ANNEXE N° 7 -

AUDITION DE MME DOMINIQUE VOYNET,
MINISTRE DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
ET DE L'ENVIRONNEMENT,
LE 6 MAI 1998

M. Jean FRANCOIS-PONCET, PRESIDENT.- Nous accueillons maintenant Mme Dominique VOYNET, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Il s'agit d'une Commission d'enquête, la loi me fait obligation de vous demander de prêter serment...

Mme VOYNET .- Je le jure et je dis d'ailleurs toujours la vérité.

M. le PRESIDENT .- Nous n'en doutions pas.

Vous savez dans quel contexte nous travaillons, puisque vous avez pris connaissance des conditions dans lesquelles la Commission d'enquête avait été créée par le Sénat.

Je voudrais vous soumettre trois indications que nous avons recueillies au cours de notre enquête déjà avancée.

Lorsque le Directeur des Routes est venu devant nous, il nous a montré un graphique qui révèle, entre autres, que si nous prenons l'année 1980 comme base 100, nous sommes actuellement à 124 en termes de surface autoroutière, et à 163 en termes de volume de trafic.

En d'autres termes, le trafic a augmenté beaucoup plus vite que la surface destinée à l'accueillir.

Cela nous amène à nous demander si cette constatation doit inciter à freiner ou plutôt à accélérer la construction autoroutière.

Deuxième observation. Nous avons consulté des entreprises de transport combiné, nous nous sommes particulièrement intéressés à ce transport, car nous pensons qu'il est une des priorités que la nation doit se donner. Les responsables de ces entreprises sur le terrain nous ont dit que le multimodal n'est pertinent que pour les trajets supérieurs à 500 km, lesquels ne représentent que 20 % du total du transport marchandises. A l'inverse, la très grande majorité des trajets réalisés par les poids lourds sur les autoroutes ont des longueurs inférieures ou égales à 100 km.

Le transport combiné peut-il réellement permettre de soulager la route ?

La dernière indication nous vient de la sécurité routière. Elle date de février et fait état d'une augmentation significative du nombre de tués. Or c'est principalement sur le réseau routier ordinaire qu'ont lieu les accidents. De loin le mode de transport le plus sûr est donc l'autoroute.

Je cite ces trois chiffres, un peu pour vous provoquer, mais ils sont très solides et induisent nos interrogations.

Je vous donnerai une quatrième indication, venant celle-là de la Direction du Trésor, sur l'équilibre financier.

Le système autoroutier est très endetté, mais en dehors de deux liaisons, le tunnel de Fréjus et l'autoroute de Normandie, tout le développement prévu dans le plan Balladur trouverait à se financer dans des conditions tendues, mais normales, et le système autoroutier serait en état de rembourser les dettes dans les délais de concession qui lui sont aujourd'hui accordés.

Voilà quatre indications que nous avons recueillies autour de questions que nous avons posées à des personnes différentes, mais sur des sujets très voisins, afin de croiser leurs réponses.

Mme VOYNET .- Vous me pardonnerez de ne pas entrer aussi vite dans le vif du sujet et de ne pas répondre très directement à vos questions. Evidemment j'ai relu avec attention l'argumentaire qui a conduit à la mise en place de la Commission d'enquête et il semble que certains éléments doivent être resitués dans leur contexte.

Votre Commission est chargée d'examiner les conditions dans lesquelles semblent remis en cause certains choix stratégiques concernant les infrastructures de communication, les incidences qu'une telle remise en cause pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans l'Union.

Cette problématique renvoie à trois questions.

1) Y a-t-il eu depuis mai 97 des changements d'orientations en matière de politique de transport ?

2) Quels éléments fondent les choix d'orientations stratégiques du Gouvernement ?

3) Quelles incidences auront ces décisions sur l'aménagement et le développement du territoire ?

La première question appelle une réponse clairement positive : il y a bien eu, depuis notre arrivée, des changements d'orientations en matière de politique de transport. Je crois d'ailleurs qu'on ne devrait pas s'étonner que l'alternance politique se traduise par des changements d'orientations dans la politique gouvernementale. C'est même à cela que sert l'alternance en général.

Le secteur des transports, le développement des infrastructures de communication notamment, ne se limite pas à la gestion technique de procédures. Les choix en matière d'infrastructures traduisent aussi dans la réalité des orientations générales qui forment une politique des transports. C'est dans ce cadre que le Gouvernement a effectivement remis en cause certains projets et en a réévalué d'autres. J'y reviendrai sans doute, je pense notamment au projet de franchissement de la barrière alpine. Cette démarche est légitime, elle était indispensable et urgente.

Prenons la question des infrastructures ferroviaires.

Le schéma directeur national, approuvé le 1 er avril 1992, ne traite que des lignes nouvelles à grande vitesse. C'était alors l'axe stratégique de l'entreprise et la seule préoccupation des pouvoirs publics.

Ce schéma présente un réseau comportant 4.700 km de lignes nouvelles à grande vitesse. Au mois de juin 1997, 1.300 km sont en service. Les deux branches du TGV Méditerranée (Valence-Marseille et Valence-Nîmes) sont en chantier.

Par ailleurs, des études ont été engagées sur de nombreux projets : TGV Est, Rhin-Rhône première phase, Languedoc-Roussillon, Lyon-Turin, Bretagne-Pays de Loire et Aquitaine. Ces différents projets représentent un investissement global estimé à 84 milliards de francs, non compris le Lyon-Turin, d'une ampleur particulière qui dépendra du choix de l'emplacement du tunnel.

Or, la réforme de la SNCF intervenue en 1997 interdit la poursuite de cette fuite en avant. Ces nouveaux projets ne pourront plus être financés par l'endettement de la SNCF. Tous se caractérisent par une faible rentabilité financière. Ils ne pourront se réaliser que moyennant des concours publics couvrant une part importante des coûts.

Dans le budget 1997, les ressources affectées au développement des TGV ne s'élevaient initialement qu'à 500 millions de francs. Ces sommes étaient insuffisantes pour couvrir les engagements de l'Etat relatifs au TGV Méditerranée. De surcroît, une partie de ces crédits servait à payer des études sur des projets dont on ne savait pas quand et comment on les financerait.

