III. LA NÉCESSAIRE RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE FERROVIAIRE

A. LA POURSUITE DE LA POLITIQUE DE MODERNISATION DU RÉSEAU FERROVIAIRE S'IMPOSE

1. La légitimité d'une politique d'investissement ferroviaire.

a) Le déclin du chemin de fer

un déclin ...

Après avoir été le vecteur de la révolution industrielle au XIXe siècle, le transport ferroviaire n'a pas su s'adapter aux défis contemporains.

Depuis la fin du XIXe, le rôle du chemin de fer dans les transports de voyageurs et de fret n'a cessé de décliner .

Dans les pays de l'Union européenne, il n'assure plus désormais que 6 % des transports de voyageurs et 16 % des transports de marchandises.

Entre 1970 et 1994, le transport de voyageurs par chemin de fer est passé de 216 à 270 milliards de passagers/kilomètres par an, soit une augmentation de 25 %. Durant la même période, le marché global doublait et l'utilisation des voitures individuelles augmentait de 120 %.

Parallèlement, le chemin de fer a perdu la moitié de sa part de marché dans le transport de marchandises : on est en effet passé de 283 à 220 milliards de tonnes kilomètres, alors que le marché des transports de marchandises augmentait de près de 70 % et le transport routier, de près de 150 %.

La France a connu des évolutions identiques. La part du ferroviaire dans le transport de voyageurs qui représentait plus de 11 % en 1975 est tombée à moins de 8 % en 1995. En ce qui concerne le transport de marchandises, elle est passée de plus de 35 % en 1975 à moins de 20 % en 1995.

Les projections effectuées dans le cadre de l'Union européenne montrent que la part des chemins de fer dans les transports de voyageurs passerait de 6 % à 4 % en 2005, en dépit d'une légère augmentation du volume des trafics en valeur absolue.

En ce qui concerne les transports des marchandises, le transport ferroviaire dont la part est de 16 % aujourd'hui, ne représenterait plus que 9 % du trafic, les volumes demeurant quasiment stables. Il importe de souligner que cette contraction des parts de marché se déroulera dans un contexte de croissance des trafics de l'ordre de 40 % pour les voyageurs et de 30 % pour les marchandises au cours de la même période. Il apparaît dans ces conditions que le rail pourrait fort bien disparaître totalement de vastes segments du marché du trafic de marchandises.

A cette situation commerciale menacée s'est ajouté un contexte économique et financier qui a accru les difficultés des entreprises ferroviaires européennes. L'endettement des compagnies ferroviaires européennes a atteint des niveaux particulièrement alarmants, même pour un secteur fortement capitalistique, en particulier pour celles ayant mené un effort de modernisation des réseaux à l'image de la SNCF.

..dont les causes sont connues.

Les causes du déclin sont nombreuses et sont communes à la quasi-totalité des États européens, la France ne faisant pas exception.

Le transport ferroviaire, en raison de ses choix techniques, commerciaux et organisationnels , qui ne sont pas tous imputables aux entreprises ferroviaires, n'a pas su concrétiser ses avantages théoriques . Les modes concurrents que sont les transports routier et aérien ont fait preuve d'un dynamisme considérable et de performances remarquables ainsi que d'une forte capacité d'innovation technique ou commerciale dictée par la préoccupation constante de la satisfaction de la clientèle et encouragée par un mouvement de libéralisation.

Par ailleurs, le transport ferroviaire a souffert de l'évolution de la demande sociale et économique . Le transport de passagers a subi les conséquences de la motorisation croissante de notre société et le transport de marchandises, celles de la perte d'importance des industries lourdes classiques dont les produits étaient traditionnellement transportés par chemin de fer.

Cette concurrence a, en outre, été accentuée par la tarification applicable aux différents modes de transport . Les coûts externes liés aux pertes de temps résultant de la congestion des infrastructures, au bruit et à la pollution sont très élevés pour les transports routiers mais ne sont que très partiellement payés par les utilisateurs de la route, ce qui a pour effet de la favoriser au détriment d'autres modes de transports moins polluants.

