3. L'accélération de 1993-95

Le changement de majorité de 1993 a eu des conséquences importantes en matière autoroutière. Une accélération de la réalisation du schéma directeur a été décidée. Parallèlement, le vote de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 a replacé les choix en matière de politique autoroutière dans une perspective d'aménagement du territoire.

a) L'accélération de 1993 et ses conséquences sur l'organisation du " système autoroutier "

Le comité interministériel d'aménagement du territoire, réuni à Mende en 1993, a évoqué l'idée d'achever le schéma directeur autoroutier en dix ans au lieu des quinze initialement prévus. Le Premier ministre de l'époque, M. Edouard Balladur, a confirmé ce projet.

Afin d'achever le SDRN en 2003, l'ensemble des sections inscrites au schéma devait être mis en travaux avant l'an 2000. Compte tenu de la situation financière fragile de certaines des sociétés autoroutières, due notamment à l'augmentation des coûts et des taux d'intérêt, il a été décidé, avant de s'engager dans la voie de l'accélération, de procéder à une réforme du financement du secteur autoroutier.

Cette réforme, mise en oeuvre en 1994, a été analysée par le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat pour les crédits des routes et de la sécurité routière dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 1996 :

*

* *

LA REFORME DU FINANCEMENT DU SECTEUR AUTOROUTIER

1. Les raisons de la réforme : le blocage du système de péréquation

Le réseau autoroutier concédé est géré par sept sociétés d'économie mixte et une société privée (COFIROUTE), auxquelles s'ajoute la société du tunnel du Mont-Blanc(STMB).

Les sociétés d'économie mixte étaient réunies dans le cadre d'un mécanisme de péréquation des ressources financières géré par l'établissement public "Autoroutes de France" qui a été créé par la loi de finances rectificative pour 1982. ADF est géré par la Caisse des dépôts et consignations et détenait 34 % du capital des SEM.

Ce mécanisme consistait à faire rembourser leurs dettes (envers l'Etat) par les sociétés excédentaires à ADF qui rétrocédait ces sommes aux entreprises déficitaires.

Mais, au fur et à mesure du processus, les sociétés excédentaires se sont désendettées et ont quitté le système, laissant les sociétés déficitaires sans refinancement.

Ainsi, en 1993, ASF, totalement désendettée, est sortie du mécanisme. Dès lors, celui-ci ne disposait plus de ressources suffisantes pour faire face aux besoins en trésorerie des sociétés déficitaires. Le dispositif atteignait ainsi ses limites, et perdait sa principale raison d'être.

Enfin, la disparition du mécanisme de péréquation a été précipitée par le remboursement par anticipation, dès 1994, via Autoroutes de France, de 4 milliards de francs d'avances consenties dans le passé par l'Etat au secteur.

Dans ces conditions, la révision de l'ensemble de l'organisation et du fonctionnement du secteur autoroutier d'économie mixte est apparue nécessaire, d'autant plus que la disparité des situations financières entre sociétés était appelée à s'aggraver rapidement compte tenu des programmes chargés déjà attribués.

2. Les trois étapes de la réforme

La réforme aura connu trois étapes :

- une recapitalisation des sociétés d'économie mixte ;

- leur réorganisation en trois pôles géographiques ;

- la mise en place de relations contractuelles avec l'Etat, entraînant une nouvelle définition de la politique tarifaire.

a) La recapitalisation des sociétés d'économie mixte

Les six SEMCA intéressées par la réforme du secteur autoroutier souffraient d'un handicap important : une forte sous-capitalisation. Alors que leur chiffre d'affaires global annuel dépassait 17 milliards de francs en 1993 et que leur endettement était supérieur à 80 milliards de francs, leur capital cumulé représentait moins de 28 millions de francs.

La structure du capital jusqu'à l'intervention de la réforme en cours était globalement identique pour chacune des six SEMCA et se présentait de la façon suivante :

- Autoroutes de France 34 %

- Caisse des Dépôts et Consignations 17 %

- Collectivités territoriales et chambres consulaires 49 %

ADF détenant quelque 950 millions de francs d'avances d'actionnaires sur les six sociétés concernées, il a été décidé, dans un premier temps, de transformer ces avances en véritable capital social au cours d'une procédure d'augmentation de capital ouverte à l'ensemble des actionnaires de chaque société.

