en matière de stage d'adaptation ou de test d'aptitude ».

Cette analyse est d'autant moins contestable que la Commission indique elle-même, dans l'analyse des articles de la proposition de directive, que « lorsque cette expérience professionnelle couvre les matières pour lesquelles il existe une différence de formation substantielle entre l'Etat membre d'origine ou de provenance et l'Etat membre d'accueil, ce dernier ne pourra plus imposer systématiquement des mesures de compensation, mais il devra les alléger, voire les supprimer ».

L'allégement ou la suppression des mesures de compensation pourra avoir pour effet, souligne la proposition de résolution, de permettre d'exercer à des professionnels insuffisamment formés, et elle cite, à cet égard, le cas des professions de l'encadrement sportif « pour lequel une parfaite connaissance du milieu naturel est indispensable à la sécurité des usagers ».

L'exemple des professions d'éducateur sportif est, en effet, bien choisi pour mettre en relief une des critiques que l'on peut adresser à la modification proposée des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE. En restreignant les possibilités d'imposer des mesures de compensation, la proposition de directive restreint du même coup le champ d'application de la dérogation accordée à la France pour permettre d'imposer une épreuve d'aptitude aux ressortissants européens souhaitant exercer en France, dans le cadre du libre établissement ou de la libre prestation de services, certaines professions d'éducateur sportif (moniteur de ski, guide de haute montagne, moniteur de plongée, moniteur de parachutisme et moniteur de spéléologie).

Cette faculté avait été accordée à la France parce que, en l'espèce, l'épreuve de capacité paraissait la mieux adaptée pour vérifier comment l'intéressé réagissait « en situation réelle », pour garantir qu'il possédait la maîtrise technique nécessaire et qu'il serait capable d'assurer la sécurité des personnes qu'il encadrerait. On peut effectivement se demander si la substitution à cette épreuve de la prise en compte d'une expérience professionnelle peut offrir les mêmes garanties, surtout lorsque cette expérience aura été acquise dans un autre pays, dans un milieu naturel et des conditions « de terrain » différentes de celles que l'intéressé rencontrera en France

La proposition de résolution souligne en outre que la proposition de directive ne correspond pas aux préoccupations exprimées par le gouvernement lors des débats sur la proposition de loi relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives.

En effet, la ministre de la jeunesse et des sports avait marqué, lors de ces débats, le souci du gouvernement d'assurer le respect de l'obligation de passer une épreuve technique et son plein accord avec les dispositions de la proposition de loi tendant à renforcer la base juridique et les conditions d'application des textes organisant le contrôle de la capacité technique des éducateurs sportifs. Or, la portée de ces dispositions sera largement réduite si des candidats peuvent arguer d'une expérience professionnelle pour refuser de se voir imposer un test de capacité.

• En fonction de ces observations, la proposition de résolution demande au gouvernement de s'opposer à l'adoption, en l'état, de l'article premier, paragraphe 3 et de l'article 2, paragraphe 1 de la proposition communautaire E 994 .

B. LA POSITION DE LA COMMISSION

Votre commission souscrit aux observations et à la conclusion de la proposition de résolution. Il n'est, en effet, pas contestable que les dispositions de la proposition E 994 ne paraissent pas compatibles avec les positions et les préoccupations qui ont été exprimées, lors de la discussion de la loi relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives, aussi bien par le gouvernement que par les députés et les sénateurs qui ont pris part aux débats.

Elle note, par ailleurs, que la conclusion de la proposition de résolution invite le gouvernement à s'opposer à l'adoption de ces dispositions « en l'état », ce qui lui laisse toute latitude pour en approuver une rédaction modifiée et qui ne présenterait pas les mêmes inconvénients.

Votre commission considère, en outre, que les dispositions en cause de la proposition E 994 soulèvent trois interrogations :

• Il convient, en premier lieu, de s'interroger sur le bien fondé de l'argumentation avancée par la Commission européenne pour proposer de modifier les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE.