Par ailleurs, il apparaît que l'harmonisation européenne en matière de politique ferroviaire a été jusqu'au début des années 1990 quasi-inexistante. Alors que les prescriptions techniques d'un véhicule de transport routier sont aujourd'hui presque entièrement fixées au niveau européen et que les trafics routiers s'effectuent au travers de l'Union européenne sans arrêt aux frontières, l'organisation du transport ferroviaire s'avère extrêmement cloisonnée. On ne peut, en effet que constater l'absence totale d'harmonisation en matière de courant électrique et une harmonisation balbutiante en terme de sécurité. Bien que la grande vitesse soit susceptible de rapprocher les capitales européennes, les conducteurs doivent encore très souvent changer au passage de chaque frontière. Cette frilosité contraste au demeurant avec l'audace des réalisations des précurseurs du transport ferroviaire au XIXe siècle. Une telle situation explique notamment les pertes de marché du fer sur le secteur du trafic marchandises sur longue distance pour lequel il dispose pourtant d'atouts incontestables. Dans ce domaine, la clientèle souligne le manque de fiabilité, de flexibilité et de rapidité du transport ferroviaire comparé à la route qui offre l'avantage d'un acheminement rapide de porte à porte compatible avec les exigences du système du " juste à temps ".

b) des atouts incontestables

En dépit d'un déclin unanimement constaté, le transport ferroviaire dispose d'atouts incontestables qui pourraient être valorisés en France du fait de l'existence d'un réseau irriguant l'ensemble du territoire.

Ses coûts externes sont faibles.

Le transport ferroviaire présente l'avantage de la sécurité. Il est, en effet, avec le transport aérien, le transport le plus sûr : 0,05 tué par milliard de voyageurs-kilomètre contre 12 environ pour la route. Par ailleurs, il s'avère économe et peu polluant : il consomme l'équivalent de 12 grammes-pétrole par voyageur kilomètre contre 30 pour la route et 51 pour l'avion. Quant au transport de fret, il consomme l'équivalent de 8 grammes-pétrole contre 62 pour la route.

Les caractéristiques techniques des infrastructures ferroviaires présentent des avantages qui ne peuvent être négligés. L'emprise totale occupée par une ligne ferroviaire à double voie est 28 % inférieure à celle d'une autoroute et permet un débit horaire de voyageurs trois fois plus important, élément déterminant dans les zones denses.

Les réseaux ferroviaires permettent de desservir le coeur des agglomérations et présentent donc un avantage en termes d'accessibilité. Pour cette raison, le transport ferroviaire demeure sur certaines relations (en milieu urbain et sur des liaisons inter-cités à grande vitesse allant jusqu'à 600 kilomètres) de porte à porte le mode de transport de voyageurs le plus rapide. Par ailleurs, il peut permettre aux passagers de disposer d'un confort que n'offre ni l'avion ni la route. L'existence d'un réseau dense comme celui dont la France dispose fait du chemin de fer un outil d'irrigation du territoire.

Enfin, en ce qui concerne le transport de marchandises, il apparaît particulièrement adapté aux transport massifiés de point à point, permettant dans le cadre de solutions intermodales de parer à la congestion routière .

c) Un renouveau attesté par des exemples étrangers

Les exemples étrangers tendent à démontrer que le chemin de fer n'est pas un mode de transport du passé tant pour le fret que pour les voyageurs . On assiste, en effet, à une relance du transport ferroviaire dans des pays aussi différents que les États-Unis, l'Allemagne ou les Pays-Bas qui témoigne d'un renouveau de l'intérêt à l'égard des atouts qu'il présente.

Aux États-Unis , on assiste à une renaissance du transport ferroviaire qui se traduit par une remontée de la part modale du rail dans le transport de marchandises. A la suite d'une dérégulation radicale, les grandes entreprises américaines ont entrepris d'optimiser leur rentabilité à travers des alliances solides. Les nombreuses fusions survenues récemment dans l'industrie du rail ont donné naissance à un marché oligopolistique que se partage quelques grands groupes. Les fusions ont permis d'accélérer la réduction des coûts d'exploitation des entreprises, engendrant une diminution drastique des effectifs.
Le partage de Conrail, entre CSX et Norfolk Southern dont l'approbation est attendue pour le milieu de l'année 1998, illustre parfaitement les enjeux stratégiques du secteur. Les deux compagnies espèrent détourner d'ici 3 ans le fret de plus d'un million de camions, ce qui correspondrait à un transfert d'activité de plus de 250 millions de dollars permettant une réduction de la consommation de diesel de l'ordre de 290 millions de litres par an et des coûts de maintenance des réseaux routiers permettant à une vingtaine d'États de réaliser des économies à hauteur de 85,3 millions de dollars dans les prochaines années.