On peut même, me semble-t-il, affirmer que l'octroi de sommes conséquentes à la réalisation d'études avait essentiellement pour objet de calmer l'ire et l'impatience d'un certain nombre d'élus porteurs de ces projets, qui restaient dans les limbes.

Maintenir en apparence des objectifs ambitieux sans s'en donner les moyens, malgré un changement des règles du jeu qui impose de nouveaux modes de financement, n'était-ce pas déjà, sous une forme insidieuse, les remettre en cause ?

Le Gouvernement s'est attaqué à cette difficulté. Dès le budget 1998, il a augmenté les moyens financiers consacrés au développement du réseau ferroviaire, qui atteignent 1,3 milliard de francs hors transport combiné.

Il a pris des engagements clairs pour accroître encore les enveloppes annuelles de 1 milliard de francs d'ici la fin des prochains contrats Etat-Région.

Par ailleurs, il a réorienté la politique de développement du réseau, au bénéfice de la modernisation et l'adaptation du réseau classique, notamment parce qu'il considère que le développement du fret ferroviaire constitue une priorité de la politique des transports.

Pour autant, le Gouvernement n'a pas remis en cause de projets de TGV. Il a confirmé la poursuite d'un programme maîtrisé de lignes à grande vitesse, respectant nos engagements internationaux.

Il s'agit plus précisément des projets de lignes Perpignan-Figueras et Lyon-Turin, avec une composante fret importante, du projet de TGV Est, que Réseau Ferré de France devra optimiser d'un point de vue technico-économique et environnemental, du projet de TGV Rhin-Rhône, dont la première phase devra faire l'objet d'une réalisation progressive, avec une ligne nouvelle se limitant dans un premier temps à Besançon-Mulhouse.

Encore un mot sur l'état d'esprit dans lequel a travaillé le Gouvernement. En effet, s'il a été réaffirmé son attachement au projet de TGV Est, il a été en revanche demandé deux choses :

1) le réexamen des modalités du montage financier,

2) l'optimisation de la liaison.

Le Gouvernement s'est interrogé sur un concept de train à grande vitesse qui prévoyait la circulation de convois à une vitesse commerciale de 400 km/h, alors que les matériels adaptés n'existent pas, et que le choix technique de cette vitesse commerciale générait en fait des courbes et des tracés dont l'impact environnemental était important, et des localisations de gares qui n'étaient pas forcément directement adaptées aux plus grands besoins de la population.

Ce n'est pas remettre en cause que de proposer de réexaminer, alors que des dossiers de ce type courent depuis des années, les conditions d'une meilleure efficacité économique, d'un plus grand service rendu aux populations et d'une plus grande rigueur budgétaire.

Passons maintenant aux infrastructures routières.

Le Conseil d'Etat a rappelé, avec la clarté qui s'attache aux décisions de justice, que la directive 89/440, dite directive "travaux", aurait dû être appliquée à compter du 22 juillet 1990. Ces remises en cause tardives risquent de coûter cher.

Lorsque les réglementations changent, il faut s'adapter rapidement. Pressé de s'expliquer sur ses pratiques en matière de concessions autoroutières, le précédent Gouvernement s'était engagé, d'une part, à appliquer strictement la directive -ce qui était la moindre des choses- d'autre part, à apurer avant le 31 décembre 1997 la situation des concessions pressenties avant l'entrée en vigueur de la directive.

Même si certaines personnalités ont soutenu devant votre Commission une analyse contraire, cette entrée en vigueur, sans doute trop tardive, des textes communautaires comporte implicitement une remise en cause du mode de dévolution à la française des concessions autoroutières.

Le droit communautaire est un droit de la concurrence. L'obligation de publicité ne se réduit pas à une obligation de pure forme. L'égalité des chances entre les candidats interdit qu'un candidat puisse, à la différence des autres, faire reposer une partie du financement de l'ouvrage à construire sur les recettes procurées par le reste de son réseau. Le déficit éventuel lié à une section nouvelle doit être couvert par une subvention publique.

Le Gouvernement a tiré les conséquences de cette situation. Le biais artificiel en faveur de la réalisation d'autoroutes concédées en apparence gratuite n'existant plus, il convenait de s'interroger sérieusement sur divers projets comportant des atteintes environnementales majeures et de lourds problèmes de financement comme l'A51 ou l'A58.

Dans le même temps, le Gouvernement assurait la continuité de l'Etat en passant, avant la date fatidique du 31 décembre 1997, des avenants couvrant les projets pressentis déclarés d'utilité publique.

Je ne m'étendrai pas sur l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Rien, sauf des illusions fondées sur des analyses des années 50, et qui voyaient l'avenir dans un rétroviseur, ne justifiait ce projet. Son abandon explicite sanctionne une longue lutte qui avait su en démontrer le caractère inutile, néfaste et dispendieux.

D'ailleurs, je peux le dire maintenant, il est peu d'hommes politiques, quelle que soit leur étiquette, qui n'aient pas en tête à tête justifié l'abandon de ce projet, même si publiquement il leur est arrivé de déplorer les conditions dans lesquelles il a été opéré.

Vous le voyez, le contexte économique et politique imposait des remises en cause. Le Gouvernement ne se contente pas de subir les événements, il procède à des remises en cause en séparant SNCF et RFF, par exemple, il met en oeuvre de nouvelles orientations politiques, tant en matière de transport que d'aménagement du territoire.

Je reviendrai à la définition d'une nouvelle politique publique des transports que j'appelle de mes voeux.

Mon collègue Jean-Claude Gayssot vous a entretenus des orientations du Gouvernement visant à une politique de transport respectueuse des exigences du développement durable.

Le 26 avril dernier, à Chester, à l'occasion d'un conseil informel des ministres de l'Environnement et des Transports de l'Union européenne, nous avons pu mesurer la forte convergence d'analyse et de préoccupation de nos collègues.

La poursuite sur les tendances actuelles de l'évolution des transports n'est pas durable. Diverses études de la Commission et de l'OCDE le prouvent.

Les contributions de bon nombre de nos collègues de l'Union européenne nous ont montré que la plupart d'entre eux partagent notre analyse.