A l'issue de cette phase, et compte tenu de l'intérêt limité attaché par les autres actionnaires (essentiellement les collectivités locales) à une telle souscription, ADF s'est trouvé détenir une majorité du capital de chaque société généralement supérieure à 90 %. la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) devait également suivre l'augmentation pour détenir 8,5 % du capital des sociétés-mères.

Dans un second temps, ADF a rétrocédé à l'Etat la moitié de ses participations dans les sociétés-mères en contrepartie d'une réduction à due concurrence de la dotation que détenait l'Etat au passif de l'établissement. Ainsi, dans les sociétés-mères, la participation de l'Etat est désormais répartie entre une détention directe et une détention par l'intermédiaire des établissements publics ADF et CDC.

b) La création de trois pôles géographiques

Parallèlement à la cession à l'Etat de 50 % de ses participations dans les mères, ADF a cédé à celles-ci la totalité de ses participations dans les filiales. De la sorte, chaque société-mère détient au moins 95 % du capital de sa filiale. Les groupes sont ainsi constitués :

- SAPRR avec AREA pour filiale,

- ASF avec ESCOTA pour filiale,

- SANEF avec SAPN pour filiale.

La configuration des groupes a été déterminée avec le triple souci de maintenir un certain équilibre entre les trois pôles (en termes d'effectifs, de longueur du réseau exploité, de chiffre d'affaires), d'assurer la viabilité et l'autonomie financière de chacun des pôles, et de respecter une certaine cohérence géographique propre à faciliter des politiques de gestion coordonnée des trafics sur les réseaux.

Ayant écarté l'idée de fusionner les différentes SEMCA, l'Etat a tenu à conserver à chacune d'entre elles son existence, son autonomie de gestion et son identité propre. Par conséquent, la filialisation n'est en aucun cas synonyme de subordination des sociétés-filles à leurs mères respectives.

Cependant, l'une des principales raisons d'être de la réforme ayant été de donner à chaque société les moyens de réaliser le programme qui lui a été confié par l'Etat, la forte intégration financière entre mères et filles met les premières en mesure d'apporter aux secondes des moyens de financement.

En effet, dans le cadre de chaque groupe, et dans les conditions définies par les deux partenaires, les mères peuvent consentir aux filles, en tant que de besoin, des avances de trésorerie à taux très bas. Ce dispositif "interne" viendra prendre le relais du mécanisme de péréquation "externe" existant.

La nature du rôle d'ADF est donc radicalement modifiée. Il a perdu son rôle de péréquation financière pour devenir une instance de concertation entre l'Etat, les collectivités locales et les sociétés d'autoroutes sur la gestion du réseau autoroutier.

Dans ce but, son conseil d'administration a été modifié. Il est passé de 12 à 20 personnes, l'Etat et les collectivités locales gagnant chacun quatre administrateurs supplémentaires. Les collectivités locales sont notamment représentées par un administrateur désigné, pour chacune des six SEM, par le collège des administrateurs représentant les collectivités territoriales.

Participation d'ADF au capital des SEM

45 %

ASF/ESCOTA,

SANEF/SAPN

SAPRR/AREA

49 %

SFTRF

c) L'instauration de relations contractuelles de long terme entre l'Etat et le système autoroutier

C'est la troisième étape de la réforme, et la seule qui concerne la totalité des sociétés concessionnaires, y compris Cofiroute, la société française du tunnel du Fréjus (SFTRF) et la société du Tunnel du Mont Blanc (STMB).

Des contrats de plan passés entre l'Etat et chacun des groupes pour une durée de cinq ans formalisent les engagements de chacune des parties dans les principaux domaines de la politique autoroutière : investissements et tarifs surtout, mais aussi objectifs financiers et politique de gestion.