Selon la Commission européenne, en effet, la proposition de modification n'ajouterait rien au droit applicable, les Etats membres étant déjà tenus, en vertu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, et notamment d'un arrêt du 7 mai 1991 (affaire C 340/89, Vlassopoulou) « de juger si une expérience professionnelle peut valoir aux fins d'établir la possession des connaissances manquantes » (cf. troisième considérant de la proposition de directive communautaire (97) 638 final).

Cette interprétation de l'arrêt « Vlassopoulou » -qui répondait à une question préjudicielle posée à l'occasion d'un litige portant sur l'accès à la profession d'avocat en Allemagne- paraît discutable :

* Dans cet arrêt, la Cour de Justice a dit pour droit que lorsque la correspondance entre les diplômes acquis et requis n'est que partielle, l'Etat membre d'accueil est en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes . Mais elle n'impose pas le choix des moyens auxquels il doit recourir dans ce but, que permettent d'atteindre les mesures compensatoires prévues par les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE.

Certes, l'arrêt précise aussi qu'il incombe à l'Etat membre d'apprécier « si les connaissances acquises dans l'Etat membre d'accueil, soit dans le cadre d'un cycle d'études, soit d'une expérience pratique » peuvent valoir pour établir la possession des connaissances manquantes (point 20 de l'arrêt), mais ce point, qui laisse d'ailleurs à l'Etat membre toute liberté dans cette appréciation, semble surtout applicable aux circonstances de l'espèce : la demanderesse était en effet titulaire d'un doctorat en droit allemand, elle travaillait depuis 5 ans dans un cabinet d'avocats allemand, et était autorisée depuis quatre ans à exercer en Allemagne la profession de conseil juridique. Il en va de même du point 22 de l'arrêt, qui impose à l'Etat membre d'accueil de juger si l'expérience professionnelle acquise dans l'Etat membre de provenance ou dans l'Etat membre d'accueil peut permettre de satisfaire au moins partiellement aux conditions de stage ou de pratique professionnelle requises pour l'accès à une profession : les conditions d'accès à la profession d'avocat en Allemagne comportent en effet l'obligation d'accomplir un stage sanctionné par un examen d'Etat.

On peut d'ailleurs observer que dans d'autres affaires relatives à l'exercice du droit d'établissement en cas de différence entre les titres acquis par le demandeur et ceux requis par l'Etat membre d'accueil, la CJCE a jugé que l'Etat membre d'accueil pouvait imposer un examen aux migrants (CJCE 7 mai 1992, affaire. C-104/91, Aguirre Borrel et autres).

* Il faut aussi rappeler que, dans l'affaire Vlassopoulou, la Cour de Justice était saisie d'une demande d'interprétation de l'article 52 du Traité et non de la directive 89/48/CEE, entrée en vigueur en 1991 et qui ne s'appliquait pas aux faits en cause.

Il n'y a donc pas lieu d'interpréter cet arrêt comme imposant une modification du dispositif de cette directive ou de la directive 92/51/CEE mais seulement comme définissant les conditions d'exercice de la liberté d'établissement en l'absence de directive visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes ou à la coordination des conditions d'accès à certaines professions.

En deuxième lieu , il convient aussi de s'interroger sur les difficultés d'application des dispositions prévues par les articles 1-3 et 2-1 de la proposition E 994.

En l'état actuel, les directives 89/48/CEE et 91/52/CEE n'imposent aux Etats membres de tenir compte de l'expérience professionnelle acquise par les candidats au libre établissement ou à la libre prestation de services que de façon « quantitative » : dans les conditions qu'elles prévoient, deux années d'expérience professionnelle peuvent, par exemple, compenser un déficit d'un an dans la durée de formation, si la période de formation manquante porte sur le cycle d'études post-secondaires ou sur un stage professionnel sanctionné par un examen.