La contribution commune que Jean-Claude Gayssot et moi-même avons remise à ce conseil, et qui pourrait, si vous le souhaitez, être versée au nombre des documents mis à disposition de votre Commission, développe l'ensemble des orientations qui doivent être conjointement mises en oeuvre pour relever ces défis :

1) le renforcement des normes techniques applicables aux véhicules en matière de consommation et d'émissions polluantes ou de gaz à effet de serre, ainsi que celles relatives à la composition des carburants ;

2) une meilleure répercussion des coûts directs et une internalisation progressive des coûts externes, pour assurer une concurrence équitable entre les modes, ces actions passant prioritairement par une harmonisation sociale et fiscale ;

3) un développement prioritaire de l'offre de transport au bénéfice des modes peu polluants : transports collectifs dans les zones urbaines, fret ferroviaire, cabotage maritime et navigation fluviale, transport combiné, notamment au niveau des réseaux transeuropéens.

Vous pouvez donc être pleinement rassurés : les choix de développement des réseaux du Gouvernement s'inscrivent dans une perspective européenne.

Ces orientations en matière de transport recoupent celles nouvelles en matière de politique d'aménagement du territoire que j'ai impulsées, et qu'explicite l'avant-projet de loi que j'ai remis il y a quelques semaines au Premier ministre. J'espère avoir l'honneur de le défendre prochainement devant votre assemblée.

Les orientations politiques de mon projet visent à réduire les inégalités territoriales, à consolider la décentralisation, à jeter les bases du développement durable.

Pour ce qui concerne la question des transports, qui vous intéresse plus particulièrement, la première innovation concerne les schémas. Les cinq schémas d'infrastructures prévus par la loi de 1995 (schéma directeur routier national, schéma directeur des voies navigables, schéma directeur du réseau ferroviaire, schéma des ports maritimes, schéma des infrastructures aéroportuaires) seront remplacés par deux schémas de services collectifs de transport, l'un pour les voyageurs, l'autre pour les marchandises, élaborés conjointement dans une logique intermodale.

Cela exige de nous de nouvelles méthodes de travail, un décloisonnement entre les services qui devra déboucher sur des approches inédites.

Les redondances et les concurrences contenues entre infrastructures diverses sur de mêmes parcours pourront être évitées. Les complémentarités entre modes, notamment dans le domaine du transport combiné, seront systématiquement exploitées.

L'autre modification est au moins aussi importante. Je veux parler du passage de schémas d'infrastructures à des schémas de services. En matière de transports collectifs, vous savez mieux que moi combien est illusoire une approche en termes d'infrastructures. Que signifie l'ajout sur une carte d'un tracé indicatif d'une infrastructure ferroviaire nouvelle ? Ce qui fait la qualité du service nouveau offert à l'usager, ce sont, au-delà du seul tracé et des possibilités financières, les horaires, les fréquences, les correspondances, les matériels utilisés, et bien d'autres éléments.

De même, vous savez bien que l'indice de satisfaction vis-à-vis de l'élaboration de schémas d'infrastructures, tant pour les élus demandeurs que pour les services ou les opérateurs, est réglé sur le nombre d'infrastructures nouvelles venant s'inscrire sur la carte.

C'est une dynamique du "toujours plus", qui ignore fondamentalement les ressources ouvertes par une meilleure exploitation du patrimoine existant. Or, si on s'intéresse d'abord aux services rendus aux usagers, on sait bien que l'amélioration de l'exploitation et l'optimisation du réseau existant recèlent des potentialités considérables qu'il ne faut pas occulter au seul bénéfice de la création de nouvelles infrastructures.

Ma volonté est de partir de l'évaluation des besoins en matière de mobilité, pour définir les objectifs de services que la collectivité nationale se propose de poursuivre et en déduire les moyens permettant d'y arriver.

Ces schémas seront élaborés à l'issue d'une phase de concertation territoriale, qui sera engagée quand le projet de loi aura été déposé au Parlement. Je compte sur vos contributions pour que soit tiré le meilleur parti de cette nouvelle approche intermodale et de service.

Mais on ne peut pas tout attendre du niveau national. Cet exercice de planification des schémas nationaux doit être relayé sur le terrain. C'est pourquoi je propose un renforcement de l'initiative régionale en la matière à travers les schémas régionaux.

Il est assigné aux schémas régionaux de transports les mêmes caractéristiques qu'aux schémas nationaux qu'ils précisent et prolongent : intermodalité et approche en termes de service rendu. La Région devra donc réunir les diverses autorités organisatrices pour rechercher les complémentarités et les coopérations qui améliorent le mieux le service rendu aux usagers des transports collectifs.

Comme je vous l'ai indiqué, notre projet de loi se fonde sur le développement durable, dont les exigences seront inscrites dans les premiers articles de la loi d'orientation des transports intérieurs.

Ces inflexions des politiques des transports et d'aménagement du territoire se traduisent, quand cela est nécessaire, par des remises en cause de partis pris d'aménagement et, ce qui n'est pas sans lien bien sûr, par des redéploiements de ressources financières.

Les conditions dans lesquelles interviennent ces changements sont celles prévues et organisées par notre régime démocratique :la convergence d'un contexte changeant, de défis nouveaux, d'orientations politiques nouvelles approuvées par les électeurs et mises en oeuvre par un Gouvernement disposant de la confiance de l'Assemblée Nationale.

Je vous remercie d'avoir bien voulu écouter ce long exposé préliminaire. Si vous me le permettez, je voudrais juste, avant de vous laisser la parole, dire quelques mots en réponse aux questions plus précises évoquées par le Président de votre Commission d'enquête.

Un terme m'a frappée dans son intervention, le terme "priorité". En effet, il a signalé que le transport combiné apparaissait aux membres de cette Commission comme une priorité.

Je suis extrêmement étonnée de voir finalement que les diverses personnes qui se relaient dans mon bureau et avec lesquelles j'ai des contacts fréquents -parlementaires, élus de grandes villes, responsables de région ou de département, entreprises, associations- me déclinent les priorités. Je me rends compte que tout est prioritaire : priorité à la résorption des points noirs du bruit et de l'insécurité, priorité à la poursuite du schéma autoroutier, priorité au rail, priorité aux grandes lignes, permettant d'assurer la circulation privilégiée de marchandises, notamment par le biais de corridors ferroviaires, priorité aux plates-formes intermodales, au transport combiné, au franchissement des massifs par voie ferroviaire et non plus exclusivement routière, priorité à la réalisation du réseau fluvial, etc.

