3. Mieux associer les citoyens et leurs représentants aux décisions publiques et mieux les informer

a) La politique énergétique doit prendre en compte les aspirations des Français

La politique énergétique ne peut ignorer les préférences des Français en matière énergétique. A cet égard, l'enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) sur les " attitudes et opinions des Français vis-à-vis de l'énergie ", réalisée à la demande d'EDF et de l'Observatoire de l'énergie en 1995, est d'un grand secours.

Cette étude révèle que, pour la première fois depuis quinze ans, le gaz naturel supplante l'électricité en tant que source d'énergie idéale pour le chauffage . Dans les faits, il occupe déjà la première place dans l'équipement de chauffage des Français (29 %) devant l'électricité et le fioul (22 %). Interrogés sur leur préférence " dans l'absolu " en matière de chauffage, 39,5 % des Français optent pour le gaz (soit un gain de 2,5 points par rapport à 1994), 21 % favorisent l'électricité (perte de 3,7 points en un an) et 17,6 % choisissent le fioul-mazout (progression d'un point).

La préférence pour le gaz naturel est encore plus nette si l'on questionne les Français sur " la source d'énergie idéale, en tenant compte du coût " : il recueille alors 46 % des citations, loin devant le fioul (21 %), le bois (14 %) et l'électricité (11 % soit le plus bas niveau depuis dix ans). 31 % de ceux qui sont chauffés à l'électricité se convertiraient volontiers au gaz naturel (contre 23 % en 1994). Si le confort d'utilisation reste la principale qualité de l'électricité (appréciée par 36 % des personnes interrogées), le coût est son principal défaut, souligne l'étude. Enfin, toujours dans l'absolu, 82 % des sondés souhaiteraient un mode de chauffage individuel.

b) Il convient d'associer le Parlement aux choix de politique énergétique

Il est courant de dire que la filière nucléaire française s'est développée sans véritable débat public, à l'ombre des laboratoires de recherche civils et militaires. Néanmoins, il faut admettre que le programme civil de centrales nucléaires décidé dans les années 1970 dans le contexte de crise de l'énergie, n'a que très progressivement déclenché des réactions d'opposition.

Si les responsables de ce secteur technologiquement très pointu n'éprouvaient guère le besoin de s'expliquer devant l'opinion, c'est peut-être d'abord parce que les fonds dépendaient directement des autorités politiques. Mais c'est aussi parce que l'information était considérée comme trop technique pour que la discussion et le débat sur la place publique soient d'une quelconque utilité.

Il convient toutefois de noter que le Parlement a toujours eu la possibilité de s'opposer aux décisions effectuées en matière de politique énergétique - ne serait-ce qu'en ne votant pas les crédits du ministère de l'industrie - même s'il ne pouvait réellement revenir sur un choix qui nous engage sur le long terme, compte tenu de la lourdeur des investissements et de la durée des amortissements.

Votre commission d'enquête considère que les pouvoirs publics seront d'autant plus conduits à justifier leurs décisions à l'avenir qu'ils seront moins légitimes à agir dans un secteur de plus en plus dépendant des forces du marché. Il faudra donc qu'ils redoublent d'explications et de transparence pour faire comprendre que la politique énergétique doit également s'efforcer de préserver l'indépendance de la Nation, mais aussi s'attacher à économiser les ressources et à protéger la planète.

Elle estime qu'il est essentiel d'associer le Parlement à ce débat pour valider des choix fondamentaux pour l'avenir de notre pays.

c) Il convient de dépassionner le débat sur le nucléaire en informant mieux les Français de l'ensemble des risques

Les Français en ont peu conscience : les risques potentiels liés à la radioactivité sont loin de n'être liés qu'à l'énergie nucléaire. La radioactivité, outre qu'elle existe à l'état naturel, résulte aussi d'activités médicales, industrielles ou de transport....

Cependant, en matière d'énergie nucléaire, la prise en compte du principe de précaution exacerbe la demande sécuritaire dans un contexte où la non-existence d'un risque ne peut être démontrée de manière plausible.


Il est ainsi significatif de constater que le moindre incident nucléaire, aussi bénin soit-il, fait aussitôt les titres de la presse, alors même qu'il ne fait souvent courir aucun danger pour la sûreté ou la santé des personnes. Une telle attitude résulte certes de l'ignorance de la population à l'égard des phénomènes radioactifs, qui ne lui permet pas de relativiser les informations dont il est fait état dans la presse, mais aussi des difficultés de communication des questions scientifiques. Ces difficultés conduisent à déléguer la réflexion à des experts, ce qui entraîne un déficit de démocratie.

