INTRODUCTION

Depuis plus de trente ans, beaucoup a été fait, en France, en matière d'infrastructures de transports terrestres. Pour autant, les pouvoirs publics peuvent-ils considérer que les plus " rentables " des liaisons terrestres ayant été réalisées, seules compteraient désormais les liaisons locales et les services de proximité ? Le Sénat s'est interrogé à ce sujet. Il a ainsi décidé de créer, le 11 décembre 1997, une commission d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres d'aménagement du territoire dans une perspective de développement et d'insertion dans l'Union européenne.

Aussi, l'annonce par le Gouvernement, au Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 15 décembre 1997, d'une révision de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, et celle de l'élaboration de plusieurs " schémas de services collectifs " fixant les orientations de l'Etat, notamment en matière de politique des transports, n'ont fait que renforcer les interrogations de la Haute Assemblée par rapport à ce qui pouvait apparaître comme une remise en cause des principes qui avaient, jusqu'à présent, inspiré la politique d'aménagement du territoire.

Toutes les études prospectives montrent que dans les années à venir la demande de transports se développera. Le marché unique et l'intégration progressive des économies européennes favoriseront la progression des échanges. Ce mouvement concernera tant les trafics vers l'Europe centrale que vers la Méditerranée, qu'il s'agisse de la Péninsule ibérique ou, plus largement, de l'ensemble du bassin méditerranéen. Il est donc vital de placer la France au centre du réseau européen de transports.

Notre pays est susceptible de devenir la " plaque tournante " des échanges entre l'Europe du nord et l'arc Méditerranéen. Mais il pourrait tout aussi bien être marginalisé, contourné, se retrouver en dehors d'une Europe de plus en plus continentale, s'il devait continuer à être frileux ou incapable de stabilité dans ses décisions.

Compte tenu des efforts déjà réalisés, de la rareté des ressources et de la persistance de disparités régionales, les objectifs de la politique des transports peuvent entrer en conflit avec ceux de l'aménagement du territoire : " les premiers conduisent à orienter les investissements là où les besoins sont les plus forts, c'est à dire là où ils sont induits par un développement déjà vigoureux, et par conséquent sur les axes sur lesquels les flux sont déjà massifiés. Ainsi se trouve entretenu un " cercle vertueux ", dans la mesure où le développement en cours se trouve à son tour favorisé par une meilleure accessibilité. La politique des transports favorise ainsi un effet d'accompagnement qui bénéficie aux régions dynamiques. Mais si l'on prend en considération les problèmes d'aménagement du territoire, cette concentration des moyens sur les axes lourds provoque une diminution de fait de l'accessibilité relative dont bénéficient les régions peu développées ou moins peuplées [...]. Ainsi se trouvent aggravées les inégalités de développement à mesure que se développent les investissements d'infrastructure les plus rentables [...]. " 1( * )

Bien qu'elle soit une condition nécessaire, la création d'infrastructures n'est cependant nullement en soi suffisante. Elle ne contribue au développement économique qu'accompagnée de financements et d'autres politiques sectorielles (formation des hommes, développement de la recherche). C'est pourquoi la loi d'orientation et la loi de finances pour 1995 ont créé divers fonds concourant à l'aménagement du territoire.

Certains feront valoir le risque de voir des villes moyennes affaiblies par l'existence de grandes liaisons à l'instar des villes du bassin parisien qui gravitent dans l'orbite de Paris. Pour autant, le " laisser faire " en la matière constituerait un choix : celui de la stratégie du déclin. Si, à l'évidence, la politique des transports ne peut s'affranchir des contraintes économiques, elle ne doit pas davantage manquer d'ambition.

La conception dynamique et ambitieuse de l'aménagement du territoire qu'a toujours défendue le Sénat ne fait cependant pas l'unanimité. Elle semble actuellement mise en question par une nouvelle politique qui invoque pèle mêle le respect de l'environnement, le " développement durable ", le recours aux nouvelles technologies de communication, et la situation des finances publiques...

Aucun des membres de votre commission d'enquête ne conteste au Gouvernement le droit de choisir une autre politique que celle qui a été conduite jusqu'à présent. Encore faut-il que les raisons qu'il invoque soient conformes à la réalité des choix qu'il effectue et des objectifs qu'il poursuit.

La loi n°95-115 du 4 février 1995 tendait à assurer à chaque citoyen l'égalité des chances et l'égal accès au savoir en compensant les handicaps territoriaux par des dispositions dérogatoires. Elle proclamait le caractère d'intérêt général de la politique d'aménagement et de développement du territoire qui concourt à l'unité et à la solidarité nationales.

Ce texte, traduisant une prise de conscience et une volonté politique sans équivalent depuis le " premier choc pétrolier ", reposait sur l'idée qu'il n'existe pas d'aménagement du territoire sans infrastructures, qu'il s'agisse d'infrastructures financières (système approprié de péréquation des ressources), de communication (acheminement des hommes et des marchandises) ou intellectuelles (universités et centres de recherche).

Partant de l'idée que les infrastructures de communication sont l'un des piliers de la politique d'aménagement du territoire, la loi d'orientation du 4 février 1995 disposait que le schéma national d'aménagement et de développement du territoire (SNADT) " établit les principes régissant la localisation des grandes infrastructures de transport [...] " .