Une de nos maladies est justement d'être incapables de hiérarchiser ces priorités. C'est pour répondre en partie à la question que nous avons souhaité renoncer à faire rêver les élus, par le maintien de schémas infinançables dans les conditions budgétaires actuelles et notamment de la construction européenne, et mettre en place une approche intermodale pour les schémas de transports afin de permettre de ne plus mettre en concurrence, pour les mêmes usages et sur les mêmes axes, les infrastructures lourdes fort coûteuses.

Notre souci est vraiment de rationaliser l'usage des moyens dont nous disposons sur le plan financier, et de répondre en priorité aux besoins de la population. A cet égard, nous aurons à discuter de façon très précise d'orientations des prochains contrats de plan, qui constituent traditionnellement des outils non seulement budgétaires, mais aussi intellectuels très précieux, puisque c'est l'occasion d'une discussion approfondie entre l'Etat, les régions et ce qu'on appelle avec un peu d'inadéquation les collectivités locales de moindre rang. On sait bien pourtant que les budgets des départements sont supérieurs à ceux des régions en général, et qu'ils jouent un rôle important dans la discussion des contrats.

Je souhaite vraiment aller au fond, et que les collectivités ne présentent plus des catalogues de voeux infinançables à l'Etat, mais soient capables d'indiquer leurs priorités, l'usage, le contenu en emplois, et leur contribution financière.

Je veux évoquer aussi les grandes difficultés que nous avons à appréhender l'avenir et ses évolutions.

Je ne voudrais pas faire de parallèle hâtif avec ce qui s'est passé dans le domaine de l'énergie, mais enfin la tradition française est souvent de prolonger des courbes, en faisant l'impasse sur l'évolution de celles pouvant être obtenues par de la volonté politique et des offres alternatives aux tendances lourdes constatées spontanément.

Ainsi, par exemple, on avait dessiné dans les années 70 au moment de la crise pétrolière, des courbes exponentielles de croissance de la consommation énergétique qui se sont révélées fausses, parce qu'il y a eu une implication forte des pouvoirs publics dans une politique de maîtrise de l'énergie.

Aujourd'hui on est à peu près dans la même situation. Se contente-t-on de prolonger les courbes présentées par la Direction des Routes ? Jean-Claude Gayssot lui-même pense que ce n'est pas possible, et que les modèles mathématiques qui utiliseraient une seule variable, le coût du transport routier, ne sont pas intelligents et ne permettent pas d'appréhender finement l'avenir.

Il faut agir sur plusieurs variables : le coût du transport routier, notamment à travers l'évolution du contexte social de ce secteur, mais aussi les perspectives de gains de productivité dans le secteur ferroviaire, médiocres pendant longtemps, mais dont je suis bien convaincue qu'elles existent et qu'il faut absolument les utiliser, enfin, l'internalisation des coûts, c'est-à-dire la prise en compte des effets négatifs induits.

La suppression des espaces agricoles, les accidents, le bruit, la pollution, le coût en devises de l'achat de carburant, etc, tout doit être pris en compte dans l'évaluation de l'efficacité économique et sociale des différents modes de transport. Aujourd'hui on n'est pas très bien outillé sur le plan des modèles et des outils de prospective pour dessiner l'avenir.

M. le PRESIDENT .- Votre présentation m'inspire deux ou trois commentaires. Je veux d'abord vous remercier de la netteté de votre propos. J'y puise la justification de notre Commission d'enquête.

Vous avez bien dit : "nous changeons de politique". C'est bien notre sentiment. C'est pourquoi notre Commission a été constituée. Il est bon que vous l'ayez affirmé avec autant de clarté. J'ai même senti un peu de provocation, mais tant mieux, c'est clair, il y a une majorité, un Parlement, vous changez de politique, c'est très bien. Toute la question consiste à savoir quelle va être cette politique.

Concernant les schémas de train à grande vitesse, la carte qui en avait été dressée à un moment n'était que potentielle, puisque la plupart des tracés n'ont pas été mis à l'étude. Il est exact que ces schémas ne peuvent pas être réalisés, certains seulement peuvent l'être, d'autres posent probablement des problèmes, et nous serons amenés, je le pense, à indiquer, que pour une série de trajets, les trains pendulaires peuvent avoir leur intérêt.

Vous n'en avez pas dit autant, et je vous en remercie, sinon vous vous seriez mise en contradiction avec ce que nous avons entendu, des schémas autoroutiers.

Celui retenu à l'époque par le Gouvernement Balladur est, à quelques exceptions près, finançable. Cela ne signifie pas qu'il soit obligé de le faire, le Gouvernement peut parfaitement changer de politique, mais pas sur la base d'un argument financier. Vous ne l'avez pas invoqué et je vous en remercie.

Vous n'avez répondu à aucune de mes questions, donc j'y reviendrai. Mais avant, vous avez parlé des schémas de services. Vous avez indiqué qu'ils feraient l'objet d'une concertation aux niveaux régional et inter-régional. C'est très positif, parce que cela permettra aux Conseils Régionaux -et j'espère qu'ils consulteront les départements- de s'exprimer.

Il serait tout à fait paradoxal que ces schémas soient soumis aux régions et pas au Parlement. Feront-ils l'objet d'une décision législative ? Nous le souhaitons.

Je comprendrais difficilement qu'on consulte les régions et qu'on ignore le Parlement. S'il est consulté, il aura manifestement à se prononcer.

Est-ce que ces schémas de services seront soumis à son vote ? J'aimerais une réponse très concrète.

J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt vos propos. Je suis d'accord avec vous, il ne faut pas rêver. Ce n'est pas du tout notre intention, d'ailleurs pas plus dans un sens que dans l'autre.

Parmi les observations que vous avez formulées, vous avez mentionné une série de considérations, les coûts qu'il faut internaliser dans le calcul de rentabilité au sens très large des infrastructures de désenclavement.

J'ai été surpris parce que vous n'avez pas parlé d'une donnée, le développement économique local. Je vous ai entendu parler du bruit et d'autres éléments très importants et auxquels nos concitoyens sont très sensibles. Je crois que je mentirais en disant qu'ils ne le sont pas également au développement économique, qui nous paraît absolument déterminant. Quelle est la dose d'enclavement qui empêche le développement ou le freine ? Et quelle est celle de désenclavement, par grands axes autoroutiers reliant les régions à l'Europe, nécessaire pour le développement ?