L'application de cette règle est donc relativement simple, et peu susceptible de prêter à contestation.

Il en irait tout autrement si l'expérience professionnelle devait être prise en compte de manière « qualitative » , et si l'Etat membre d'accueil devait apprécier si, et dans quelle mesure, cette expérience a permis au demandeur de maîtriser les connaissances dont l'acquisition n'était pas garantie par la formation initiale qu'il a suivie.

Car, dans ce cas, il ne suffit pas de prendre en considération la durée de l'expérience professionnelle. Il faut pouvoir apprécier la nature de cette expérience, les conditions concrètes dans lesquelles elles s'est déroulée, les connaissances qu'elle a permis d'acquérir.

Cette appréciation « au fond » de l'expérience professionnelle, qui supposerait que des informations détaillées soient fournies, dans chaque cas, à l'Etat membre d'accueil et soient examinées de manière approfondie par ce dernier, ne serait évidemment ni facile, ni rapide, et de longs délais de constitution des dossiers risquent de s'ajouter aux délais fixés par les directives pour l'examen des demandes de reconnaissance des diplômes.

En outre, l'on imagine sans peine les divergences d'interprétation et les contentieux auxquels elle pourrait donner lieu.

On comprend dès lors assez mal que la Commission européenne présente la modification en ce sens des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE comme faisant partie d'un programme de simplification de la législation concernant le marché intérieur (programme SLIM) et encore moins qu'elle lui paraisse justifiée par « des raisons de clarté et de sécurité juridique à l'égard des citoyens désireux d'exercer leur activité dans un autre Etat-membre ».

• En troisième lieu, et sur un plan plus général, il convient de se demander quelles pourraient être les conséquences à terme de la proposition de la Commission européenne sur le niveau de formation exigée pour l'accès à certaines professions.

Le dispositif actuel des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE a pour objet de compenser d'éventuelles « différences substantielles » entre les formations initiales requises par les Etats membres par l'exigence d'un test de capacité ou d'un stage.

Ces « mesures de compensation » ne sont pas contradictoires avec une reconnaissance de la valeur formative de l'expérience professionnelle. Bien au contraire, elles ont pour objet d'évaluer et de contrôler les connaissances acquises au-delà d'une formation initiale qui, à elle seule, est considérée comme insuffisante.

Mais elles permettent, surtout, de garantir que toutes les personnes admises à exercer une même profession dans un même Etat membre auront acquis un niveau de compétence homogène, et compatible avec les exigences de cette profession.

La prise en compte d'une expérience professionnelle dont les acquis n'auraient pas été contrôlés n'offrira pas, à cet égard, les mêmes garanties, et elle risquerait, en obligeant à admettre des professionnels moins qualifiés, de « dévaloriser » certaines professions et d'aligner sur « le plus petit commun dénominateur » les formations correspondantes.

Les professions d'éducateur sportif offrent, là aussi, un bon exemple de ce risque : pourquoi des jeunes accepteraient-ils de s'engager, en France, dans des études longues, difficiles, qui exigent à la fois une formation générale approfondie et des connaissances techniques très « pointues », si les professions auxquelles elles préparent sont également accessibles à des professionnels à qui on ne demandera pas d'établir qu'ils ont acquis des compétences équivalentes ? Et qui peut mesurer les conséquences d'une telle évolution sur la qualité et surtout sur la sécurité de la formation et de la pratique sportives, qui font l'objet d'une demande croissante dans toutes les couches de la population ?

La qualité des systèmes de formation des Etats européens, le niveau de compétence et de qualification de la population active européenne font partie des atouts dont dispose l'Union européenne dans la compétition mondiale. Il est donc souhaitable que la mise en oeuvre du principe de la libre circulation des travailleurs contribue à renforcer ces atouts plutôt qu'à les affaiblir.

Ces observations motivent les modifications que votre commission a apportées à la proposition de résolution qui nous est soumise.