A partir d'une programmation nationale fixant un volume d'investissements sur cinq ans, les contrats de plan portent sur les engagements de chaque pôle en matière d'investissements. Les contrats comportent notamment le montant global d'investissements et le besoin prévisionnel d'emprunts nécessaires, compte tenu de l'autofinancement attendu. Sont également précisés les échéanciers annuels de dépenses sur la durée du contrat. Enfin, des engagements sont pris sur les délais de réalisation. A partir des montants d'investissement prévus dans les contrats de plan, les présidents des sociétés élaborent une liste indicative des programmes physiques à lancer pendant les cinq ans.

Sur la base des contrats de plan, le programme de lancements, de dépenses d'investissements et d'emprunts continuent d'être arrêté annuellement par le Gouvernement dans le cadre du Fonds de développement économique et social (FDES), dont le rôle sera donc moins autoritaire. Il devra en effet décider de lancements conformes aux contrats de plan, en fonction d'une mission quinquennale et plus seulement annuelle.

Enveloppes de lancement des contrats de plan 1995-1999

(MF 1994)



Pôle SANEF

dont SANEF

SAPN

A29 RN 28 - Amiens

A29 Amiens - Saint Quentin

A16 Isle Adam - La Courneuve

A28 Rouen - Alençon

6.825

4.295

11.120

Pôle SAPRR

dont SAPRR

AREA

A432 Pusignan - A43 Saint Laurent de Mure

A406 Contournement sud-est de Mâcon

A48 Liaison Ambérieu - Bourgoin*

A51 Col du Fau-Pellafol (1ères phases)

A48 Contournement de Grenoble* (1ère phase)

2.351

2.560

4.911

Pôle ASF

dont ASF

ESCOTA

A20 Brive - Montauban

A68 Bretelle de Verfeil

A710 Antenne de Lussat

A20 Toulouse - Pamiers

A87 Angers - La Roche sur Yon

A89 Bordeaux - Clermont Ferrand (1ères phases)

A83 Oulmes - Niort

RN10 Mise aux normes autoroutières

A9 Contournement de Montpellier*

A64 Tarbes - Lourdes*

A640 Paul - Oloron*

A51 Pellafol - La Batie

A51 La Saulce - La Batie (1ère phase)

26.504

5.375

31.879

COFIROUTE

A28 Le Mans - Tours

A86 Ouest (1ères phases)

A85 Tours - Vierzon

A28 Alençon - Le Mans

A11 Contournement nord d'Angers

 

17.871

SFTRF

A43 La Praz- Le Freney

 

1.315

STMB

A400 Annemasse - Thonon

 

4.952

 

TOTAL 1995/1999

 

72.048

* Concessionnaires non définitivement désignés.

3. Les conséquences de la réforme sur la politique tarifaire

Les sociétés bénéficient désormais d'une souplesse de gestion en matière tarifaire
. Une norme moyenne d'évolution est fixée pour chaque société, dans le cadre des contrats. Le contrôle de l'Etat ne s'exerce plus dans le cadre d'autorisations annuelles, mais a posteriori, par la vérification du respect des engagements. Le nouveau dispositif tarifaire s'appuie sur les contrats de plan, mais aussi sur les cahiers des charges des sociétés qui sont modifiés en conséquence.

Evolutions tarifaires prévues dans les contrats de plan

(Hausses moyennes annuelles)

 

Hausse VL

Hausse PL

 
 

Minimum

Maximum

ASF

0.85 i

0.85i = 0.5

0.85 + 1

ESCOTA

i

i + 0.5

i + 1

SAPRR

1.13i

1.13i + 0.5

1.13i + 1

AREA

i

i + 0.5

i + 1

SANEF

i

i + 0.5

i + 1

SAPN

1.88i

1.88i + 0.5

1.88i + 1

i = inflation hors tabac constatée depuis la précédente revalorisation tarifaire

VL : véhicules légers

PL : poids lourds


Ce nouveau dispositif tarifaire a nécessité une réforme de la réglementation tarifaire entraînant une abrogation du décret du 30 décembre 1988, qui régissait les modalités de fixation et d'évolution des tarifs de péage. Ce fut fait par le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995.

Article premier du décret 95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers

" Art. 1er - Les tarifs de péage autoroutiers sont fixés chaque année par les sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les conditions définies ci-après.

" Le cahier des charges de la société concessionnaire prévu par l'article L. 122-4 du code de la voirie routière définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux tarifs de péages et qui tient compte de la structure du réseau, des charges d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen.