Je vous ai posé trois questions, je les répète.

1) Le Directeur des Routes nous a montré un graphique qui indique qu'en prenant 1980 comme base 100, nous sommes en surface autoroutière à 124 et en volume de trafic à 163. Nous assistons donc à une densification préoccupante. Comment allons-nous traiter ce problème ?

2) Le transport combiné est une priorité dans notre esprit comme le développement durable. J'entends que tout à coup on découvre celui-ci, c'est une espèce de révélation fantastique d'un nouveau Gouvernement. Non, nous en sommes tous partisans, permettez-moi de vous le dire, nous autant que vous, et nous sommes à l'écoute des populations, nous sommes tous des élus locaux.

Ceci dit, le transport combiné, nous ont dit les responsables de ces entreprises, n'est pertinent que pour les trajets supérieurs à 500 km, il ne représente que 20 % du total des transports de marchandises, la très grande majorité du trafic poids lourds sur les autoroutes s'effectue sur des trajets inférieurs ou égaux à 100 km. Par conséquent, le transport combiné est prioritaire, mais ne s'applique qu'à 20 % de la globalité.

Voilà deux questions concrètes sur lesquelles j'aimerais avoir vos réponses.

Mme VOYNET .- Je vais être encore plus provocatrice, Monsieur le Président.

M. le PRESIDENT .- Je m'y attendais.

Mme VOYNET .- Quand on dit "on change de politique", cela ne signifie pas qu'on a moins d'ambition, mais qu'on arrête de faire semblant. On affronte avec lucidité les problèmes budgétaires, on arbitre, et on dit, comme vous-même il y a quelques instants, qu'on ne fera pas tout ce que l'on veut faire tout de suite.

Il me semble que c'est une singulière maladie que celle qui nous frappe, je le répète, qui a si longtemps permis de faire le consensus, et singulièrement de faire adopter à l'Assemblée Nationale et dans votre assemblée des projets de schémas de d'infrastructures par addition. Ce n'est pas faire insulte aux parlementaires que de dire que c'est une pratique fréquente que de subordonner le soutien à un schéma à la prise en compte d'un projet de plus concernant spécialement la circonscription, le département ou la région.

D'ailleurs, j'avoue bien volontiers qu'à la place des parlementaires, je n'échapperais pas non plus à ce travers.

M. le PRESIDENT .- Permettez-moi de vous interrompre une seconde. Jamais les schémas n'ont été soumis au Parlement, et nous le demandons. Les collectivités territoriales n'ont jamais été consultées non plus. M. Pons, quand il était ministre des Transports, avait annoncé une grande consultation locale. J'avais dit : "En conséquence, vous allez le soumettre au Parlement". Mais dans le passé cela n'a jamais été le cas.

M. FATOUS .- Les projets n'étaient pas financés.

M. le PRESIDENT .- Il n'y a pas de schéma Balladur, c'était le schéma Méhaignerie. Il a simplement dit que sa réalisation serait accélérée. Et les financements sont possibles, mais ce n'est pas vrai du schéma ferroviaire.

Mme VOYNET .- Si je comprends bien, la Commission est en train d'auditionner son Président qui a une opinion bien arrêtée, ce n'est d'ailleurs pas la mienne.

Nous pourrions débattre entre nous, mais dans ce cas je n'aurai pas forcément le temps de répondre aux questions posées. J'ai déjà, je crois, donné mon accord pour venir plancher devant vous pour représenter les projets de loi d'orientations d'aménagement durable du territoire, je suis d'accord pour le faire, mais si je veux en rester au sujet de la Commission d'enquête, je vais apporter les réponses, sans les fuir, aux deux questions précises que vous avez formulées tout à l'heure.

Le schéma autoroutier n'est finançable que dans un contexte particulier. Or il me semble avoir dit très clairement qu'il avait changé au niveau européen.

Si on veut être extrêmement rigoureux dans l'utilité des fonds publics, on doit aussi prendre en compte le fait qu'à côté du concept autoroutier tel qu'il est mis en oeuvre par le ministère de l'Equipement, des Transports, il est d'autres concepts, dans les zones où le trafic est moins important, où la géographie est plus exigeante et génère des coûts très lourds, qu'il pourrait être plus important de développer, comme par exemple deux fois deux voies ou des autoroutes moins larges.

Il pourrait être intéressant aussi de prendre en compte le fait que quand on développe en concurrence des infrastructures lourdes sur les mêmes axes, elles se handicapent mutuellement. Ainsi la rentabilité d'un TGV peut être affectée de 20 à 30 % si on construit en parallèle une autoroute, qui vole une partie du trafic.

Je ne suis pas en état de répondre par oui ou par non à la question "faut-il accélérer le programme autoroutier ?". Il faut le réexaminer tronçon par tronçon, en fonction du coût, du contexte géographique, etc.

En revanche, je ne souhaite pas raisonner de façon purement mécanique. La phrase qui, dans la loi Pasqua, disait qu'aucun point du territoire ne devait être à plus de 50 km d'une autoroute et plus de 45 minutes d'une gare TGV me paraît surréaliste.

Est-on en état de promettre à tous les points des montagnes des équipements autoroutiers à 150 MF le kilomètre pour desservir quelques centaines ou quelques milliers d'habitants ? Ce n'est pas faire insulte au monde rural que de dire que c'est un mythe, une vue de l'esprit, une façon de manifester de manière un peu chaotique un intérêt pour la desserte de ces populations.

Quand j'ai parlé de réponses aux besoins, ce n'étaient pas simplement ceux des individus de se déplacer pour rencontrer leurs amis le week-end ou partir en vacances, mais j'incluais évidemment ceux des entreprises et les contraintes économiques.

Permettez-moi de dire qu'un des éléments très importants de nos choix en matière d'infrastructures est le contenu en emplois des travaux. Il me semble absolument fondamental de choisir les investissements et les modalités qui permettent de créer ou de maintenir le maximum de postes.