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* *

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné, sous la présidence de M. James Bordas, vice-président, la proposition de résolution n° 317 (1997-1998) au cours de sa réunion du mercredi 25 mars 1998.

Après l'exposé de M. François Lesein , rapporteur, M. Michel Barnier , signataire de la proposition de résolution, a exprimé son accord sur les conclusions du rapporteur, et a souligné que les modifications proposées des directives 89/48/CEE et 91/52/CEE étaient en contradiction avec la loi du 6 mars 1998 relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives.

En effet, a-t-il rappelé, cette loi a notamment pour objet de donner une base législative à des dispositions réglementaires acceptées par la Commission européenne et qui, afin d'assurer la sécurité des pratiquants, permettent de contrôler la qualification des éducateurs sportifs de certaines disciplines « à risque » en leur imposant de passer des tests d'aptitude technique et de connaissance du milieu naturel. Or, au moment même où le législateur national examinait ce texte, l'Assemblée nationale et le Sénat recevaient communication d'une proposition de directive communautaire qui pourrait empêcher les Etats membres d'accueil d'imposer des mesures de compensation à des migrants européens se prévalant d'une formation substantiellement différente de celle exigée des nationaux, et donc la France d'imposer les tests de capacité prévus par la nouvelle loi.

Il importe donc, a conclu M. Michel Barnier , que le Sénat demande clairement au Gouvernement de s'opposer à cette modification des directives relatives à la reconnaissance mutuelle des formations professionnelles.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution proposée par son rapporteur .

Elle a fixé au lundi 6 avril 1998, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de résolution, et au mercredi 8 avril 1998, à 10 heures, la date de la réunion de la commission au cours de laquelle ils seront examinés.

*

* *

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

(Texte adopté par la commission

en application de l'article 73 bis-6 du Règlement du Sénat)

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE concernant le Système général de reconnaissance des qualifications professionnelles et complétant les directives concernant les professions d'infirmier responsable de soins généraux, de praticien de l'art dentaire, de vétérinaire, de sage-femme, d'architecte, de pharmacien et de médecin (n° E-994),

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 994,

Vu les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE concernant le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles ;

Considérant que la proposition E 994 a notamment pour objet d'exiger des Etats membres qu'ils apprécient l'expérience professionnelle des ressortissants des autres états membres souhaitant exercer sur leur territoire, nonobstant leur formation initiale ;

Considérant que, dès lors que cette expérience professionnelle couvre les matières pour lesquelles il existe une différence de formation substantielle entre l'Etat membre d'origine et l'Etat membre d'accueil, ce dernier ne pourra plus -en application des articles 1 et 2 de la proposition E 994- imposer au demandeur des mesures de compensation ; qu'il pourrait ainsi être fait obstacle à la mise en oeuvre d'exigences nationales supplémentaires en matière de stage d'adaptation ou de test d'aptitude ;

Considérant que cette restriction peut avoir pour effet de laisser exercer des professionnels insuffisamment formés, notamment en matière d'encadrement sportif pour lequel une parfaite connaissance du milieu naturel est indispensable à la sécurité des usagers ;

Considérant, cependant, que le stage d'adaptation ou le test d'aptitude prévus par les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE ne sont nullement contradictoires avec la prise en compte des connaissances acquises par les demandeurs après leur formation initiale, notamment à travers leur expérience professionnelle ; qu'ils permettent au contraire de constater, d'évaluer ou de contrôler ces connaissances ;

Considérant que cette évaluation ou ce contrôle garantissent l'appréciation objective des connaissances des demandeurs et de leur niveau de formation générale et technique, et qu'ils peuvent aussi contribuer à l'interprétation plus uniforme des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE que souhaite favoriser la Commission européenne ;

Considérant qu'ils sont également indispensables pour concilier la mise en oeuvre du système de reconnaissance mutuelle des formations professionnelles et le maintien du niveau élevé de compétence qu'exige, dans certaines professions, la sécurité des personnes ;