Le professeur Charpak déclarait ainsi devant votre commission d'enquête avec beaucoup de bon sens que " lorsqu'il y a 120 morts à cause du gaz, on le regrette mais on ne condamne pas le gaz. En revanche, s'il y avait 120 morts à cause de l'énergie nucléaire, cela condamnerait le nucléaire. Or, il n'y a pas eu un seul mort à cause du nucléaire depuis la mise en place de la filière en France . "

Il n'est pourtant pas difficile de faire tomber le voile de l'ignorance en informant les Français sur les risques de l'exposition de l'homme aux rayonnements ionisants. Certes, en matière nucléaire, les scientifiques ne parlent que de probabilités, de hasard et d'incertitudes, mais il est essentiel de faire comprendre au public que l'ignorance est informative. Il convient d'apprendre aux Français à comprendre un message probabiliste . Parmi les contre-pouvoirs, les médias ont un rôle déterminant . Encore faut-il que la façon dont ils présentent les éléments d'information soit pédagogique et ne cherche pas la sensation ou la polémique à tout prix.

Il revient ainsi aux médias de relayer le message de Roland Masse, ancien directeur de l'Office de protection contre les radiations ionisantes (OPRI) selon lequel " aucune étude épidémiologique, aucun effort de compréhension des mécanismes moléculaires sous-jacents, aucune expérimentation animale dans le domaine des risques induits, aucun effort de limitation des expositions n'ont atteint la qualité et le caractère exhaustif de ce dont se sont dotées la recherche dans tous les pays nucléaires puis la réglementation internationale en matière de radioprotection ".  Le Comité international contre les radiations (CIPR) recommande ainsi de limiter les expositions des travailleurs à 50 millisieverts par an, et 100 millisieverts sur cinq ans, et l'exposition générale à un millisievert par an en plus des radiations naturelles et médicales.

COMMENT MESURER LA RADIOACTIVITÉ ?

• Pour caractériser une source radioactive, on mesure son activité, c'est-à-dire la quantité de radiations émises . L'unité d'activité est le becquerel : un becquerel représente une quantité de radiation est l'activité. Il correspond à une désintégration par seconde.

• On doit aussi caractériser la dose reçue par l'organisme, appelée dose absorbée. Pour cela, on mesure l'énergie déposée quand les radiations traversent cet organisme. L'unité de dose absorbée est le gray (Gy) : un gray est égal à un joule par kilogramme. La source émet aussi des becquerels et l'organisme reçoit des grays.

• L'évaluation des doses étant compliquée, on a décidé de convertir les doses absorbées en sievert (Sv). Le sievert est une mesure de dose de radioactivité pour l'homme. Il est censé tenir compte des différentes nocivités des rayonnements, sur la base de données expérimentales. En principe, un nombre donné de sieverts a le même effet cancérigène, quel que soit le type de rayonnement. On dit que le sievert est l'unité de doses efficace. L'avantage de la mesure en sievert est qu'elle permet d'estimer la dose totale à Hiroshima et Nagasaki où il y avait à la fois des gamma et des neutrons.

Par précaution, on part de l'hypothèse extrêmement sévère selon laquelle le risque imputable aux rayonnements existe quelle que soit la dose reçue. Or, sur cette base, seuls 70 cancers peuvent être attribués aux sources industrielles sous toutes leurs formes sur 150.000 cancers déplorés chaque année . 7.000 peuvent être dus à l'irradiation naturelle et 4.000 aux irradiations médicales . Encore convient-il de préciser que si les 150.000 cancers sont bien réels, les cancers attribuables aux rayonnements proviennent d'extrapolation non vérifiables à partir de données épidémiologiques obtenues dans des populations exposées dans des conditions de doses et de débits de dose en général beaucoup plus élevées que celles rencontrées dans l'environnement quotidien.

L'encadré ci-après indique, par ailleurs, que l'industrie nucléaire ne contribue que pour 0,4 % aux radiations subies par l'homme au cours d'une année (que l'on estime à environ 2,4 millisievert) et dont la majeure partie est d'origine naturelle (radon contenu dans le sol, rayons cosmiques, aliments). L'autre partie est surtout due aux expositions médicales, les autres expositions d'origine humaine (essais nucléaires aériens, accidents...) représentant des doses très faibles.

LES RADIATIONS ET L'HOMME

Chaque Français reçoit en moyenne 2,4 milliSieverts/an , soit en moyenne :

- 1,00 mSv par le radon du sol,

- 0,55 mSv par les radiographies et autres traitements médicaux,

- 0,30 mSv par les matériaux de construction,

- 0,25 mSv par les rayons cosmiques,

- 0,25 mSv par les boissons et aliments, le corps,

- 0,05 mSv par d'autres sources dont :

- 0,02 mSv des retombées nucléaires militaires,

- 0,01 mSv de l'industrie nucléaire (réacteurs, retraitement, déchets, etc),

- 0,02 mSv de diverses sources (télévision, industrie, voyages en avion, etc).