Je m'intéresse beaucoup à l'alchimie subtile qui lie desserte d'un territoire et développement économique. En effet, et pour ne parler que de ce que je connais bien, je vis dans une région où les zones d'intense vitalité économique sont paradoxalement très enclavées. La petite vallée de Moirans-en-Montagne où on fabrique près d'un tiers ou la moitié des jouets français est extraordinairement mal desservie sur un plan ferroviaire et routier. Alors que je vis dans une ville d'un peu moins de 30.000 habitants, desservie par deux autoroutes qui se croisent, à deux heures de TGV de Paris, avec un aéroport de stature régionale, et un canal Freyssinet, dont je n'ai pas considéré qu'il était prioritaire de le mettre à 4.000 tonnes de gabarit, cette petite ville a un mal fou à décoller sur un plan économique.

Je pense que les maires des villes moyennes, il y a quelques années, avaient notamment voté une motion qui insistait sur l'ambiguïté de l'apport du TGV, en disant : "il peut apporter des richesses, mais aussi faciliter le départ de certaines forces vives ou des jeunes". A une heure ou même une heure trente de Paris, comme Dijon par exemple, on peut aussi subir une sorte de " banlieurisation " qui fait fuir matière grise et capitaux vers des villes plus grandes.

Nous devons travailler sur les conditions du développement local, l'infrastructure de façon évidente est une des pistes. La consolidation demande autre chose.

C'est d'ailleurs hors sujet pour votre Commission, je ne suis pas convaincue que l'utilisation qui a été faite jusqu'à présent des outils financiers de la DATAR ait été d'une grande aide pour consolider le développement économique. Je me suis donc attachée à réorienter leur emploi.

Comment soulager la route, devant le constat que vous avez dressé ? Probablement en se donnant les moyens de redéployer une partie du trafic vers le fer. Vous avez très justement souligné qu'une minorité seulement des poids lourds effectuait des trajets de plus de 500 km. Il faut en être conscient, si tel est le cas, en général ils n'utilisent pas l'autoroute, y compris quand elle existe, parce qu'il faut aller la chercher en dehors des villes et des points de livraison, il faut payer le péage, et rejoindre le lieu de desserte à la sortie.

On finance en France simultanément et en concurrence des tronçons autoroutiers payants et l'entretien de routes nationales ou départementales, sur les mêmes axes qui sont gratuits et qui conservent de ce fait un pouvoir d'attraction très fort, alors que sur le plan de la sécurité, du bruit, de la nuisance, tout ne peut pas être financé pour améliorer la situation.

M. le PRESIDENT .- Je vous remercie de vos réponses. Je laisse la parole au rapporteur.

M. LARCHER. - Vous nous parlez de hiérarchisation, de priorités. Quelles seraient celles que le ministre de l'Aménagement du Territoire dégagerait dans une perspective à quinze ans, dans le schéma de service, fret ferré ou non ? Comment joindre le sillon du Rhin à celui du Rhône et aux ports ? Peut-on envisager une voie dédiée au fret dans un schéma d'organisation d'une autre nature ?

Il faut rappeler qu'un TGV libère aussi des sillons pour le fret et donc de ce fait peut générer des activités économiques.

Dans les schémas intermodaux de services collectifs que le projet de loi que nous connaissons va dégager, quelle prescription et quelle valeur normative allez-vous donner ?

Je m'associe aux propos du Président sur l'association du Parlement à ces décisions.

Question concrète : priorités, échange ?

Vous avez dit "nous souhaitons rétablir les conditions de concurrence équilibrée entre les modes". Naturellement je vais parler tout de suite du transport de fret entre les modes autoroutier, ferré et fluvial.

40 % du transport de fret, sur moyenne et longue distances, appartiennent à des sociétés néerlandaises en Europe. Est-ce que le rééquilibrage national des conditions sociales n'a pas de sens s'il n'est pas une décision européenne ? Car évidemment nous verrons les Néerlandais regarder avec beaucoup d'appétit ce qui se passe, et d'ailleurs ils sont en train de racheter les ports le long du Danube, notamment trois roumains, dans lesquels ils ont pris des intérêts importants le mois dernier.

Même si le fluvial ne leur apparaît pas toujours comme le mode premier du développement, ils parient dessus et ils font en même temps des plates-formes multimodales dans lesquelles ils investissent.

Pensez-vous que la dimension européenne sera la réponse à la concurrence entre les modes ?

Enfin, aujourd'hui, dans l'état actuel du réseau, imaginons que nous investissions trois fois plus que jusque-là. En effet, pour lever le noeud de Lyon, pour créer un réseau de fret réel pour éviter qu'Anvers ne soit le premier port français, pour relier Marseille convenablement à Strasbourg et à Bâle, pour faire sauter le noeud existant dans la région Languedoc-Roussillon, il faut vingt milliards. A raison d'un milliard par an, il faut vingt ans.

Envisagez-vous une priorité ? Dans les vingt prochaines années, le schéma d'insertion sur Nantes, qui constitue notre préoccupation, ne servira que de plaque tournante ou sera plaque de blocage.

Comment réagissez-vous au fait qu'à Bruxelles, mais aussi selon les directeurs des ports de Rotterdam, d'Anvers ou d'Europe du Nord, jamais aucun schéma de fret, ni ferré, ni fluvial, ne passe par la France ?

Enfin, dans quel ordre de priorité placez-vous le TGV Est et le canal Seine-Nord par rapport aux besoins de financement en fret, que j'ai évoqués précédemment pour le ferré ?

Le problème du fret est directement posé, me semble-t-il, dans l'équilibre entre les modes de transport.

Mme VOYNET .- Merci de toutes ces questions.

Je commencerai par les ports, parce qu'il me semble que c'est un sujet qui répond à d'autres questions induites par votre intervention.

La France, jusqu'à maintenant, n'a pas eu une politique portuaire suffisamment claire. Les travaux ont été menés le plus souvent au coup par coup, sans vision d'ensemble. Quand on constate qu'on perd des parts de marché face à d'autres pôles européens, il faut s'interroger sur l'offre de services présentée aux armateurs et chargeurs. Celle-ci est-elle cohérente à l'échelle du territoire, fondée sur des logiques de coopération et complémentaire entre ports ? Ou est-elle illisible ?

Je voyage assez peu parce que je pense qu'on attend plus de moi que je travaille dans mon bureau sur les dossiers. Mais quand je suis allée à Kyoto, j'ai eu l'occasion de rencontrer quelques industriels japonais. Vu de Kyoto, d'Ottawa, de Singapour ou Bombay, y a-t-il un sens à offrir Dunkerque ou Saint-Nazaire ou Nantes ou Rouen ou Le Havre ou Marseille ? Je n'en suis pas sûre.