Considérant en outre que, au cours du très récent débat parlementaire relatif à la sécurité et à la promotion d'activités sportives, le Gouvernement s'est déclaré très favorable à l'organisation des tests d'aptitude ;

S'étonne que le Gouvernement n'ait pas alors fait état de la présentation, par la Commission européenne, d'une proposition d'acte communautaire sur le même sujet et susceptible d'aboutir à un résultat opposé à celui soutenu sur le plan national ; s'inquiète des incohérences qui pourraient en résulter sur le plan juridique ;

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption, en l'état, de l'article 1er, paragraphe 3 et de l'article 2, paragraphe 1 de la proposition E 994, en ce qu'ils sont susceptibles de porter atteinte aux possibilités de contrôle d'aptitude par l'Etat membre d'accueil lorsque l'expérience professionnelle du demandeur couvre les matières pour lesquelles il existe une différence de formation substantielle entre l'Etat membre d'origine et l'Etat membre d'accueil.

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* *

ANNEXE

Proposition de résolution n° 317 (1997-1998)

présentée par M. Michel BARNIER

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire E 994,

Vu les directives 89/48 CEE et 92/51/CEE concernant le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles ;

Considérant que la proposition E 994 a notamment pour objet d'exiger des Etats membres qu'ils apprécient l'expérience professionnelle des ressortissants des autres états membres souhaitant exercer sur leur territoire, nonobstant leur formation initiale ;

Considérant que, dès lors que cette expérience professionnelle couvre les matières pour lesquelles il existe une différence de formation substantielle entre l'Etat membre d'origine et l'Etat membre d'accueil, ce dernier ne pourra plus -en application des articles 1 et 2 de la proposition E 994- imposer au demandeur des mesures de compensation ; qu'il pourrait ainsi être fait obstacle à la mise en oeuvre d'exigences nationales supplémentaires en matière de stage d'adaptation ou de test d'aptitude ;

Considérant que cette restriction peut avoir pour effet de laisser exercer des professionnels insuffisamment formés, notamment en matière d'encadrement sportif pour lequel une parfaite connaissance du milieu naturel est indispensable à la sécurité des usagers ;

Considérant en outre que, au cours du très récent débat parlementaire relatif à la sécurité et à la promotion d'activités sportives, le Gouvernement s'est déclaré très favorable à l'organisation des tests d'aptitude ;

S'étonne que le Gouvernement n'ait pas alors fait état de la présentation, par la Commission européenne, d'une proposition d'acte communautaire sur le même sujet et susceptible d'aboutir à un résultat opposé à celui soutenu sur le plan national ; s'inquiète des incohérences qui pourraient en résulter sur le plan juridique ;

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption, en l'état, de l'article 1er, paragraphe 3 et de l'article 2, paragraphe 1 de la proposition E 994, en ce qu'ils sont susceptibles de porter atteinte aux possibilités de contrôle d'aptitude par l'Etat membre d'accueil lorsque l'expérience professionnelle du demandeur couvre les matières pour lesquelles il existe une différence de formation substantielle entre l'Etat membre d'origine et l'Etat membre d'accueil.

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* *

* 1 : loi n° 98-146 du 6 mars 1998.

* (2) Proposition de directive Com (96) 22 final (doc. E 601) - proposition modifiée Com (97) 363 final.

* (3) En France, par exemple, les directives « système général » s'appliquent à une très grande variété de professions juridiques, à de nombreuses professions paramédicales, aux éducateurs sportifs, à certaines professions des secteurs du tourisme, de l'artisanat (chauffeur de taxi, ambulancier), des transports (déménageur, moniteur d'auto-école), de la mer : cf. l'énumération indiquée dans « le système général de reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles en droit communautaire : l'esprit et la méthode » , par M. Jean-Marc FAVRET, RTDE, avril-juin 1996.

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