Il faut noter qu'en se déplaçant de Paris en Bretagne, dans le Limousin, en Corse ou en Suisse, la dose de radiation que l'on subit est multipliée par deux en raison du sol granitique contenant thorium et uranium radioactifs (elle passe de 1,5 mSv/an à 3 mSv/an). Par ailleurs, la dose augmente avec l'altitude en raison des rayons cosmiques (la dose est multipliée par 2,5 à 2.000 mètres d'altitude). Ainsi, dans certaines régions du monde, la dose annuelle reçue par les populations peut atteindre 50 mSv. En revanche, si l'on habite près de la clôture d'un réacteur, la dose normalement reçue n'augmente que de 0,25 %.

d) Les risques liés aux autres énergies ou industries
• S'agissant de l'aval du cycle nucléaire, il est également utile de replacer les déchets nucléaires dans le contexte plus large des déchets produits par la France .

• L'encadré ci-après indique que la France ne produit par habitant et par an que 100 grammes de déchets nucléaires à vie longue ou très longue, conditionnés dans le verre ou le béton, soit 0,3 % des 32 kg de déchets fortement toxiques (métaux lourds, amiante...) produits chaque année par habitant. Ces derniers posent cependant un problème majeur pour le présent et pour les générations futures.

LES DÉCHETS NUCLÉAIRES ET LES AUTRES

La France produit environ 3 tonnes de déchets par habitant
et par an, soit : 180 millions de tonnes

dont :

- 1.700 kg de déchets inertes (terres, gravats, bois)

- 700 kg de déchets industriels inertes

- 500 kg de déchets ménagers

- 100 kg de déchets industriels spéciaux pour dépôts classe 1

dont :

. 32 kg de déchets fortement toxiques 2 millions de tonnes

à vie longue ou permanents (métaux lourds, amiante, etc...) (environ 1.500.000 m 3 )

. 1,5 kg de déchets nucléaires toutes catégories, y compris
démantèlement, conditionnés, dont :

- 0,1 kg de déchets nucléaires à vie longue ou très longue,
conditionnés dans le verre ou de béton
6.000 kg
(environ./ 2.400 m 3 )



Par ailleurs, le plutonium est certes toxique, mais la nicotine pure l'est encore plus à poids égal, sans parler d'autres substances biologiques. En outre, alors qu'un microgramme de plutonium est aisément décelable au compteur (2.300 becquerels), cela n'est pas le cas des autres substances toxiques.

Enfin, il n'est pas inutile de rappeler que les nuages radioactifs ne connaissent pas les frontières d'un territoire. Ainsi, quand bien même la France déciderait de fermer ses centrales, elle ne serait pas à l'abri des conséquences d'accidents nucléaires se produisant hors de ses frontières. Il semble alors plus judicieux de contribuer à la sûreté du parc de centrales nucléaires dans le monde en faisant bénéficier les pays souhaitant renouveler leur parc ou se doter de nouvelles centrales nucléaires de l'avance technologique française.

En réalité dès sa naissance, l'industrie a consacré un nouveau danger : le risque technique . Aujourd'hui, nucléaire, chimie et transport/stockage de matières dangereuses sont les activités industrielles les les plus susceptibles de causer d'importants dommages sur les hommes, les biens et l'environnement. Mais les nouvelles technologies (biotechnologies, génie génétique) n'en sont pas exemptes. Pour ces activités dangereuses, nombre de mesures de protection sont prises, mais aucune d'entre elles ne peut garantir l'impossibilité absolue d'un accident. Nulle installation n'est à l'abri d'une erreur humaine, d'une défaillance mécanique, d'une vulnérabilité des multiples systèmes interdépendants ou interconnectés.

Rappelons nous, par exemple, l'accident de l'Amoco-Cadiz en 1978 ou la catastrophe de Bhopal en 1984 (qui a entraîné 2.300 morts et 170.000 blessés à la suite de rejets de pesticides sur cette ville indienne). Plus récemment, en avril dernier, un coup de grisou a tué 5 mineurs ukrainiens et une violente explosion de gaz a fait une vingtaine de blessés légers à Lyon.

N'oublions pas que toute activité humaine engendre risques et pollutions. Il nous faut donc arbitrer entre ces derniers.

L'énergie nucléaire s'avère bien moins polluante que d'autres sources d'énergie, mais également que d'autres industries (chimiques, notamment) généralement moins bien contrôlées qu'elle.

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