Face à l'évidente clarté de l'offre néerlandaise, plutôt que de répondre au coup par coup aux besoins des ports, on aurait vraiment intérêt à avoir une discussion sur la politique portuaire de la France, pour clarifier les affectations de ces ports, les équipements nécessaires, et les efforts menés au niveau international pour rendre lisible l'offre.

Il est certain qu'aucune réalisation fluviale transbassins ou transmer n'est de nature à renforcer l'offre portuaire française actuellement.

Quand on soulignait l'absence du chaînon manquant sur quelques centaines de kilomètres entre la vallée du Rhin et celle du Rhône, on précisait que sa réalisation pourrait permettre le décollage du port de Marseille, sans se demander pourquoi ce maillon ne manquait pas à Rotterdam, à l'autre extrémité de cet itinéraire. On sait que les difficultés du port de Marseille sont liées à ses conditions d'exploitation, et à la longue crise des personnels autant qu'à l'absence de réalisation du canal Rhin-Rhône.

Je pense très important d'assurer des liaisons efficaces sur l'axe nord-sud, à la fois pour les personnes et les marchandises. Concernant ces dernières, la SNCF a déjà précisé qu'elle était capable, moyennant quelques centaines de millions de francs -je crois 200 à 300 MF- de mettre au gabarit B+ la ligne entre Strasbourg et Lyon, pour permettre de faire circuler des conteneurs maritimes.

Une faiblesse actuelle me semble liée au fait que bien des collectivités développent en concurrence des projets de plates-formes intermodales, alors qu'il n'est pas vraiment sérieux d'imaginer qu'il pourrait y en avoir une tous les 30 km. Il va falloir que l'Etat dise son mot sur leur éventuelle localisation.

Concernant le transport des personnes, je voudrais affirmer ma conviction qu'il y a un espace entre le rien du tout et la dégradation du réseau conventionnel, et le TGV sur voie nouvelle sur l'ensemble d'un tracé.

C'est particulièrement vrai pour le TGV Rhin-Rhône. Et là, je voudrais citer quelques chiffres. Dans le dossier de cette mission, deux chiffres frappent l'imagination : Mulhouse-Dijon par TGV : 1 h 10, Mulhouse-Dijon avec le train actuel : le meilleur temps est de 2 h 50. Gagner 1 h 40 est phénoménal.

Ensuite, on se rend compte que la meilleure desserte actuelle prévoit de nombreux arrêts, dont parfois la durée excède dix minutes, avec la nécessité de changer de train en gare de Besançon.

Si on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire Dijon-Mulhouse sans arrêt par TGV ou par la voie conventionnelle avec le matériel existant, on compare des trajets de 1 h 10 et de 2 h 10, et le gain n'est plus que d'une heure. On a déjà gagné quarante minutes sans dépenser un sou.

Où le train conventionnel circule-t-il à basse vitesse ? En effet, c'est sur ces tronçons-là que l'amélioration est susceptible de faire gagner des minutes. On se rend compte qu'à de nombreux endroits, moyennant la réalisation de quelques kilomètres de voie nouvelle, on peut gagner de précieuses minutes complémentaires.

Vaut-il mieux commencer dès le prochain contrat de plan à améliorer le service rendu, le matériel roulant et les points noirs du tracé, ou attendre un TGV pendant vingt ans, en laissant se dégrader le service actuel, dont on sait pourtant qu'il sera fondamental si on veut articuler un service TGV grandes lignes avec un réseau régional de bonne qualité ?

On pose souvent mal la question. Il n'y a pas ceux qui sont pour le progrès, pour le TGV, et ceux qui veulent vivre dans des cavernes en s'éclairant à la bougie, et qui seraient contre, mais il y a ceux qui pensent que pour les sommes considérables que cela coûte, on doit rendre le meilleur service possible.

Pour un peu moins de milliards et quelques minutes de plus, je pense qu'on peut rendre des services considérables. Je conçois que nos engagements européens, avec notamment celui de réaliser le TGV Est en échange de la confirmation du rôle de capitale européenne de Strasbourg, aient pu conduire les gouvernements successifs à raisonner autrement. A titre personnel, je reste raisonnablement critique sur ce dossier, mais la décision ayant été prise, je m'y suis évidemment ralliée.

Concernant le canal Seine-Nord, je pense que c'est un dossier beaucoup plus intéressant que ne l'était le canal Rhin-Rhône, pour un motif essentiel : il se situe sur une zone géographiquement plus plate, avec un réseau de voies fluviales plus consistant.

Cela dit, je ne méconnais pas un risque important, qui consiste en un effet de vol de fret aux ports de Rouen et du Havre, je pense que cela nécessite une mûre réflexion. Je ne suis pas convaincue qu'on draine du trafic supplémentaire, mais qu'on puisse mettre en danger des ports en assurant une liaison directe avec l'Ile-de-France, c'est un point sur lequel le Président de l'Assemblée Nationale est très vigilant...

M. LARCHER .- Il a des préoccupations très locales, ce qui est légitime.

Mme VOYNET .- Je pense qu'il relayait les préoccupations de bien des élus et des corps de métiers. Je sais que c'est aussi la position de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre, qui s'inquiète beaucoup.

M. LARCHER .- C'était par rapport à vos propos antérieurs sur les parlementaires.

Mme VOYNET .- J'écoute les préoccupations, mais à un moment donné il faut savoir dire si c'est une vraie question ou pas. Notre souci de développement de l'espace français est un souci d'équilibre. Il faut que ce soit un jeu à somme positive où tout le monde gagne.

Si vous me demandiez s'il y avait des travaux auxquels j'étais plus personnellement attachée, j'insisterais sur la consolidation de l'offre transport combiné, sur les conditions du franchissement des massifs, alpin et pyrénéen.

Aujourd'hui la révolte gronde dans les vallées soumises au flux continu des poids lourds, dont beaucoup d'ailleurs ne font que du transit. On utilise le territoire national. S'il n'y a pas de logique d'internalisation des coûts, les profits sont pour nos partenaires européens, et les contraintes, le bruit, les nuisances, les accidents pour nous. Il y a une façon de répondre qui peut être très européenne en améliorant l'offre ferroviaire.