Le SNADT devait être approuvé par le Parlement après consultation des régions, des départements et des principales organisations représentatives des communes urbaines et rurales et des groupements de communes.

Des schémas sectoriels, pris par décret, auraient précisé les orientations générales fixées par le schéma national. L'article 17 de la loi d'orientation, consacré aux schémas des infrastructures de transport fixait, tout d'abord, un objectif : " en 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne sera située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d'automobile d'une autoroute ou d'une route express à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse " . Le même texte prévoyait la révision du schéma directeur routier national et du schéma directeur des voies navigables jusqu'en 2015 ainsi que l'établissement à la même échéance, d'un schéma du réseau ferroviaire, d'un schéma des ports maritimes et d'un schéma des infrastructures aéroportuaires.

Afin d'échapper à la seule logique de rentabilité financière, l'article 17 énonçait aussi que les schémas prendraient en compte les orientations nationales de développement du territoire -les trafics constatés n'étant pas le seul critère de choix- ainsi que les orientations des schémas européens à travers le territoire français.

Chacun des cinq schémas sectoriels était explicitement visé par l'article 18 de la loi d'orientation précitée.

Le schéma directeur routier national devait définir les grands axes des réseaux routiers et autoroutiers dans une perspective de desserte équilibrée et de désenclavement, quels que soient les trafics constatés.

Au schéma directeur des voies navigables revenait de préciser les axes reliant les bassins économiques pour favoriser le report du trafic des marchandises sur la voie d'eau, ainsi que la mise en réseau des voies fluviales à grand gabarit et leur raccordement aux grands sites portuaires français.

Le schéma du réseau ferroviaire révisait et prolongeait le schéma directeur national des liaisons ferroviaires à grande vitesse, les liaisons ferrées de transports d'intérêt national, les " autoroutes ferroviaires " et les liaisons régionales afin que soient assurées la continuité et la complémentarité des réseaux pour les personnes et les marchandises.

La loi confiait au schéma des ports maritimes le soin de définir les grandes orientations de l'organisation portuaire.

Enfin le schéma des infrastructures aéroportuaires prévoyait le développement international des aéroports situés en dehors de la région Ile-de-France, ainsi que l'adaptation des aéroports commerciaux installés dans cette région aux évolutions du trafic aérien civil.

Les nouvelles orientations de la politique des transports du Gouvernement ont, par leur ambiguïté, suscité un certain trouble dans l'opinion en général et dans la Haute Assemblée, en particulier.

Dans le domaine routier, un certain nombre de liaisons autoroutières prévues au schéma directeur ont été remises en cause.

En matière de transports ferroviaires, les grands projets de création de lignes à grande vitesse (achèvement du TGV Méditerranée, du TGV Rhin-Rhône, et du TGV Atlantique) n'ont fait l'objet d'aucun engagement chiffré ni d'aucun calendrier précis. Quant au TGV Est, dont la construction a été annoncée par le Gouvernement à grand renfort de publicité, il semble que le problème de son financement soit toujours en suspens.

Dans le domaine fluvial, l'abandon du canal Rhin-Rhône, décidé sans que soit modifiée la loi d'orientation du 4 février 1995 qui disposait que ce projet devait être réalisé en 2010, a pu traduire, aux yeux de certains, une forme de mépris à l'égard de la loi et de la représentation nationale.

Le respect de l'environnement, le développement durable, l'utilisation des nouvelles techniques de communication et l'intermodalité -souvent présentée comme une innovation majeure- sont périodiquement évoqués par le Gouvernement pour justifier la réorientation de la politique des infrastructures de transport.

A y regarder de plus près, le Gouvernement ne fait, en la matière, pas preuve d'autant d'imagination qu'il y paraît. Des préoccupations strictement analogues figuraient explicitement dans le texte de la loi d'orientation.

C'est ainsi que le respect de l'environnement et du développement durable constituait l'un des objectifs du schéma national d'aménagement et de développement du territoire (article 2 de la loi d'orientation). Quant à la nécessité d'une approche intermodale, elle était explicitement formulée par le dernier alinéa du même article qui disposait que les schémas sectoriels : " comporteront une approche multimodale intégrant le mode étudié dans une chaîne de transport et prenant en compte les capacités retenues pour les autres modes de transport ".

N'est-ce donc pas avec une certaine exagération que l'on présente aujourd'hui ces concepts -somme toute bien connus des spécialistes- comme l'alpha et l'oméga de la nouvelle politique des transports ?

Enfin, l'idée que les nouvelles techniques de communication pourraient se substituer -au moins en partie- aux infrastructures classiques a été également souvent formulée.

Cette affirmation méritait un examen. La mission d'information du Sénat sur l'aménagement du territoire avait, certes, déjà jugé que : " les télécommunications joueront dans l'avenir pour l'aménagement du territoire un rôle aussi important que les infrastructures de transport " 2( * ) . Mais peut-on considérer que le développement de ces nouveaux instruments soit, à lui seul, susceptible de pallier la carence des infrastructures de transport terrestre ?

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