Si l'exemple américain doit être apprécié avec précaution compte tenu des spécificités géographiques de ce pays, les orientations retenues aux Pays-Bas comme en Allemagne pour définir les priorités des politiques d'infrastructures sont également éclairantes.

Les Pays-Bas ont annoncé un programme national d'investissement ferroviaire d'un montant de 75 milliards de francs. Ce dernier prévoit, d'une part, le développement des lignes à grande vitesse pour un budget de l'ordre de 24 milliards de francs afin de relier Amsterdam au réseau du TGV-Nord et à l'Allemagne occidentale (Cologne) et, d'autre part, la construction d'une ligne dédiée au transport de fret en provenance ou à destination de l'Allemagne dont le coût est de 30 milliards de francs.

Si l'existence d'un projet de développement des lignes voyageurs à grande vitesse n'apparaît pas comme un fait remarquable de la politique néerlandaise des transports, le projet de construction de la ligne de la Betuwe , par ses caractéristiques, apparaît plus original. Il résulte de la volonté du Gouvernement de renforcer la position concurrentielle du port de Rotterdam vis-à-vis d'Anvers et de Hambourg et se fonde sur le constat d'un développement insuffisant de la desserte ferroviaire de Rotterdam.

LA LIGNE DE LA BETUWE (Betuwelign)

Longue de 158 kilomètres, elle reliera Europort au réseau allemand et devrait représenter à terme un trafic de l'ordre de 20 millions de tonnes de marchandises par an transportées par conteneurs. Cette option confirme la possibilité d'un développement du fret ferroviaire en Europe, notamment comme moyen de desserte des ports dans un contexte de congestion routière ou -du moins- de limitation du potentiel des infrastructures routières. En effet, elle s'inscrit dans une perspective intermodale mettant en jeu d'une part, le transport maritime, et d'autre part, le transport routier ou fluvial. La ligne nouvelle est inscrite parmi les projets prioritaires d'Essen et devrait faire l'objet d'un financement public à hauteur de 25 milliards de francs, la Commission européenne apportant une contribution de 900 millions de francs, celle du secteur privé (sociétés de transport de banques et de compagnies financières) devant s'élever à 4,5 milliards de francs, la ligne était considérée comme rentable.

En Allemagne, l'élaboration du plan des infrastructures fédérales de transport pour la période 1992-2012 a été l'occasion d'exprimer une volonté politique destinée à favoriser le transport ferroviaire. Celui-ci bénéficie de 38,9 % du total des dépenses d'investissement. Un objectif ambitieux est notamment affiché pour le fret, ceci résultant du souhait de voir se développer des modes de transport plus respectueux de l'environnement. La part modale du transport de fret ferroviaire de 28 % en 1991 devait, selon les estimations du plan, augmenter pour atteindre 36 % en 2010 au détriment de la route qui passerait de 52 % à 43 %, les voies navigables ne gagnant dans ce schéma qu'un point de part de marché avec 21 % en 2010. Un des aspects de cette reconquête consiste dans un important programme de développement des centres de transport combiné qui bénéficie d'un financement fédéral de 13 milliards de francs.

Le transport ferroviaire de voyageurs fait également l'objet d'investissements importants et devrait bénéficier d'un programme de construction de lignes à grande vitesse. Le plan prévoit, en effet, la création ou l'aménagement de lignes existantes aux caractéristiques de la grande vitesse de 2.200 kilomètres de voies.

Pour l'heure, seules deux lignes d'orientation nord-sud, ont été mises en service, l'une va de Hanovre à Kurzburg sur 327 kilomètres, et l'autre de Mannheim à Stuttgart sur 99 kilomètres . La vitesse maximale actuellement autorisée sur ces liaisons est de 250 kilomètres/heure et elles sont complétées par un réseau d'un millier de kilomètres de voies classiques qui ont été réaménagées pour pouvoir être parcourues par le train à grande vitesse ICE à 200 kilomètres/heure. Par ailleurs, contrairement aux lignes françaises, les nouvelles lignes allemandes sont destinées à être empruntées également par des trains de marchandises circulant à une vitesse élevée.

Ces exemples -et en particulier ceux que la commission d'enquête a pu apprécier au cours de ses déplacements à La Haye et à Bonn- soulignent l'intérêt que suscite le transport ferroviaire chez nos partenaires comme solution adaptée à l'augmentation des trafics et aux difficultés soulevées par le développement du transport routier.

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