" Le contrat de plan, conclu pour une durée maximale de cinq années renouvelable entre l'Etat et la société concessionnaire, fixe les modalités d'évolution des tarifs de péages pendant la période considérée.

Cette modification de la réglementation des péages tient mieux compte du rôle nouveau qui leur est dévolu . Ce rôle est actuellement triple :

- financer l'achèvement du schéma directeur autoroutier, par le remboursement des emprunts contractés pour lui ;

- imputer à l'usager le coût de l'utilisation des ouvrages ;

- mais le péage sert désormais, et de plus en plus, à la régulation du trafic par les prix, qu'il s'agisse de gérer les pointes de trafic (en encourageant/décourageant la circulation sur certains tronçons) ou qu'il s'agisse d'orienter en profondeur la structure du trafic selon les différents axes.

*

* *

b) L'insertion de la politique autoroutière dans une perspective d'aménagement du territoire

La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADT) du 4 février 1995 a constitué un pas vers la rationalisation des choix d'infrastructures d'aménagement du territoire en prévoyant l'élaboration d'un schéma national d'aménagement du territoire (SNADT) et de schémas sectoriels qui, dans l'esprit des rédacteurs de la loi, devaient être, pour la première fois, débattus au Parlement, sinon votés par lui.

La logique de la LOADT est celle du désenclavement, par le branchement de l'ensemble du territoire sur les grands axes transeuropéens. Dans cette perspective, le développement du mode autoroutier, à travers la révision du schéma directeur et la réalisation d'autoroutes dites " d'aménagement du territoire ", était jugé primordial.

Une révision du schéma directeur routier national était prévue de façon à permettre d'atteindre un objectif fixé par l'article 17 de la loi : " en 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne sera situé à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route express à deux fois deux voies, soit d'une gare desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse ".

Ce paragraphe de la loi est aujourd'hui l'un des plus décrié par le Gouvernement issu des élections de juin 1997. Il est jugé irréaliste et technocratique. En réalité, la distance par rapport à un grand axe routier est un indicateur fréquemment rencontré dans le cadre de réflexions portant sur les liens entre infrastructures routières et aménagement du territoire.

Il figure parmi les facteurs pris en compte par le groupe de travail " Autoroutes " du comité des infrastructures de transport mis en place par la Commission européenne, qui a rendu, en octobre 1994, un rapport consacré à l'impact du réseau routier transeuropén sur le développement spatial, régional et économique 31( * ) (voir carte figurant dans le chapitre II - A - 1.).

Les auteurs du rapport préconisent que " toute ville moyenne , dont la définition varie selon le pays concerné (40 000 habitants ou moins pour des pays comme le Portugal, l'Irlande ou la Grèce), mais aussi en fonction de l'attractivité particulière de ces villes (fonction commerciale, industrielle, administrative, culturelle,...) devrait être située à trente minutes maximum d'un point d'entrée du réseau routier transeuropéen ".

L'importance accordée à la distance entre un point du territoire et une infrastructure routière connectée aux grands axes européens reflète la conception communautaire de l'aménagement du territoire, qui est une approche en terme de maillage du territoire en réseau.

Le schéma directeur routier national se situe dans la lignée de la conception communautaire de maillage du territoire. La durée d'accès à un axe autoroutier a été prise en compte lors du choix des tracés. Les cartes contenues dans le rapport de la Direction des routes du ministère des transports accompagnant la publication du schéma directeur en 1992 l'attestent, en mettant en évidence les zones situées à plus de trente minutes d'un grand axe à caractéristique autoroutière au début et au terme de la réalisation du schéma directeur.

Le schéma directeur actuel ne permet pas de situer tout point du territoire à moins de trente minutes d'une autoroute, mais il y tend fortement. Dès lors, l'inscription de l'objectif, légèrement assoupli, dans la loi constitue une approbation des orientations du SDRN, dont la réalisation devient, sinon suffisante, du moins nécessaire.

CARTE N° 4]

DESSERTE DU RÉSEAU DU TERRITOIRE PAR LE RÉSEAU AUTOROUTIER

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