J'ajouterai à cette liste la nécessité probable de réaliser le barreau sud de l'interconnexion TGV entre les réseaux Ouest et Est de la France. Je ne trouve pas très satisfaisant de voir se concentrer les infrastructures sur l'Est. Il faut aussi que l'Ouest bénéficie pleinement de l'effet réseau du TGV pour éviter que les régions ne se sentent s'éloigner de l'espace français.

J'aurai tendance aussi à dire que nous ne devrions pas attendre trop longtemps avant de faire des travaux significatifs sur la liaison Bordeaux-Hendaye, très accidentogène.

J'ai aussi envie, dans la perspective des contrats de plan, qu'on soit capable de monter un programme qui pour les routes privilégierait la résorption des points noirs du bruit -cela fait l'objet de dizaines de milliers de lettres chaque année, à destination des ministères des Transports et de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement- et de certains points noirs de sécurité qui sont prioritaires.

J'ajouterai la volonté de poursuivre et d'approfondir les coopérations dans le domaine ferroviaire entre l'Etat et les régions, pour améliorer les conditions de desserte quotidienne des usagers du réseau régional.

Je listerai également un volet concernant les transports collectifs dans les agglomérations. Aujourd'hui le problème de circulation dans les zones urbaines a un coût économique et sanitaire absolument considérable.

M. le PRESIDENT .- Une observation. Je vous ai entendu dire deux ou trois choses qui m'amènent, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, à indiquer que nous ne sommes pas du tout sur la ligne consistant à dire qu'il ne faut rien changer, que le contexte n'a pas évolué, et que la poursuite et la continuité sont les seules idées qui doivent l'emporter.

Vous avez parlé d'autoroutes avec des spécifications simplifiées. C'est une idée que nous regardons de très près. Vous pourriez avoir des surprises heureuses dans notre rapport.

De même, je partage entièrement votre idée qu'avant de se lancer dans un nouveau tracé de chemin de fer à grande vitesse, on ferait mieux d'étudier si l'investissement vaut les quelques minutes gagnées. J'ai les plus grands doutes.

Un train rapide sur une ligne existante, en l'améliorant et en regardant le train pendulaire, nous sommes tout à fait pour.

Nous ne rêvons pas, nous voulons nous aussi que les projets soient poursuivis.

De même, je vous ai entendu parler des liaisons transalpines et transpyrénéennes, elles sont en effet fondamentales et elles peuvent passer par le train. Peut-être les tunnels et le réseau ferré qui transporterait les camions vaudraient-ils la peine d'être étudiés.

Il ne faudrait pas penser que nous sommes sur des lignes consistant à nous arc-bouter. Ce qui nous préoccupe, ce sont l'aménagement du territoire et le désenclavement encore nécessaire et fondamental, sans lequel il n'y aura pas de développement. Il n'amène pas automatiquement le développement, certes.

On pourrait évidemment citer beaucoup d'exemples contraires. Notre religion est simple : sans désenclavement il n'y a pas de développements nouveaux en général, les anciens survivent, bien sûr, parce qu'il y a des traditions, une main-d'oeuvre, etc. Le désenclavement seul n'engendre jamais le développement. C'est une politique d'ensemble dans laquelle le désenclavement est indispensable.

Mme VOYNET .- Chacun utilise le vocabulaire qu'il souhaite. Je m'applique à ne plus dire désenclavement, mais à préférer le mot desserte, qui me paraît correspondre à l'idée d'apporter une réponse à un besoin exprimé sur un territoire.

Le mot désenclavement a été utilisé un peu "à toutes les sauces", comme ceux de développement durable.

Derrière il y a bien l'idée de répondre à un besoin et de ne pas plaquer une solution, toujours la même, c'est-à-dire la traversée de l'autoroute, à une infinie complexité de situations.

Je me rends compte que j'ai oublié la question de Gérard LARCHER concernant la nécessité de travailler dans la perspective d'intégration européenne.

Le rééquilibrage ne peut, à mon sens, se faire que si le contexte social, d'une part, fondamental pour le transport routier, et le contexte environnemental et fiscal, d'autre part, sont en phase.

Je pense notamment à l'harmonisation de la fiscalité des carburants au niveau européen. Elle ne progresse pas sérieusement. Je travaille sur la fiscalité environnementale, le coût des carburants, l'internalisation des coûts, Jean-Claude Gayssot remplit la même tâche sur la dimension sociale.

C'est bien parce que l'Europe sociale, environnementale et fiscale ne progressaient pas aussi vite que les conditions de l'intégration économique que, toute pro-Européenne convaincue que je suis, j'ai pris le risque de voter contre la ratification d'un traité qui est déjà derrière nous, celui de Maastricht.

Il me semble que vous trouverez un consensus pour faire progresser la construction sociale et environnementale de l'Europe.

M. le PRESIDENT .- Et monétaire.

Mme VOYNET .- Bien sûr. Aujourd'hui, en tout cas, le manque d'Europe sociale et environnementale est un handicap à ce rééquilibrage.

M. LARCHER .- Comment décider les artisans néerlandais, propriétaires d'un à deux camions qui constituent l'essentiel de la flotte, à avoir des préoccupations sociales qui les touchent personnellement, alors que, comme les bateliers, ils travaillent en famille ?

Comment faire comprendre à 40 % qu'il faut évoluer ? C'est une difficulté majeure sur un mode concurrentiel où le schéma d'organisation sociologique du mode de transport est complètement différent.

Les bateliers néerlandais à 4 ou 6.000 tonnes travaillent en famille, les camionneurs aussi.

Mme VOYNET .- C'est aussi souvent le cas en France.

M. LARCHER .- Mais ils n'ont pas de grandes compagnies et ils possèdent 40 % de l'Europe, d'où des difficultés d'harmonisation concrètes. Ils ne sont pas demandeurs d'un plan social.

Mme VOYNET .- Je suis d'accord, mais j'avais cru comprendre que le modèle français était la résistance au dumping social et écologique. Je continuerai à le défendre et j'espère bien gagner.

M. LARCHER .- Il n'est pas facile d'avancer, nous l'avons mesuré aux Pays-Bas.

M. le PRESIDENT .- Madame la ministre, nous vous remercions.

(La séance est levée à 19 h 10.)

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